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Un peuple doit-il payer les dettes de l’Etat ? Point de vue de Marat, l’Ami du Peuple

dimanche 25 novembre 2018, par Alex

Jean Paul Marat est né en 1743 et mort assassiné le 13 juillet 1793.

Livré dès ma jeunesse à l’étude de la nature, j’appris à connaitre les droits de l’homme, et jamais je ne laissai échapper l’occasion d’en être le défenseur écrit-il dans la notice précédant son livre Les chaines de l’esclavages, écrit en 1774, 25 ans avant la révolution.

De septembre 1789 au 14 juillet 1793 il rédigea, seul, le journal L’ami du peuple au travers duquel il fut un des leaders politiques de la révolution française. C’est donc un document
indispensable à qui veut connaître l’histoire de la révolution, un modèle pour des révolutionnaires voulant rédiger un journal politique. On y trouve l’interprétation des décrets des assemblées, on y voit dévoiler au jour le jour, mettre en pleine lumière les tentatives contre la révolution.

Les deux articles suivants, Ruiner les peuples et Réflexions sur les dettes du gouvernement devenues nationales donnent une idée de son style, et de la profondeur de ses analyses. Car aujourd’hui alors que plane le spectre de la faillite d’états européens comme la Grèce, que les gouvernements avertissent les peuples qu’ils devront payer, ces textes de Marat montrent que cette question de la dette n’est pas nouvelle.
La spéculation, l’enrichissement grâce à la dette publique est vielle comme le capitalisme. Et cette analyse permettais aux travailleurs, aux pauvres auxquels ces textes s’adressent, de s’orienter dans cette question : cette dette n’est pas la tienne, si tu acceptes de la payer tu ne fais que renforcer tes exploiteurs : les spéculateurs qui sont main dans la main avec l’Etat. Marat avait une analyse plus juste que celle de Bernard Thibault, secrétaire Général de la CGT, qui affirmait le 26 avril que les marchés contraignent les états à mener une certaine politique. Marat fait comprendre qu’il n’y a pas contrainte, l’Etat et les spéculateurs son main dans la main. En ce sens certains passages pourraient être reproduits aujourd’hui sans changer un mot, car les problèmes financiers restent en grande partie les mêmes.

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Ruiner les peuples

Pour asservir les peuples, les princes travaillent à appauvrir leurs sujets riches et corrompus, comme ils ont travaillé à enrichir leurs sujets pauvres et agrestes : ainsi, après leur avoir donné tous les besoins du luxe, ils leur ôtent les moyens de les satisfaire.

Avec des biens au-dessus d’une condition privée et les désirs de l’ambition, il est sans doute fort difficile d’être bon citoyen ; mais il est impossible de l’être avec les besoins de la mollesse et les regrets d’une grande fortune. Des hommes corrompus par l’opulence, soumis par leurs besoins et honteux de leur pauvreté, sont nécessairement faits pour la dépendance et la servitude.

C’est une des maximes favorites du gouvernement que si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les soumettre au joug. Aussi s’attache-t-il à les accabler d’impôts qui découragent l’industrie, ruinent le commerce, détruisent les arts, les manufactures, la navigation. Et comme si cela ne suffisait point encore, par les divers moyens qu’il emploie pour les fouler, souvent il a recours à l’usure et aux exactions.

Non content de lever des impôts, d’avoir le maniement des deniers publics et de s’approprier les terres des vaincus, le Sénat de- Rome avait pour maxime de fouler les plébéiens par l’usure. Sous lui, les Gaules étaient accablée d’impôts : telle était la rapacité des procurateurs et des gouverneurs, qu’ils pillaient de toute main ; tandis que les Italiens qui avaient accaparé tout le commerce exerçaient l’usure et prêtaient à de gros, intérêts qui absorbaient bientôt le principal. Les particuliers n’étaient pas seuls ruinés ; les différentes peuplades
qui avaient beaucoup emprunté pour acquiter les impôts, se trouvant à la fois obérées par l’accumulation défoulées par de nouvelles exactions, furent obligées d’aliéner les revenus publics. La continuation des impôts en pleine paix, l’excès de l’usure, et les contraintes par corps exercées contre les débiteurs, réduisirent les Gaulois au désespoir et les poussèrent à la révolte. Forcés d’abandonner leurs propriétés pour sauver leur vie, un grand nombre se vendirent en esclavage.

