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La Question du Programme de l’Internationale Communiste
lundi 5 mai 2025, par
La Question du Programme de l’Internationale Communiste
(Remarques préliminaires)
Karl Radek
Contrairement à ce que pensent certains imbéciles, les membres du Parti bolchevik ne
subissent pas la règle du perinde ac cadaver ("[well-disciplined] like a corpse") ; ils
discutent au contraire avec passion toutes les questions posées par le mouvement
révolutionnaire. Au 4° Congrès mondial, Boukharine et Radek se trouvèrent
momentanément en désaccord sur le point de savoir si le « programme de transition »
devait trouver place dans le Programme général et théorique de l’Internationale : la
délégation russe, après un copieux débat, donna tort à Boukharine, qui le prit de fort
bonne humeur. Ces « remarques préliminaires » de Radek, écrites pour l’intimité du
Congrès et non destinées à la publicité, aideront nos camarades à s’orienter dans la
discussion.
A la première séance de la Commission du Programme, une discussion générale eut lieu
sur la question de savoir si un programme de l’Internationale Communiste est possible et
nécessaire, ainsi que sur les points qu’il devait contenir. J’ai essayé rie présenter mon point
de vue par des remarques introductives. Naturellement, elles ne pouvaient avoir la forme
précise d’un exposé écrit. Les explications qui suivent sont plus exactes que ne peut l’être la
parole, mais l’argumentation n’en est pas assez ample ni détaillée, défaut qui sera réparé par
un article de l’Internationale Communiste. J’envoie ces remarques aux membres de la
Commission du programme et aux camarades qui avaient demandé à la rédaction de
l’Internationale Communiste de se prononcer au plus tôt dans ses colonnes sur cette
question de la plus haute importance. Ces remarques ne sont pas destinées à la publicité,
mais elles doivent accélérer et faciliter la discussion de la Commission du Programme en
formulant nettement une nuance des conceptions.
Un programme de l’Internationale : est-il possible et nécessaire ?
L’Internationale n’a point jusqu’à présent de programme écrit, c’est-à-dire de formule de
ses conceptions générales des forces actives de l’évolution du capitalisme au communisme
et de la voie que le Comintern se propose de suivre : elle a cependant précisé son point de
vue, le définissant clairement dans beaucoup de résolutions isolées. Il suffit de rappeler les
thèses de Lénine au premier Congrès du Comintern, l’appel-programme du même Congrès,
les thèses du deuxième sur le parlementarisme, sur les syndicats et le rôle du Parti, les
thèses du 3e Congrès sur la tactique. Dans la mesure où il est donc question de la conception
générale de révolution du capitalisme au Communisme, nous n’avons plus qu’à codifier, à
réunir ; ce travail est nécessaire et doit être accompli. Il est d’ailleurs facile, car les questions
relatives au caractère général de l’époque de la révolution sociale ne provoquent pas la
moindre divergence dans nos rangs.
Mais on n’aura fait ainsi que le plus facile du travail. Tous les Partis Communistes se sont
rendu compte, au cours de leur pratique, que les conceptions générales de l’époque ne
suffisent guère ni dans leur agitation et leur propagande, ni dans leur action politique.
L’époque de la révolution sociale sur l’échelle mondiale, époque qui durera
vraisemblablement des dizaines d’années, ne permet pas, ne serait-ce que par sa durée, de
se contenter des perspectives générales ; elle place les Partis Communistes devant un
certain nombre de questions concrètes qu’ils avaient résolues jusqu’à présent d’une manière
purement empirique ; telles sont les questions économiques et politiques comme, par
exemple, l’attitude à l’égard de la défense de la démocratie bourgeoise, à l’égard de la
politique économique et des impôts de la bourgeoisie, à l’égard de la politique mondiale du
capitalisme. (Voyez les différends entre les Partis français et allemand sur la question des
réparations, la question de la politique étrangère de la Russie Soviétique.) Sons toutes ces
questions, il y a celle du caractère particulier de la phase actuelle du développement de la
révolution mondiale, celle de savoir si nous devons lancer des revendications de transition
qui ne concrétisent nullement la dictature du prolétariat, comme, par exemple, les
revendications concrètes du programme de Spartacus, mais qui doivent mener la classe
ouvrière à la lutte qui n’aura pour but direct la Dictature qu’après avoir été approfondie et
généralisée. Pouvons-nous résoudre ces questions d’une manière générale valable pour tous
les pays, ou cela est-il impossible en raison de la différence des conditions ?
Il n’y a pas le moindre doute que si le développement mondial suit une direction générale
unique, permettant facilement de caractériser la voie générale du capitalisme au
communisme, il se réalise cependant en des conditions toutes spéciales dans les diverses
parties du monde. Les différents pays se trouvent à des degrés variés du développement de
la révolution mondiale, ils placent les Partis Communistes devant des tâches diverses.
Autre est la situation des Partis Communistes en Amérique et en Angleterre, autre en
Allemagne, en Italie, autre encore en France, dans les pays Scandinaves, dans les pays
balkaniques et autres, enfin, en Russie soviétique. Il est clair qu’il est impossible d’établir
dans tous leurs détails les mots d’ordre de combat pour tous ces pays, de se servir, dans toute
situation, des mêmes revendications comme d’un levier pour la mobilisation de la classe
ouvrière. Mais, en principe, les questions qui se posent devant les Partis Communistes dans
tous les pays, sont les mêmes. Ce sont celles de savoir :
1° Pouvons-nous lancer aux gouvernements bourgeois des revendications de transition
qui ne correspondent pas du tout à ce que nous exigerions si nous tenions le pouvoir en nos
mains ?
2° Quelle attitude devons-nous avoir à l’égard des questions du capitalisme d’Etat,
qu’elles surgissent grâce aux tendances monopolisatrices des trusts capitalistes ou grâce à
notre lutte défensive contre les nouveaux impôts (par exemple, le mot d’ordre de saisie de
l’or en Allemagne) ou, enfin, grâce à notre lutte contre l’abaissement des salaires ?
(Revendication du pool national dans les mines anglaises, en réponse à la tentative des rois
du charbon de réduire les salaires selon le profit de chaque mine.)
3° Quelle doit être notre attitude devant l’offensive de la réaction ? Ici se pose la question
de la coalition ; nous repoussons la coalition avec la grande bourgeoisie, mais la repoussons-
nous aussi avec le paysan, qui lutte contre la bourgeoisie de la ville, comme par exemple en
Bulgarie, quoiqu’il ne s’agisse nullement d’un paysan mi-prolétarisé ?
La question du front unique, c’est-à-dire, politiquement parlant, du bloc avec les Partis
social-démocrates et les syndicats, ainsi que la question du gouvernement ouvrier, rentrent
dans ce chapitre. On pourrait énumérer toute une série de questions analogues, par
exemple la question militaire, extrêmement différente dans les divers pays ; toutes, elles
soulèvent la question de savoir si, outre les revendications générales économiques de
transition de capitalisme d’état et de contrôle de l’industrie par les organisations ouvrières, il
convient d’établir aussi des revendications politiques correspondantes de transition telles
que celle de gouvernement ouvrier.
On répond souvent que ce sont là des questions de tactique et non de programme. Nous
n’acceptons pas cette réponse. Une séparation aussi tranchée des questions de tactique de
celles de programme constituaient jusqu’à présent une des caractéristiques de
l’opportunisme, qui veillait volontiers à la « pureté » du programme pour se permettre
toutes sortes de saloperies sur le terrain du travail pratique, rendant ainsi le programme
illusoire et sans force.
L’attitude de la classe ouvrière à l’égard des autres classes ou celle de l’avant-garde du
prolétariat, du Parti à l’égard de la classe ouvrière en général, voilà des questions de
tactique. Si la tactique ne doit pas dégénérer en un empirisme plein de contradictions, il faut
la baser sur une conception claire de la spécificité de la situation générale, dans laquelle se
trouve le Comintern dans la période donnée entre la deuxième et la troisième vague de la
révolution mondiale.
Notre programme doit donc fournir au Comintern, dans son ensemble et à ses divers
Partis, la possibilité de prendre sans hésitation une attitude conforme aux principes, c’est-à-
dire aux intérêts généraux de la classe ouvrière dans les questions concrètes, qui se
modifient, surgissant sous une forme toujours nouvelle.
Et il n’en sera ainsi que si, outre la caractéristique générale des tendances menant au
communisme, on présente, après la caractéristique de notre premier grand but de la
dictature du prolétariat et du régime des Soviets, un tableau concret du développement de la
révolution mondiale, des questions soulevées par elle.
Dans ce tableau doivent être caractérisées les tendances contradictoires ; les types et les
formes concrètes dans les divers pays ou groupes de pays ne doivent pas seulement être
indiqués par leurs noms communs, il faut, au contraire, les décrire aussi dans leurs
particularités. De la sorte, le terrain sur lequel surgissent les questions de transition serait
clairement préparé et la méthode pour leur solution serait indiquée. Et, alors, il ne resterait
plus, dans le programme, à prendre une attitude que sur les principales questions concrètes
indiquées plus haut. Cela suffirait parfaitement pour donner aux Partis Communistes un fil
d’Ariane leur permettant de trouver la sortie du labyrinthe des tendances contradictoires,
des situations changeantes. Nous en venons ainsi à la réponse : ce n’est pas seulement la
caractéristique des tendances générales menant du capitalisme au communisme qui est
possible et nécessaire, mais aussi la caractéristique des voies particulières du
développement et des questions spéciales devant lesquelles il place des Partis Communistes.
Le contenu concret du programme de transition
Lorsqu’on aura non seulement décrit, mais aussi analysé le cours suivi jusqu’à présent par
la révolution mondiale, il faudra encore établir les principaux mots d’ordre qui constituent,
dans cette période de transition, comme les moyens de la mobilisation des masses ouvrières
en vue de la lutte pour la dictature.
Ce sont, sur le terrain économique, les mots d’ordre de capitalisme d’Etat et de contrôle
de la production ; sur le terrain politique, dans les pays agricoles, ceux de gouvernement de
coalition avec les partis paysans d’opposition pour la victoire sur la bourgeoisie ; dans les
pays industriels, ceux du gouvernement ouvrier, c’est-à-dire de coalition avec les Partis
social-démocrates et les autres partis et organisations ouvriers.
Quant à la première question, je n’ai pas besoin de la traiter ici en détail ; je renvoie aux «
Thèses sur les questions d’impôts pendant l’époque du capitalisme consolidé et pendant celle
de sa ruine ». que la commission composée des camarades Heckert, Koritschener, Skata,
Varga, Kuusinen et moi-même avait élaborées l’année dernière eu automne. Ces thèses sont
commentées dans l’article du camarade Varga sur les questions d’impôt, publié dans
l’Internationale Communiste, ainsi que dans ma brochure, parue sous le pseudonyme «
Bremer », sur l’écroulement de la bourgeoisie allemande et les questions les plus pressantes
du Parti Communiste allemand, et réimprimée dans l’Internationale Communiste. Cette
brochure analyse aussi le rapport de nos mots d’ordre économiques de transition avec les
questions de gouvernement ouvrier.
Voici quelques remarques succinctes que je voudrais placer ici : la ruine industrielle, le
chaos économique croissant s’accompagnent de la cartellisation continue de l’industrie dans
tous les pays capitalistes. Cela met partout à l’ordre du jour la question : monopole
capitaliste privé ou monopole d’état ? Le monopole d’état sons la domination de la
bourgeoisie, c’est le capitalisme d’état, il signifie, en période de stabilisation de la
bourgeoisie, la consolidation de sa domination, mais un même temps l’extension du front de
combat du prolétariat. A l’époque actuelle, où la domination de la bourgeoisie est sans cesse
minée, à ses tendances de monopole privé correspondant simultanément les tendances à
l’établissement du contrôle de l’industrie par la classe ouvrière. Si la révolution mondiale se
développe avec lenteur, si la ruine de l’économie capitaliste se poursuit lentement, la lutte
contre l’anarchie capitaliste, même dans les cadres du capitalisme deviendra pour le
prolétariat une question vitale.
Il se renforcera par la défensive contre la charge des impôts et de ces deux sources jaillira
la lutte pour la subordination de l’industrie à l’état et pour le contrôle de l’industrie par les
organisations ouvrières. Dans les pays où l’industrie est peu développée, cette question
acquiert une grande importance du point de vue des impôts et de l’influence sur lès paysans.
Ces revendications économiques de transition amènent à la question du pouvoir d’Etat,
car il n’y a pas de doute que la bourgeoisie prend dans la période d’après-guerre une
attitude très énergique envers les tendances de capitalisme d’état. S’il n’est pas exclu en
théorie, que sous la pression du mouvement ouvrier des gouvernements capitalistes ou
social-démocrates bourgeois puissent être contraints de passer à la politique du capitalisme
d’Etat, il est du moins très vraisemblable que les grandes luttes sociales qui se produisent
autour de cette question mèneront dans bien des pays aux gouvernements de coalition
ouvrière comme à une étape sur la voie vers la dictature et le gouvernement des Soviets.
Sans affirmer abstraitement que le développement en Occident doive nécessairement
traverser partout celle étape des gouvernements ouvriers, nous avons toutefois beaucoup
de raisons d’aiguiller la lutte sur cette voie, car elle nous facilite au plus haut degré la
tactique du front général.
Dans ces cadres, il est aussi facile de résoudre les questions de l’attitude à regard de la
république bourgeoise et de sa défense, ainsi qu’a l’égard de la force armée de l’Etat.
Alors que, dans les pays où la situation n’est pas encore révolutionnaire, où la tendance à
transformer l’année du service général obligatoire en une armée mercenaire prédomine
dans la bourgeoise, nous devons défendre le service militaire obligatoire pour tous, afin que
les ouvriers puissent conserver les armes, il est clair, par contre, que nous devons partout,
comme corollaire du gouvernement ouvrier, lancer le mot d’ordre de milice ouvrière.
Lorsque la période de transition actuelle est ainsi caractérisée, que les principales
revendications de transition sont établies, le terrain est préparé pour les programmes
concrets de transition de chaque Parti du Comintern pour qui le programme de ce dernier
doit constituer comme une introduction obligatoire.
Conclusions
Certains camarades objectent contre la conception ci-dessus exposée qu’elle pourrait
bien être bientôt dépassée par les faits, c’est-à-dire par le cours plus rapide de la révolution
mondiale. Un cours pareil rendrait immédiatement le programme suranné ; il ne faut donc
pas chercher à gêner par le programme les sinuosités et les méandres du développement.
Ainsi, par exemple, le Parti Communiste russe a transformé ses mesures de communisme
de guerre en un programme qui, au tournant historique actuel, ne formule plus nettement
les buts immédiats du Parti.
Voici ce qu’on peut répondre à cela :
1° Dans sa pratique du communisme de guerre, le Parti Communiste de Russie avait
besoin d’un fil directeur, et c’eût été un plus grand malheur de ne l’avoir pas eu dans la lutte
que de l’avoir vu devenir suranné avec le temps. Que ce fil directeur ait porté le nom d’une
résolution de tactique, cela ne change rien au fait qu’il était un programme du Parti. Mais
celle comparaison, outre qu’elle n’est pas fondée, n’a aucun rapport avec les questions qui
nous préoccupent ici. Le développement de la révolution mondiale peut prendre un cours
plus rapide dans les temps prochains, mais seulement dans certains pays, notre programme
ne doit pas le perdre de vue.
La révolution mondiale ne saurait, elle, en aucun cas, triompher d’un seul coup.
Ainsi donc, si lent ou si rapide que soit le cours du développement, nous avons besoin
d’un programme du transition.
La tâche d’un programme consiste à tracer la démarcation entre les efforts d’un certain
parti et ceux de tous les autres.
Nous nous distinguons de tous les Partis ouvriers non seulement par le mot d’ordre de la
dictature et du régime des Soviets, mais aussi par nos revendications de transition. Alors que
celles de tous les Partis social-démocrates doivent non seulement être réalisées sur le terrain
du capitalisme, mais encore servir à la réformer, les nôtres servent à la lutte pour la
conquête du pouvoir par la classe ouvrière pour la destruction du capitalisme.
C’est ce qu’il faut nettement exprimer dans notre programme de transition.
Karl Radek
Procès-verbal de la première séance de la Commission du Comité exécutif de l’Internationale communiste pour l’établissement du programme de l’I.C., Moscou
le 28 juin 1922
Radek . Tout programme implique, pour une période déterminée, une certaine stabilisation de la situation. S’il doit s’agir d’un programme exact, d’un système concret de revendications obligatoires, nous ne pouvons pas établir [un] semblable programme pour l’internationale communiste. D’abord, parce que nous n’avons aucune raison de penser que les vingt prochaines années verront l’existence du capitalisme auquel nous adresserions des revendications ; deuxièmement, parce que les conditions dans les divers pays sont trop différentes pour formuler les mêmes exigences en Amérique qu’en Yougoslavie.
Mais, en dehors de cela, nous voyons que dans tous les pays les partis communistes ne sont pas en état de conduire leur travail politique avec les seuls mots d’ordre de la campagne finale : gouvernement des Soviets, dictature du prolétariat, etc. Ils sont obligés non seulement d’opposer à la bourgeoisie des mots d’ordre d’agitation, mais de proposer aux masses qui sont dans le mouvement, comme programme d’action, toute une série de mots d’ordre, qui, non seulement visent des réalisations concrètes, mais sont aussi des moyens de rassembler les masses en vue de la dictature future.
Les partis respectifs entreprennent très spontanément la présentation de ces revendications. Ils n’y apportent aucune méthode d’action de masse. Le Troisième congrès a fait beaucoup à cet égard3 . Cependant, un grand désordre subsiste encore. Je vais vous en donner quelques exemples.
Quand la question s’éleva en Allemagne, en Saxe, en Thuringe, de gouvernement ouvrier4 , un argument unique circula dans la presse du parti, à savoir que les communistes ne pouvaient participer qu’à un gouvernement soviétique. Cela signifie un manque total de préparation de la méthode au moyen de laquelle nous pourrions mobiliser les masses.
En Angleterre, pendant la grève des mineurs5 , la question de la nationalisation des mines était un des objectifs de la lutte. La lecture de la presse communiste permettait de constater une incertitude absolue chez les communistes sur la question de savoir si la nationalisation des mines devait ou non être revendiquée.
Partant de cette considération, je dis que le premier devoir de la commission des programmes n’est pas de fournir un programme à l’Internationale communiste, mais de préparer des thèses sur la méthode de construction de notre action de revendications dans chaque pays, et de les exprimer d’une façon concrète, en rapport avec la situation internationale, ainsi qu’il est préconisé dans les résolutions du Troisième congrès6 . Il faut donc tenir compte de la façon la plus concrète de la situation dans chaque pays. Il apparaîtra ainsi clairement que, pour un groupe de pays, les mêmes questions, et en premier lieu la question du gouvernement ouvrier, sont politiquement venues à l’ordre du jour et peuvent être envisagées par nous dans le cadre de la résolution de tactique générale.
