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Comment les Sumériens ont disparu en 2007 avant notre ère

lundi 11 mars 2019, par Robert Paris

Comment les Sumériens ont disparu en 2007 avant notre ère

2400 av J.-C. : Renversement de la dynastie d’Ur-Nanshé à Sumer

2200 av J.-C : tentative révolutionnaire échouée contre la domination de Sumer par les Akkadiens

De – 2200 à – 2100, cent ans des « âges sombres » des révoltes, révolutions et guerres civiles

2142 avant J.-C. : chute définitive de l’empire akkadien par la révolte des Sumériens Le roi sumérien Goudéa (ou Gudea) qui lui succède instaure de grandes réformes sociales (annulation des dettes des particuliers, retour à un statut légal reconnaissant les droits des femmes), preuve s’il en est que c’est la révolte sociale (notamment du fait de la misère et des dettes) et la révolte des femmes qui lui avait donné le pouvoir… C’est la troisième dynastie d’Ur

2007 av J.-C : nouvelle révolte des Sumériens, cette fois contre le nouveau pouvoir sumérien

2004 av. J.-C. : destruction de la ville d’Ur par les Sumériens révoltés

La chute des Sumériens est celle du premier Etat et du premier empire connu au monde… En 2100 avant notre ère, les Sumériens, jusque là dominés par les Akkadiens, se révoltèrent et, partis d’Ur, renversèrent l’empire akkadien pour fonder un nouvel empire sumérien, mais ils furent vite déçus par les princes sumériens. La décomposition de l’empire sumérien a commencé en 2028 avant notre ère et sa capitale, Ur III, chuta et fut détruite en – 2007. La chute de la 3ème dynastie sumérienne à Ur fut la chute d’un pouvoir politique et d’un système religieux, chute due à la perte de confiance de son propre peuple dans les classes dirigeantes. Les Amorrites n’ont attaqué la région qu’en 2000 avant notre ère, soit sept ans après la chute d’Ur. La révolution sociale et politique avait fait son œuvre pendant sept ans avant qu’ils osent attaquer les villes sumériennes…

Ce ne sont donc pas les Akkadiens, ce ne sont pas Amorrites, ni les Elamites, ni les Gutis, ni les Kassites, ni les Arméniens, ni quelqu’autre peuple guerrier qui a renversé le pouvoir d’Etat et des classes possédantes sumériennes mais les exactions des dirigeants sumériens et la révolte du peuple sumérien contre eux.

Bien entendu, il y a toutes sortes d’autres thèses : guerre, invasion, chute de météorite, sécheresses, inondations, éruptions volcaniques, etc…

On peut voir ici que les « facteurs internes » de la chute d’empire d’Akkad ont longtemps été sous-estimés.

Déjà, quand les Akkadiens ont pu conquérir l’empire sumérien, c’est parce que les Sumériens s’étaient révoltés contre leurs classes dirigeantes.

« Il y avait un conflit constant entre les cités et une menace d’invasion par le nord. Vers 2340 avant notre ère, les Akkadiens, un peuple sémite du nord, envahirent les cités sumériennes et les soumirent à une seule règle, le premier empire connu. Cependant, cela n’a pas duré longtemps. L’Empire Akkadian a été détruit par les raids des peuples de colline voisins en 2100 av. La civilisation sumérienne s’est effondrée, entraînant un âge sombre. Ce n’est qu’en 1792 av. J.-C. qu’un nouveau pouvoir est venu contrôler une grande partie de la Mésopotamie, les Babyloniens, par l’intermédiaire de leur roi Hammurabi.

Les lamentations pour Ur 1 & II, anciens poèmes sumériens, racontent l’histoire de la destruction de la ville. Les poèmes ont été inscrits sur des tablettes d’argile en écriture cunéiforme, la plus ancienne forme d’écriture.

“Il [Enlil] a appelé la tempête qui annihile la terre.

Les gens pleurent.

Il a appelé des vents désastreux.

Les gens pleurent.

[Grands] feux il a allumé qui a annoncé la tempête

Et allumé sur le flanc des vents furieux

la chaleur brûlante du désert.

Comme une chaleur ardente de midi, ce feu a brûlé.

La tempête commandée par. . . dans la haine

la tempête qui porte le pays,

Couvert Ur comme un vêtement, voilé comme un drap de lin.

Ce jour-là, la tempête quitta la ville.

cette ville était une ruine. . .

Les gens pleurent.

Des hommes morts, pas des tessons, jonchaient les approches,

Les murs étaient béants ;

les hautes portes, la route, étaient pleines de morts.

Dans les rues latérales, où les foules se régalent rassemblerais,

Dispersés, ils sont couchés.

Dans toutes les rues et les routes, des corps gisaient.

Dans les champs ouverts qui se remplissaient de danseurs,

ils gisaient en tas.

Le sang du pays a maintenant rempli ses trous,

comme du métal dans un moule ;

Les corps sont dissous - comme la graisse laissée au soleil.

Quand ils ont renversé, quand l’ordre ils ont détruit

Puis comme un déluge toutes choses ensemble,

l’ennemi a consommé.

Où es-tu, Oh Sumer ! Comment t’ont-ils changée ?

Ils ont démoli la ville,

ils ont démoli le temple,

Ils ont saisi le pouvoir de la terre.”

« La Lamentation sur la destruction de Sumer et d’Ur », texte poétique se réclame de la prestigieuse lignée des rois d’Ur, relate la fin de la troisième dynastie d’Ur. Cette composition témoigne de l’importance de cet empire, et met par ailleurs en exergue la brutalité de sa chute, face à un ennemi venu de l’est. Mais la Lamentation nous rappelle également le caractère éphémère de cet empire – et la fragilité du pouvoir :

« La royauté a bien été transmise à Ur, mais pas un règne éternel.

Depuis des temps immémoriaux, depuis que le Pays fut fondé, jusqu’à ce que la population se multipliât,

Qui a déjà vu un règne (de royauté) prévaloir pour toujours ? »

« Le sang des pays comme du bronze et du plomb s’accumule ;

Ses morts fondent d’eux-mêmes comme de la graisse au soleil ;

Ses hommes qu’anéantit la hache, aucun casque ne les protège ;

Comme une gazelle prise au piège, ils s’allongent, la bouche dans la poussière...

Les mères et les pères qui ne sortent pas de leur maison sont recouverts par le feu ;

Les enfants couchés dans le giron de leur mère, comme des poissons sont emportés par les eaux...

Puisse ce désastre être entièrement anéanti !

Comme la grande grille de la nuit, puisse la porte être refermée sur lui. »

C’est la révolte sociale et politique des Sumériens qui a permis la conquête de l’empire d’Ur I et II par Akkad.

Akkad est tombé sous la révolte des Sumériens.

Il en va de même pour la chute de l’empire sumérien qui a succédé à Akkad. Car les catastrophes naturelles ne renversent pas seules des pouvoirs politiques et sociaux… Et surtout pas définitivement comme c’est le cas ici.