Les monopoles de tout genre sont aussi un moyen auquel les princes ont recours pour ruiner leurs sujets.
Chaque année, le pape envoie des facteurs qui accaparent tout le grain du patrimoine de Saint-Pierre pour le revendre deux fois plus cher et à plus petite mesure.
En Russie, l’empereur afferme une multitude de tavernes où le peuple va dépenser tout ce qu’il gagne, et telle est la cupidité du prince, qu’il est défendu aux femmes et aux enfants que ces ivrognes laissent mourir de misère, de venir les en arracher pour aucune raison dans la crainte de diminuer ses revenus. Telle était autrefois la politique des gouvernements : de nos jours elle est plus raffinée ; le prince emprunte à gros intérêts l’argent de ses sujets et leur créance devient une chaîne qui resserre doublement les noeuds de leur dépendance. D’une part, elle est un gage de la soumission des citoyens, toujours tremblants de fournir un prétexte aux confiscation. et aux banqueroutes, s’ils venaient à se soulever ; de l’autre part, les sommes fournies donnent au gouvernement les moyens d’écraser ceux qui les lui ont confiées.

Puis, lorsque le moment est venu, en réduisant les intérêts en les retenant en entier, ou même en confisquant le fonds. qui amènent d’un seul coup leurs sujets au point de misère où les autres n’amenaient les leurs qu’à la longue.

Lorsque le gouvernement s’est décrié par son manque à foi, pour faire renaître la confiance, il ouvre de nouveaux emprunts, auxquels les revenus de l’Etat sont hypothéqués et il allèche les prêteurs par de grands avantages attachés à leurs titres, qu’il rend négociables. Or, la création de ces titres lie toujours étroitement l’intérêt des capitalistes à celui du prince. tandis que leur administration et leur négociation lui mettent toujours sous la main une foule de spéculateurs.d’actionnaires,
et d’agioteurs prêts à concourir à ses projets ambitieux et à l’aider à enchaîner le peuple. Or, tous ceux qui prennent part à ces honteux trafics, deviennent ; en toutes rencontres les zélés apologistes du ministère le plus corrompu, élèvent leurs clameurs contre les plaintes des patriotes, étouffant !a voix publique, entraînent dans leur parti les avares, les faibles, les fainéants, les lâches et forment enfin dans l’Etat une faction puissante en faveur du despotisme. Chez les Anglais, on n’en est jamais venu là, mais ces prêts ne laissent pas que de les lier fortement : car une fois que le gouvernement est débiteur, les sujets, sentant que tout est perdu si les colonies sont conquises et les branches du commerce envahies, sont toujours prêts à faire de nouvelles avances pour les défendre ; or, ces avances peuvent être employées contre leur fin. Ajoutez que si, pour assurer le fonds des intérêts, il fallait faire des règlements destructeurs de la liberté, les intéressés, c’est-à-dire la partie la plus opulente de la nation y donnerait enfin les mains plutôt que de courir les risques d’être ruinée. Or,ces règlements ne sont pas des suppositions chimériques. Qu’on se rappelle les lois de l’excisa.

Une vexation en entraîne une autre plus cruelle encore. Lorsque la confiance est détruite, et que la bourse des citoyens est fermée, le gouvernement, forcé de recourir aux emprunts, s’adresse aux traitants qui ne prêtent qu’à gros intérêts ; il leur hypothèque les revenus de l’Etat souvent par anticipation ; quelquefois il leur accorde des privilèges qui vont toujours aux détriments du commerce et qui préparent la ruine de la nation : jusqu’à ce que, violant lui-même ses engagements, il s’empare des fonds hypothéqués et fasse rendre gorge aux vampires dont la fortune publique était devenue la proie ; c’est ce qui est arrivé sous le régent, lors du système de Law... Quelquefois pour appauvrir leurs sujets et s’enrichir de leurs dépouilles, ils dégradent le titre des espèces, dont ils détruisent la valeur intrinsèque, sans changer la valeur fictive ; funeste expédients dont nous avons encore l’exemple sous les yeux : d’autres fois ils exercent contre les citoyens les plus affreuses extorsions, jusqu’à les jeter en prison pour les forcer à racheter leur liberté par de fortes rançons.

Pour avoir un prétexte de dépouiller ses sujets opulents,
Henri VII les faisait accuser de quelque délit et les jetait en .prison où il les laissait languir jusqu’à ce qu’ils se rachetassent par le sacrifice de leur fortune. Jean de Portugal condamna les Juifs qui avaient de la fortune à perdre une ou plusieurs dents, qu’ils pouvaient toujours conserver en capitulant.

De la sorte tout l’or enlevé aux citoyens devient la proie des courtisans et des millions de sujets sont condamnés à la misère pour fournir au faste scandaleux d’une poignée de favoris dont l’exemple contagieux enchaîne au char du prince tous les intrigants cupides et ambitieux ; c’est ainsi que les peuples sont conduits par degrés de l’aisance ou de l’opulence à la pauvreté, de la pauvreté à la dépendance, de la dépendance à la servitude jusqu’à ce qu’ils succombent sous le poids de leurs chaînes.

