Accueil > 24 - Commentaires de livres > Besancenot au pays des Soviets (1)

Besancenot au pays des Soviets (1)

jeudi 7 décembre 2017, par Alex

Besancenot, un « ami de la révolution russe de 1917 », héritier des « amis de l’URSS » de l’époque stalinienne

Les lignes suivantes de Trotsky nous semblent être d’actualité concernant de nombreuses publications « de gauche » occasionnées par le centenaire de la Révolution russe de 1917, concernant le livre de Besancenot Que faire de 1917 ? Une contre-histoire de la révolution russe en particulier. Les « Amis de l’URSS » furent de vrais amis de Staline, de faux amis de la Révolution prolétarienne d’octobre 1917 et du communisme, du marxisme en général :

La librairie des pays civilisés est envahie par les ouvrages consacrés à l’U.R.S.S. Rien d’étonnant à cela : de tels phénomènes ne se produisent pas souvent. La littérature dictée par une haine aveugle tient dans cette production une place de moins en moins importante ; au contraire, une très grande partie des oeuvres récentes se colore de plus en plus de sympathie sinon d’admiration. On ne peut que se féliciter de l’abondance des ouvrages pro-soviétiques comme d’un indice de l’amélioration de la réputation de l’Etat-parvenu. Il est d’ailleurs infiniment plus louable d’idéaliser l’U.R.S.S. que d’idéaliser l’Italie fasciste. Mais c’est en vain que le lecteur chercherait dans les pages de tous ces livres une appréciation scientifique de ce qui se passe en réalité au pays de la révolution d’Octobre.

Les oeuvres des "amis de l’U.R.S.S" se classent en trois grandes catégories. Le journalisme des dilettantes, le genre descriptif, le reportage "de gauche" — plus ou moins — fournissent le plus grand nombre de livres et d’articles. A côté se rangent, quoique avec de plus hautes prétentions, les oeuvres du "communisme" humanitaire, lyrique et pacifiste. La troisième place est occupée par les schématisations économiques, dans l’esprit vieil-allemand du socialisme universitaire. Louis Fisher et Duranty sont suffisamment connus comme les représentants du premier type d’auteurs. Feu Barbusse et Romain Rolland représentent le mieux la catégorie des "amis humanitaires" : ce n’est certes pas sans raison qu’avant de venir à Staline l’un écrivit une Vie de Jésus et l’autre une biographie de Gandhi. Enfin, le socialisme conservateur et pédant a trouvé dans l’infatigable couple fabien des Webb ses représentants les plus autorisés.

Ce qui réunit ces trois catégories si différentes, c’est la vénération du fait accompli et le penchant pour les généralisations rassurantes. Tous ces auteurs n’ont pas la force de s’insurger contre leur propre capitalisme. Ils sont d’autant plus disposés à s’appuyer sur une révolution étrangère, du reste apaisée. Avant la révolution d’Octobre et de nombreuses années après, aucun de ces hommes, aucun de leurs pères spirituels ne se demandait sérieusement par quels chemins le socialisme pourrait bien venir en ce monde. Il leur est d’autant plus facile de reconnaitre le socialisme dans ce qui se passe en U.R.S.S. ; ce qui leur confère une apparence d’hommes de progrès allant avec leur époque, et aussi une certaine fermeté morale, sans les engager à rien. Leur littérature contemplative et optimiste, nullement destructive, qui ne voit de désagréments que dans le passé, exerce sur les nerfs du lecteur une influence rassérénante qui lui assure un bon accueil. Ainsi se forme insensiblement une école internationale que l’on peut appeler celle du "bolchevisme à l’usage de la bourgeoisie éclairée" ou, dans un sens plus étroit, celle du "socialisme pour touristes radicaux". (Trotsky, La Révolution Trahie)

On l’aura compris, notre sentiment général concernant le livre de Besancenot est plutôt négatif.

Nous allons tenter de justifier notre opinion.

Remarquons tout d’abord que le livre de Besancenot n’est à notre connaissance pas accessible en ligne, son prix est 17 euros, plutôt élevé vu la maigreur de son contenu.