Je récapitule : Il ne s’agit pas d’un programme minimum de l’Internationale communiste. Un semblable programme ne serait historiquement possible que lorsque nous serions persuadés que nous entrons dans une période de longue stabilisation du capitalisme. Il s’agit de l’établissement d’un programme de revendications transitoires servant de levier à l’action qui conduira à la conquête de la dictature.
Pour l’établissement de ces revendications, nous devons d’abord nous entendre clairement sur la question de principe, celle que je nomme la méthode de construction du programme, et ensuite, par l’examen de la situation dans les pays respectifs, dégager ces revendications provisoires.
Boukharine. Camarades, je pense que le pan de notre camarade Radek n’est pas tout à fait juste. Des questions comme celle du gouvernement ouvrier ne sont nullement des questions de programme, ce sont des questions qui ressortissent de la tactique.
Je crois qu’il ne faut pas mêler des sujets de ce genre avec la question du programme ; ce sont des sujets qui peuvent n’avoir de valeur que pour un temps très court ; les traiter comme des questions de programme, c’est, à mon avis, faire une erreur.
Il existe trois sortes de questions qui peuvent entrer dans la discussion du programme7 , et qui, à mon avis, intéressent tous les partis communistes : Premièrement, le traitement théorique de l’ordre capitaliste dans le domaine économique, la caractérisation du capitalisme, la faillite du capitalisme, l’impérialisme, etc. Deuxièmement, le programme maximum du communisme. Troisièmement, les revendications essentielles de la période de dictature politique et peut-être aussi une quatrième catégorie de questions serait-elle constitué[e] par celles ayant trait au rôle spécifique du parti communiste et à ses rapports en tant que parti du prolétariat vis-à-vis des autres partis.
Ces questions doivent être incluses dans tous les programmes, car elles sont communes à tous les partis. Elles valent aussi bien pour l’Amérique et la Yougoslavie que pour le Japon. Des exemples concrets : En ce qui concerne la caractérisation du capitalisme, c’était une chose théorique qui autrefois était contenue dans tous les programmes de la social-démocratie et à laquelle naturellement maintenant des modifications doivent être apportées. En ce qui concerne le programme maximum, nous devons le présenter d’une façon plus détaillée qu’auparavant. En ce qui concerne la question de la dictature, du système soviétique et des nécessités de la période transitoire comme par exemple la nationalisation du sol, des banques, etc., le désarmement de la bourgeoisie, nos rapports avec les colonies, etc. Ce sont là des questions d’un intérêt commun à tous les partis communistes et de véritables questions de programme. Ensuite, le parti communiste et ses rapports avec les autres organisations ouvrières. A mon sens, ce sont des questions qui sont très approfondies théoriquement et qui doivent [être] traitées dans chaque programme de parti. Je crois qu’il serait très utile que le texte du programme concernant ces questions soit similaire pour chaque parti affilié à l’internationale communiste. A toutes ces questions, nous devons une réponse commune à tous les partis communistes.
Chaque programme doit, après cette partie générale, comporter une partie nationale exposant les nécessités correspondant à chaque pays. Parmi elles, on doit trouver un grand nombre de revendications communes, comme celles dont Radek a parlé et celles nommées par Radek [qui] ne doivent surtout pas être comprises dans le programme.
Sméral . Je crois que dans cette discussion chacun de nous doit apporter moins ce qu’il a de théorique dans l’esprit que les pensées qui lui ont été suggérées par la pratique du travail dans son milieu. Si donc, à ce sujet, je m’exprime mal, je vous prie de ne voir dans mes paroles qu’un essai d’exposé de ce que nous avons pour notre part éprouvé dans la pratique.
La discussion entre Radek et Boukharine nous conduit à nous demander : « Qu’entendons-nous par programme ? ». Boukharine a raison, la première partie représente nos revendications finales ; elles doivent être formulées dans le programme. Il n’y a, à cet égard, aucun doute possible entre nous. Elles ont été l’objet de nos thèses aux congrès précédents, et nous n’avons maintenant qu’à en extraire l’essence. La question, maintenant, est de savoir si, comme Boukharine le prétend, les autres points évoqués par Radek ne doivent pas être intégrés dans le programme. Je dois le dire ici : nous étant imposé le devoir de décider du programme au prochain congrès, nous serons obligés par la nécessité de présenter des thèses concrètes et de prononcer des paroles énonçant clairement le programme ou plutôt le plan de notre action future. Nous sommes dans une période transitoire qui peut durer plus ou moins longtemps.
Je crois que le plan d’action, le plan stratégique pour cette période transitoire, doit aussi être présenté et formulé au prochain congrès. Or, quelles sont les questions à examiner ? Elles sont de deux sortes. D’abord, il s’agit de délimiter exactement quelles sont les revendications minima. Jusqu’à présent, nous nous sommes surtout appliqués à l’étude des questions de tactique se rapportant directement à la vie sociale et économique, aux luttes intéressant l’ensemble des travailleurs : journée de huit heures, droits des ouvriers dans les fabriques, dans la production, et, sur le plan politique, uniquement aux questions comme celles des impôts, touchant directement la vie économique des ouvriers.
Je pose donc la question que nous avons à résoudre : Est-il possible aux partis politiques de vouer également une attention concrète aux questions concrètes qui sont d’un ordre politique général ? Ainsi par exemple les questions ayant trait à l’offensive de la réaction dans le domaine politique, ou les questions nationales concrètes.
Ce que je veux dire ensuite se rapporte à ce que le camarade Zinoviev a qualifié de faisceau.8
Les masses sont sur le point de perdre leurs illusions démocratiques. Et cependant, elles ne se joignent pas à nous. Pourquoi ? Parce qu’elles ne sont pas encore mûres pour la dictature, pour la guerre contre la bourgeoisie. Ce qui y contribue beaucoup, c’est qu’elles ne savent pas encore bien en quoi consiste la dictature, ni ce qu’il adviendra au point de vue constructif, après la prise du pouvoir.
Je considère donc comme absolument nécessaire que ceci soit formulé : les mots d’ordre9 qui fournissent à ce sujet des données politiques jouent le plus grand rôle. Elles suscitent la notion du gouvernement ouvrier. Nous savons qu’un gouvernement ouvrier n’est pas apte à établir la dictature. Mais la question se pose maintenant de savoir si le développement du gouvernement ouvrier doit être considéré seulement comme une méthode de lutte ou s’il peut, dans quelques pays, occuper une complète période pouvant être dotée d’un programme.
J’attire votre attention sur ceci, c’est qu’il peut survenir que, dans le développement de la révolution mondiale, un petit pays, comme par exemple la Tchécoslovaquie, soit intérieurement prêt pour la dictature, et que sa position géographique la lui interdise sous peine de gêner le mouvement ouvrier si les pays voisins ne sont pas prêts. Dans quelles conditions ce pays doit-il attendre deux, trois, cinq ans ? - Ici, je le crois, s’offre une forme de gouvernement ouvrier qui, tout en devant compter avec des alentours démocratiques, est tout de même en mesure d’organiser une justice ouvrière pour consolider son pouvoir et qui, moins grand que la Russie, peut immédiatement prendre l’offensive révolutionnaire. Je suis d’avis que nous établissions un programme concret en vue de l’établissement de ce gouvernement ouvrier.
Je pense que nous ne devons pas seulement, comme le dit Boukharine, formuler (il est très facile de formuler) mais que nous devons d’abord préciser la tactique du front unique en disant en principe si nous entendons limiter notre action pratique aux questions économiques immédiates ou si nous entendons aussi l’étendre au plan politique.
Deuxièmement : Considérons-nous le mot d’ordre du gouvernement ouvrier comme une manœuvre, comme un moyen d’action, ou comptons-nous aussi avec sa durée possible dans la situation spéciale d’un pays donné ?
Troisièmement : Ce serait déjà beaucoup faciliter la tâche que de pouvoir incorporer à notre programme les résultats de l’expérience positive et psychologique acquise par nos camarades russes depuis la Révolution d’octobre, dans la période de construction et dans celle de la défense de l’Etat. A mon avis, le communisme attirerait infiniment plus les masses si nous pouvions, en Europe centrale, faire connaître cette expérience. Jusqu’à présent, les ouvriers n’ont vu que le côté militaire de notre lutte ; la partie créatrice ne leur est pas connue. Bien des prolétaires se tiennent éloignés de nos rangs, qui y viendraient s’ils connaissaient ces résultats.
Clara Zetkin. Camarades. Je partage l’avis de Radek qu’il est extrêmement difficile d’établir une programme unique, en ce sens que les conditions respectives des pays se transforment avec une trop grande rapidité.
Il va sans dire que nous devons fournir une base d’action pratique. Mais le danger de l’établissement d’un tel programme consiste précisément en ce que, lancés dans notre action du front unique, une confusion peut se produire dans l’esprit des masses entre le programme réformiste du vieux parti social-démocrate et notre action de revendications. Je comprends la différence de la façon suivante : Les revendications peuvent souvent être les mêmes, et cependant être posées d’une façon tout à fait différente que par les vieux partis. Leur action et leur programme minimum se réduisent uniquement à l’amélioration de la société bourgeoise, tandis que notre programme d’action est constitué en vue de mobiliser la masse, de la conduire et de la10 discipliner dans la lutte.
Les mots d’ordre sur lesquels rassembler les masses et les conduire au front unique se rapportent indubitablement aux besoins quotidiens du prolétariat. Non point seulement sur le terrain économique, sur le terrain politique, mais sur tous les terrains de la vie sociale.
Tous les mots d’ordre que nous avons ainsi donnés prennent une certaine orientation dans une direction déterminée. Tout ce que nous demandons économiquement et spécialement doit être demandé dans le sens de l’abolition du capital privé et tout ce que nous exigeons politiquement doit être formulé en vue d’ôter à la bourgeoisie le pouvoir politique et la possibilité d’exploiter le prolétariat.
Je crois que, dans la mesure du possible, notre programme de revendications communes doit être assez élastique pour que les revendications particulières que l’actualité fait surgir dans les pays où la situation historique se modifie, puissent y être insérées. Le fond doit être toujours le même, mais les mesures de tactique et la forme imposée peuvent varier selon les pays. Et il faudra que notre programme laisse aux pays respectifs une liberté de mouvements suffisante pour qu’ils puissent faire face aux nécessités ultérieures. Je n’affirme pas que nous ayons encore vingt ans à attendre, mais pas davantage, que la révolution se fera demain. C’est pourquoi nous devons laisser une grande élasticité à notre programme.
Zinoviev. Je dois, camarades, vous dire ceci : Je doute beaucoup que nous puissions arriver à établir un programme de l’internationale communiste.11 Ce qu’il nous faut avant tout, ce sont les programmes de nos sections importantes. (Clara Zetkin : Des programmes d’action !) - Non, des programmes complets des partis. Prenons nos partis les plus importants, le parti allemand par exemple. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un programme pour le Parti allemand.12 Est-ce que cela doit, au premier chef, être un programme fondé théoriquement et indiquant nos directives, accommodées à la situation en Allemagne ? Il en [est] de même pour les autres sections. Évidemment, les programmes japonais et américains divergeront en quelques points, ainsi par exemple la question, pour le Japon, est la revendication du suffrage universel. Une grosse agitation existe au Japon, autour de cette question du suffrage universel. Je ne vois pas pourquoi nous ne l’introduirions pas dans le programme du Parti communiste japonais. Dans d’autres pays, où le parti communiste n’est pas encore formé, des revendications de cet ordre peuvent surgir.
Pourquoi avons-nous mis la question du programme à l’ordre du jour ? Les partis peuvent se développer de deux façons : soit à l’aide d’un programme et ensuite constitution du parti, ou dans le sens contraire. Nous avons adopté l’ordre suivant : d’abord le parti, puis le programme. Il eût été facile, il y a deux ans, d’établir théoriquement un programme pour le Japon et les autres pays. Nous avons voulu avoir d’abord un mouvement, puis rassembler des expériences concrètes et en venir ensuite au programme. Maintenant, le moment est venu, nous avons les partis. Il s’agit de résumer les expériences et d’établir un programme.
Prenons par exemple la Tchécoslovaquie. Le problème géographique, que Sméral a invoqué, doit y être pris en considération. Matériellement, Sméral n’a pas raison lorsqu’il dit que la situation d’un pays objectivement mûr pour la dictature peut se produire alors que les pays voisins restent arriérés et que la géographique politique oblige ce pays à remettre de quelques années l’établissement de la dictature et à se contenter d’un gouvernement ouvrier parce que le pays n’est pas aussi grand que la Russie et ne peut mener une guerre offensive. Mais la Russie non plus n’en a pas mené jusqu’à présent. Ce que nous avons subi, historiquement parlant, c’est une guerre défensive. Il est extrêmement dangereux de s’imaginer que les pays avoisinants doivent être mûrs. Les pays avoisinants diront à leur tour : nos voisins doivent être prêts. Une telle conception est absolument erronée, il faut qu’un point de cristallisation se produise quelque part. C’est là précisément que réside l’importance historique de la Révolution russe. Les camarades bulgares émettent aussi parfois le point de vue de Sméral. Mais en ce qui concerne les Balkans, il est difficile d’admettre que la Roumanie marcherait contre la Bulgarie si un gouvernement ouvrier se tenait en Bulgarie. Il ne faut pas oublier que la Russie est là. On y regarderait à deux fois. Evidemment, des aventures peuvent se produire, mais il est impossible de faire la révolution sans assumer ces risques.
La seconde perspective qui apparaît est encore plus dangereuse pour l’idée de la révolution mondiale parce qu’elle ne laisse place à aucun quiétisme. Le gouvernement ouvrier ne peut nous être d’aucune aide, il peut seulement désagréger le parti. Le mot d’ordre du gouvernement ouvrier est un mot d’ordre en soi. Que signifie gouvernement ouvrier ? - Cela signifie : « Communistes plus social-démocrates voulant créer ensemble un gouvernement parce que les forces réactionnaires les environnent. » Et que signifie, dans la durée, une telle alliance ? — Cela signifie que nous attachons la bourgeoisie à notre licol et qu’avec le temps celle-ci nous démoralise. Le gouvernement ouvrier est un levier destiné à détourner, dans un pays, et dans une situation donnée, les forces à notre profit. Mais il n’est aucunement un moyen de vaincre la bourgeoisie, c’est, au contraire, par ce moyen, introduire l’ennemi chez soi. Je ne crois pas que la social-démocratie nous aide jamais à instaurer le communisme. Au contraire.
Naturellement, nous devons envisager ces questions de la façon la plus concrète pour chaque pays. Je crois que 99 % de notre travail consiste, en ce qui concerne le Quatrième congrès, à examiner et à prévoir les programmes des sections, selon leurs situations respectives. Nous sommes informées de tout ce qui est important pour la révolution européenne et mondiale. Nous n’avons donc qu’à résumer la situation et ne pas donner seulement un programme d’action, mais aussi donner théoriquement au parti la possibilité d’étendre dans le monde sa conception tout entière.
Que pouvons-nous faire au point de vue international ? Nous avons de nombreux documents des Premier, Deuxième et Troisième congrès. Ce que nous devons faire d’abord, c’est de les rassembler et de résumer ce qu’il en reste de durable.
De nombreux camarades, envisageant le stade actuel de la révolution mondiale, disent fréquemment : « Oui, la révolution mondiale, on ne sait pas si elle se fera ou non ! » Nous avons maintenant trois, quatre années de développement dans l’internationale communiste. Qu’ont-elles prouvé ? — Que signifient tous ces événements successifs auxquels nous sommes désormais habitués, comme par exemple les événements actuels d’Allemagne, ceux d’Irlande ?13 Il fut un temps où l’on discutait pendant des années d’une petite grève en Belgique, la première grève pour le suffrage universel.14 C’est qu’on n’était pas alors entré dans la révolution mondiale ; aujourd’hui des faits surgissent, qui sont mille fois plus importants, et ils surgissent tous les jours. Mais nous y sommes habitués et nous disons : Il faut que cela aille encore plus vite.
Nous devons établir dans le programme que nous sommes en pleine révolution mondiale.
Deuxièmement. La Russie des Soviets, en tant que système de gouvernement, à cette phase de la révolution mondiale ; l’étape spéciale par laquelle elle passe en ce moment ; la lutte de la Russie soviétique en général. On en parle d’une façon épisodique, on sent instinctivement qu’elle est le premier capital de la révolution mondiale, mais aucune description systématique n’en existe jusqu’à présent.
Ensuite, nous devons caractériser les pays par groupements. Il faut que le territoire de l’internationale communiste, c’est-à-dire le monde, soit grossièrement divisé en trois ou quatre groupes de pays : agricoles, industriels, coloniaux, qui nous permettent de fixer notre point de vue d’une façon générale, de prendre, par exemple, la question coloniale et d’envisager la révolution coloniale en soi, à travers les conditions imposées par l’impérialisme britannique, conditions que Lénine a appelées un jour : « la révolution par en haut ».15
Je crois qu’il est également nécessaire d’établir notre programme comme une représentation du monde, parce que nous sommes matérialistes, que l’internationale communiste est fondée sur le matérialisme historique et que nos conceptions (sur la religion, etc.) proviennent de là. Nous devons énormément insister sur le travail de nos sections ; celles-ci doivent fournir à notre examen la base la plus solide en nous indiquant exactement le rapport des forces dans leur pays.
Rudas. Nous devons établir, d’une façon générale, la partie du programme dans laquelle la différence entre la période actuelle et celle écoulée sera caractérisée. Ensuite, la partie qui concerne les différents plans d’action. La plupart des questions à l’ordre du jour se rattachent aux principes qui doivent être actuellement en vigueur ; le front unique, le gouvernement ouvrier, par exemple, sont commandés par le développement d’une modification des rapports de la situation. Nous devons le signaler et dire en outre aux ouvriers : ces points particuliers émanent des nécessitées de votre vie quotidienne elle- même, mais vous ne devez pas perdre de vue qu’ils ne doivent pas vous éloigner de la lutte véritable, comme les social-démocrates, qu’au contraire ils doivent vous rendre plus aptes à bien mener la lutte finale actuelle et indispensable.
Pour la troisième partie, qui a trait aux revendications concrètes et particulières, nous devons faire des propositions aux partis. Leur ayant fourni le fond, les partis n’auront plus qu’à l’adapter à la situation de leurs pays et à formuler leurs revendications particulières d’après cette base d’indication.
Boukharine. En général, je confirme ce que j’ai dit dans ma première intervention. Je pense que chaque programme doit être divisé en trois parties :
La partie comportant les quatre catégories de questions dont j’ai parlé.
Celle qui comporte des questions spécifiquement nationales d’un ordre général.
Celle contenant les mots d’ordre de l’action immédiate, qui ne constituent en réalité aucun programme, et qu’on peut interchanger selon la situation.
Je m’appuie sur ceci : toutes les questions soulevées par Zinoviev ne sont nullement en contradiction avec ce que j’ai dit. La classification par groupes des pays, par exemple, signifie théoriquement la représentation concrète de la faillite du capitalisme mondial. Zinoviev ne propose pas que des programmes séparés soient élaborés pour ces différents groupes, mais que la caractérisation de ces groupes soit intégrée dans chaque programme. Quant aux points parcourus par l’internationale dans le cours de l’année, on peut parfaitement incorporer tout cela dans cette partie générale du programme. Ce n’est pas difficile à faire, ce sont des questions absolument appropriées, théoriquement.