Comme bien des historiens, Gordon Childe ne voit pas dans la chute de l’empire sumérien l’action d’une révolution : « Les rois sumériens d’Ur fondèrent un empire vers – 2100 avant J.-C (...) Vers – 1800 avant J.-C, une dynastie qui régnait à Babylone fit de Sumer et d’Akkad un royaume unifié : le royaume de Babylone. Le roi Hammourabi se proclama dieu d’empire ; il organisa une administration composée de gouverneurs, imposa un code légal unifié (...) Hammourabi publia ses lois ’’pour établir la justice dans le pays, détruire les méchants et les criminels et empêcher les forts d’opprimer les faibles. ».

Voilà encore, selon cet historien, un grand homme d’Etat qui aurait pu imposer aux classes dirigeantes des limites à leur rapacité par des lois, sans que les classes opprimées ne l’y aient poussé ! En réalité, il vient peu après le renversement de l’empire qui régnait sur Sumer et en tire les leçons. Ses réformes sont aussi marquées par la même menace révolutionnaire que celle qui a renversé les pharaons d’Egypte.

« La Malédiction d’Akkad est le nom moderne d’une œuvre littéraire sumérienne, couchée par écrit vers le XXIe siècle av. J.-C. (période de la troisième dynastie d’Ur). Il s’agit d’une relecture mythologique de la chute de la dynastie d’Akkad (v. 2340-2190 av. J.-C.).
Le texte commence par une évocation des dynasties de Kish et d’Uruk, auxquelles Akkad succède, suivant la volonté du roi des dieux Enlil, qui offre à Sargon la souveraineté sur Sumer. La grande déesse Inanna s’établit alors dans son temple à Akkad, assurant la prospérité de la dynastie, sa domination sur les pays étrangers, et le bonheur des peuples de l’empire. Le roi Naram-Sîn (historiquement le petit-fils de Sargon) dispose alors d’une puissance sans égale. Il pourvoit le temple d’Inanna en offrandes somptueuses. Mais le dieu Enlil, depuis sa ville de Nippur, semble lui avoir retiré ses faveurs (pour une raison non déterminée par le texte), et les autres grands dieux Inanna, Enki et An retirent tour à tour leur soutien à Akkad. Naram-Sîn apprend cela dans un songe, et s’en inquiète, puis consulte des présages à propos de l’opportunité de reconstruire le temple d’Enlil, mais ne reçoit pas de réponse favorable, ce qui confirme qu’il n’a plus les faveurs du roi des dieux. Il commet alors un acte de folie : le pillage du temple d’Enlil. Les représailles du grand dieu sont terribles : il déchaîne contre le royaume d’Akkad les Gutis, peuple des montagnes présenté comme méconnaissant tous les principes de la civilisation, qui dévastent les grandes villes du royaume. Les grands dieux prononcent alors la malédiction de la ville d’Akkad, vouée à ne plus être reconstruite, afin de calmer Enlil.
Ce texte cherche donc à expliquer dans l’idéologie religieuse et politique de la Mésopotamie la chute du puissant empire d’Akkad. Écrit sous la troisième dynastie d’Ur qui lui succède (des tablettes du texte retrouvées à Nippur datent de cette période), il vise aussi à légitimer la prise du pouvoir par cette dernière. Suivant la tradition dominante alors, c’est le dieu Enlil, souverain des dieux, qui fait et défait les rois, suivant un principe de succession dynastique qui veut qu’une seule dynastie règne à la fois, même si dans les faits il y a souvent plusieurs royaumes rivaux en même temps. Cette idéologie politique ressort également de la Liste royale sumérienne dont une première mouture date justement de la même période. La chute d’une dynastie et l’intronisation d’une autre sont donc dues aux volontés des dieux, en premier lieu Enlil, que le texte ne se donne pas la peine d’expliquer (l’acte sacrilège de la destruction du temple d’Enlil venant après qu’il a retiré ses faveurs à Naram-Sîn, même si celui-ci est alors toujours au pouvoir), comme si ce devait être une fatalité dont les raisons sont inaccessible aux humains. Ici ce sont les Gutis, peuple « barbare » aux yeux des Mésopotamiens et de ce fait coupables de nombreux vices, qui sont l’instrument de la volonté destructrice du dieu.
Dans les faits, Naram-Sîn n’a pas été le dernier roi d’Akkad, car quelques autres souverains lui ont succédé, sous les règnes desquels ce puissant royaume a décliné, effectivement au moins en partie à la suite de l’intrusion de groupes Gutis, mais aussi sous l’effet d’autres forces centrifuges, venues des grandes cités du royaume. Mais il fallait sans doute simplifier les choses pour expliquer comment avait pu chuter cet empire dont la puissance devait rester présente dans les mémoires jusqu’à la fin de la civilisation mésopotamienne, en réduisant la dynastie à l’opposition entre le glorieux Sargon, son fondateur, et l’orgueilleux Naram-Sîn, artisan de sa chute. Ironiquement, les tablettes datées de son règne ont montré que Naram-Sîn avait entrepris d’importants travaux dans le temple d’Enlil, qui furent menés jusqu’à leur fin. »

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« La chute des Sumériens, une auto-destruction

« La civilisation sumérienne était une confédération lâche de cités théocratiques, dotée d’une architecture monumentale et de structures sociales complexes. Le contrôle des inondations a fourni une économie agricole florissante, renforcée par la fabrication et le commerce extérieur. Les guerres entre villes étaient courantes et des mini-empires ont vu le jour, une ville ayant capturé certains de ses voisins. Vers 2350 avant notre ère, le souverain d’Erech, Lugalzaggissi, conquit toute la Sumérienne, créant ainsi un vaste empire. Malgré les guerres intestines, la civilisation sumérienne fut remarquablement stable pendant une longue période. La culture et la religion ne montrant que des changements graduels, certaines villes ont été habitées pendant 2 000 ans ou plus. Certains érudits estiment que la civilisation sumérienne a pris fin en raison du conflit avec en quelque sorte, comme l’autodestruction. Cela est dû au fait que les villes-États se battaient parfois les unes contre les autres. À la fin du 2e millénaire avant notre ère, la population du sud de la Mésopotamie se déplaça considérablement vers le nord. Sur le plan écologique, la productivité agricole des terres sumériennes était compromise en raison de la salinité croissante. La salinité des sols dans cette région était reconnue depuis longtemps comme un problème majeur. Les sols irrigués mal drainés, dans un climat aride avec des niveaux d’évaporation élevés, ont conduit à l’accumulation de sels dissous dans le sol, ce qui a finalement réduit considérablement les rendements agricoles. Au cours des phases Akkadienne et Ur III, la culture du blé a été délaissée au profit de l’orge plus tolérante au sel, mais cela a été insuffisant et, entre 2100 et 1700, la population de cette région est estimée à diminué de près des trois cinquièmes. Cela a considérablement affaibli les rapports de force au sein de la région, affaiblissant les zones où le sumérien était parlé et renforçant comparativement celles où l’akkadien était la langue principale. L’akkadien a peu à peu remplacé le sumérien en tant que langue parlée quelque part vers le 3ème et le 2ème millénaire avant notre ère (la datation exacte fait l’objet d’un débat), mais le sumérien a continué à être utilisé comme langage sacré, cérémonial, littéraire et scientifique (en Mésopotamie). Babylone et Assyrie) jusqu’au Ier siècle de notre ère ; autrement dit, le sumérien n’est resté qu’une langue littéraire et liturgique, semblable à la position occupée par le latin dans l’Europe médiévale. »

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« Ur détruite en -2007 avant J.-C.