Commençons par commenter son Introduction. Nous citerons intégralement le premier paragraphe, échantillon révélateur de l’hostilité foncière de Besancenot au caractère prolétarien d’Octobre 1917, hostilité qui avance masquée, le tout apportant très peu d’éléments historiques d’intérêt.

Un livre qui étouffe les voix révolutionnaires au moyen de fausses embrassades

D’un révolutionnaire communiste prolétarien d’aujourd’hui qui étudie la révolution russe de 1917, on attendrait en introduction d’un article ou d’un ouvrage une déclaration analogue à celle du philosophe Hegel, qui resta jusqu’à la fin de sa vie fidèle à son enthousiasme de jeunesse à propos de la Révolution française :

Ce fut donc là un magnifique lever de soleil. Tous les êtres pensants ont concélébrés cette époque. Une émotion sublime a régné en ce temps, un enthousiasme de l’esprit a fait frissonner le monde, comme si l’on était alors parvenu à la réconciliation effective du divin avec le monde.

Le révolutionnaire Victor Serge qualifie de manière analogue, en 1947, la révolution russe de 1917 d’« événement le plus chargé d’espoir, le plus grandiose de notre temps ».

Nous citons Victor Serge car Besancenot entame ainsi son Introduction :

« Des enthousiasmes inoubliables de 1917, que reste-t-il ? Beaucoup d’hommes de ma génération, qui furent des communistes de la première heure, ne nourrissent plus envers la Révolution russe que des sentiments de rancœur. » : ainsi s’exprimait en 1947 Victor Serge, militant révolutionnaire insatiable, quelques semaines avant de s’éteindre. Rarement une révolution aura été à ce point confisquée par les tenants de l’histoire. Tour à tour dévoyée par un totalitarisme meurtrier, dès les années 1920, puis à la fin du XXè siècle, définitivement remisée, disait-on, par un capitalisme mondialement déployé, la révolution russe lègue un héritage, sans héritiers attitrés. D’abord ensevelie sous les décombres du stalinisme avant d’être asphyxiée par l’avalanche d’attaques et de préjugés de la pensée dominante, elle semble être un lointain souvenir enfoui dans les nappes phréatiques de la mémoire collective. A contre-emploi, j’ai voulu à nouveau l’attirer à la surface en me penchant sur le véritable acteur de cette période, le peuple russe, ce héros oublié qui s’est dressé, il y cent ans, contre le tsarisme et contre la guerre, auto-organisé à travers une multitude de conseils populaires (les soviets) pour bâtir une nouvelle société. Plutôt que de simuler une improbable impartialité sur le sujet, j’ai préféré écrire cette contribution dans un parti pris assumé, qui se revendique du camp de la révolution, ainsi que d’une longue filiation communiste antistalinienne. Pour autant, ce livre entend s’adresser à un large public car il aborde, à travers l’exemple de 1917, la question de l’émancipation humaine, aspiration « spontanée » et universelle en ce qu’elle transcende les opprimés par-delà les frontières

On voit que Besancenot commence son livre par une citation purement négative contre la révolution russe, la plaçant tout de suite dans le cadre du totalitarisme. Cela va dans le sens du titre de son livre.

Les principes élémentaires de l’écriture académique nous apprennent que c’est un paragraphe entier qui exprime une unité de pensée, la première phrase en délivrant le contenu qui y sera développé. Un des procédés récurrents utilisé par Besancenot est de ne jamais présenter correctement un auteur révolutionnaire, ni citer un paragraphe entier, surtout pas sa première « phrase-programme ». Le premier paragraphe du livre de Besancenot illustre ainsi un procédé qu’il utilisera systématiquement : citer Victor Serge semble permettre à Besancenot de se placer dans la catégorie des révolutionnaires, voire même d’un « initié ». Car le « large public » connait peu Victor Serge. Besancenot à donc l’air d’être imprégné de culture révolutionnaire et son livre promet d’être un portail qui y donnera accès. La réalité est le contraire. Car le premier méfait de Besancenot, c’est de laisser dans l’ombre des révolutionnaires qu’il cite comme Victor Serge, de maintenir dans des « nappes phréatiques » inaccessibles leur véritable pensée, des éléments élémentaires de biographie, les titres de leurs écrits.