En ce qui concerne la seconde partie, nous touchons là, je crois, le point difficile du travail. Car dans certains pays, l’important se trouve être par exemple la question agraire, dans d’autres, la question nationale, dans d’autres, ainsi que Zinoviev l’a fort justement remarqué, ce sont les revendications démocratiques comme au Japon par exemple ; dans les colonies, l’essentiel réside dans des revendications spécifiquement coloniales, telles que la lutte contre le capitalisme étranger.
C’est dans la seconde partie du programme que doivent être placées les questions purement nationales.
La troisième partie, je le répète, ne doit pas consister en un programme particulier, ce doit être une plate-forme d’action. La camarade Zetkin a très justement remarqué que nos revendications doivent être élastiques, mais c’est précisément parce que la plus grande élasticité est nécessaire que nous ne devons pas insérer ces revendications élastiques dans le programme, car un programme est le contraire d’une chose élastique. Tout ce qui est trop élastique doit être confiné sur la plateforme d’action, mais il ne peut être question de l’incorporer dans un programme. Tout ce qui est spécifié dans le programme doit être obligatoire. C’est pourquoi, à mon avis, des mots d’ordre qui ne sont pas absolument nécessaires, comme le gouvernement ouvrier, le front unique, etc., et qui ressortissent de la tactique, doivent être compris dans la plate-forme d’action.
Voyons maintenant le travail lui-même. Ce dont notre camarade Zinoviev a parlé : l’attitude de nos partis frères vis-à-vis de la situation générale de leurs pays appartient à mon sens à la deuxième partie du programme tel que je le conçois, les revendications spécifiquement nationales. On peut très bien préparer la première partie ; la seconde partie est en majeure partie l’affaire des sections nationales.
La question se pose ensuite de savoir si la première partie doit être la même pour tous les pays. Je crois que le profit politique et tactique d’une partie des textes est évident, c’est pourquoi je pense que cette première partie doit être la même pour chaque pays.
Nous aurons alors une bonne charpente du programme communiste :
La première partie semblable pour tous.
Les revendications spécifiques évidentes. — Le programme concernant la question fiscale et quelques autres peuvent être placées ici, selon la situation du pays.
Ensuite, la plate-forme d’action, d’essence tactique, et qui varie aussi selon les pays.
Radek. La conception de Boukharine est pleine de contradictions. Il dit que la question du programme est uniquement celle de la transformation du capitalisme en communisme, par la dictature du prolétariat, et que les questions provenant maintenant de la situation actuelle - gouvernement ouvrier - question des impôts, organisation de l’industrie - ressortissent de la plate-forme d’action. Là-dessus, il conclut et traite la nationalisation des banques comme le fond même de la question du programme. Ceci est très contradictoire. La question du gouvernement ouvrier est pour lui une question de tactique. Et cela repose sur une raison politique. Il se dit, qu’on peut, dans chaque cas, exiger la nationalisation mais point le gouvernement ouvrier par contre.
Zinoviev soulève les difficultés en disant que chaque pays doit fournir un programme, même dans les questions générales. Or, nous sommes précisément réunis ici parce que chaque pays se trouve en face de grosses difficultés théoriques dans les questions générales, difficultés que nous devons résoudre.
Naturellement le programme ne doit pas consister en une simple indication pratique de notre part. Il [doit] d’abord dessiner la voie à suivre. Nous devons résumer ce que nous avons déjà dit dix fois. Nous avons une partie générale. Elle doit avoir pour sujet : du capitalisme au communisme. Il s’agit ensuite de démontrer, ainsi que Zinoviev l’a dit, que dans cette époque de la révolution sociale, malgré tous les obstacles et les lenteurs de son développement, celle-ci, malgré tout, se développe toujours.
Montrer ensuite, que, dans l’ensemble, c’est le chemin même qui mène du capitalisme au communisme qui, à l’époque actuelle, serpente ainsi.
Ensuite la troisième partie. Ce que nous avons à faire actuellement ; c’est ici que se présentent les revendications transitoires. Ici qu’on doit traiter la question de nos rapports avec le problème essentiel de la vie économique, capitalisme d’Etat, etc. - Mais que ferons-nous des revendications politiques ? - Boukharine dit : désarmement de la bourgeoisie. La question de l’armement comme revendication transitoire est une question politique d’ordre général.
Zinoviev a dit avec raison qu’il trouvait que la question du gouvernement ouvrier était un élément nouveau qui s’est présenté d’une façon empirique et qui pourrait cependant être de quelques importance. Il dit que c’est le trait d’union entre la dictature et la situation actuelle, que c’est un chemin pour en sortir, de sorte que si nous en venons au gouvernement ouvrier, celui-ci travaillera à la dictature du prolétariat.
Il a dit en second lieu que c’était un pseudonyme de la dictature du prolétariat. Il a à la fois raison et tort. Il y a bien des pays où l’on né passera pas par le gouvernement ouvrier. Dans d’autres pays, il ne doit pas être institué. Les élections viennent, les partis ouvriers ont la majorité, ils se décident à élire un gouvernement ouvrier par les moyens parlementaires. Ceci est très possible en Allemagne ou en Tchécoslovaquie.
La question est maintenant de savoir si, dans l’ordre politique, en corrélation avec nos revendications économiques transitoires, nous voulons ou non jeter ce pont. Naturellement, nous n’avons pas besoin d’avouer que cela doit être obligatoire dans chaque pays et qu’on ne peut en venir à la dictature qu’au moyen de compromis. Le tout est de savoir ce que nous voyons dans ce mot d’ordre, un mot d’ordre politique de transition, ou un abîme entre la démocratie et la période de dictature. Ces questions générales doivent faire l’objet d’un programme commun, exposant la méthode même des revendications provisoires ; on peut ensuite approprier une tactique à chaque pays, d’après la situation concrète.
Nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’une première partie générale, sur la nécessité d’un exposé du développement de la situation concrète, selon la proposition de Zinoviev, sur la nécessité de caractériser nos revendications transitoires dans le domaine économique ; le point qui nous divise est celui-ci : dans cette troisième partie méthodique, insérerons-nous une caractéristique politique générale, dans laquelle nous diviserons naturellement les pays par groupes. Viennent ensuite les revendications concrètes particulières à chaque pays et qui doivent être préparées par chaque pays.
Marchlevsky. Camarades, deux points de vue sont en présence. Si j’ai bien compris le camarade Zinoviev, il arrive que cette partie générale du programme est peut-être fragile parce que nous ne sommes pas en position de l’établir pour les pays similaires. Je crois que c’est faux. Je pense, comme la camarade Zetkin, qu’il est de notre devoir de tracer maintenant la ligne de démarcation entre la phase du développement que la social-démocratie a caractérisée et qui s’est terminée avec la guerre, et la phase de la République des soviets de Russie.
Plus on vieillit, plus on écoute la jeunesse. Or, on a toujours l’impression que notre jeunesse s’appuie encore sur l’étude de la littérature produite par la social-démocratie et qui porte presque constamment l’estampille réformiste. Pour lutter contre cet état de choses, il est, je crois, indispensable de fixer, en manière de préface au programme des partis, une caractérisation violente de la période nettement révolutionnaire que nous traversons.
Il est pour moi tout à fait évident que les programmes des différents partis doivent être différents. Je ne suis pas encore sûr que des indications de méthode puissent y être données concernant les questions de tactique particulières ; on ne pourrait le dire à bon escient qu’en voyant un projet schématique. Mais il est tout à fait sûr qu’une introduction théorique, qui serait en quelque sorte une préface aux programmes des partis respectifs, servirait grandement.
(H.-D. 0359. Copie dactylographiée)
Notes
1 Il fut décidé à la séance du Présidium du Comité exécutif de l’I.C. du 6 juin 1922 (cf. Bericht über die Tätigkeit, Moscou, 1922, p. 75) de proposer à l’Exécutif élargi la nomination d’une Commission du programme. Cette commission, formée de 33 membres, comprenait entre autres : Lénine , Trotsky , Zinoviev , Boukharine , Radek ; Clara Zetkin , Thalheimer , Ernst Meyer ; Frossard , Cachin , Souvarine , Paul-Louis , Rappoport ; Bordiga , Graziadei ; Smeral , Kreibich ; Kuusinen ; Kun , Rudas , Varga ; Kabakchiev ; Warski ; Katayama (cf. ibid., p. 135). - Pour la discussion du programme voir entre autres : Rudas, « La Question du Programme de l’I.C. », La Correspondance Internationale II (1922), pp. 403 et suiv. ; Thalheimer, « Le Programme Communiste », B.C. III, pp. 718-720 ; Protokoll des IV. Kongresses der K.I., pp. 404-448 ; B.C. IV (1923), pp. 4 et suiv. (Treint ), 5-14 (Boukharine) ; doc. 68, p. 248 de ce volume (Radek), ainsi que : Le Programme de l’Internationale communiste. Projets présentés à la discussion du Ve Congrès mondial, Paris 1924.
2 Dans le texte original toujours : commission de programme.
3 Le 3e Congrès de l’I.C. (22.6.-12.7.1921) avait proclamé le mot d’ordre « Aux masses » et la tactique du front unique. Sur le sens de cette tactique voir par exemple C. Kabaktschieff, Die Entstehung und Entwicklung der Komintern, Hambourg-Berlin 1929, p. 99.
4 Les pays de Saxe et de Thuringe eurent à leur tête depuis décembre 1920 et resp. octobre 1921 des gouvernements de coalition du Parti social-démocrate allemand et du Parti social-démocrate indépendant allemand. Les socialistes avec les communistes détenaient la majorité aux Landtags de ces pays. — Le mot « gouvernement ouvrier », c’est-à-dire gouvernement des partis ouvriers, fut un grand mot dans la période de la tactique du front unique 1921-23. Comparer, par exemple, K.H. Tjaden, Struktur und Fonktion des "KPD-Opposition" (KPO) - Eine organisationssoziologische Untersuchung zur "Recht"-Opposition im deutschen Kommunismus zur Zeit der Weimaren Republik. Meisenheim /Glan 1964. (Marburger Abhandlungen zur Politschen Wissenschaft, Band 4.), I, pp. 20-31, note 7 de ce doc., et les discussions au IVe Congrès de l’I.C. (1922).
5 Pour la troisième fois depuis la fin de la première guerre mondiale une grande grève des mineurs britanniques éclata en avril-juin 1921 (les deux premières en mars et en octobre 1919).
6 Voir Thèses et Résolutions adoptées au Troisième Congrès de l’Internationale communiste , Moscou(-Bruxelles) 1921.
7 Dans son discours à la séance du 16.11.1922 au IVe Congrès mondial de l’I.C., Boukharine avait indiqué quatre sortes de questions dans la partie théorique du programme : « D’abord une analyse générale du capitalisme, ce qui sera surtout utile pour les peuples coloniaux ; ensuite l’analyse de l’impérialisme et de la désagrégation du capitalisme et enfin, l’analyse de l’époque de la révolution socialiste. La deuxième partie du programme comportera une esquisse de la société communiste. J’estime qu’il faut faire un tableau de la société communiste et le faire figurer au programme, parce qu’il est nécessaire, à mon avis, de dire ce que signifie, à proprement parler, le « communisme » et quelle est la différence qui existe entre les diverses phases transitoires. La troisième partie doit traiter du renversement de la bourgeoisie et de la lutte du prolétariat pour le pouvoir. La quatrième partie doit être consacrée aux questions générales de la stratégie, mais pas à des questions comme celle du gouvernement ouvrier, non à des questions fondamentales, comme par exemple, l’attitude à prendre à l’égard de la social-démocratie et des syndicats. Car ces questions-là ne sont pas d’une nature passagère, elles peuvent, en qualité de questions tactiques et stratégiques, figurer au programme à titre permanent » (Bulletin Communiste, IV, p. 13). Cf. aussi le projet de programme de l’I.C. de Boukharine dans : Le programme de l’Internationale Communiste. Projets présentés à la discussion du Ve congrès mondial, Paris, 1924 ; (Bibliothèque Communiste), pp. 33-55.
8 Dans son discours à la première séance du Plenum du Comité exécutif de l’I.C. le 7 juin 1922, Zinoviev avait entre autres déclaré : « Ist es nicht notwendig, zwischen der grauen Prosa der kleinen Teilforderungen und der Poesie der Diktatur des Proletariats ein Bindeglied zu schieben ? Genosse Smeral hat mich auf die Notwendigkeit eines solchen Bindegliedes aufmerksam gemacht und wir glauben, daß es dieses Bindeglied geben muß. ... Die Parole der Arbeiterregierung ist ein solches Bindeglied ... Wir haben in Ländern wie Italien, Tschechoslowakei, Deutschland ... eine Situation, wo die Macht der Arbeiterschaft verhältnismäßig so groß ist, daß man Forderungen wie die politische Forderung einer Arbeiterregierung aufzustellen wagen darf und muß » (« N’est-il pas nécessaire de placer un chaînon entre la grise prose des petites revendications partielles et la poésie de la dictature du prolétariat ? Le camarade Smeral m’a fait remarquer la nécessité d’un tel chaînon et nous pensons qu’il doit exister un chaînon de ce type. …. Le mot d’ordre du gouverment ouvrier est un chaînon de ce type. … Dans des pays comme l’Italie, la Tchécoslovaquie, l’Allemagne... nous avons une situation ou la puissance ouvrière est si grande en termes relatifs que l’on peut et que l’on doit poser des revendications telle que la revendication politique d’un gouvernement ouvrier » (Bericht über die Tätigkeit, op. cit., p. 81). Cf. aussi Thalheimer, « Qu’est-ce qu’un Gouvernement Ouvrier ? », B.C. III, pp. 514-517.
9 Dans le texte original : paroles.
10 Dans l’original : les.
11 Le programme de l’I.C. ne fut accepté qu’au VIe Congrès de l’I.C. (1928).
12 Le P.C. allemand présenta en octobre 1922 un projet de programme, élaboré principalement par A. Thalheimer, qui fut accepté à la séance du C.D. (Zentrale) des 15-16.10.1922 par 24 voix contre 23, mais n’entra jamais en vigueur. Son texte a été publié dans Die Rote Fahne des 7-8.10.1922 (nos. 445-447), en français dans : Le programme de l’I.C., op. cit., pp. 57-105.
13 Walter Rathenau , ministre des affaires étrangères d’Allemagne, fut assassiné le 24.6.1922 (cf. Radek dans La Correspondance Internationale II, pp. 387 et suiv.). Le même jour fut décrétée l’ordonnance du président du Reich pour la protection de la République. — L’Irlande, qui avait reçu le statut de Dominion le 6.12.1921 fut le théâtre de conflits armés entre les partisans des chefs modérés Griffith, Collins et Cosgrave et les nationalistes extrémistes sous la direction de De Valera.
14 Mi-avril 1902.
15 Voir entre autres : Lenin, « Über eine Karikatur des Marxismus » (« Sur une caricature de marxisme ») (août-octobre 1916), Werke, t. 23, Berlin 1957, pp. 18-71 ; ibid., t. 22, Berlin i960, pp. 152-154, avec son interprétation des « trois types principaux des pays » de 1916 ; ibid., t. 21, Berlin i960, pp. 206 et suiv.
Programme de l’Internationale stalinisée
Adopté le 1° septembre 1928 à Moscou
L’époque de l’impérialisme est celle du capitalisme mourant. La guerre mondiale de 1914-1918 et la crise générale du capitalisme qu’elle a déchaînée furent le résultat d’une profonde contradiction entre le développement des forces productives de l’économie mondiale et les frontières des États. Elles ont montré et prouvé que les conditions matérielles du socialisme au sein de la société capitaliste sont déjà mûres et que, l’enveloppe capitaliste de la société étant devenue un obstacle intolérable au développement ultérieur de l’humanité, l’histoire a mis à l’ordre du jour le renversement du joug capitaliste par la révolution.
L’impérialisme soumet les innombrables masses prolétariennes de tous les pays - dans les métropoles de la puissance capitaliste comme dans les coins les plus reculés du monde colonial - à la dictature d’une ploutocratie capitaliste financière. L’impérialisme met à nu et approfondit avec la force d’éléments déchaînés toutes les contradictions de la société capitaliste, développe à l’extrême l’oppression des classes, aiguise au plus haut degré la lutte entre les États capitalistes, engendre l’inéluctabilité des guerres impérialistes mondiales qui ébranlent tout le système des rapports existants et achemine la société, avec une irrésistible nécessité, vers la révolution prolétarienne mondiale.
Enchaînant l’univers dans les liens du capital financier, contraignant, par le sang, par le fer et par la faim, les prolétaires de tous les pays, de toutes les nationalités et de toutes les races à se courber sous son joug, aggravant formidablement l’exploitation, l’oppression et l’asservissement du prolétariat qu’il met devant la tâche immédiate de conquérir le pouvoir, l’impérialisme crée la nécessité d’une étroite cohérence des ouvriers en une armée internationale unique des prolétaires de tous les pays, formée indépendamment des frontières d’États, des différences de nationalité, de culture, de langue, de race, de sexe et de profession. L’impérialisme, en développant et en achevant ainsi la création des conditions matérielles du socialisme, place le prolétariat en face de la nécessité de s’organiser en une association ouvrière internationale de combat et assure, par là, la cohésion de l’armée de ses propres fossoyeurs.
L’impérialisme détache, d’autre part, la partie la plus aisée de la classe ouvrière des grandes masses. Cette "aristocratie" ouvrière, corrompue par l’impérialisme, qui constitue les cadres dirigeants des Partis social-démocrates, intéressée au pillage impérialiste des colonies, dévouée à "sa" bourgeoisie et à "son" État impérialiste, se trouva, à l’heure des batailles décisives, aux côtés de l’ennemi de classe du prolétariat. La scission du mouvement socialiste provoquée par cette trahison de 1914 et les trahisons ultérieures des Partis social-démocrates, devenus en fait des partis ouvriers bourgeois, ont prouvé que le prolétariat mondial ne peut remplir sa mission historique — briser le joug de l’impérialisme et conquérir la dictature prolétarienne - que par une lutte implacable contre la social-démocratie. L’organisation des forces de la révolution internationale n’est donc possible que sur la plate-forme du communisme. A la Deuxième Internationale opportuniste de la social-démocratie, devenue l’agent des impérialistes au sein de la classe ouvrière, s’oppose inéluctablement la Troisième, L’Internationale communiste, organisation universelle de la classe ouvrière, incarnant l’unité authentique des ouvriers révolutionnaires de tous les pays.
La guerre de 1914-1918 provoqua les premières tentatives de créer une nouvelle Internationale révolutionnaire comme contrepoids de la Deuxième Internationale social-chauvine et comme instrument de résistance à l’impérialisme guerrier (Zimmerwald, Kienthal). La victoire de la révolution prolétarienne en Russie donna l’impulsion à la constitution de Partis communistes dans les métropoles capitalistes et dans les colonies. En 1919, fut fondée L’Internationale communiste qui, pour la première fois dans l’histoire, unit effectivement dans la lutte révolutionnaire des éléments avancés du prolétariat d’Europe et d’Amérique aux prolétaires de Chine et des Indes, aux travailleurs nègres d’Afrique et d’Amérique.