« Le royaume d’Ur s’affaiblit au cours des dernières décennies du XXIe siècle. Sous le règne du roi Ibbi-Sîn, une grande partie du royaume est perdue, et des cités commencent à faire sécession à l’intérieur même du pays de Sumer. La région connaît alors une crise grave, quand Isin se sépare d’Ur sous la direction d’Ishbi-Erra, dont le règne est tenu pour commencer en 2017. Dans ce contexte difficile, marqué notamment par des incursions de nomades amorrites, ce sont les Élamites qui envahissent le pays de Sumer en 2007 une première fois, puis en 2004, date à laquelle ils réussissent à prendre Ur, déposant Ibbi-Sîn, qui est amené en Élam. Cet événement dramatique a apparemment marqué les consciences en basse Mésopotamie, et la période de la chute de la Troisième dynastie d’Ur a fait l’objet de cinq textes appelés par les chercheurs modernes « lamentations ». On compte parmi eux une Lamentation sur la destruction d’Ur, et une Lamentation sur la destruction de Sumer et d’Ur. Ces récits comprennent des descriptions des malheurs qu’a subi cette ville durant ces temps difficiles, en leur donnant une tournure catastrophique, présentant la destruction comme un retour à l’état sauvage là où auparavant une brillante civilisation s’était épanouie. Ils restent néanmoins très vagues sur les événements mêmes. Il s’agit en fait de textes produits quelques décennies après les faits à l’initiative des souverains d’Isin, cherchant à justifier la chute des rois d’Ur à cause de la perte de l’appui divin dont ils disposaient précédemment, et à légitimer leur propre domination sur le pays de Sumer.

« Miné par des révoltes incessantes, l’empire qu’avait fondé Sargon l’Ancien s’effondra après un siècle à peine d’existence, peu après - 2200, sous les coups de guerriers descendus des montagnes du Zagros, les Gutis. Ceux-ci, après avoir commis des destructions qui laissèrent un durable souvenir, regnèrent pendant près d’un siècle sur la Basse-Mésopotamie, en laissant aux cités sumériennes une assez grande liberté. Dès - 2145 environ, une véritable renaissance sumérienne commenca de s’épanouir à Lagash, sous le règne de Gudéa, qui, prenant le titre d’ensi, semble avoir été un véritable souverain indépendant, de même que son fils, Ur-Ningirsu. La ville jouissait à cette époque d’une prospérité sans égale. Les Sumériens, rétablissant un peu partout leur autonomie, atteignirent alors leur apogée : ce fut la brillante période de la IIIème dynastie d’Ur ( - 2113 - 2006). Son fondateur, Ur-Nammu ( - 2113 - 2095 ), grand bâtisseur, rétablit l’ordre en Sumer en mettant sur pied une administration efficace et en promulguant le plus ancien recueil de lois de Mésopotamie connu à ce jour ; le successeur d’Ur-Nammu, shulgi, ( - 2095 - 2047), restaura l’empire, qui groupait Sumer, le pays d’Akkad, la Mésopotamie septentrionale et l’Elam, et prit, suivant l’exemple de l’Akkadien Naram-Sin, le titre de "roi des quatre régions du monde". Mais l’empire Sumérien se morcella ensuite rapidement sous la pression des Amorrites ; pour finir, les Elamites, en - 2004, en détruisant la capitale et en capturant son roi Ibbi-Sîn, portèrent un coup fatal à la IIIème dynastie d’Ur. Après la chute de cette dernière, le pays se divisa en deux royaumes Amorrites avec la dynastie d’Isin au Nord et celle de Larsa au Sud, cependant qu’à Babylone, centre jusqu’alors peu important, s’affirmait à partir du XIXème siècle, une autre dynastie amorrite, conquérante. Le dernier roi de Larsa, Rim-Sîn, ne s’empare d’Isin (vers - 1794 ) que pour être vaincu à son tour, vers - 1763, par Hammurabi. Ce sont les Amorrites qui dominent désormais politiquement la Mésopotamie. »

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« Comment ont disparu les Sumériens ? La brillante civilisation sumérienne s’épanouit en basse Mésopotamie au IVe millénaire et brille de 3200 à 2340 av. notre ère environ et, après un bref sursaut aux XXIIe et XXIe siècles, s’effondre définitivement dans un immense fracas que les textes anciens décrivent comme un véritable cataclysme. Un poème mésopotamien parle alors des lamentations sur la destruction d’Ur, la dernière capitale sumérienne. Alors qui est responsable du déclin des inventeurs de l’écriture, de la roue et des premières grandes cités ? (…)Or, hormis ces deux cités, les autres comme Ur, Uruk, Lagash, Girsu ou encore Umma sont régulièrement en conflit les unes contre les autres. Les villes sumériennes sont donc à la recherche de mains d’œuvres et de soldats que compléteront aisément les milliers de migrants Akkadiens.

Un tournant s’amorce vers le milieu du IIIe millénaire quand plusieurs vagues d’immigration sémitiques venues du nord de la Mésopotamie poussent de plus en plus les portes des riches royaumes sumériens. Toujours accueillantes, les cités sumériennes voient alors la population akkadienne s’accroître si bien, qu’elle devient vers le XXIVe siècle, majoritaire. A partir de cette période, les sources prouvent qu’un grand nombre d’Akkadiens disputèrent les postes administratifs, militaires et même politiques aux sumériens « de souche ». La tendance s’étant renversée, la population sémitique commence à se révolter jusqu’en 2340 où un Akkadien du nom de Sargon, pourtant né à Kish, en plein pays de Sumer, réussit à réunir toutes les factions sémitiques et renverse les anciennes royautés sumériennes au profit du premier grand empire connu au monde sous l’égide d’un seul homme. Il remporte 34 batailles décisives et transfère le pouvoir au sein du pays d’Akkad dans sa capitale Agadé. Pour la première fois, le pays de Sumer devint dépendant et sa culture assimilée.
Les rois d’Akkad ne garderont pourtant le pouvoir qu’un grand siècle environ pendant lequel ils transforment profondément la fonction royale qui s’en trouve renforcée et divinisée. Les Sumériens ne sont donc pas encore morts ! Ils contribuent à la chute de l’empire d’Akkad par des révoltes incessantes contre leurs nouveaux maîtres et reprennent peu à peu les rennes du pouvoir comme à Lagash avec le roi architecte Gudéa. Débute alors une véritable renaissance sumérienne avec de grands rois comme Shulgi et Ur-Nammu qui font d’Ur la nouvelle grande capitale du monde Mésopotamien. On appelle cette période la IIIe dynastie d’Ur.
La fin de cette dynastie est difficilement explicable mais elle marque la chute définitive de Sumer qui va, dès lors, inexorablement sombrer dans les profondeurs de l’Histoire. Trois raisons – à mon sens – peuvent éclaircir le mystère de la fin des Sumériens. La première est la bureaucratie. En un siècle, la bureaucratie sumérienne est utilisée à l’extrême noyant l’administration dans la rédaction de rapports en tous genres et qui, à la fin, fait « exploser l’état ». De très nombreuses tablettes cunéiformes administratives ont été découvertes durant cette période. A titre d’exemple : on découvrit les rapports transcrits de la mort de plusieurs moutons d’un même élevage dans plusieurs villes du royaume ! Trop d’administration semble avoir tué l’état. La seconde raison est de nouveau liée à l’immigration. Un nouveau peuple sémitique, les Amorrites, déferle sur la Mésopotamie et devient à son tour majoritaire. »