En effet, citons le paragraphe complet de Victor Serge dans son texte de 1947 :

Quel effroyable chemin avons nous fait en ces trente ans ! L’événement le plus chargé d’espoir, le plus grandiose de notre temps, semble s’être retourné tout entier contre nous. Des enthousiasmes inoubliables de 1917, que reste-t-il ? Beaucoup d’hommes de ma génération, qui furent des communistes de la première heure, ne nourrissent plus envers la Révolution russe que des sentiments de rancœur. Des participants et des témoins presque personne ne survit. Le Parti de Lénine et de Trotsky a été fusillé. Les documents ont été détruits, cachés ou falsifiés. Survivent seuls en assez grand nombre des émigrés qui furent toujours les adversaires de la révolution. Ils écrivent des livres, ils enseignent, ils ont l’appui du conservatisme, encore puissant, qui ne saurait, à notre époque de bouleversement mondial, ni désarmer ni faire preuve d’objectivité… Une pauvre logique, nous montrant du doigt le noir spectacle de l’U.R.S.S. stalinienne, affirme la faillite du bolchevisme, donc celle du marxisme, donc celle du socialisme… Escamotage facile en apparence des problèmes qui tiennent le monde et ne le lâcheront pas de sitôt. Oubliez-vous les autres faillites ? Qu’a fait le christianisme pendant les catastrophes sociales ? Qu’est devenu le libéralisme ? Qu’a produit le conservatisme éclairé ou réactionnaire ? N’a-t-il pas engendré Mussolini, Hitler, Salazar et Franco ? S’il s’agissait de peser honnêtement les faillites d’idéologies, nous aurions du travail pour longtemps. Et rien n’est fini…

On voit que Victor Serge dénonce la littérature hostile à la révolution, plus précisément ceux qui proclament la faillite du bolchévisme, du marxisme, dont les deux plus grands représentants en 1917 en Russie furent Lénine et Trotsky. Besancenot ne mentionne surtout pas le rôle essentiel du parti bolchévique de Lénine et Trotsky, dans son introduction. Son livre est fondamentalement anti-bolchévique, anti-marxiste, on le verra par la suite. Encenser « le peuple » lui permet de rabaisser le rôle de ce parti qui fut celui de la classe ouvrière russe, le rôle nécessaire de tout parti communiste révolutionnaire en général.

Le lecteur de Besancenot n’apprendra pas que Victor Serge est l’auteur de L’an I de la Révolution Russe, un livre incontournable sur 1917, où qui était Victor Serge lui-même, c’est en cela que Besancenot étouffe la voie des révolutionnaires, lui qui prétend les faire sortir de l’oubli. Citons donc le premier paragraphe de cet ouvrage de Victor Serge, dont chaque phrase dans le fond et la forme est un baume et un antidote après celui de Besancenot :

J’ai tenté de donner dans ce livre un tableau véridique, vivant et raisonné de la révolution socialiste russe. Désireux par dessus-tout de dégager aux yeux des prolétaires les enseignements d’une des époques les plus grandes et les plus décisives de la lutte des classes dans les temps modernes, je ne pouvais qu’exposer le point de vue des révolutionnaires prolétariens. cette façon de voir aura pour le lecteur étranger aux doctrines communistes l’avantage de lui faire connaitre comment ceux qui ont fait la révolu (L’an I de la révolution, Victor Serge)