Parti international unique et centralisé du prolétariat, L’Internationale communiste est la seule continuatrice des principes de la Première Internationale appliqués sur la base nouvelle d’un mouvement prolétarien révolutionnaire de masses. L’expérience de la première guerre impérialiste, de la crise révolutionnaire du capitalisme qui lui a succédé et des révolutions de l’Europe et des pays coloniaux, l’expérience de la dictature du prolétariat et de l’édification du socialisme en URSS, l’expérience du travail de toutes les sections de L’Internationale communiste, fixée dans les décisions de ses congrès, et enfin, l’internationalisation de plus en plus grande de la lutte entre la bourgeoisie impérialiste et le prolétariat, rendent indispensable l’élaboration d’un programme de L’Internationale communiste, unique et commun à toutes ses sections. Le programme de l’IC réalise ainsi la plus haute synthèse critique de l’expérience du mouvement révolutionnaire international du prolétariat, il est un programme de lutte pour la dictature mondiale du prolétariat, un programme de lutte pour le communisme mondial.
L’Internationale communiste, qui unit les ouvriers révolutionnaires et entraîne des millions d’opprimés et d’exploités contre la bourgeoisie et ses agents "socialistes", se considère comme la continuatrice historique de la "Ligue des communistes" et de la Première Internationale qui furent sous la direction immédiate de Karl Marx, et comme l’héritière des meilleures traditions d’avant-guerre de la Deuxième Internationale. La Première Internationale jeta les bases doctrinales de la lutte internationale du prolétariat pour le socialisme. La Deuxième Internationale, dans sa meilleure époque, prépara le terrain à une large expansion du mouvement ouvrier parmi les masses. La Troisième Internationale Communiste, continuant l’œuvre de la Première Internationale et recueillant les fruits des travaux de la Deuxième, en a résolument rejeté l’opportunisme, le social-chauvinisme, la déformation bourgeoise du socialisme, et a commencé à réaliser la dictature du prolétariat. L’Internationale communiste continue par cela les traditions héroïques et glorieuses du mouvement ouvrier international : celles des chartistes anglais et des insurgés français de 1830, celles des ouvriers révolutionnaires français et allemands de 1848 ; celles des combattants immortels et des martyrs de la Commune de Paris ; celles des soldats valeureux des révolutions allemande, hongroise et finlandaise ; celles des ouvriers courbés naguère sous le despotisme des tsars et devenus des réalisateurs victorieux de la dictature du prolétariat ; celles des prolétaires chinois, héros de Canton et de Shanghai.
S’inspirant de l’expérience historique du mouvement ouvrier révolutionnaire de tous les continents et de tous les peuples, L’Internationale communiste se place entièrement et sans réserves, dans son activité théorique et pratique, sur le terrain du marxisme révolutionnaire dont le léninisme - qui n’est pas autre chose que le marxisme de l’époque de l’impérialisme et des révolutions prolétariennes - est le développement ultérieur.
En défendant et en propageant le matérialisme dialectique de Marx et d’Engels, en l’appliquant comme la méthode révolutionnaire de connaissance de la réalité dans un but de transformation révolutionnaire de cette dernière, L’Internationale communiste combat activement toutes les variétés de la pensée bourgeoise et de l’opportunisme théorique et pratique.
Demeurant sur le terrain de la lutte de classe prolétarienne conséquente, subordonnant les intérêts passagers, partiels, corporatifs et nationaux du prolétariat à ses intérêts permanents, généraux et internationaux, L’Internationale communiste démasque impitoyablement, quels qu’en soient les aspects, la doctrine de la "paix sociale" empruntée par les réformistes à la bourgeoise. Exprimant la nécessité historique de l’organisation internationale des prolétariens révolutionnaires, fossoyeurs du système capitaliste. L’Internationale communiste est l’unique force internationale qui ait pour programme la dictature du prolétariat et le communisme et qui agisse au grand jour comme organisatrice de la révolution prolétarienne mondiale.
Le système mondial du capitalisme, son développement et sa ruine inévitable
Les lois générales du développement du capitalisme et l’époque du capital industriel
La société capitaliste, fondée sur le développement de la production des marchandises, est caractérisée par le monopole de la classe des capitalistes et des gros propriétaires fonciers sur les moyens de production les plus importants et décisifs, par l’exploitation de la main-d’œuvre salariée de la classe des prolétaires, privés des moyens de production et obligés de vendre leur force de travail, par la production des marchandises en vue d’en retirer des profits, par l’absence de plan et l’anarchie qui résulte de ces diverses causes dans l’ensemble du procès de la production. Les rapports sociaux d’exploitation et la domination économique de la bourgeoisie trouvent leur expression politique dans l’organisation de l’État capitaliste, appareil de coercition contre le prolétariat.
L’histoire du capitalisme confirme entièrement la doctrine de Marx sur les lois du développement de la société capitaliste et sur les contradictions inhérentes à ce développement, qui mènent le système capitaliste à sa perte inéluctable.
La bourgeoisie fut contrainte, dans sa course aux profits, de développer, dans des proportions toujours croissantes, les forces productives, de renforcer et d’étendre la domination des rapports capitalistes de production. Le développement du capitalisme, pour cette raison, reproduisit constamment sur une base élargie toutes les contradictions internes du système, avant tout, la contradiction décisive existant entre le caractère social du travail et le caractère privé de l’appropriation, entre la croissance des forces productives et les rapports capitalistes de propriété.
La propriété des moyens de production et le fonctionnement spontané et anarchique de la production elle-même provoquèrent la rupture de l’équilibre économique entre les différentes branches de la production, par suite du développement de la contradiction entre la tendance de la production à une extension illimitée et la consommation limitée des masses prolétariennes (surproduction générale), ce qui entraîna des crises périodiques dévastatrices et livra des masses de prolétaires au chômage. La domination de la propriété privée s’exprima par une concurrence sans cesse croissante, aussi bien à l’intérieur de chaque pays capitaliste que sur le marché mondial. Cette dernière forme de rivalité entre capitalistes eut pour conséquence les guerres qui accompagnent inévitablement le développement capitaliste.
Les avantages techniques et économiques de la grande production provoquèrent, d’autre part, par le jeu de la concurrence, l’élimination et la destruction des formes précapitalistes de l’économie, une concentration et une centralisation croissante du capital. Dans l’industrie, cette loi de concentration et de centralisation se manifesta avant tout par le dépérissement de la petite production ou par sa réduction au rôle d’auxiliaire subordonné des grandes entreprises. Dans l’agriculture, dont le développement est nécessairement retardataire par suite du monopole de la propriété du sol et de la rente absolue, cette loi s’exprima non seulement par la différenciation de la paysannerie et la prolétarisation de larges couches de paysans, mais encore et surtout par des formes visibles ou voilées de la domination du gros capital sur la petite économie rurale qui, dans ce cas, ne peut conserver une apparence d’indépendance qu’au prix d’une extrême intensité du travail et d’une sous-consommation systématique.
L’utilisation croissante des machines, le perfectionnement constant de la technique et, sur cette base, la croissance incessante de la composition organique du capital accompagnées de la division croissante du travail, de l’augmentation de son rendement et de son intensité, signifiaient également un emploi plus large de la main-d’œuvre féminine et enfantine et la formation d’énormes armées industrielles de réserve, sans cesse grossies par les paysans prolétarisés, évincés des campagnes, et par la petite et moyenne bourgeoisie ruinée des villes. A l’un des pôles des rapports sociaux, formation de masses considérables de prolétaires, intensification continue de l’exploitation de la classe ouvrière, reproduction sur une base élargie des contradictions profondes du capitalisme et de leurs conséquences (crises, guerres, etc.), augmentation constante de l’inégalité sociale, croissance de l’indignation du prolétariat rassemblé et éduqué par le mécanisme même de la production capitaliste, tout cela sape infailliblement les bases du capitalisme et rapproche le moment de son écroulement.
Un profond bouleversement se produisit en même temps dans tout l’ordre moral et culturel de la société capitaliste : décomposition parasitaire des groupes de rentiers de la bourgeoisie, dissolution de la famille, exprimant la contradiction croissante entre la participation en masse des femmes à la production sociale et les formes de la famille et de la vie domestique héritées dans une large mesure des époques économiques antérieures ; développement monstrueux des grandes villes et médiocrité de la vie rurale par suite de la division et de la spécialisation du travail ; appauvrissement et dégénérescence de la vie intellectuelle et de la culture générale ; incapacité de la bourgeoisie de créer, en dépit des grands progrès des sciences naturelles, une synthèse philosophique scientifique du monde ; développement des superstitions idéalistes, mystiques et religieuses, tous ces phénomènes signalent l’approche de la fin historique du système capitaliste.
L’époque du capital financier (impérialisme)
La période du capitalisme industriel fut, en général, une période de "libre concurrence" pendant laquelle le capitalisme évolua avec une certaine régularité et se répandit sur tout le globe par le partage des colonies encore libres, conquises par la force des armes, le poids des contradictions internes du capitalisme sans cesse croissantes retombant principalement sur la périphérie coloniale opprimée, terrorisée et systématiquement rançonnée. Cette période fit place, vers le début du XX° siècle, à celle de l’impérialisme, caractérisée par le développement du capitalisme par sauts brusques et par conflits, la libre concurrence cédant rapidement le pas au monopole, les terres coloniales naguère "libres" étant déjà partagées et la lutte pour un nouveau partage des colonies et des sphères d’influence commençant à prendre inévitablement et en premier lieu la forme de la lutte armée.
Les contradictions du capitalisme acquirent ainsi toute leur ampleur mondiale et leur expression la plus nette à l’époque de l’impérialisme (capitalisme financier), qui représente une nouvelle forme historique du capitalisme lui-même, un rapport nouveau entre les différentes parties de l’économie capitaliste mondiale et une modification des rapports entre les classes fondamentales de la société capitaliste.
Cette nouvelle période historique résulte de l’action des lois essentielles du développement de la société capitaliste. Elle mûrit avec le développement du capitalisme industriel, en est la continuation historique. Elle accentua la manifestation des tendances fondamentales et des lois du mouvement de la société capitaliste, ses contradictions et ses antagonismes fondamentaux. La loi de concentration et de la centralisation du capital aboutit à la formation de puissants groupements monopolistes (cartels, syndicats, trusts), à une nouvelle forme d’entreprises géantes combinées, liées en un seul faisceau par les banques. La fusion du capital industriel et du capital bancaire, l’entrée de la grande propriété foncière dans le système général du capitalisme désormais caractérisé par les monopoles, transformèrent la période du capital industriel en celle du capital financier. La "libre concurrence" du capitalisme industriel, qui remplaça autrefois le monopole féodal et le monopole du capital commercial, se transforma elle-même en monopole du capital financier. Les monopoles capitalistes, issus de la libre concurrence, ne la suppriment cependant pas, mais la dominent ou coexistent avec elle, provoquant ainsi des contradictions, des heurts et des conflits d’une acuité et d’une gravité particulières.
L’emploi grandissant de machines compliquées, des procédés chimiques et de l’énergie électrique, la croissance de la composition organique du capital sur cette base et la chute du taux du profit qui en est la conséquence – et qui n’est enrayée qu’en partie, en faveur des plus grandes associations monopolistes, par la politique des hauts prix des cartels — provoquant la continuation de la course aux surprofits coloniaux et la lutte pour un nouveau partage du monde. La production en masse, standardisée, exige de nouveaux débouchés extérieurs. La demande croissante de matières premières et de combustibles provoque d’âpres rivalités pour en accaparer les sources.
Enfin, le haut protectionnisme, empêchant l’exportation des marchandises et assurant un surprofit au capital exporté, crée des stimulants complémentaires à l’exportation des capitaux qui devient la forme décisive et spécifique de la liaison économique entre les différentes parties de l’économie capitaliste mondiale. En résumé, la possession monopolisée des débouchés coloniaux, des sources de matières premières et des sphères d’investissements de capitaux, accroît d’une manière extrêmement rapide l’inégalité du développement capitaliste et aggrave, entre les "grandes puissances" du capital financier, les conflits pour un nouveau partage des colonies des sphères d’influence.
La croissance des forces productives de l’économie mondiale conduit donc à une plus grande internationalisation de la vie économique et, en même temps, à la lutte pour un nouveau partage du monde, déjà partagé entre les grands États du capital financier ; elle provoque aussi un changement et une aggravation des formes de cette lutte : le remplacement de plus en plus fréquent de la concurrence au moyen de la baisse des prix, par appel direct à la force (boycottage, haut protectionnisme, guerres douanières, guerres au sens propre du mot, etc.). Le capitalisme, sous sa forme monopoliste, est, par conséquent, accompagné de guerres impérialistes inévitables, qui, par leur ampleur et la puissance destructive de la technique employée, n’ont pas de précédent dans l’histoire du monde.
Les forces de l’impérialisme et les forces de la révolution
La forme impérialiste du capitalisme qui exprime la tendance à la cohésion des diverses factions de la classe dominante, oppose les grandes masses du prolétariat non à un patron isolé, mais, de plus en plus, à la classe entière des capitalistes et à son État. D’autre part, cette forme de capitalisme brise les frontières des États nationaux devenues trop étroites et élargit les cadres du pouvoir capitaliste des grandes puissances, opposant à ce pouvoir les millions d’hommes des nationalités opprimées, des "petites" nations et des peuples coloniaux. Enfin, cette forme de capitalisme oppose avec plus d’acuité les États impérialistes les uns aux autres.
Dans cet état de choses, le pouvoir politique acquiert pour la bourgeoisie une importance particulière, il devient la dictature d’une oligarchie financière et capitaliste, l’expression de sa puissance concentrée. Les fonctions de cet État impérialiste qui comprend de nombreuses nationalités, se développent dans tous les sens. Le développement des formes de capitalisme d’État facilite à la fois la lutte sur les marchés extérieurs (mobilisation militaire de l’économie) et la lutte contre la classe ouvrière. Le développement monstrueux à l’extrême du militarisme (armée, flottes aérienne et navale, armes chimiques et bactériologiques), la pression croissante de l’État impérialiste sur la classe ouvrière (exploitation accrue et répression directe, d’une part, corruption systématique de la bureaucratie réformiste dirigeante, de l’autre), expriment l’énorme accroissement du rôle de l’État. Dans ces conditions, toute action plus ou moins importante du prolétariat se transforme en une action contre l’État, c’est-à-dire en une action politique.
Ainsi, le développement du capitalisme et, plus particulièrement, l’époque impérialiste reproduisent les contradictions fondamentales du capitalisme à une échelle de plus en plus considérable. La concurrence entre petits capitalistes ne cesse que pour faire place à la concurrence entre grands capitalistes ; lorsque celle-ci se calme, se déchaîne la concurrence entre les formidables coalitions des magnats du Capital et de leurs États ; les crises locales et nationales s’étendent à divers pays et finissent par embrasser le monde entier ; les guerres locales font place aux guerres de coalitions et aux guerres mondiales ; la lutte de classes passe de l’action isolée de certains groupes d’ouvriers, à des luttes nationales, puis à la lutte internationale du prolétariat mondial contre la bourgeoisie mondiale. Enfin, se dressent et s’organisent contre les forces du capital financier puissamment organisé, deux grandes forces révolutionnaires : d’une part, les ouvriers des États capitalistes et, de l’autres, les masses populaires des colonies ployées sous le joug du capital étranger, mais luttant sous la direction et l’hégémonie du mouvement révolutionnaire prolétarien international.
Cette tendance révolutionnaire fondamentale est cependant temporairement paralysée par la corruption de certains éléments du prolétariat européen, nord-américain et japonais, acquis à la bourgeoisie impérialiste et par la trahison de la bourgeoisie nationale des pays coloniaux et semi-coloniaux effrayée par le mouvement révolutionnaire des masses. La bourgeoisie des grandes puissances impérialistes recevant un profit supplémentaire, tant en raison de sa position sur le marché mondial en général (technique plus développée, exportation des capitaux, dans les pays où le taux du profit est plus élevé, etc.) qu’en raison du pillage des colonies et des semi-colonies, a pu élever, grâce à ces surprofits, les salaires d’une partie de "ses" ouvriers, les intéressant ainsi au développement du capitalisme de leur "patrie", au pillage des colonies et à la fidélité envers l’État impérialiste. Cette corruption systématique s’est particulièrement manifestée et se manifeste encore sur une large échelle dans les pays impérialistes les plus puissants ; elle trouve son expression la plus éclatante dans l’idéologie et l’action de l’aristocratie ouvrière et des couches bureaucratiques de la classe ouvrière, c’est-à-dire des cadres dirigeants de la social-démocratie et des syndicats qui se sont révélés les agents directs de l’influence bourgeoise au sein du prolétariat et les meilleurs soutiens du régime capitaliste.
Mais, après avoir développé l’aristocratie corrompue de la classe ouvrière, l’impérialisme en détruit en fin de compte l’influence sur le prolétariat, dans la mesure où l’accentuation des contradictions du régime, l’aggravation des conditions d’existence et le chômage de grandes masses ouvrières, les dépenses et les charges énormes provoquées par les conflits armés, la perte par certaines puissances des monopoles qu’elles détenaient sur le marché mondial, la séparation des colonies, etc., ébranlent dans les masses la base du social-impérialisme. De même, la corruption systématique de diverses couches de la bourgeoisie des colonies et des semi-colonies, leur trahison du mouvement national-révolutionnaire et leur rapprochement avec les puissances impérialistes ne paralysent que temporairement le développement de la crise révolutionnaire. Ce procès mène, en fin de compte, au renforcement de l’oppression impérialiste, à l’affaiblissement de l’influence de la bourgeoisie nationale sur les masses populaires, à l’aggravation de la crise révolutionnaire, au déchaînement de la révolution agraire des grandes masses paysannes et à la création de conditions favorables à l’hégémonie du prolétariat des pays coloniaux et dépendants dans la lutte des masses populaires, pour l’indépendance et pour une complète libération nationale.