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« La chute de la troisième dynastie d’Ur a lieu une quarantaine d’années après la mort de son plus grand roi, sous le règne de son petit-fils. Plusieurs causes ont été avancées pour expliquer cet effondrement : l’organisation bureaucratique complexe de l’empire semble lourde et fragile car difficile à maintenir dans la durée, tandis que les gouverneurs provinciaux ne sont bien tenus que quand le pouvoir du souverain est fort, pouvant prendre leur autonomie dès que celui-ci s’affaiblit, à commencer par ceux de la périphérie. De plus, les relations avec les régions voisines n’ont jamais été pacifiées malgré de nombreuses tentatives, notamment avec les royaumes élamites et les tribus des Martu/Amorrites. Plus récemment, un autre type d’explication a été proposé : un réchauffement climatique qui aurait entraîné la disette des dernières années du royaume.
Le déroulement exact de la chute d’Ur est mal connu, car il est reconstruit avant tout par des sources postérieures dont la fiabilité est mal établie, notamment les lettres apocryphes évoquées plus haut qui donnent des éléments sur les conditions de la sécession d’Ishbi-Erra d’Isin, qui a lieu sur fond de crise de subsistance et de révoltes. Le coup de grâce semble avoir été porté à Ur par une intervention extérieure, celle d’une coalition de troupes élamites, les textes désignant des gens d’Anshan et de Simashki, ou plus largement d’Elam, ainsi qu’un roi nommé Kindattu qui était à leur tête. Ibbi-Sîn aurait alors été emmené en Élam avec la statue du dieu Nanna, patron d’Ur, symbolisant sa défaite totale. Néanmoins, les troupes élamites sont ensuite chassées par Ishbi-Erra qui récupère les bénéfices de la chute d’Ur, puisqu’il exerce par la suite l’hégémonie sur les cités de Sumer, sans pour autant être en mesure d’établir un royaume de la taille de celui d’Ur III.
Le royaume d’Ur III a posé les bases des grands royaumes qui lui succèdent. Tandis que les Sumériens disparaissaient en tant que peuple, une nouvelle ère s’ouvrait dans l’histoire mésopotamienne, la période paléo-babylonienne ou amorrite. Les premiers rois amorrites (surtout Isin et Larsa) ont assumé l’héritage d’Ur III : leur titulature reprend celle des rois d’Ur, ils continuent un temps à se faire diviniser et patronnent un art et une littérature dans la continuité de ceux de la période néo-sumérienne. Sous les rois d’Isin sont rédigés des textes de « lamentations » commémorant la chute du royaume d’Ur et de ses grandes villes (Ur, Uruk, Nippur et Eridu). Elles ont en fait pour but de justifier la chute d’Ur et de légitimer la domination des nouveaux maîtres du sud mésopotamien en les présentant comme des décisions divines. Des hymnes et récits relatifs aux rois d’Ur III, surtout Ur-Nammu et Shulgi, sont encore recopiés et perpétuent le souvenir de leurs brillants règnes, de même que les lettres apocryphes des rois d’Ur qui sont recopiées dans le milieu scolaire. »