Victor Serge parle donc de la « révolution socialiste », de « lutte de classe ». Il se définit comme révolutionnaire « prolétarien », (plus haut comme « communiste ») s’adressant aux « prolétaires » mais aussi « au lecteur étranger aux doctrines communistes ». Victor Serge utilise le langage du socialisme scientifique, celui de Marx, Engels, Lénine et Trotsky. Besancenot qui le cite, omet tous ces termes. Victor Serge est pour lui non pas un révolutionnaire « prolétarien, communiste » comme il se définit lui-même, mais « insatiable ». C’est un adjectif vide de sens, faussement élogieux. La révolution de 1917 n’est pour Besancenot ni celle d’Octobre, ni bolchévique, ni socialiste, ni prolétarienne mais seulement "russe", "populaire". Cette phraséologie étrangère au marxisme se retrouve tout au long du livre. Afin de masquer le fait qu’il est, comme aurait dit Victor Serge, « étranger aux doctrines communistes », Besancenot fait mine de s’attaquer aux historiens hostiles à la révolution, en prétendant redonner au « peuple russe » (non au prolétariat, aux paysans pauvres, aux nationalités opprimées par le tsarisme) un rôle que l’histoire « dominante » (on ne sait pas à qui Besancenot fait référence) lui aurait enlevé.

Or ce rôle du peuple, dès Février 1917, le Prince Lvov qui se retrouva à la tête du gouvernement provisoire après la chute du Tsar Nicolas II le reconnut lui-même :

Je crois à la vitalité et à la sagesse de notre grand peuple, telles qu’elles se sont exprimées dans le soulèvement qui a renversé l’ancien régime. (cité par O. Figes dans La Révolution Russe)

Les historiens les plus pro-démocratie bourgeoise n’ont absolument pas nié le caractère populaire de la révolution. Besancenot ne fait que les reprendre sans les citer. Citons tout d’abord Marc Ferro :

(...) le peuple russe nourrissait une telle haine envers ses dirigeants que, pour lui, abattre le tsarisme était un devoir aussi sacré que la défense de la patrie. Il partit pour la guerre , mais la défaire l’amena aussi à châtier le régime responsable. Patient, il avait trop attend les réformes ; aussi le tsarisme abattu, il voulut accomplir d’un coup la révolution « sociale » (La révolution russe de 1917, M. Ferro)

On voit que non seulement Marc Ferro donne le rôle principal au peuple, mais emploie un vocabulaire plus scientifique que Besancenot en parlant d’une révolution « sociale ».

Citons une autre historienne peu suspecte de sympathies communistes, Hélène Carrère d’Encausse :

L’initiative de la révolution est venue du bas, du peuple.(...) La révolution russe , en février comme en octobre, a été le fait de mouvements populaires, des aspirations profondes d’un peuple.(Lénine - La révolution et le pouvoir, H. Carrère d’Encausse)

La nécessité de remettre le peuple, y compris sa capacité à s’auto-organiser, au centre de l’histoire de la révolution russe de 1917 avait été l’axe central du livre d’Orlando Figes, comme cet historien le dit lui-même :

Bien que la politique ne soit jamais bien loin, il s’agit, je suppose, d’une histoire sociale en ce sens qu’elle porte essentiellement sur le peuple ordinaire.(...) Durant toutes ces actions, la foule brilla par ses capacités d’auto-organisation et sa solidarité (La Révolution Russe, Figes)

On voit que l’axe du livre de Besancenot (la révolution est l’oeuvre du peuple auto-organisé) n’a absolument rien de novateur ni révolutionnaire. Des écrivains lus par le grand public soutiennent la même thèse.

Célébrer le rôle du « peuple » indifférencié a été très bien fait par des historiens bourgeois. Les livres accessibles au grand public dans des éditions de poche de Ferro, Carrère d’Encausse et Figes, à la suite du chef du premier gouvernement bourgeois issu de la révolution de février, mettaient déjà en avant cette vérité élémentaire !

Ce culte du « peuple » indifférencié repris par Besancenot est justement un premier aspect avec lequel on rompt si on devient militant prolétarien du communisme, comme Victor Serge. Historiquement, c’est vers 1830 que cette scission politique définitive du peuple en classes fondamentalement opposées : bourgeoisie et prolétariat, s’est opérée. Exalter le peuple c’est revenir en arrière, oublier 1830 et juin 1848 en France et le Chartisme en Angleterre, bref c’est revenir au stade bourgeois de la démocratie, en masquant l’entrée en scène du prolétariat : c’est le radicalisme républicain bourgeois.

Lire la suite

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.