L’impérialisme et la chute du capitalisme
L’impérialisme a porté les forces productives du capitalisme mondial à un haut degré de développement. Il a achevé la préparation des prémices matérielles pour l’organisation socialiste de la société. Il démontre par ses guerres que les forces productives de l’économie mondiale ont dépassé les cadres restreints des États impérialistes et exigent l’organisation de l’économie sur une échelle internationale mondiale. L’impérialisme s’efforce de résoudre cette contradiction en frayant, par le fer et par le feu, la voie à un trust capitaliste étatique mondial et unique qui organiserait l’économie mondiale. Cette sanglante utopie est glorifiée par les idéologues social-démocrates qui y voient la méthode pacifique du nouveau capitalisme "organisé". Elle se heurte, dans la réalité, à des obstacles objectifs insurmontables d’une telle ampleur que le capitalisme est appelé à s’effondrer inévitablement sous le poids de ses propres contradictions. La loi de l’inégalité du développement capitaliste, accentué à l’époque impérialiste, rend impossibles les groupements stables et durables de puissances impérialistes. D’autre part, les guerres impérialistes qui se transforment en guerres mondiales par lesquelles la loi de concentration du capital s’efforce d’atteindre son extrême limite — le trust mondial unique — s’accompagnent de telles dévastations, imposent à la classe ouvrière et aux millions de prolétaires et de paysans des colonies de telles charges, que le capitalisme périra inévitablement sous les coups de la révolution prolétarienne, bien avant d’avoir atteint ce but. Phase suprême du développement capitaliste, portant à un développement d’une formidable ampleur les forces productives de l’économie mondiale, recréant le monde entier à son image, l’impérialisme entraîne dans le champ d’exploitation du capital financier toutes les colonies, toutes les races et tous les peuples. Mais la forme monopoliste du capital développe en même temps à un degré croissant les éléments de dégénérescence parasitaire, de pourriture et de déclin du capitalisme. En détruisant, dans une certaine mesure, cette force motrice qu’est la concurrence, en menant une politique de hauts prix fixés par les cartels, en disposant sans restriction du marché, le capital monopoliste tend à entraver le développement ultérieur des forces productives. Prélevant sur des millions d’ouvriers et de paysans coloniaux des surprofits fabuleux et accumulant les énormes revenus de cette exploitation, l’impérialisme crée un type d’État rentier en voie de dégénérescence parasitaire et de putréfaction, et des couches entières de parasites vivant des coupons de rentes. Achevant le processus de la création des prémices matérielles du socialisme (concentration des moyens de production, immense socialisation du travail, croissance des organisations ouvrières), l’époque impérialiste aggrave les contradictions existant entre les "grandes puissances" et engendre des guerres qui aboutissent à la dislocation de l’unité de l’économie mondiale. L’impérialisme est pour cette raison le capitalisme pourrissant et mourant et, en général, la dernière étape de l’évolution capitaliste, le prélude de la révolution socialiste mondiale.
La révolution prolétarienne internationale découle ainsi des conditions du développement du capitalisme en général, et de sa phase impérialiste, en particulier. Le système capitaliste aboutit dans son ensemble à une faillite définitive. La dictature du capital financier périt, faisant place à la dictature du prolétariat.
La crise générale du capitalisme et la première phase de la révolution mondiale
La guerre mondiale et le développement de la crise révolutionnaire
La lutte entre les principaux États capitalistes pour un nouveau partage du monde provoqua la première guerre impérialiste mondiale (1914-1918). Cette guerre ébranla le système capitaliste mondial et inaugura la période de sa crise générale. Elle mit à son service toute l’économie nationale des pays belligérants, créant ainsi la poigne de fer du capitalisme d’État ; elle entraîna de fabuleuses dépenses improductives, détruisit une quantité énorme de moyens de production et de main-d’œuvre, ruina les grandes masses populaires, imposa des charges innombrables aux ouvriers industriels, aux paysans et aux peuples coloniaux. Elle aggrava fatalement la lutte de classes, qui se transforma en action révolutionnaire de masses et en guerre civile. Le front impérialiste fut rompu dans son secteur le plus faible, en Russie tsariste. La révolution russe de février 1917 brisa le pouvoir, l’autocratie des gros propriétaires fonciers. La révolution d’Octobre renversa le pouvoir de la bourgeoisie. Cette révolution prolétarienne victorieuse expropria les expropriateurs, ôta à la bourgeoisie et aux grands propriétaires fonciers les moyens de production, établit et affermit, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la dictature du prolétariat dans un grand pays, réalisa un nouveau type d’État, l’État soviétique, et inaugura la révolution prolétarienne internationale.
L’ébranlement profond du capitalisme mondial, l’aggravation de la lutte de classes et l’influence immédiate de la révolution prolétarienne d’Octobre, déterminèrent des révolutions et des mouvements révolutionnaires tant en Europe que dans les pays coloniaux et semi-coloniaux : janvier 1918, révolution ouvrière en Finlande ; août 1918, "émeutes du riz" au Japon ; novembre 1918, révolutions en Autriche et en Allemagne, renversant des monarchies semi-féodales ; mars 1919, révolution prolétarienne en Hongrie et soulèvement en Corée ; avril 1919, République des Soviets en Bavière ; janvier 1920, révolution nationale bourgeoise en Turquie ; septembre 1920, occupation des usines par les ouvriers en Italie ; mars 1921, soulèvement de l’avant-garde ouvrière en Allemagne ; septembre 1923, insurrection en Bulgarie ; automne 1923, crise révolutionnaire en Allemagne ; décembre 1924, insurrection en Estonie ; avril 1925, soulèvement au Maroc ; août 1925, soulèvement en Syrie ; mai 1926, grève générale en Angleterre ; juillet 1927, insurrection ouvrière à Vienne. Ces faits et des événements tels que l’insurrection de l’Indonésie, l’effervescence profonde de l’Inde, la grande révolution chinoise qui a ébranlé tout le continent asiatique, forment les chaînons de l’action révolutionnaire internationale et sont les éléments constituants de la grave crise générale du capitalisme. Ce procès de la révolution mondiale comprend la lutte immédiate pour la dictature du prolétariat, les guerres de libération nationale et les soulèvements coloniaux contre l’impérialisme, indissolublement liés au mouvement agraire des grandes masses paysannes. La masse innombrable des hommes s’est ainsi trouvée entraînée dans le torrent révolutionnaire. L’histoire du monde est entrée dans une nouvelle phase, celle de la crise générale et durable du système capitaliste. L’unité de l’économie mondiale s’exprime dans le caractère international de la révolution ; et l’inégalité de développement des diverses parties de l’économie mondiale dans le fait que les révolutions n’éclatent pas simultanément dans les différents pays.
Les premières tentatives de révolution, nées de la crise aigu du capitalisme (1918-1921), se terminèrent par la victoire et l’affermissement de la dictature du prolétariat dans l’URSS et par la défaite du prolétariat dans divers autres pays. Ces défaites sont dues, avant tout, à la tactique de trahison des chefs social-démocrates et des leaders réformistes du mouvement syndical ; au fait que les communistes n’entraînaient pas encore la majorité de la classe ouvrière et que dans plusieurs pays, des plus importants, il n’existait pas encore de Parti communiste.
A la suite de ces défaites qui rendirent possibles l’exploitation accrue des masses prolétariennes et des peuples coloniaux, et une brusque réduction de leur niveau de vie, la bourgeoisie put réaliser une stabilisation partielle du régime capitaliste.
La crise révolutionnaire et la social-démocratie contre-révolutionnaire
Les cadres dirigeants des partis social-démocrates et des syndicats réformistes et les organisations capitalistes de combat du type fasciste ont acquis, au cours de la révolution internationale, la plus grande importance comme force contre-révolutionnaire combattant avec ardeur la révolution et soutenant de même la stabilisation partielle du Capital.
La guerre de 1914-1918 fut accompagnée de la honteuse faillite de la II° Internationale social-démocrate. En contradiction absolue avec la thèse du Manifeste du Parti communiste de Marx et d’Engels, qui affirme que les prolétaires n’ont pas de patrie en régime capitaliste, en contradiction absolue avec les résolutions adoptées contre la guerre par les congrès socialistes internationaux de Stuttgart et de Bâle, les chefs des Partis social-démocrates nationaux, à quelques exceptions près, votèrent les crédits de guerre, se prononcèrent résolument pour la "défense nationale" de leurs "patries" impérialistes (c’est-à-dire des États de la bourgeoisie impérialiste) et, au lieu de s’opposer à la guerre impérialiste, devinrent ses fidèles soldats, ses propagandistes et ses thuriféraires (le social-patriotisme se transformait ainsi, par voie de croissance, en social-impérialisme). Dans la période suivante, la social-démocratie défendit les traités spoliateurs (Brest-Litovsk, Versailles) ; elle intervint activement aux côtés des généraux dans la répression sanglante des soulèvements prolétariens (Noske) ; elle combattit les armes à la main la première République prolétarienne (la Russie des Soviets) ; elle trahit honteusement le prolétariat au pouvoir (Hongrie) ; elle adhéra à la Société des nations impérialiste (A. Thomas, Paul-Boncour, Vandervelde) ; elle prit carrément le parti des esclavagistes impérialistes contre les esclaves coloniaux (le "Labour Party" anglais) ; elle soutint activement les bourreaux les plus réactionnaires de la classe ouvrière (Bulgarie, Pologne) ; elle prit l’initiative des "lois militaires" impérialistes (France) ; elle trahit la grande grève générale du prolétariat anglais ; elle aida à étouffer la grève des mineurs anglais ; elle aida et elle aide encore à opprimer la Chine et l’Inde (gouvernement Mac Donald) ; elle assume le rôle de propagandiste de la Société des nations impérialiste, de héraut du Capital et de force organisatrice de la lutte contre la dictature du prolétariat dans l’URSS (Kautsky, Hilferding).
Poursuivant systématiquement cette politique contre-révolutionnaire, la social-démocratie opère au moyen de ses deux ailes : l’aile droite, ouvertement contre-révolutionnaire, indispensable aux négociations et à la liaison directe avec la bourgeoisie, et l’aile gauche destinée à tromper les ouvriers avec un subtilité particulière. La "gauche" social-démocrate, usant volontiers de la phrase pacifiste et parfois même de la phrase révolutionnaire, agit en réalité contre les ouvriers, surtout aux heures les plus critiques (les "indépendants" anglais et la "gauche" du Conseil général des Trade-Unions pendant la grève générale de 1926 ; Otto Bauer et Cie pendant l’insurrection viennoise, etc.) et constitue pour cette raison la fraction la plus dangereuse des partis social-démocrates. Servant au sein de la classe ouvrière les intérêts de la bourgeoisie et se plaçant entièrement sur le terrain de collaboration de classes et de la coalition avec la bourgeoisie, la social-démocratie est, à certains moments, contrainte de passer à l’opposition et même de simuler la défense des intérêts de classe du prolétariat dans sa lutte économique ; elle le fait à seule fin d’acquérir la confiance d’une partie de la classe ouvrière et de trahir ses intérêts permanents, d’autant plus honteusement, à l’heure des batailles décisives.
Le rôle essentiel de la social-démocratie est maintenant de saper l’indispensable unité de combat du prolétariat en lutte contre l’impérialisme. Scindant et divisant le front rouge unique de la lutte prolétarienne contre le Capital, la social-démocratie est le principal appui de l’impérialisme dans la classe ouvrière. La social-démocratie internationale de toutes nuances, la II° Internationale et sa filiale syndicale, la Fédération syndicale internationale d’Amsterdam, sont ainsi devenues des réserves de la société bourgeoise, son plus sûr rempart.
La crise du capitalisme et le fascisme
A côté de la social-démocratie, à l’aide de laquelle la bourgeoisie réprime le mouvement ouvrier ou endort sa vigilance de classe, se dresse le fascisme.
L’époque de l’impérialisme, l’aggravation de la lutte de classes et la croissance, surtout après la guerre impérialiste mondiale, des facteurs de guerre civile, ont provoqué la faillite du parlementarisme. De là, les "nouvelles" méthodes et les nouvelles formes de gouvernement (le système des "petits cabinets", la formation d’oligarchies agissant dans les coulisses, la déchéance et la falsification de la "représentation populaire", les restrictions apportées aux "libertés démocratiques", qui sont parfois abolies, etc.). Cette offensive de la réaction bourgeoise impérialiste prend, dans certaines conditions historiques, la forme du fascisme. Ces conditions sont : l’instabilité des rapports capitalistes, l’existence d’importants éléments sociaux déclassés, l’appauvrissement de grandes couches de la petite bourgeoisie des campagnes et, enfin, la constante menace d’action de masse du prolétariat. Afin de s’assurer une stabilité, une fermeté et une continuité plus grandes du pouvoir, la bourgeoisie est de plus en plus contrainte de passer du système parlementaire à la méthode fasciste, indépendante des rapports et des combinaisons de partis. Cette méthode est celle de la dictature directe, idéologiquement camouflée à l’aide de "l’idée nationale" et de la représentation "corporative" (qui est en réalité celle des divers groupes des classes dominantes) ; elle exploite le mécontentement des masses petites-bourgeoises, des intellectuels et d’autres milieux sociaux, au moyen d’une démagogie sociale assez particulière (antisémitisme, attaques partielles contre le capital usurier, indignation contre les "parlotes parlementaires") et de la corruption : création d’une hiérarchie solide et rétribuée des formations fascistes, création d’un appareil de parti et d’un corps de fonctionnaires ; le fascisme s’efforce, ce faisant, de pénétrer dans les milieux ouvriers où il recrute les éléments les plus arriérés en mettant à profit le mécontentement causé par la passivité de la social-démocratie, etc. Le fascisme s’assigne pour tâche principale la destruction de l’avant-garde ouvrière révolutionnaire, c’est-à-dire des éléments communistes du prolétariat et de leurs cadres.
Démagogie sociale combinée avec la corruption et la terreur blanche et liée à une politique extérieure impérialiste très agressive, tels sont les traits caractéristiques du fascisme. Recourant pendant les périodes les plus critiques pour la bourgeoisie à une phraséologie anticapitaliste, le fascisme perd en route ses grelots anticapitalistes et se révèle de plus en plus, dès qu’il s’est affermi au pouvoir, comme la dictature terroriste du gros Capital.
S’adaptant aux changements de la conjoncture politique, la bourgeoisie utilise tour à tour les méthodes du fascisme et celles de la coalition avec la social-démocratie, qui elle-même joue fréquemment, aux heures les plus critiques pour le capitalisme, un rôle fasciste. Elle manifeste dans son développement des tendances fascistes, ce qui ne l’empêche pas, dans d’autres conjonctures politiques, de fronder contre le gouvernement bourgeois, en qualité de parti d’opposition. Les méthodes fascistes et de coalition avec la social-démocratie, qui sont des méthodes inusitées du capitalisme "normal" et qui attestent la crise générale du régime, la bourgeoisie s’en sert pour ralentir la marche ascendante de la révolution.
Les contradictions de la stabilisation capitaliste
et l’inéluctabilité de la chute révolutionnaire du capitalisme L’expérience de toute la période historique d’après-guerre démontre que la stabilisation du capitalisme, réalisée par l’impitoyable oppression de la classe ouvrière et l’aggravation systématique de ses conditions de vie, ne peut qu’être partielle, temporaire et précaire.
Le développement fébrile et saccadé de la technique, confinant dans certains pays à une nouvelle révolution technique, l’accélération du procès de concentration et décentralisation du capital, la création de trusts gigantesques, de monopoles "nationaux" et "internationaux", l’interpénétration des trusts et de l’État, la croissance de l’économie capitaliste mondiale, ne peuvent cependant, remédier à la crise générale du système capitaliste. La division de l’économie mondiale en secteurs capitaliste et socialiste, le rétrécissement des débouchés, le mouvement anti-impérialiste des colonies aggravent à l’extrême toutes les contradictions du capitalisme qui se développe sur sa nouvelle base d’après-guerre. Le progrès technique lui-même et la rationalisation de l’industrie qui ont pour revers la fermeture et la liquidation d’entreprises, la limitation de la production, l’exploitation impitoyable et rapace de la main-d’œuvre aboutissent à un chômage chronique d’une ampleur sans précédent. L’aggravation absolue des conditions de vie de la classe ouvrière, même dans les pays capitalistes très développés, devient un fait évident. La concurrence croissante entre les pays impérialistes, la menace constante de guerres et l’acuité grandissante des conflits de classes créent les conditions d’une phase nouvelle et supérieure du développement de la crise générale du capitalisme et de la révolution prolétarienne mondiale.
A la suite du premier cycle des guerres impérialistes (guerre mondiale de 1914-1918) et de la victoire remportée en octobre 1917 par la classe ouvrière dans l’ancien Empire des tsars, l’économie mondiale s’est scindée en deux parties irréductiblement opposées : les États impérialistes et la dictature du prolétariat dans l’URSS. La différence de structure sociale, la nature de classe du pouvoir, différent aussi, l’opposition fondamentale des fins poursuivies en politique intérieure et extérieure, comme en politique économique et culturelle, les tendances, différentes en principe, du développement des deux systèmes, opposent violemment le monde capitaliste à l’État du prolétariat victorieux. Deux systèmes antagonistes s’affrontent dans le cadre de l’économie mondiale, jadis unique : capitalisme et socialisme. La lutte de classes dans laquelle autrefois le prolétariat n’avait pas d’État à lui, se reproduit maintenant sur une échelle immense, vraiment universelle, la classe ouvrière internationale ayant déjà son État, sa seule patrie. L’existence de l’Union soviétique et l’influence qu’elle exerce en tous lieux sur les masses laborieuses opprimées, sont la manifestation éclatante de la crise profonde du système capitaliste mondial, de l’extension et de l’aggravation sans précédent de la lutte de classes.
Le monde capitaliste, incapable de surmonter ses contradictions internes, tente de créer des groupements internationaux (Société des nations) dont l’objet principal est d’arrêter le développement irrésistible de la crise révolutionnaire et d’étouffer par le blocus ou la guerre l’Union des Républiques prolétariennes. Toutes les forces du prolétariat révolutionnaire et des masses coloniales opprimées se concentrent en même temps autour de l’URSS : face à la coalition mondiale du Capital, précaire et rongée à l’intérieur, mais armée jusqu’aux dents, se dresse la coalition mondiale, unique, du Travail. Une nouvelle contradiction fondamentale d’une envergure et d’une signification historiques mondiales a surgi ainsi à la suite du premier cycle des guerres impérialistes, la contradiction entre l’URSS et le monde capitaliste.
Les antagonismes se sont aussi aggravés dans le secteur capitaliste de l’économie mondiale. Le déplacement du centre économique de l’univers aux États-Unis d’Amérique, la transformation de la "République du dollar" en exploiteur mondial ont tendu les relations entre les États-Unis et le capitalisme européen, celui de Grande-Bretagne en premier lieu. Le conflit entre le plus puissant des vieux pays impérialistes et conservateurs, la Grande-Bretagne, et le plus grand pays du jeune impérialisme, qui a déjà réussi à conquérir l’hégémonie mondiale, les États-Unis, devient l’axe des conflits mondiaux entre les États du capital financier. L’Allemagne, durement rançonnée par le traité de Versailles, s’est rétablie économiquement, rentre dans l’arène de la politique impérialiste, commence à reparaître sur le marché mondial comme un concurrent sérieux. Autour du Pacifique, s’enchevêtrent des antagonismes dont le conflit américano-japonais est l’axe principal. Parallèlement à ces antagonismes fondamentaux, des conflits d’intérêts se développent entre des groupements instables et changeants de puissances, les États de second ordre étant réduits, aux mains des géants impérialistes et de leurs coalitions, à un rôle accessoire.
L’accroissement de la capacité de production de l’appareil industriel du capitalisme mondial, en face du rétrécissement des marchés intérieurs de l’Europe par suite de la guerre et de la sortie de l’Union soviétique du domaine des échanges purement capitalistes, l’extrême monopolisation des principales sources de matières premières et de combustibles, ont pour conséquence le développement de conflits entre États capitalistes. La lutte "pacifique" pour le pétrole, le caoutchouc, le coton, la houille, les métaux, pour un nouveau partage des débouchés et des sphères d’investissements de capitaux, conduit inévitablement à une nouvelle guerre mondiale, qui sera d’autant plus dévastatrice que la technique de guerre progresse à une allure folle.