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Harry W.F. Saggs écrit dans « Babylone » :
« La civilisation, au sens courant de vie associée à la ville et à l’écriture, commença au IVe millénaire avant J.-C. dans le sud de la Mésopotamie et en Elam…. La révolution néolithique commença après la fin de la dernière glaciation, vers 9000 avant J.-C., sur toute l’étendue du « Croissant fertile », vaste ensemble de régions allant des collines de Palestine au piémont du Zagros, en passant par le piémont méridional du Taurus…
Les plus anciens établissements de Babylonie méridionale ont été de petits villages, installés dans des zones rendues habitables par la proximité d’étangs, de lacs et de petits courants d’eau alimentés par l’Euphrate… C’est seulement après les débuts d’exploitation de ces ressources, dégageant rapidement des surplus de céréales et entraînant une augmentation constante de la population, que certaines agglomérations ont peu à peu atteint la taille de villes.
Cette croissance a été aidée par les migrations incessantes de populations venues des villages alentour, moins prospères, vers les agglomérations plus heureuses, et par l’afflux constant de nomades.
La ville qui connut l’expansion la plus considérable fut, sur ce point, Uruk : au Dynastique ancien 1, elle avait une population comprise entre quarante et cinquante mille habitants. D’autres cités se développèrent également, comme Ur, Lagash, Nippur, Kish et sans doute Shurrupak…
Dans les premières communautés, toutes les terres étaient apparemment communes, les droits d’exploitation étant également partagés entre les familles claniques qui composaient chacune de ces communautés. Les mythes suggèrent que les décisions affectant la communauté étaient prises dans des assemblées générales d’hommes et de femmes, qui coopéraient pour des objectifs associés à leur terre et partageaient ses productions.
L’essor des cités induisit des modifications majeures….
A la période du Dynastique ancien II (après 2750 avant J.-C.), qui est celle du Gilgamesh historique, un souverain coiffait l’édifice social. Il n’était pourtant pas omnipotent puisque, dans les décisions d’Etat importantes telles que les opérations de guerre, il lui fallait prendre l’avis d’une assemblée composée de chefs de famille et de guerriers. Mais les femmes ne participaient déjà plus au processus de consultation. L’assemblée des citoyens conserva une certaine autorité sur divers points jusqu’à la fin du IIIe millénaire et même plus tard.
Au Dynastique ancien III (vers 2600 avant J.-C.), il n’était déjà plus question de répartir les terres justement entre tous les membres de la communauté ; certains n’y avaient déjà plus droit… Une bonne partie des terres étaient devenue propriété soit des sanctuaires, soit du « palais », c’est-à-dire de l’organisation dirigée par le souverain de la cité-Etat. Les intérêts des temples et du palais pouvaient entrer en concurrence, mais ils restaient liés… Une bonne partie des terres annexées étaient d’anciennes terres communautaires…
On croyait auparavant que ce genre d’évolution avait virtuellement mis fin à toute propriété communautaire ou privée dès le milieu du IIIe millénaire. On reconnaît aujourd’hui, à partir de l’étude des contrats de vente de terrains, qu’une partie non négligeable des terres – entre le quart et la moitié – est restée aux mains des familles claniques, en dehors du secteur étatisé, durant tout le IIIe millénaire avent J.-C. Une partie de la population restait toutefois en dehors de tout accès à la propriété : les uns représentaient des classes pauvres, aux droits restreints, les autres étaient des esclaves. L’inégalité des richesses entre les différentes classes se reflète dans les trouvailles archéologiques, par grandes différences dans les tailles des demeures…
Moins une personne était élevée dans l’échelle économique et sociale, plus elle était vulnérable aux pressions. Un esclave était contraint d’accepter cet état de choses, mais un citoyen libre avait le sentiment que le souverain de la cité pouvait incarner pour lui un ultime espoir.
Ainsi, dans une composition de la période d’Ur III, un sujet proclame : « Dis au roi… ainsi parle ton serviteur : ’’Mon roi, prend soin de moi, je suis un fils de la ville d’Ur. Comme mon roi est un dieu, il ne permettra à personne de me dépouiller de mon héritage paternel.’’ » (…)
L’extension des propriétés de l’Etat laissait toutefois beaucoup de gens sans terre, ce qui fut rapidement un facteur essentiel de stratification sociale. Dans les conditions prévalant en Mésopotamie méridionale, les gens dépourvus de droits à la terre ne pouvaient survivre qu’en se soumettant à ceux qui possédaient les moyens de production fondamentaux.
Certains pouvaient subvenir à leurs besoins grâce à des occupations spécialisées – les exemples bien connus incluent les scribes, les marchands, les maçons, les orfèvres, les tisserands, les tailleurs de sceaux, les charpentiers et les fabricants de sacs -, mais la seule ressource pour les autres était de s’engager comme manouvrier sur les terres du palais ou des temples. Dans certaines circonstances, ils pouvaient louer leur force de travail comme hommes libres, mais, le plus souvent, ils tombaient dans une sorte d’esclavage vis-à-vis des prêtres ou des fonctionnaires.
Il y avait ainsi trois ordres ou « états » dans la société babylonienne ancienne : les hommes libres, les esclaves et un état intermédiaire qui n’était pas celui des esclaves, mais qui ne jouissait pas de tous les droits des citoyens libres. Certains historiens utilisent le terme de « serfs » pour désigner les ressortissants de ce troisième état ; nous proposerons ici de les appeler « vilains ».
Le « Code d’Hammurabi » fait une distinction entre ces trois états. A plusieurs reprises, il oppose les droits et les devoirs des hommes libres (en akkadien awilum, en sumérien lù), des vilains (en akkadien muskenum, en sumérien mas.en.gag) et des esclaves (en akkadien wardum, en sumérien arad au masculin et gème au féminin)…
La possession d’esclaves remontait au tout début du IIIe millénaire et certains philologues font remonter leur institution à la seconde moitié du IVe millénaire, au motif que certains signes, sur les tablettes « proto-sumériennes » d’Uruk, semblent se référer à des esclaves mâles ou femelles, dénombrés par centaines…
On pouvait vendre et acheter des esclaves dans tout le pays, mais il n’y avait pratiquement pas de commerce international d’esclaves. Au cours des périodes plus récentes, au moins, un esclave pouvait recevoir une formation artisanale et devenir boulanger, cordonnier, tiserand ou maçon ; à la période néo-babylonienne, on relève parmi eux un grand nombre d’artisans. Les esclaves recevaient la même ration alimentaire que les hommes libres, dans les corvées officielles, sous forme de mesures d’orge ou de blé (environ deux litres par jour pour un homme, moins pour une femme), de bière, d’huile ou de graisse. Ils recevaient aussi des souliers et des vêtements – ou bien de la laine avec laquelle fabriquer ces derniers….
Les esclaves n’avaient aucune protection légale contre les mauvais traitements. Blesser ou tuer un esclave était un forfait, mais uniquement envers le propriétaire de celui-ci… Les esclaves qui appartenaient à un individu étaient surtout employés aux tâches domestiques. L’économie de Babylone ne dépendit jamais de l’esclavage et bien des familles élargies n’en possédaient aucun. Les esclaves ne jouaient pas un grand rôle dans l’agriculture , peut-être en raison de la difficulté qu’il y aurait eu à contrôler des équipes serviles dans de telles circonstances….
Le terme « musskenum » revient à plusieurs reprises dans les lois d’Hammurabi, avec une acception généralement plus large que celle de « vilain »… Habituellement, le terme renvoie à une catégorie d’individus qui avaient plus de droits qu’un wardum (esclave), mais moins qu’un awilum (citoyen libre). Un crime commis contre un musskenum était moins sévèrement puni que contre un awilum… Dans certains contextes, musskenum n’est pas employé pour désigner une classe sociale spécifique, mais dans le sens de « pauvre homme », « déclassé ». Avec cette acceptation, le mot est passé en arabe modern (« miskin » = pauvre) qui a lui-même donné l’italien mesquino et le français mesquin, avec le même sens.
Le noyau de la classe des vilains comprenait les descendants d’hommes libres qui avaient perdu une partie de leurs droits, par suite de revers économiques. Les autres étaient soit des immigrants étrangers, soit des prisonniers de guerre épargnés par l’esclavage, soit des transfuges d’autres cités-Etats, soit des rebuts de la société comme les veuves et les orphelins. Leurs conditions de vie n’étaient guère meilleures que celle des esclaves.
Les vilains étaient largement plus nombreux que ces derniers. Ils travaillaient habituellement, comme agriculteurs ou pasteurs, sur les terres des temples ou du palais ; les femmes étaient souvent tisseuses. Leurs droits légitimes ont varié selon les époques. Au Babylonien ancien, tout crime commis contre un musskenum encourait une peine moitié moins importante que contre un awilum. A la différence des esclaves, les vilains pouvaient avoir librement femmes et enfants ; on ne pouvait les vendre. Ni les vilains ni les esclaves, en revanche, n’avaient le droit de se déplacer librement…
La période de la domination de Sargon sur Akkad marqua une étape décisive dans l’agrandissement des terres de la Couronne. Jusque-là, une bonne partie du pays restait dans les mains des clans familiaux et – et comme en Israël beaucoup plus tard (histoire du vignoble de Naboth) – un souverain n’avait pas le pouvoir légal de forcer une famille à abandonner une terre ancestrale. Les actes de vente de l’époque sargonique montrent, en revanche, que certaines familles vendent désormais leurs terres au souverain, à un prix si bas qu’il représente à peine la valeur d’une récolte saisonnière…
L’impérialisme de la dynastie de l’empire d’Akkad n’alla pas sans résistances extérieures. Sargon lui-même dut affronter plusieurs révoltes, dont certaines à grande échelle ; compte tenu de la longue tradition d’indépendance des cités-Etats, ces révoltes étaient prévisibles. Ce qui est remarquable dans cette affaire n’est pas l’éclatement à répétition des soulèvements locaux, mais plutôt la capacité des souverains à les contenir pendant plus d’un siècle…
Les premiers successeurs de Sargon furent deux de ses fils, en ordre inverse de leur naissance, Rimush (le cadet) puis Manishtusu (l’aîné). Ce furent des souverains compétents, qui réussirent à consolider l’Empire laissé par leur père, réprimant plusieurs révoltes… Mais ils allaient être surclassés par Naram-Sin (2291-2255 avant J.-C.) le dernier grand roi de la dynastie…. »
L’auteur souligne que les origines de la Mésopotamie sont matriarcaux :
« L’emblème de la grande déesse Inanna, utilisé avant 3000 avant J.-C. est habituellement interprété comme un faisceau de ces grands roseaux liés ensemble pour former un décor de pilastres encadrant une porte…
Les mythes anciens reflètent un stade encore antérieur du pouvoir exécutif. En effet, si certains éléments du panthéon des dieux y sont reconnus comme supérieurs, les divinités ne décident qu’après discussion de l’assemblée plénière, dans laquelle les déesses sont aussi importantes que les dieux. Ce trait reflète, sur le plan divin, un stade de la société où les femmes jouissaient d’une complète égalité avec les hommes, pour les décisions concernant les affaires communes. Ces mythes se rattachent ainsi à un stade encore antérieur de la société que reflètent les religions préhistoriques, lorsque la divinité prépondérante n’était pas un principe masculin, mais une grande Déesse-Mère, représentée à de multiples exemplaires à partir du Paléolithique ancien…
Les exemples de l’art religieux datés du Paléolithique supérieur montrent que trois domaines au moins étaient alors d’un intérêt particulier pour les populations : le succès de la chasse, la prolifération des espèces chassées et la fécondité des femmes. Cette dernière préoccupation est illustrée par de nombreuses figurines de terre séchée ou cuite représentant des femmes lourdement enceintes ou particulièrement charnues ; ces exemples se retrouvent jusqu’à la période de Halaf. La révolution néolithique – après dix mille ans avant J.-C. – a entraîné de nouveaux développements. En particulier, l’antique représentation de femme enceinte évolue alors vers une figure de Déesse-Mère ou Grande-Mère, être surnaturel aux pouvoirs illimités, incarnant la puissance vitale que les populations préhistoriques percevaient à l’œuvre dans la fécondation, la naissance et la maternité. Les divinités masculines correspondantes ne sont apparues que beaucoup plus tard.
A l’exception de la Déesse-Mère, les populations préhistoriques ne concevaient apparemment pas les pouvoirs surnaturels sous une forme humaine, mais plutôt dans la manifestation des phénomènes naturels : le ciel, le vent, l’eau, le soleil, la lune, la tempête et les animaux sauvages…
Bien plus tard, les populations finirent par penser que les cités étaient des créations primitives de leurs dieux et que ceux-ci avaient déterminé de toute éternité, dès l’origine, tous les aspects de la société des hommes… Vers 2600 avant J.-C., on dénombrait déjà presque quatre mille divinités nommées, organisées sur le modèle hiérarchique de la société humaine… »