Réflexions sur les dettes du gouvernement devenues nationales

Les dons patriotiques se multiplient chaque jour ; les citoyens de tous les rangs s’empressent de porter leur offrande ; es-ce l’amour de la patrie ? Est-ce l’envie de se distinguer ? Est-ce mauvaise honte de ne pas se montrer ? Peu m’importe. Mails il importe beaucoup au salut de l’Etat de faire quelques réflexions sur ce sujet.

Qu’appelle-t-on la dette nationale ? Les dépenses énormes où le faste et les vices scandaleux de la cour, l’inconduite, les dépradations et les folies du gouvernement ont entrainé la nation ; les dons immenses que le peintre a prodigués et prodigue encore à ses créatures ; les engagements onéreux qu’il a contractés pour anticiper sur les revenus publics. Et c’est par des transactions aussi criminelles que l’Etat està deux doigts de sa perte ! Et c’est pour consacrer des engagements de cette nature que la nation se constitue solidaire ! Et c’est pour assurer les moyens de les remplir que le premier ministre des finances, après avoir perdu la nation en leur inspirant la science de l’agiotage, grève chaque citoyen d’un impôt vexatoire !

Et c’est pour les consacrer que les classes les plus indigentes se privent de leur dernière ressource ? Loin de nous l’idée odieuse de vouloir détourner ou tarir la source des richesses qui restent à la patrie, mais craindrions-nous de l’épurer et de la diriger ?

Le ministre connait à fond tous les faibles côtés des français ; il a spéculé sur leur sotte vanité.

Qu’à la sollicitation, le prince envoie sa vaisselle d’argent à la monnaie, c’est un acte d’ostentation peu méritoire. Que lui fait la perte d’une argenterie entassée dans ses buffets ? Sa table n’en est pas moins ouverte. Que dis-je, c’est un faux sacrifice, onéreux à l’Etat : bientôt cette superbe vaisselle sera remplacée par une vaisselle plus superbe encore.

Que les ministres opulents imitent l’exemple du prince : rien de mieux ; le faste jure avec leur caractère apostolique et le sacrifice de leur vaisselle n’est qu’une petite restitution du bien des pauvres dont ils jouissent et des appointements énormes qu’ils tirent de l’Etat.

Qu’un duc verse 100.000 livres dans le Trésor Public, rien de mieux ; c’est une petite restitution des brigandages des ses ancêtres ou des largesses de quelques-uns de ses tyrans qui affamaient leur peuple pour engraisser leurs favoris.

Qu’un financier verse 10.000 écus dans le Trésor Public, rien de mieux ; c’est une petite restitution des vols qu’il a faits à l’Etat.

Que des communautés religieuses abandonnent tous leurs biens à l’Etat en se réservant une modeste pension, rien de mieux ; c’est lui restituer des fonds dont la superstition l’avait privé.

Mais que des indigents se cotisent pour donner à l’Etat le denier de la veuve ; qu’un ministre opulent les y invite sans pudeur, et que l’assemblée nationale y souscrive sans examen, voilà de ces traits inconnus dans l’histoire et réservés aux annales de nos jours. O Français ! Sere-vous donc toujours dans l’enfance, ne réfléchirez-vous jamais et faudra-t-il, sans cesse que l’ami du peuple vous désille les yeux !

Quoi ! C’est pour assurer la créance des rentiers, soudoyer les pensionnaires du prince, des ambassadeurs inutiles, des gouverneurs et des commandants dangereux, des femmes galantes des chevaliers d’industrie, des académiciens ignares et fainéants, des sophistes soudoyés, des saltimbanques aériens, des histrions, des balladins, des e-ministres ineptes, des exempts de police, des espions et cette brillante tourbe des créatures du prince qui forment la chaîne des instruments de la tyrannie, que de pauvres artisans, de pauvres ouvriers, de pauvres manœuvres, qui ne gagneront jamais rien, ni aux marchés ministériels, ni aux révolutions, achèveront de donner leurs tristes dépouilles ! Quoi ! C’est pour payer les friponneries des agioteurs, le brigandage des traitants, et conserver la fortune de leur propres ennemis, de leurs dépradateurs, de leurs tyrans, que vingt millions d’hommes se réduisent à la mendicité ! Ah reprends tes haillons, homme infortuné ; apaise ta faim, et s’il te reste encore un morceau de pain à partager, regarde tes frères prêts à périr de misère.

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