Les contradictions entre les métropoles et les pays coloniaux et semi-coloniaux croissent parallèlement. L’affaiblissement — dans une certaine mesure — de l’impérialisme européen, comme conséquence de la guerre, le développement du capitalisme aux colonies, l’influence de la Révolution soviétique, les tendances centrifuges au sein de la plus grande puissance navale et coloniale, la Grande-Bretagne (Canada, Australie, Afrique du Sud) ont facilité les soulèvements des colonies et des semi-colonies. La grande révolution chinoise qui a ébranlé des centaines de millions d’hommes du peuple chinois ouvre une brèche énorme dans le système de l’impérialisme. La constante effervescence révolutionnaire de centaines de millions d’ouvriers et de paysans des Indes menace de ruiner la domination de la Grande-Bretagne, citadelle de l’impérialisme mondial. La croissance des tendances hostiles au puissant impérialisme des Etats-Unis dans les pays de l’Amérique latine y constitue une force contraire à l’expansion du capital nord-américain. Le mouvement révolutionnaire des colonies qui entraîne dans la lutte contre l’impérialisme l’immense majorité de la population du globe assujettie par l’oligarchie financière et capitaliste de quelques "grandes puissances" impérialistes, manifeste à son tour la profonde crise générale du système capitaliste. Mais aussi, en Europe, où l’impérialisme accable les petites nations sous son talon de fer, la question nationale est un facteur d’aggravation des contradictions internes du capitalisme.
Enfin, la crise révolutionnaire mûrit irrésistiblement dans les centres mêmes de l’impérialisme : l’offensive de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, contre son niveau d’existence, contre ses organisations et ses droits politiques, et l’extension de la terreur blanche provoquent la résistance grandissante des grandes masses prolétariennes et l’aggravation de la lutte de classes entre le prolétariat et le Capital trusté. Les batailles grandioses entre le Travail et le Capital, la radicalisation grandissante des masses, l’influence et l’autorité croissantes des Partis communistes, l’immense mouvement de sympathie des masses ouvrières pour le pays de la dictature prolétarienne, tout cela signale nettement l’approche d’un nouvel essor révolutionnaire dans les métropoles de l’impérialisme.
Le système de l’impérialisme mondial et la stabilisation partielle du capitalisme sont donc minés de divers côtés : contradictions et conflits entre les puissances impérialistes ; multitude des peuples coloniaux soulevés pour la lutte ; prolétariat révolutionnaire des métropoles ; dictature du prolétariat dans l’URSS détenant l’hégémonie du mouvement révolutionnaire mondial. La révolution internationale est en marche.
L’impérialisme groupe ses forces contre elle. Expéditions coloniales, nouvelle guerre mondiale, campagne contre l’URSS sont à l’ordre du jour. Le déchaînement de toutes les forces de la révolution mondiale et la chute inévitable du capitalisme en résulteront inéluctablement.
Le communisme mondial, but final de l’Internationale communiste
Substituer à l’économie capitaliste mondiale le système du communisme mondial, tel est le but auquel aspire L’Internationale communiste. Préparée par tout le développement historique, la société communiste est l’unique issue pour l’humanité. Seule elle détruira les contradictions du système capitaliste qui menacent l’humanité de dégénérescence et la poussent à sa perte.
La société communiste abolira la division de la société en classes ; en d’autres termes, elle supprimera, en même temps que l’anarchie de la production, tous les aspects et toutes les formes d’exploitation et d’oppression de l’homme par l’homme. Il n’y aura plus de classes en lutte, mais les membres d’une seule et même association mondiale de travail. Pour la première fois dans l’histoire, l’humanité prendra son sort dans ses propres mains. Au lieu de détruire un nombre incalculable de vies humaines et de richesses immenses dans des luttes de classes et de peuples, l’humanité portera toute son énergie dans la lutte contre les forces de la nature, pour développer et accroître sa propre puissance collective.
La propriété privée des moyens de production abolie et transformée en propriété collective, le système communiste mondial substitue aux lois élémentaires du marché mondial et de la concurrence, au procès aveugle de la production sociale, l’organisation consciente et concertée - sur un plan d’ensemble - tendant à satisfaire les besoins rapidement croissants de la société. Les crises dévastatrices et les guerres plus dévastatrices encore disparaîtront avec l’anarchie de la production et de la concurrence. Au gaspillage formidable des forces productives, au développement convulsif de la société, le communisme oppose l’emploi systématique de toutes les ressources matérielles de la société et une évolution économique indolore basés sur le développement illimité, harmonieux et rapide des forces productives.
L’abolition des classes et de la propriété privée supprime l’exploitation de l’homme par l’homme. Le travail cesse d’être accompli au profit de l’ennemi de classe et de n’être qu’un moyen d’existence, il se transforme en un besoin primordial et vital ; la pauvreté, l’inégalité économique, la misère des classes asservies, le niveau misérable de la vie matérielle, en général, s’évanouissent ; la hiérarchie des hommes dans la division du travail et la contradiction entre le travail intellectuel et le travail physique disparaissent, comme aussi toutes les traces de l’inégalité sociale des sexes. Les organismes de la domination de classe, le pouvoir de l’État, en premier lieu, disparaissent en même temps. Incarnation de la domination de classe, l’État se meurt à mesure que disparaissent les classes et toutes les formes de contrainte.
La disparition des classes est accompagnée de l’abolition de tout monopole de l’instruction. La culture devient le patrimoine de tous et les idéologies de classes d’antan cèdent la place à une conception matérialiste scientifique du monde. Toute domination de l’homme par l’homme devient dès lors impossible ; un champ illimité s’ouvre à la sélection sociale, au développement harmonieux de toutes les facultés de l’humanité.
L’essor des forces productives ne se heurte plus à aucune borne sociale. La propriété privée des moyens de production, l’esprit de lucre, l’ignorance artificiellement entretenue dans les masses, leur pauvreté, obstacle au progrès technique de la société capitaliste, les dépenses improductives énormes, tout cela n’existe plus dans la société communiste. Utilisation aussi rationnelle que possible des forces de la nature et des conditions naturelles de la production dans les diverses parties du monde, abolition de la contradiction entre les villes et les campagnes (contradiction qui tient au regard systématique de l’agriculture sur l’industrie et au niveau inférieur de sa technique), union intime de la science et de la technique, des recherches et de leurs applications pratiques dans la plus large mesure sociale, organisation rationnelle du travail scientifique, emploi des méthodes les plus perfectionnées de statistique et de régularisation de l’économie selon un plan d’ensemble, accroissement rapide des besoins sociaux, puissants moteurs animant tout le système, tout cela assure le maximum de rendement au travail collectif et libère, à son tour, l’énergie humaine pour le plus grand essor de la science et des arts.
Le développement des forces productives de la société communiste mondiale permet d’élever le bien-être de l’humanité entière, de réduire au minimum le temps consacré à la production matérielle et détermine ainsi un épanouissement de la culture, inconnu de l’histoire. Cette nouvelle culture de l’humanité, unifiée pour la première fois - toutes les frontières d’État étant détruites - reposera, contrairement à la culture capitaliste, sur des relations claires et lucides entre les hommes. Aussi enterrera-t-elle à jamais toute mystique, toute religion, tout préjugé, toute superstition et donnera-t-elle une puissante impulsion au développement de la connaissance scientifique qui ne connaîtra point d’obstacles.
Cette phase supérieure du communisme, dans laquelle la société communiste se sera développée sur sa propre base, où le développement harmonieux des hommes s’accompagnera d’une croissance prodigieuse des forces productives, où la société aura inscrit sur son drapeau : ´De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !ª - suppose en tant que condition historique préalable une phase inférieure de son évolution, le socialisme. La société communiste ne fait ici que sortir de la société capitaliste ; elle en sort recouverte à tous égards dans la vie économique, morale, intellectuelle, des tares de la vieille société dont elle est née ; Les forces productives du socialisme ne sont pas encore suffisamment développées pour assurer la répartition des produits du travail selon les besoins ; ils sont répartis selon le travail. La division du travail, c’est-à-dire l’attribution de certaines fonctions spéciales à des groupes déterminés de personnes, subsiste encore ; l’opposition entre le travail intellectuel et le travail physique en particulier n’est pas encore radicalement supprimée. Malgré l’abolition des classes, des vestiges de l’ancienne division de la société subsistent et, partant, des vestiges du pouvoir, de la contrainte, du droit.
Il existe encore des survivances attardées de l’inégalité. La contradiction entre la ville et la campagne n’est ni abrogée, ni entièrement disparue.
Mais aucune force sociale ne soutient ni ne défend ces vestiges de l’ancienne société. Liés à un niveau déterminé du développement des forces productives, ils disparaissent graduellement à mesure que l’humanité, libérée des chaînes du régime capitaliste, maîtrise rapidement les forces de la nature, se rééduque dans l’esprit du communisme et passe du socialisme au communisme intégral.
La période de transition du capitalisme au socialisme et la dictature du prolétariat
La période de transition et la conquête du pouvoir par le prolétariat
Entre la société capitaliste et la société communiste s’étend une période de transformation révolutionnaire à laquelle correspond une période de transition politique durant laquelle l’État ne peut être qu’une dictature révolutionnaire du prolétariat. La transition de la dictature mondiale de l’impérialisme à la dictature mondiale du prolétariat embrasse une longue période de luttes, de revers et de victoires du prolétariat, une période de crise continue du système capitaliste et de croissance des révolutions socialistes, c’est-à-dire de guerres civiles du prolétariat contre la bourgeoisie, période de guerres nationales et de soulèvements coloniaux qui, tout en n’étant pas eux-mêmes des mouvements socialistes du prolétariat révolutionnaire, deviennent objectivement, parce qu’ils ébranlent la domination impérialiste, parties intégrantes de la révolution prolétarienne mondiale ; période qui comprend la coexistence, au sein de l’économie mondiale, des systèmes sociaux et économiques capitaliste et socialiste avec leurs rapports ’pacifiques’ et leurs luttes armées, période de formation d’unions d’États soviétiques socialistes et période de guerres des États impérialistes contre elles ; période de liaison toujours plus étroite entre les États soviétiques et les peuples coloniaux, etc.
L’inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Cette inégalité s’accentue et s’aggrave à l’époque impérialiste. Il en résulte que la révolution prolétarienne internationale ne peut être considérée comme une action unique, simultanée et universelle.
La victoire du socialisme est donc possible, au début dans quelques pays capitalistes, voire même dans un seul isolément. Mais chaque victoire du prolétariat élargit la base de la révolution mondiale et aggrave, par conséquent, la crise générale du capitalisme. L’ensemble du système capitaliste s’achemine ainsi à sa faillite définitive. La dictature du capital financier succombe, cédant la place à la dictature du prolétariat.
Les révolutions bourgeoises consistaient dans la libération politique d’un système de rapports de production déjà dominant dans l’économie et le passage du pouvoir d’une classe d’exploiteurs à une autre. La révolution prolétarienne signifie, par contre, l’intervention violente du prolétariat dans le régime de propriété de la société bourgeoise, l’expropriation des classes exploiteuses et le passage du pouvoir à une classe qui se donne pour tâche fondamentale la refonte totale de la base économique de la société et la destruction de toute exploitation de l’homme par l’homme. Mais, si les révolutions bourgeoises ont mis des siècles à abolir la domination politique de la noblesse féodale dans le monde entier, brisant cette domination par des révolutions successives, la révolution prolétarienne internationale, quoiqu’elle ne soit pas un acte unique et qu’elle s’étende sur toute une époque, pourra, grâce à la liaison plus étroite entre les pays, accomplir plus rapidement sa tâche. Ce n’est qu’après la victoire complète du prolétariat dans le monde et l’affermissement de son pouvoir mondial que s’ouvrira une longue époque d’intense édification de l’économie socialiste mondiale.
La conquête du pouvoir par le prolétariat est la condition préliminaire de la croissance des forces socialistes de l’économie et de l’essor culturel du prolétariat qui, se transformant consciemment lui-même, devient le dirigeant de la société dans tous les domaines de la vie, entraîne dans ce procès de refonte les autres classes et crée, par là même, un terrain favorable à la disparition des classes.
Dans la lutte pour la dictature du prolétariat et pour la transformation ultérieure du régime social, l’union des ouvriers et paysans, base de la dictature du prolétariat réalisée sous l’hégémonie idéologique et politique des prolétaires, s’organise en face du bloc des propriétaires fonciers et des capitalistes.
La période de transition est, dans son ensemble, caractérisée par l’implacable répression de la résistance des exploiteurs, par l’organisation de l’édification socialiste, par la rééducation en masse des hommes dans l’esprit du socialisme et par la destruction progressive des classes sociales. Ce n’est qu’en accomplissant ces grandes tâches historiques que la société de la période de transition commence à se transformer en société communiste.
Ainsi, la dictature du prolétariat mondial est la condition préalable et nécessaire du passage de l’économie capitaliste mondiale à l’économie socialiste. Cette dictature ne peut s’instituer que par la victoire du socialisme dans différents pays ou groupes de pays, les nouvelles Républiques prolétariennes s’unissant par des liens fédératifs à leurs devancières et le réseau de ces unions fédératives s’élargissant et comprenant les colonies affranchies du joug de l’impérialisme, pour constituer finalement l’Union des Républiques socialistes soviétiques du monde et réaliser l’unification de l’humanité sous l’hégémonie internationale du prolétariat organisé en État.
La conquête du pouvoir par le prolétariat n’est pas une "conquête" pacifique de la machine toute prête de l’État bourgeois par une majorité parlementaire. La bourgeoisie use de tous les moyens de contrainte et de terreur pour défendre et affermir sa propriété conquise par le pillage et sa domination politique. Comme la noblesse féodale autrefois, elle ne peut céder sa place historique à une classe nouvelle sans lui opposer une résistance acharnée et désespérée. La violence de la bourgeoisie ne peut donc être brisée que par la violence implacable du prolétariat. La conquête du pouvoir par le prolétariat, c’est l’abolition violente du pouvoir de la bourgeoisie, la destruction de l’appareil d’État capitaliste (armée bourgeoise, police, hiérarchie bureaucratique, tribunaux, Parlement, etc.) remplacé par les nouveaux organes du pouvoir prolétarien qui sont, avant tout, des instruments de répression destinés à briser la résistance des exploiteurs.
La dictature du prolétariat et sa forme soviétique
Comme l’a démontré l’expérience de la révolution russe d’octobre 1917 et de la révolution hongroise, qui ont infiniment élargi l’expérience de la Commune de Paris de 1871, la forme du pouvoir prolétarien qui répond le mieux au but est le nouveau type d’État différent, en principe, de l’État bourgeois, non seulement par son essence de classe, mais encore par sa structure interne : l’État soviétique. Ce type d’État qui surgit directement du grand mouvement des masses leur assure le maximum d’activité et offre, par conséquent, le plus de garanties d’une victoire définitive.
L’État du type soviétique qui réalise la forme supérieure de la démocratie, la démocratie prolétarienne, s’oppose nettement à la démocratie bourgeoise, forme voilée de la dictature de la bourgeoise. L’État soviétique c’est la dictature du prolétariat, la classe ouvrière détenant le monopole du pouvoir. Au contraire de la démocratie bourgeoise, il proclame hautement son esprit de classe et se donne ouvertement pour tâche de réprimer la résistance des exploiteurs dans l’intérêt de l’immense majorité de la population. Il prive de droits politiques ses ennemis de classe et peut, dans des conditions historiques particulières, donner au prolétariat des privilèges temporaires afin de l’affermir dans son rôle dirigeant à l’égard de la paysannerie petite-bourgeoise infiniment disséminée. Désarmant ses ennemis de classe et brisant leur résistance, il considère la suppression de leurs droits politiques et une certaine limitation de leur liberté, comme des mesures temporaires destinées à combattre les tentatives des exploiteurs de défendre ou de rétablir leurs privilèges. Il écrit sur son drapeau que le prolétariat détient le pouvoir non pour le perpétuer, non pour en user dans ses intérêts étroitement corporatifs et professionnels, mais afin de grouper de plus en plus les masses arriérées et disséminées du prolétariat et du semi-prolétariat des campagnes et d’unir les paysans travailleurs aux ouvriers les plus avancés, en éliminant progressivement et systématiquement toute division de la société en classes.
Forme d’unification et d’organisation universelle des masses sous la direction du prolétariat, les Soviets entraînent en fait les masses les plus grandes des ouvriers, des paysans et de tous les travailleurs dans la lutte, dans l’édification du socialisme et dans la gestion de l’État. Ils s’appuient dans tout leur travail sur les organisations de masse de la classe ouvrière et réalisent une large démocratie parmi les travailleurs ; ils sont plus près des masses que n’importe quelle autre forme du pouvoir.
Le droit de procéder à de nouvelles élections et de révoquer les mandataires, l’union du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, les élections sur la base des entreprises (usines, ateliers, etc.) et non de circonscriptions territoriales, sont autant de facteurs qui assurent au prolétariat et aux grandes masses de travailleurs soumises à son influence une participation systématique constante et active à toutes les affaires publiques économiques, politiques, militaires et culturelles. Ils établissent, de ce fait, une profonde ligne de démarcation entre la République parlementaire bourgeoise et la dictature soviétique du prolétariat.
La démocratie bourgeoise repose, avec son égalité purement formelle des citoyens devant la loi, sur une inégalité flagrante des classes dans le domaine matériel et économique. Dépendant et affermissant la possession exclusive et considérée comme intangible des moyens de production essentiels par la classe capitaliste et les grands propriétaires fonciers, la démocratie bourgeoise transforme par là même, pour les classes exploitées, et en premier lieu pour le prolétariat, l’égalité purement formelle devant la loi, les droits et les libertés démocratiques, d’ailleurs systématiquement limités dans la pratique, en une fiction juridique, et par conséquent, en un instrument de duperie et d’asservissement des masses. La prétendue démocratie exprime la domination politique de la bourgeoisie, elle est pour cette raison une démocratie capitaliste. L’État soviétique, en privant la classe exploiteuse des moyens de production qu’il monopolise entre les mains du prolétariat, classe dirigeante, garantit avant tout et surtout les conditions matérielles de réalisation des droits de la classe ouvrière et des travailleurs en général, la possession par celle-ci des immeubles et des édifices publics, des imprimeries, des moyens de locomotion, etc.
Dans le domaine des droits politiques et généraux, l’État soviétique, en privant de ces droits les ennemis du peuple et les exploiteurs, détruit pour la première fois, complètement, l’inégalité des citoyens, fondée, dans les régimes d’exploitation, sur les différences de sexe, de religion, de nationalité ; il établit dans ce domaine une égalité qui n’existe dans aucun pays bourgeois ; la dictature du prolétariat bâtit inflexiblement la base matérielle sur laquelle se réalise cette égalité. Telles sont les mesures d’émancipation de la femme, d’industrialisation des anciennes colonies, etc.
La démocratie soviétique est ainsi une démocratie prolétarienne, une démocratie des masses laborieuses, une démocratie dirigée contre les exploiteurs.
