Accueil > 02 - SCIENCES - SCIENCE > Hasard et nécessité > La science est-elle toujours prédictive ?
La science est-elle toujours prédictive ?
vendredi 5 juillet 2024, par
La science est-elle toujours prédictive ?
On nous annonce de multiples avancées de l’informatique prédictive comme la capacité des ordinateurs à prédire l’évolution des pandémies, leur capacité à prédire l’avenir du climat terrestre, leur capacité à prédire les maladies à venir d’une personne, leur capacité à prédire les bons investissements à venir, leur capacité à prédire les préférences individuelles d’une personne, leur capacité à prédire l’avenir du monde, leur capacité à prédire les difficultés de la planète, leur capacité à prédire des crimes, leur capacité à prédire les révolutions, leur capacité à prédire nos pensées, leur capacité à prédire les sujets de recherche et leurs résultats, leur capacité à prédire quand et comment nous allons vivre et mourir, et on en passe des meilleures… Dit comme cela, on dirait une arnaque mais ce sont des gens apparemment très sérieux, des équipes scientifiques, qui l’affirment.
Voir ici ce genre de projets scientifiques
Pour bien des gens, la science n’est intéressante que si elle peut prédire des faits à venir. Parfois, c’est exact mais parfois c’est faux. La science vise à l’explication des faits matériels et pas nécessairement à leur prédiction car elle n’est pas toujours possible. Cette impossibilité ne provient pas des faiblesses de la science mais du fait que les actes matériels, qui sont fondés sur une agitation aléatoire, peuvent être prédictibles ou ne pas l’être.
Donnons en quelques exemples. Connaitre les propriétés d’un électron (ou de tout autre particule quantique) ne permet pas de savoir quelle va être ses positions à la suite de positions précédentes connues. Il en va de même dans le mouvement brownien ou dans tout mouvement moléculaire. Ces mouvements là sont imprédictibles alors que le mouvement du boulet de canon est prédictible. Mais le mouvement d’une plume dans l’air est imprédictible. D’une manière générale, est imprédictible ce qui est sensible à l’agitation de base du milieu sous-jacent.
Bien sûr, certains grand progrès scientifiques de la compréhension du monde ont été étayés par le fait que la théorie qui les fondait menait à une affirmation sur un fait nouveau non encore détecté. Ainsi, Dirac est le physicien qui a prédit l’existence du positon et de l’antimatière comme Einstein a prédit l’existence du photon, Yukawa l’existence du méson, Higgs l’existence du boson qui porte son nom, Gell-Mann l’existence du quark et des hypérons, Pauli l’existence du neutrino, Fermi et Weisskopf du muon, Lederman du neutrino muonique, Chadwick l’existence du neutron, etc. Et, à chaque fois, il s’agit véritable prédiction, avec proposition de propriétés caractéristiques de la particule imaginée par les théoriciens pour expliquer les phénomènes, puis vérification par des expériences qu’on la trouve bel et bien aux niveaux d’énergie prévus.
On peut citer d’autres prédictions qui ont marché : Thalès a prédit une éclipse, Galilée a prédit la trajectoire du boulet, Newton a prédit le retour de la comète de Halley, Einstein a prédit la courbure des rayons lumineux par le Soleil et les ondes gravitationnelles, Mendeleïev a prédit, par sa classification des éléments, l’existence de plusieurs éléments chimiques et leurs propriétés alors qu’ils n’étaient pas connus …
Par contre, dans la plupart des domaines des sciences, on trouve des conjectures qui sont difficilement prédictibles ou imprédictibles.
Personne ne peut prédire de manière exacte :
– où et quand la foudre va tomber
– quand et comment sera l’orage
– où et quand un volcan va entrer en éruption
– quelle est la forme et l’avenir d’un nuage
– quelles évolutions futures des espèces vivantes
– quels séismes à venir et quand ?
– comment un objet va être fracturé après un choc
– quelle va être le climat dans les années à venir
– quelle sera la trajectoire à moyen terme d’un double pendule (un pendule attaché à un autre pendule)
– quel est l’avenir de l’écoulement turbulent d’un fluide
– quelle est l’évolution d’un feu de forêt et même d’un simple feu de bois dans une cheminée
– quelle est la trajectoire d’une plume ou d’une feuille qui tombe
– quel est le mouvement d’une molécule
– quelle est la position et la vitesse d’une particule ou d’un objet quantique
– quelle sera la forme d’un arbre
Etc, etc…
Pourtant, toutes les questions précédentes reposent sur des phénomènes déterministes dont les lois sont connues. Mais ces lois ont des caractéristiques (comme la sensibilité aux conditions initiales du chaos déterministe) qui ne permettent pas la prédictibilité.
Vous pouvez vous dire : d’accord pour le moment on ne dispose pas de modèles suffisants pour prédire mieux mais on s’améliore et on va bientôt y parvenir. C’est faux. On ne cesse de mieux comprendre oui mais on ne peut pas prédire. La limite de prédictibilité n’est pas due à un manque de connaissances mais à la nature même du phénomène.
Quiconque a déjà utilisé n’importe quel dispositif expérimental sait parfaitement que l’on ne peut pas prédire absolument le résultat qui va être mesuré. Il y a toujours des écarts, des cas où le résultat sort des clous, où l’expérience ne donne pas ce qui était prévu. Il y a toujours des valeurs mesurées à écarter, que cela s’explique ou pas…
Le phénomène physique, le plus simple qui soit, ne peut pas être complètement prédictible.
On peut prédire qu’un vase heurté avec force va se casser, on peut parfois deviner quelques caractéristiques des morceaux mais c’est tout. Le reste est considéré comme dépendant du hasard…