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« L’élaboration du mythe du Déluge semble se faire dans le courant du premier siècle du IIe millénaire av. J. C., car il n’est pas attesté au millénaire précédent mais apparaît dans la version de la Liste royale sumérienne rédigée dans les cercles lettrés du royaume d’Isin au plus tard dans la première moitié du XVIIIe siècle av. J.-C. Le contexte d’élaboration de ce mythe est donc à replacer dans les réflexions sur la succession des dynasties politiques qui a lieu après la chute de la troisième dynastie d’Ur, et sur le rôle des dieux (en premier lieu Enlil) dans l’attribution de la royauté, et plus largement dans les catastrophes (environnementales, épidémiques, militaires) qui provoquent le déclin des sociétés humaines. Ici la forme du cataclysme semble inspirée par les crues du Tigre et de l’Euphrate qui recouvraient la plaine mésopotamienne régulièrement. Le récit prend plus largement place dans un ensemble de mythes cataclysmiques similaires, attestés dans plusieurs civilisations sans qu’il n’y ait manifestement une source unique qui en soit à l’origine, qui ont pour point commun de narrer la destruction du monde par les eaux (souvent en punition d’une faute grave commise par les humains), précédant sa recréation sur des bases nouvelles. Dans ce contexte, le rôle du héros du Déluge peut être interprété comme celui d’un civilisateur, sauvant puis recréant la civilisation humaine, après avoir passé des épreuves qui s’apparentent pour certains à un rite de passage. »

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« À la chute de l’empire d’Ur, vers 2000 av. J.-C., la ruine de la capitale marqua profondément les esprits. Un poète écrivit une lamentation en onze chants relatant le drame à la fois céleste et terrestre. Ningal, la déesse d’Ur, se présente en suppliante devant les grands dieux, obligés d’accomplir les ordres du Destin. Finalement ce désastre sera annulé et ce qu’il en reste sera "pendu à un clou" devant le temple d’Enlil, le grand dieu de Sumer.

Le texte appartient au genre des lamentations, précurseur des lamentations bibliques, qui, connu dès l’époque des Dynasties archaïques (2600-2340 av. J.-C.), fleurit en Mésopotamie aux environs de 2000 av. J.-C., à un moment où le pays connaît plusieurs invasions dévastatrices et des guerres entre cités qui veulent s’assurer le pouvoir après la chute de l’Empire d’Ur III. Contrairement à la plupart des lamentations liturgiques, au texte stéréotypé, celle-ci est très belle. Elle a été composée et récitée pour un événement particulier : la ruine de la capitale, puis la reconstruction de la cité d’Ur. Ce récit relate la décision des grands dieux de laisser faire cette infamie qu’est la destruction de leurs temples, décrit le sac de la ville, puis le revirement des dieux destructeurs.

La composition rythmée consiste en quatre cent trente-six lignes divisées en onze chants ou stances de onze lignes (groupe de vers offrant un sens complet et suivi d’un repos), séparées les unes des autres par un antiphon d’une ou deux lignes. Le passage où Ningal, la déesse d’Ur, se présente en suppliante devant les grands dieux obligés d’accomplir les ordres du Destin, est ici traduit :
" Le sang des pays comme du bronze et du plomb s’accumule ;
Ses morts fondent d’eux-mêmes comme de la graisse au soleil ;
Ses hommes qu’anéantit la hache, aucun casque ne les protège ;
Comme une gazelle prise au piège, ils s’allongent, la bouche dans la poussière...
Les mères et les pères qui ne sortent pas de leur maison sont recouverts par le feu ;
Les enfants couchés dans le giron de leur mère, comme des poissons sont emportés par les eaux...
Puisse ce désastre être entièrement anéanti !
Comme la grande grille de la nuit, puisse la porte être refermée sur lui ![...]"