L’État soviétique désarme entièrement la bourgeoisie et concentre toutes les armes dans les mains du prolétariat ; c’est l’État du prolétariat armé. L’organisation des forces armées y repose sur le principe de classe, dont s’inspire tout le régime de la dictature du prolétariat ; il assure le rôle dirigeant au prolétariat industriel. Cette organisation, étayée par la discipline révolutionnaire, établit en même temps que la participation des soldats de l’Armée rouge et des marins de la Flotte rouge à l’administration du pays et à l’édification du socialisme, leur liaison étroite et constante avec les masses laborieuses.
La dictature du prolétariat et l’expropriation des expropriateurs
Le prolétariat victorieux use du pouvoir conquis comme d’un instrument de révolution économique c’est-à-dire pour la transformation révolutionnaire du régime de propriété capitaliste en un régime de production socialiste. Le point de départ de cette profonde révolution économique est dans l’expropriation des gros propriétaires fonciers et des capitalistes c’est-à-dire dans la transformation de la propriété monopoliste de la bourgeoisie en propriété de l’État prolétarien.
L’Internationale communiste assigne dans ce domaine à la dictature du prolétariat les tâches fondamentales suivantes :
Industrie, transports, P.T.T.
Confiscation et nationalisation prolétarienne de toutes les grandes entreprises industrielles (fabriques, usines, mines, centrales électriques) appartenant au capital privé ; transfert aux Soviets de toutes les entreprises de l’État et des municipalités ;
Confiscation et nationalisation prolétarienne des transports ferroviaires, automobiles et fluviaux, appartenant au capital privé, des transports aériens (flotte aérienne de commerce et de voyage) ; transfert aux Soviets de tous les moyens de transport appartenant à l’État et aux municipalités ;
Confiscation et nationalisation prolétarienne des services de liaison appartenant au capital privé (télégraphe, téléphone, radio) ; transfert aux Soviets de tous ces services appartenant à l’État, aux municipalités, etc. ;
Organisation de la gestion ouvrière de l’industrie. Création d’organismes gouvernementaux de gestion avec participation directe des syndicats, un rôle correspondant étant assuré aux comités d’usines, de fabriques, etc. ;
Adaptation de l’activité industrielle aux besoins des grandes masses des travailleurs. Réorganisation des branches d’industrie qui produisaient pour la consommation des anciennes classes dirigeants (articles de luxe, etc.).
Renforcement des branches d’industrie favorisant l’essor de l’agriculture, afin d’affermir la liaison avec l’économie rurale, d’assurer le progrès des domaines agricoles de l’État, et d’accélérer le développement de l’économie nationale en général.
Agriculture
Confiscation et nationalisation prolétarienne de la grande propriété foncière dans les villes et dans les campagnes (propriétés privées, propriétés de l’Église, couvents, etc. ) ; transfert aux Soviets des propriétés foncières de l’État et des municipalités, y compris les forêts, le sous-sol, les eaux, etc. ; nationalisation ultérieure de tout le sol ;
Confiscation de tous les biens constituant l’outillage des grandes propriétés foncières (bâtiments, outillage et matériel divers, bétail, entreprises de transformation des produits agricoles, grandes minoteries, fromageries, laiteries, sécheries, etc.) ;
Transfert des grands domaines, et, plus particulièrement de ceux qui ont une grande importance économique ou peuvent servir d’entreprises modèles, aux organismes de la dictature du prolétariat ; organisation de domaines agricoles soviétiques ;
Remise d’une partie des anciennes propriétés foncières et d’autres terres confisquées, — notamment de celles qui étaient affermées par les paysans et servaient à les asservir économiquement, — en jouissance aux paysans (aux paysans pauvres et à une partie des paysans moyens). La part des terres transmises aux paysans est déterminée par les besoins économiques et par la nécessité de neutraliser les paysans et de les rallier au prolétariat ; elle varie donc selon les conditions ;
Interdiction de la vente et de l’achat des terres, afin de conserver la terre aux paysans et d’empêcher qu’elle ne passe aux capitalistes, spéculateurs, etc. ; répression énergique de toute infraction à cette loi ;
Lutte contre l’usure. Annulation des contrats d’asservissement. Annulation des dettes des paysans exploités. Exemption des paysans les plus pauvres de l’impôt, etc. ;
Larges mesures d’ensemble, de la part de l’État, pour élever les forces productives de l’agriculture ; développement de l’électrification des campagnes, de la fabrication des tracteurs, de la production des engrais chimiques et des semences sélectionnées, élevage du bétail de race dans les domaines soviétiques, ample organisation du crédit agricole pour l’amélioration du sol, etc. ;
Appui général et financier à la coopération agricole et à toutes les formes de production collective dans les campagnes (associations, communes, etc.). Propagande systématique de la coopération paysanne (coopérative de vente, d’approvisionnement, de crédit) sur la base de l’initiative et de l’activité des masses paysannes : propagande en faveur du passage à la grande production agraire, qui, par son incontestable supériorité technique et économique et par ses grands avantages économiques immédiats, constitue le moyen de transition au socialisme le plus accessible aux grandes masses des paysans travailleurs.
Commerce et crédit
Nationalisation prolétarienne des banques privées (remise à l’État prolétarien de toutes les réserves d’or, valeurs, dépôts, etc.) et transfert à l’État prolétarien des banques nationales, municipales, etc. ;
Centralisation de toutes les opérations bancaires et subordination de toutes les grandes banques nationalisées à la Banque centrale de l’État ; c) Nationalisation et transfert aux organismes de l’État soviétique du commerce de gros et des grandes entreprises commerciales de détail (entrepôts, élévateurs, magasins, stocks de marchandises, etc.) ;
Encouragement par tous les moyens de la coopération de consommation considérée comme une partie intégrante extrêmement importante de l’appareil de répartition ; unification du système de travail de la coopération et participation active des masses à son édification ;
Monopole du commerce extérieur ;
Annulation des dettes de l’État envers les capitalistes étrangers et nationaux.
Protection du travail, conditions de vie des travailleurs, etc.
Réduction de la journée de travail à sept heures — six heures dans les industries insalubres. Réduction ultérieure de la journée de travail et passage à la semaine de cinq jours, dans les pays à production développée. Journée de travail correspondant à l’augmentation du rendement du travail ;
Interdiction, en règle générale, du travail des femmes la nuit et dans les industries insalubres. Interdiction du travail des enfants. Interdiction des heures supplémentaires ;
Réduction de la journée de travail des jeunes (journée de six heures au maximum pour les adolescents jusqu’à 18 ans). Réorganisation socialiste du travail des jeunes, combinant la production matérielle avec l’instruction générale et politique ;
Assurances sociales de toutes formes (invalidité, vieillesse, accidents, chômage, etc.) aux frais de l’État (aux frais du patronat, dans la mesure où subsistent les entreprises privées) et gérées d’une façon complètement autonome par les assurés ;
Larges mesures d’hygiène sociale, assistance médicale gratuite, lutte contre les maladies sociales (alcoolisme, maladies vénériennes, tuberculose) ;
Égalité sociale des sexes devant la loi et dans les mœurs, transformation radicale de la législation du mariage et de la famille, reconnaissance de la maternité comme fonction sociale, protection de la maternité et de l’enfance. Premières mesures tendant à l’entretien et à l’éducation des enfants et de la jeunesse par la société (crèches, jardins et maisons d’enfants, etc.). Création d’institutions permettant de réduire progressivement le travail domestique (restaurants et lavoirs publics), lutte systématique, dans le domaine de la culture générale, contre l’idéologie et les traditions qui asservissent la femme.
Habitation
Confiscation de la grande propriété immobilière ;
Transfert des immeubles confisqués aux Soviets locaux qui en assureront la gestion ;
Installation des ouvriers dans les quartiers bourgeois ;
Mise à la disposition des organisations ouvrières des palais et des édifices privés et publics importants ;
Réalisation d’un large programme de construction d’habitations.
Questions nationale et coloniale
Reconnaissance pour toutes les nationalités, sans distinction de race, du droit de disposer librement d’elles-mêmes jusqu’à former des États indépendants ;
Unification et centralisation volontaires des forces militaires et économiques de tous les peuples affranchis du capitalisme pour la lutte contre l’impérialisme et l’édification de l’économie socialiste ;
Lutte énergique, par tous les moyens, contre toute restriction ou limitation des droits d’un peuple, d’une nationalité ou d’une race, quels qu’ils soient. Égalité complète des nations et des races ;
Garantie de développement et soutien par toutes les forces et tous les moyens de l’État soviétique, de la culture nationale des nations affranchies du capitalisme, poursuite d’une politique prolétarienne persévérante dans le développement du contenu de ces cultures ;
Large assistance au développement économique, politique et culturel des ’régions’ et des ’colonies’ précédemment opprimées, afin d’y constituer les bases solides d’une égalité nationale effective et complète ;
Lutte contre toutes les survivances du chauvinisme, des haines nationales, des préjugés de race et de tous les autres produits de la barbarie féodale et capitaliste.
Moyens d’influence idéologique
Nationalisation des imprimeries ;
Monopolisation des journaux et des éditions ;
Nationalisation des grandes entreprises de cinéma, des théâtres, etc. ;
Utilisation des moyens nationalisés de ’production intellectuelle à des fins de large instruction politique et générale des travailleurs et d’édification d’une nouvelle culture socialiste sur une base prolétarienne de classe.
Les bases de la politique économique de la dictature du prolétariat
Il est nécessaire de prendre en considération les règles suivantes dans l’accomplissement de ces diverses tâches de la dictature du prolétariat :
1. L’abolition complète de la propriété privée du sol et sa nationalisation ne peuvent avoir lieu immédiatement dans les pays capitalistes les plus avancés où le principe de la propriété privée est profondément enraciné dans les grandes masses paysannes. La nationalisation du sol ne peut être réalisée dans ces pays que progressivement, par diverses mesures transitoires.
2. La nationalisation de la production ne doit pas s’étendre, en règle générale, aux petites et moyennes entreprises (de paysans, d’artisans, de petits et moyens commerçants, etc.).
Premièrement, parce que le prolétariat doit établir une distinction rigoureuse entre la propriété du simple producteur de marchandises, fondée sur son travail même et qu’il est possible et nécessaire de faire entrer peu à peu dans la voie de l’édification socialiste, et la propriété du capitaliste, exploiteur d’autrui, dont la liquidation est la condition indispensable de toute édification du socialisme.
Deuxièmement, parce que le prolétariat, arrivé au pouvoir, n’a pas assez de forces organisatrices, surtout pendant les première phases de la dictature, pour détruire le capitalisme et organiser en même temps la liaison des unités individuelles de production — petites et moyennes — sur une nouvelle base socialiste ; ces petites exploitations individuelles (les exploitations paysannes avant tout) ne seront entraînées que peu à peu dans la voie de l’organisation socialiste générale de la production et de la répartition, grâce à l’appui systématique et puissant que l’État prolétarien prêtera à toutes les forces de leur collectivisation. Tout essai de transformation de leur régime économique par contrainte, toute collectivisation forcée ne donneraient que des résultats négatifs.
3. L’existence d’un grand nombre de petites unités de production (en premier lieu, d’exploitations paysannes, de fermes, d’ateliers d’artisans, de fonds de petits commerçants, etc.), non seulement dans les colonies, les semi-colonies et les pays économiquement arriérés où les masses petites-bourgeoises forment l’énorme majorité de la population, mais encore dans les centres de l’économie capitaliste mondiale (les États-Unis, l’Allemagne et, jusqu’à un certain point, l’Angleterre), rendent, dans une certaine mesure, nécessaire au premier degré du développement le maintien du marché comme forme de liaison économique, le maintien du système monétaire, etc. La diversité des types économiques (de la grande industrie socialisée à la petite production artisanale et paysanne) qui ne peut manquer d’être accompagnée de leur lutte, la diversité des classes et des groupements de classe qui leur correspondent, qui ont des stimulants économiques différents dans leur activité et qui luttent pour leurs intérêts économiques, enfin l’existence, dans tous les domaines de la vie économique, de coutumes et de traditions héritées de la société bourgeoise qui ne peuvent disparaître d’emblée, — exigent que la direction économique du prolétariat combine dans de justes proportions, sur la base du marché, la grande industrie socialiste et la petite exploitation des simples producteurs de marchandises, réalise, en d’autres termes, une combinaison susceptible d’assurer en même temps le rôle dirigeant de l’industrie socialiste et l’essor maximum de la masse principale des exploitations paysannes. Plus est grande dans l’ensemble de l’économie nationale l’importance du travail des petits paysans disséminés, plus aussi est grand le rôle du marché, moindre est l’importance de la gestion directe d’après un plan établi, plus le plan d’ensemble de l’économie dépend de la prévision des rapports économiques spontanés.
Inversement, moindre est le poids de la petite économie dans l’économie nationale, plus importante la part du travail socialisé, plus puissante la masse des moyens de production concentrés et socialisés, et moindre est l’étendue du marché, plus s’accroît l’importance du plan d’ensemble à l’égard du jeu spontané des lois de l’échange, et plus les méthodes de gestion directe de la production et de la répartition conformément à un plan établi sont importantes et universellement applicables.
Les avantages techniques et économiques de la grande industrie socialisée, la centralisation par l’État prolétarien de tous les leviers de commande de l’économie (industrie, transports, grandes exploitations agricoles, banques, etc.), la gestion de l’économie selon un plan, la puissance de l’État dans son ensemble (budget, impôts, législation administrative et législation générale) conduisent, à condition que la dictature du prolétariat suive une politique juste, — qu’elle tienne, en d’autres termes, un compte exact des rapports des forces sociales — à l’élimination constante et systématique des vestiges du capital privé et des nouveaux éléments capitalistes qui, dans les villes comme les campagnes (paysans riches, koulaks), naissent du développement de la simple production marchande dans les conditions créées par une liberté de commerce plus ou moins grande et par le marché. La masse principale des exploitations paysannes (c’est-à-dire les petites et les moyennes exploitations) sont, d’autre part, systématiquement incorporées par la coopération et l’extension des formes collectives de l’agriculture au système général du socialisme en voie de développement. Les formes et les méthodes d’activité économique, d’apparence capitaliste, liées aux rapports économiques du marché (calcul de la valeur, rétribution du travail en argent, achat et vente, crédits et banques, etc.) jouent, dans la mesure où elles desservent de plus en plus les entreprises de type socialiste conséquent, c’est-à-dire le secteur socialiste de l’économie, le rôle de leviers du socialisme.
Ainsi, les rapports économiques du marché portent - la dictature du prolétariat et une politique juste de l’État soviétique étant données - dans leur développement les germes de leur propre destruction : en contribuant à l’élimination du capital privé, à la transformation de l’économie rurale, à la centralisation et à la concentration des moyens de production aux mains de l’État prolétarien, ils facilitent l’élimination des rapports économiques du marché.
Au cas probable d’une intervention militaire des capitalistes et d’une guerre contre-révolutionnaire de longue durée contre la dictature du prolétariat, la direction économique devra s’inspirer, avant tout, des intérêts de la défense de la dictature du prolétariat ; la nécessité peut s’imposer d’une politique communiste économique de guerre (communisme de guerre) qui n’est autre que l’organisation rationnelle de la consommation en vue de la défense, accompagnée d’une pression accrue sur les éléments capitalistes (confiscations, réquisitions, etc.), d’une abrogation plus ou moins complète de la liberté du commerce et des rapports du marché et d’un bouleversement profond des stimulants individuels de la petite production, toutes choses liées à une baisse des forces productives du pays. Cette politique de ’communisme de guerre’, sapant la base matérielle des ennemis de la classe ouvrière à l’intérieur du pays, assurant la répartition rationnelle des stocks existants, secondant la défense armée de la dictature du prolétariat et trouvant en cela sa justification historique, ne peut être considérée comme un système ’normal’ de politique économique de la dictature du prolétariat.
La dictature du prolétariat et les classes sociales
La dictature du prolétariat continue la lutte de classes dans de nouvelles conditions. C’est une lutte tenace, sanglante et sans effusion de sang, violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les forces et les traditions de l’ancienne société, contre les capitalistes de l’extérieur, contre les débris des classes exploiteuses à l’intérieur du pays, contre les pousses d’une bourgeoisie nouvelle naissant de la production marchande pas encore éliminée.
Dans la période de liquidation de la guerre civile, la lutte de classes opiniâtre continue sous des formes nouvelles et, avant tout, sous la forme de la lutte entre les vestiges et les nouvelles pousses des vieux systèmes économiques d’une part, et les formes socialistes de l’économie de l’autre.
Les formes mêmes de cette lutte se modifient aux différentes étapes du développement socialiste, au début duquel elles peuvent revêtir une certaine âpreté.
Au début de la dictature prolétarienne, la politique du prolétariat à l’égard des autres classes et groupes sociaux de pays est déterminée par les principes suivants :
1. La grande bourgeoisie et les grands propriétaires fonciers, les officiers de carrière dévoués à ces classes, les généraux et la haute bureaucratie sont les ennemis irréductibles de la classe ouvrière ; contre eux la lutte la plus implacable. L’utilisation des capacités d’organisation d’une certaine partie d’entre eux n’est possible, en règle générale, qu’après l’affermissement de la dictature du prolétariat et la répression décisive de tous les complots et soulèvements des exploiteurs.
2. En ce qui concerne les intellectuels-techniciens éduqués dans les traditions bourgeoises, et dont les couches supérieures sont étroitement attachées aux postes de commande du capital, le prolétariat, tout en réprimant avec la dernière énergie toute velléité de mouvement contre-révolutionnaire des intellectuels hostiles, doit tenir compte de la nécessité d’utiliser cette force sociale qualifiée dans l’œuvre d’édification socialiste et encourager par tous les moyens les neutres et plus encore ceux qui sympathisent avec la révolution ouvrière. Le prolétariat, développant les perspectives de l’édification économique, technique et culturelle du socialisme dans toute leur ampleur, s’efforce de conquérir systématiquement les intellectuels-techniciens, de les soumettre à son influence idéologique et de s’assurer leur étroite collaboration dans l’œuvre de transformation sociale.
3. La tâche du Parti communiste à l’égard des paysans consiste à gagner à sa cause, en s’appuyant sur le prolétariat rural, toutes les populations exploitées et laborieuses des campagnes. Établissant une distinction entre les diverses couches paysannes et tenant compte de leur importance respective, le prolétariat victorieux doit soutenir par tous les moyens les paysans pauvres et les semi-prolétaires des campagnes, leur remettre une partie des terres des grands propriétaires fonciers, faciliter leur lutte contre le capital usurier, etc. Le prolétariat doit, en outre, neutraliser les paysans moyens et réprimer toute résistance de la bourgeoisie rurale alliée aux propriétaires fonciers. Le prolétariat doit passer, dans la mesure où il affermit sa dictature et développe l’édification socialiste, d’une politique de neutralisation de la masse des paysans moyens à une politique d’alliance durable avec elle, sans toutefois admettre aucun partage du pouvoir. Car la dictature du prolétariat exprime le fait que seuls les ouvriers industriels sont en mesure de diriger l’ensemble des travailleurs ; monopole prolétarien du pouvoir, elle est, d’autre part, une forme particulière de l’alliance du prolétariat, avant-garde des travailleurs, et de nombreuses catégories non prolétariennes de travailleurs, contre le Capital pour consommer son renversement définitif, pour réprimer à fond la résistance et les tentatives de restauration de la bourgeoisie et pour instaurer et affermir le socialisme.