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« La chute d’Ur III
On observe l’arrêt de la production d’archives administratives dans les grands centres de l’empire dès la cinquième année du règne troublé d’Ibbi-Sin (2028-2004 av. J.-C.), et ce phénomène n’est pas imputable au simple hasard. En effet, on constate une répartition chronologique des lots d’archives similaire entre les principaux sites (Civil 1991 et Lafont 1995), ce qui laisse penser que les bureaux d’Ur III ne fonctionnaient plus normalement à cette période.
La Lamentation sur la destruction de Sumer et d’Ur, texte poétique probablement rédigé sous la première dynastie d’Isin (2017-1794 av. J.C.) qui se réclame de la prestigieuse lignée des rois d’Ur, relate la fin de la troisième dynastie d’Ur, abandonnée des dieux. Cette composition témoigne de l’importance symbolique de cet empire, et met par ailleurs en exergue la brutalité de sa chute, face à un ennemi venu de l’est. Mais la Lamentation nous rappelle également le caractère éphémère de cet empire – et la fragilité du pouvoir :

« La royauté a bien été transmise à Ur, mais pas un règne éternel.
Depuis des temps immémoriaux, depuis que le Pays fut fondé, jusqu’à ce que la population se multipliât,
Qui a déjà vu un règne (de royauté) prévaloir pour toujours ? ». (Michalowski 1989 : 59).

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« Pour la cinquantaine d’années que couvre la période allant de la fin du règne de Šulgi jusqu’à la chute d’Ibbi-Sîn, les assyriologues disposent aujourd’hui de plusieurs dizaines de milliers (60 000 ?) de documents administratifs et comptables, énorme masse documentaire rédigée par une bureaucratie qui ne fut sans doute jamais aussi puissante qu’à cette époque-là. Les principaux sites ayant fourni des tablettes de cette époque sont Puzriš-Dagan, Nippur, Girsu), Umma et Ur.
Malgré cette abondance de la documentation, il n’est pourtant pas facile de décrire avec concision l’organisation de l’empire d’Ur III. Sans doute est-il commode de distinguer, comme l’a fait récemment l’assyriologue américain P. Steinkeller, entre le « centre » de l’empire et sa « périphérie ».
Le cœur de l’empire comprenait grosso modo les régions de Sumer et de Babylonie. Il était divisé en une vingtaine de provinces correspondant, dans la plupart des cas, aux territoires des anciennes cités-États sumériennes de l’époque pré-sargonique. La différence, désormais, était que l’administration de ces provinces était confiée à des gouverneurs (sumérien : ENSI3), hauts fonctionnaires mis en place directement par le roi.
En ce qui concerne ces gouverneurs, on notera qu’il existe aujourd’hui de nombreux indices qui montrent qu’ils furent en réalité choisis au sein des grandes familles locales dans chacune des provinces et que leurs fonctions, au cours du siècle que dura l’empire, eurent de plus en plus tendance à devenir héréditaires. Ce choix délibéré des rois d’Ur était sans doute habile mais aussi dangereux. Tant que le pouvoir central fut fort (c’est-à-dire en gros sous Šulgi et son successeur Amar-Sîn), ce fut un moyen pour lui de s’attacher les élites locales. Mais ensuite, renforcées dans leurs prérogatives, celles-ci devinrent une menace permanente et leur pression croissante finit par annihiler complètement le pouvoir des derniers rois d’Ur (Šu-Sîn et Ibbi-Sîn).
En dehors du gouverneur civil (ENSI3), chaque province disposait aussi d’un gouverneur militaire (ŠAGIN), indépendant du pouvoir civil et relevant directement de l’autorité centrale, soit du grand vizir (SUKKAL.MAH), soit du roi lui-même. Et il est intéressant de constater que, contrairement aux ENSI3 issus, comme on l’a dit, des grandes familles locales, les ŠAGIN semblent, quant à eux, avoir tous été des homines novi, souvent originaires d’ailleurs de l’étranger comme le montrent leurs noms qui sont plus souvent élamites, hurrites, akkadiens ou amorrites que proprement sumériens. En outre, beaucoup d’entre eux finirent par être directement liés à la famille royale par le jeu de mariages avec des membres de cette famille ; comme si les rois d’Ur avaient voulu créer et s’attacher fermement une classe nouvelle de hauts responsables militaires entièrement dévouée à leur cause.
Au total, il y avait donc, dans chaque province de l’empire, un pouvoir bicéphale, le but poursuivi par les rois d’Ur ayant sans doute été d’éviter qu’un seul homme finisse par concentrer localement entre ses mains un trop grand pouvoir. Dans l’organisation politique et administrative de l’empire, il faut également parler du rôle du SUKKAL.MAH, sorte de premier ministre relevant directement du roi et exerçant une puissante autorité dans de nombreux domaines de l’administration civile et militaire, et notamment des territoires situés à la périphérie.
Pour ce qui touche à l’organisation économique, trois secteurs peuvent être distingués : le secteur des temples (administrés par de hauts responsables portant le titre de ŠABRA) qui représentaient en fait de véritables unités de production, contrôlaient la plus grande part des terres agricoles et concentraient ainsi l’essentiel de l’activité économique de chaque province ; le domaine royal avec, notamment, toutes les terres royales attribuées par le roi à certains personnels (militaires et autres) en échange de leur service, ainsi que les grandes le manufactures et ateliers royaux (textile, métallurgie, etc.) ; et secteur privé, qui nous est moins bien connu faute de sources suffisamment nombreuses et explicites, mais qui a néanmoins sûrement existé, tout en jouant un rôle secondaire.
Si la production économique était ainsi étroitement contrôlée et dirigée, la circulation des biens ne l’était pas moins. Furent ainsi mis en place par les rois d’Ur de puissants mécanismes de contrôle. Le plus significatif d’entre eux s’intitulait BALA. Il reposait sur l’existence de grands centres d’accumulation et de redistribution des richesses, centres qui furent créés tout spécialement par Šulgi, le mieux connu étant celui de Puzriš-Dagan spécialisé dans les produits de l’élevage. Un autre était sans doute celui de Dusabara, spécialisé dans les produits agricoles, mais il est beaucoup moins bien documenté. Tous deux étaient situés dans les environs de la ville de Nippur, capitale religieuse de Sumer, en position centrale, car pratiquement à mi-chemin entre Ur et la Babylonie.
Chaque province de l’empire devait participer mensuellement et à tour de rôle (= sens spécifique du mot BALA) à l’approvisionnement de ces Le montant et la qualité des produits et des services que centres. devait fournir chaque province dépendait de sa taille et de ses La valeur globale des contributions d’une potentialités économiques. province constituait un fond grâce auquel elle pouvait obtenir en contrepartie certains biens et services dont elle ne disposait pas et Les contributions pour le BALA étaient dont elle avait besoin. délivrées, soit aux grands centres dont nous avons parlé, soit directement à une province voisine dont l’État estimait qu’elle devait être bénéficiaire de tel ou tel produit. Mais une partie non négligeable des ressources du BALA était directement prélevée et utilisée dans les provinces elles-mêmes pour l’entretien de tous les différents services et agents de l’État.
Ce système du BALA, tout à fait unique dans l’histoire de la Mésopotamie, fonctionna correctement, semble-t-il, pendant une trentaine d’années à partir de la fin du règne de Šulgi.
Concernant la « périphérie » de l’empire, nous sommes beaucoup moins bien renseignés. Nous savons que les campagnes de Šulgi lui firent conquérir les régions au nord et à l’est du Tigre, jusqu’au Zagros et au Plateau iranien (les villes d’Aššur et de Suse furent ainsi englobées dans l’empire). Il est en fait impossible aujourd’hui de déterminer l’étendue exacte de ses territoires ni de connaître grand-chose sur leur statut politique et économique. On sait simplement que ces régions périphériques ne participaient pas au système du BALA. Elles étaient dirigées chacune par un seul et unique gouverneur militaire (ŠAGIN) et devaient payer un tribut annuel (GUN. MADA).
Ces régions tributaires dans lesquelles tous les rois d’Ur, année après année, durent aller guerroyer et dans lesquelles ils entretinrent d’ailleurs d’importantes garnisons militaires, formaient ainsi une région semi-contrôlée à l’est de l’empire, servant à la fois de zone d’approvisionnement en diverses richesses et de territoire tampon contre les ennemis plus lointains. À propos de ces tributs prélevés dans les régions périphériques, il est intéressant de voir que sur la centaine de textes dont nous disposons et qui documentent le paiement du GUN MADA, 35 datent du règne de Šulgi, 35 de son successeur Amar-Sîn, mais seulement 19 de Šu-Sîn et 2 d’Ibbi-Sîn, les derniers rois de la dynastie : cela témoigne sans doute de la fragilité croissante d’un empire qui ne resta réellement solide qu’une douzaine d’années après la mort de Šulgi.
La tradition rapporte que c’est d’ailleurs un raid élamite (venant donc de l’est et du Plateau iranien) qui mit fin à l’empire en 2004 av. J.-C. Mais en réalité, ce sont les Amorrites qui s’installèrent sur les décombres de l’empire (le premier d’entre eux étant Išbi-Erra d’Isin), recueillant son héritage et inaugurant une nouvelle période de l’histoire de la Mésopotamie où devaient s’illustrer des villes comme Isin, Larsa, Babylone, Ekallâtum, Ešnunna ou Mari.
On peut donc au total se demander quels phénomènes provoquèrent en définitive la brusque disparition de cet empire d’Ur III. Les pressions extérieures, notamment élamites et amorrites, furent-elles déterminantes ou bien l’incapacité de l’énorme appareil bureaucratique mis en place à gérer efficacement l’empire ? Sans doute un peu les deux à la fois.
Quoi qu’il en soit, cette époque d’Ur III reste fondamentale dans l’histoire ancienne de la Mésopotamie* : il s’agit en effet d’une période charnière où a été récupéré et fixé l’héritage des époques antérieures et où se sont mises en place, en un siècle, de nombreuses structures qui ont continué à servir de cadre et de référence dans plusieurs domaines au cours des siècles suivants. Cette époque connut également une véritable floraison de la « littérature », ce qui devait avoir une influence considérable sur la culture des siècles postérieurs. Prières, hymnes, textes religieux (en liaison notamment avec le rite du Mariage sacré), épopées (célébrant notamment la geste de la Ire dynastie d’Uruk, celle de Gilgameš, dont se réclamait Šulgi), etc., furent ainsi mis par écrit. À la chute de l’empire, c’est vers le genre littéraire des Lamentations que l’on se tourna, manière de continuer à célébrer la grandeur de cette dernière grande époque sumérienne à l’issue de laquelle les Sumériens devaient effectivement disparaître définitivement de la scène historique. »

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L’histoire d’Ur, de la chute d’Ur III à l’abandon par Samsu-iluna

La troisième dynastie d’Ur

La thèse de la sécheresse

Messages

  • Les Sumériens, c’étaient semble-t-il des Dravidiens d’origine africaine, un peuple qui aurait fondé la première civilisation d’Inde, celle de l’Indus :

    Lire ici

  • Comment ont disparu les Sumériens ? La brillante civilisation sumérienne s’épanouit en basse Mésopotamie au IVe millénaire et brille de 3200 à 2340 av. notre ère environ et, après un bref sursaut aux XXIIe et XXIe siècles, s’effondre définitivement dans un immense fracas que les textes anciens décrivent comme un véritable cataclysme. Un poème mésopotamien parle alors des lamentations sur la destruction d’Ur, la dernière capitale sumérienne. Alors qui est responsable du déclin des inventeurs de l’écriture, de la roue et des premières grandes cités ? On y réfléchit encore...

  • Vers le milieu du IIIe millénaire quand plusieurs vagues d’immigration sémitiques venues du nord de la Mésopotamie poussent de plus en plus les portes des riches royaumes sumériens. Toujours accueillantes, les cités sumériennes voient alors la population akkadienne s’accroître si bien, qu’elle devient vers le XXIVe siècle, majoritaire. A partir de cette période, les sources prouvent qu’un grand nombre d’Akkadiens disputèrent les postes administratifs, militaires et même politiques aux sumériens « de souche ». La tendance s’étant renversée, la population sémitique commence à se révolter jusqu’en 2340 où un Akkadien du nom de Sargon, pourtant né à Kish, en plein pays de Sumer, réussit à réunir toutes les factions sémitiques et renverse les anciennes royautés sumériennes au profit du premier grand empire connu au monde sous l’égide d ’un seul homme. Il remporte 34 batailles décisives et transfère le pouvoir au sein du pays d’Akkad dans sa capitale Agadé. Pour la première fois, le pays de Sumer devint dépendant et sa culture assimilée.

    Les rois d’Akkad ne garderont pourtant le pouvoir qu’un grand siècle environ pendant lequel ils transforment profondément la fonction royale qui s’en trouve renforcée et divinisée. Les Sumériens ne sont donc pas encore mort ! Ils contribuent à la chute de l’empire d’Akkad par des révoltes incessantes contre leurs nouveaux maîtres et reprennent peu à peu les rennes du pouvoir comme à Lagash avec le roi architecte Gudéa. Débute alors une véritable renaissance sumérienne avec de grands rois comme Shulgi et Ur-Nammu qui font d’Ur la nouvelle grande capitale du monde Mésopotamien. On appelle cette période la IIIe dynastie d’Ur.

    La fin de cette dynastie est difficilement explicable mais elle marque la chute définitive de Sumer qui va, dès lors, inexorablement sombrer dans les profondeurs de l’Histoire. Trois raisons – à mon sens – peuvent éclaircir le mystère de la fin des Sumériens. La première est la bureaucratie. En un siècle, la bureaucratie sumérienne est utilisée à l’extrême noyant l’administration dans la rédaction de rapports en tous genres et qui, à la fin, fait « exploser l’état ». De très nombreuses tablettes cunéiformes administratives ont été découvertes durant cette période. A titre d’exemple : on découvrit les rapports transcrits de la mort de plusieurs moutons d’un même élevage dans plusieurs villes du royaume ! Trop d’administration semble avoir tué l’état. La seconde raison est de nouveau liée à l’immigration. Un nouveau peuple sémitique, les Amorrites, déferle sur la Mésopotamie et devient à son tour majoritaire. Enfin, la dernière raison est probablement liée à l’appauvrissement du sol suite à plusieurs millénaires d’exploitation. Les remontées de sels, du fait de l’irrigation des champs, a stérilisé les sols. Les archives sumériennes – qui pour le coup sont d’une importance cruciale – constatent la progressive chute des récoltes.

    A partir de 2004 av. notre ère, les mésopotamiens pleurent Sumer et son long déclin.

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