4. La petite bourgeoisie des villes, oscillant sans cesse entre la réaction la plus noire et la sympathie pour le prolétariat, doit également être neutralisée et, autant que possible, conquise par le prolétariat. On atteint ce but en lui conservant sa petite propriété et une certaine liberté de transactions économiques, et la libérant du joug du crédit usuraire, et en lui assurant l’aide multiple du prolétariat dans la lutte contre toutes les formes de l’oppression capitaliste.
Les organisations de masses dans le système de la dictature du prolétariat
Les objectifs et les fonctions des organisations de masses — et en premier lieu des organisations ouvrières — changent radicalement dans l’accomplissement de toutes ces tâches de la dictature prolétarienne. Les syndicats, organisations ouvrières de masses dans lesquelles s’organisent et s’éduquent pour la première fois les couches les plus étendues du prolétariat, sont, en régime capitaliste, le principal instrument de la lutte par la grève, puis de l’action de masses contre le capital trusté et son État. Ils se transforment sous la dictature prolétarienne en levier essentiel de la dictature, en une école du communisme qui entraîne les grandes masses du prolétariat dans l’œuvre de gestion socialiste de l’industrie, en organisations directement liées à tous les organes de l’État, agissant sur toutes les branches de son activité, veillant à la fois aux intérêts permanents et immédiats de la classe ouvrière et combattant les déformations bureaucratiques des organes de l’État soviétique. Les syndicats fournissent les cadres dirigeants de l’édification, entraînent dans ce travail les grandes couches du prolétariat et luttent contre les déformations bureaucratiques qui naissent fatalement de l’influence des classes étrangères au prolétariat et de l’insuffisante culture de masses, ils forment ainsi l’ossature des organisations économiques et sociales du prolétariat.
Les coopératives ouvrières sont, en dépit des utopies réformistes, condamnées en régime capitaliste à un rôle relativement modeste. Sous l’empire des conditions générales du système capitaliste et de la politique réformiste de leurs dirigeants, elles dégénèrent fréquemment en appendice du régime ; sous la dictature prolétarienne, elles peuvent devenir et deviendront les parties constitutives essentielles de l’appareil de répartition.
Enfin, la coopération agricole des paysans (coopératives de vente, d’achat, de crédit, de production) peut et doit — si elle est bien dirigée, si elle combat systématiquement les éléments capitalistes et s’assure la participation effective de la grande masse des paysans travailleurs appuyant le prolétariat — devenir l’une des formes d’organisation fondamentales reliant la ville à la campagne. Les sociétés coopératives formées par les paysans et qui — dans la mesure où elles sont viables — se transforment fatalement, pour la plupart, dans les conditions capitalistes, en entreprises capitalistes (placées sous la dépendance de l’industrie capitaliste, des banques capitalistes, du milieu économique capitaliste, en général, et dirigées par des réformistes, par la bourgeoisie rurale, et parfois même par des propriétaires fonciers) — se transforment, en régime de dictature prolétarienne, dans un tout autre sens ; elles dépendent de l’industrie prolétarienne, des banques prolétariennes, etc. Si le prolétariat suit une politique juste, si les éléments capitalistes sont systématiquement combattus dans la coopération comme au dehors, si l’industrie socialiste exerce son rôle dirigeant, la coopération agricole devient l’un des principaux leviers de la transformation socialiste des campagnes et de la collectivisation de l’agriculture. Les coopératives de consommation et, plus particulièrement, les coopératives agricoles dirigées par la bourgeoisie et par ses agents sociaux-démocrates, peuvent être néanmoins au début, dans certains pays, des foyers d’activité contre-révolutionnaire et de sabotage de l’édification économique de la révolution ouvrière.
Le prolétariat assure l’unité de volonté et d’action dans toute l’œuvre de lutte et d’édification de ses organisations les plus diverses appelées à constituer les leviers de l’État soviétique et à le rattacher aux grandes masses de toutes les couches de classe ouvrière par le rôle dirigeant du Parti communiste dans le système de la dictature prolétarienne.
Le Parti du prolétariat s’appuie directement sur les syndicats et sur les autres organisations englobant les masses ouvrières et, par leur intermédiaire, les paysans (Soviets, coopératives, Jeunesses communistes, etc.). Par ces leviers, il dirige l’ensemble du système. Le prolétariat ne pourra remplir son rôle d’organisateur de la société nouvelle que grâce à l’appui dévoué et absolu prêté au pouvoir des Soviets par toutes les organisations de masses animées d’une volonté de classe entièrement unanime dirigée par le Parti.
La dictature du prolétariat et la révolution culturelle
Ce rôle d’organisateur de la Société nouvelle suppose, dans le domaine de la culture générale, la maturation culturelle du prolétariat lui-même, une refonte de sa propre nature par ses propres efforts, la formation incessante, dans ses rangs, de nouveaux cadres de militants susceptibles d’acquérir toutes les ressources de la science, de la technique et de l’administration et de les mettre en oeuvre pour l’édification du socialisme et de la nouvelle culture socialiste.
Si la révolution bourgeoise, accomplie contre le féodalisme, supposait l’existence au sein même de l’ancien régime, d’une classe nouvelle supérieure, par sa maturité culturelle, à la classe dominante et exerçant déjà l’hégémonie dans la vie économique, la révolution prolétarienne se développe dans d’autres conditions. Exploitée dans l’ordre économique, opprimée dans l’ordre politique, accablée dans le domaine de la culture en régime capitaliste, la classe ouvrière ne se transforme elle-même que dans la période de transition, après avoir conquis le pouvoir, en détruisant le monopole bourgeois de l’instruction, en s’assimilant la science, en profitant des leçons de l’œuvre édificatrice la plus vaste. La formation d’une conscience communiste de masse et la réalisation du socialisme exigent une transformation des masses humaines qui n’est possible que par l’action pratique, par la révolution ; la révolution est donc nécessaire, non seulement parce que la classe dominante ne peut être renversée par aucun autre moyen, mais encore parce que la classe qui la renverse ne peut sortir des ornières boueuses de la vieille société et devenir capable de créer la société nouvelle que par la révolution.
La classe ouvrière, abolissant le monopole capitaliste des moyens de production, doit également abolir le monopole bourgeois de l’instruction, s’emparer en d’autres termes de toutes les écoles, y compris les écoles supérieures. La préparation, au sein de la classe ouvrière, de spécialistes de la production (ingénieurs, techniciens, organisateurs, etc.), de spécialistes militaires, de savants, d’artistes, etc., est pour la cause du prolétariat une tâche d’une importance particulière à laquelle il faut ajouter le développement général de la culture des masses prolétariennes, leur instruction politique, l’augmentation de leurs connaissances et de leur qualification technique, la création chez elles d’habitudes de travail social et administratif, la lutte contre les vestiges des préjugés bourgeois et petits-bourgeois, etc.
Ce n’est que dans la mesure où le prolétariat formera ses propres forces d’avant-garde pour les placer à tous les ’postes de commande’ de la culture et de l’édification socialiste, ce n’est que dans la mesure où ses forces grandiront entraînant sans cesse de nouveaux éléments de la classe ouvrière dans le procès de transformation révolutionnaire de la culture et supprimeront ainsi peu à peu au sein de la classe ouvrière même la division en éléments ’avancés’ et ’arriérés’, que le succès de l’édification victorieuse du socialisme sera assuré et garanti contre la gangrène bureaucratique et la dégénérescence de la classe ouvrière.
Mais le prolétariat transforme aussi au cours de la révolution les autres classes, les nombreux éléments de la petite bourgeoisie des villes et des campagnes, en premier lieu et plus particulièrement les paysans travailleurs. Faisant concourir les grandes masses à la révolution culturelle, les entraînant dans l’édification socialiste, les unissant et les éduquant dans l’esprit communiste par tous les moyens qui sont à sa disposition, luttant avec énergie contre toutes les idéologies antiprolétariennes et corporatives, combattant opiniâtrement et systématiquement l’obscurantisme des campagnes, la classe ouvrière prépare (sur la base du développement des formes collectives de l’économie) l’élimination de la division de la société en classes.
Parmi les objectifs de la révolution culturelle intéressant les plus grandes masses, la lutte contre la religion, cet opium des peuples, tient une place spéciale ; cette lutte doit être poursuivie inflexiblement et systématiquement. Le pouvoir prolétaire doit supprimer tout appui de l’État à l’Église, agent des classes dominantes, mettre un terme à toute intervention de l’Église dans l’éducation et l’enseignement organisés par l’État et réprimer sans merci l’activité contre-révolutionnaire des organisations ecclésiastiques. Le pouvoir prolétarien, admettant la liberté religieuse et abolissant les privilèges de la religion naguère dominante, entretient en même temps, par tous les moyens à sa portée, une active propagande antireligieuse et reconstruit tout l’enseignement et toute l’éducation sur la base de la conception scientifique matérialiste du monde.
La lutte pour la dictature mondiale du prolétariat et les principaux types de révolutions
La révolution prolétarienne internationale résulte de procès divers et non simultanés : révolutions prolétariennes proprement dites ; révolutions du type démocratique-bourgeois se transformant en révolutions prolétariennes ; guerres d’émancipation nationale, révolutions coloniales. Ce n’est qu’en fin de compte que le procès révolutionnaire aboutit à la dictature mondiale du prolétariat.
L’inégalité du développement capitaliste, accentuée dans la période impérialiste, cause la diversité des types de capitalisme de maturité inégale dans les divers pays et les conditions variées et spécifiques du procès révolutionnaire. Ces circonstances rendent historiquement inévitable la diversité des voies et de l’allure de la conquête du pouvoir par le prolétariat ; elles rendent nécessaires dans divers pays certaines étapes transitoires vers la dictature du prolétariat et la diversité des formes du socialisme en voie de construction.
La diversité des conditions et des voies qui conduisent à la dictature du prolétariat dans les différents pays peut être schématiquement réduite à trois types principaux.
Pays du capitalisme hautement développé (États-Unis, Allemagne, Angleterre, etc.) possédant de puissantes forces productives, une production fortement centralisée où la petite économie n’a qu’une importance relativement faible, jouissant d’un régime politique de démocratie bourgeoise formé depuis longtemps. Dans ces pays, le passage direct à la dictature du prolétariat est la principale revendication politique du programme. Dans le domaine économique, les points essentiels sont : l’expropriation de toute la grande production, l’organisation d’un grand nombre d’entreprises agricoles soviétiques d’État, et, inversement, la remise d’une partie relativement faible des terres aux paysans ; l’étendue relativement restreinte des rapports économiques spontanés du marché ; l’allure rapide de l’évolution socialiste en général et de la collectivisation de l’économie paysanne en particulier.
Pays d’un développement capitaliste moyen (Espagne, Portugal, Pologne, Hongrie, Balkans, etc.) qui conservent des vestiges assez importants du régime semi-féodal dans l’agriculture, possèdent cependant un certain minimum de conditions matérielles indispensables à l’édification socialiste mais n’ont pas encore achevé leur transformation démocratique-bourgeoise.
Dans certains de ces pays, une transformation plus ou moins rapide de la révolution démocratique-bourgeoise en révolution socialiste est possible ; dans d’autres, sont possibles divers types de révolutions prolétariennes ayant, cependant, à accomplir des tâches de caractère bourgeois-démocratique d’une grande ampleur. Ici, la dictature du prolétariat peut donc ne pas s’établir d’emblée ; elle s’institue au cours de la transformation de la dictature démocratique du prolétariat et des paysans en dictature socialiste du prolétariat ; quand la révolution revêt immédiatement un caractère prolétarien, elle suppose la direction, par le prolétariat, d’un large mouvement paysan-agraire ; la révolution agraire y joue, en général, un très grand rôle, parfois décisif ; au cours de l’expropriation de la grande propriété foncière, une grande partie des terres confisquées est mise à la disposition des paysans ; les rapports économiques du marché conservent une grande importance au lendemain de la victoire du prolétariat ; amener les paysans à la coopération puis les grouper dans des associations de production est une des tâches les plus importantes de l’édification socialiste. L’allure de cette édification est relativement lente.
Pays coloniaux et semi-coloniaux (Chine, Indes, etc.) et pays dépendants (Argentine, Brésil et autres) possédant un embryon d’industrie, parfois même une industrie développée, insuffisante toutefois dans la majorité des cas pour l’édification indépendante du socialisme ; pays où prédominent les rapports sociaux du moyen âge féodal ou le ’mode asiatique de production, tant dans la vie économique que dans sa superstructure politique ; pays enfin, où les principales entreprises industrielles, commerciales, bancaires, les principaux moyens de transports, les plus grands domaines, les plus grandes plantations, etc., sont aux mains de groupes impérialistes étrangers. La lutte contre le féodalisme et contre les formes précapitalistes de l’exploitation et la révolution agraire poursuivie avec esprit de suite, d’une part ; la lutte contre l’impérialisme étranger, pour l’indépendance nationale, d’autre part, ont ici une importance primordiale.
Le passage à la dictature du prolétariat n’est possible dans ces pays, en règle générale, que par une série d’étapes préparatoires, par toute une période de transformations de la révolution bourgeoise-démocratique en révolution socialiste ; le succès de l’édification socialiste y est, dans la plupart des cas, conditionné par l’appui direct des pays de dictature prolétarienne.
Dans les pays encore plus arriérés (dans certaine partie de l’Afrique, par exemple), où il n’y a pas ou presque pas d’ouvriers salariés, où la majorité des populations vit en tribus, où subsistent encore les formes primitives de l’organisation sociale, où la bourgeoisie nationale fait presque défaut, où l’impérialisme étranger joue, avant tout, le rôle d’un occupant militaire qui s’empare des terres, la lutte pour l’émancipation nationale est au premier plan. Le soulèvement national et sa victoire peuvent ouvrir ici la voie à une évolution vers le socialisme sans passer par le stade du capitalisme, si une aide effective et puissante leur est apportée par les pays de dictature prolétarienne.
Ainsi, à l’époque où la conquête du pouvoir par le prolétariat est à l’ordre du jour dans les pays capitalistes avancés, où la dictature du prolétariat existe déjà dans l’URSS et constitue un facteur d’importance mondiale, les mouvements de libération des pays coloniaux et semi-coloniaux, suscités par la pénétration du capitalisme mondial, peuvent aboutir, malgré l’insuffisante maturité des rapports sociaux de ces pays considérés isolément, à leur développement socialiste grâce à l’aide et à l’appui de la dictature du prolétariat et du mouvement prolétarien international en général.
La lutte pour la dictature mondiale du prolétariat et la révolution coloniale
Les conditions particulières de la lutte révolutionnaire dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, l’inéluctabilité d’une longue période de luttes pour la dictature démocratique du prolétariat et des paysans et pour sa transformation en dictature prolétarienne, enfin, l’importance décisive des facteurs nationaux, imposent aux Partis communistes de ces pays diverses tâches particulières dont l’accomplissement doit préparer les voies à la dictature du prolétariat. L’Internationale communiste estime que les principales sont les suivantes :
Renversement de la domination de l’impérialisme étranger, des féodaux et de la bureaucratie agrarienne.
Établissement d’une dictature démocratique du prolétariat et des paysans sur la base des Soviets.
Complète indépendance nationale et formation de l’État national.
Annulation des dettes de l’État.
Nationalisation des grandes entreprises (industries, transports, banques, etc.) appartenant aux impérialistes.
Confiscation des domaines appartenant aux grands propriétaires fonciers, aux églises et aux monastères. Nationalisation du sol.
Journée de 8 heures.
Organisation d’une armée révolutionnaire ouvrière et paysanne.
Au cours de l’extension et de l’intensification de la lutte (sabotage de la part de la bourgeoisie, confiscation des entreprises appartenant aux éléments bourgeois qui sabotent, entraînant inévitablement la nationalisation de la grande industrie) dans les colonies et semi-colonies où le prolétariat joue un rôle dirigeant et prédominant, la révolution démocratique-bourgeoise se transformera en révolution prolétarienne. Dans les pays où le prolétariat fait défaut, le renversement du pouvoir des impérialistes doit signifier l’organisation du pouvoir des Soviets populaires (de paysans) et la confiscation au profit de l’État des entreprises et des terres appartenant aux étrangers.
Au point de vue de la lutte contre l’impérialisme et de la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, les révolutions coloniales et les mouvements de libération nationale jouent un rôle immense. L’importance des colonies et des semi-colonies dans la période de transition résulte également du fait qu’elles sont en quelque sorte la campagne mondiale, en présence des pays industriels qui jouent le rôle de la cité mondiale ; l’organisation de l’économie socialiste mondiale et la coordination rationnelle de l’industrie et l’agriculture dépendent dans une large mesure de l’attitude envers les anciennes colonies de l’impérialisme. La réalisation d’une alliance fraternelle et combative avec les masses laborieuses des colonies est donc un des objectifs principaux du prolétariat industriel du monde qui exerce l’hégémonie de la direction dans la lutte contre l’impérialisme.
La marche de la révolution mondiale qui entraîne les ouvriers des métropoles dans la lutte pour la dictature du prolétariat, dresse également des centaines de millions d’ouvriers et de paysans coloniaux contre l’impérialisme étranger. Étant donné l’existence de foyers du socialisme organisés en Républiques soviétiques et la croissance de leur puissance économique, les colonies détachées de l’impérialisme se rapprochent dans le domaine économique des centres industriels du socialisme mondial auxquels elles s’unissent ; peu à peu elles sont entraînées dans l’édification socialiste, évitent la phase du développement capitaliste comme système dominant et acquièrent la possibilité d’un progrès économique et culturel rapide. En se groupant politiquement autour des centres de la dictature du prolétariat, les Soviets ouvriers et paysans des anciennes colonies plus développées s’intègrent au système grandissant de la Fédération des Républiques soviétiques, et, par là même, au système mondial de la dictature du prolétariat.
Le socialisme, nouveau mode de production, atteint ainsi dans son essor une envergure mondiale.
La dictature du prolétariat dans l’URSS et la révolution sociale mondiale
L’édification du socialisme dans l’URSS et la lutte de classes
La scission de l’économie mondiale en pays du capitalisme et pays du socialisme en voie d’édification est la manifestation essentielle de la profonde crise du système capitaliste. L’affermissement intérieur de la dictature prolétarienne dans l’URSS, les succès de l’édification socialiste, l’influence et l’autorité croissantes de l’URSS parmi les masses prolétariennes et les peuples opprimés des colonies attestent par conséquent la continuation, le renforcement et le développement de la révolution socialiste mondiale.
Disposant dans le pays même des prémices matérielles nécessaires et suffisantes, non seulement au renversement des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie, mais aussi à l’édification du socialisme intégral, les ouvriers des Républiques soviétiques, aidés du prolétariat international, ont héroïquement repoussé les agressions des forces armées de la contre-révolution intérieure et étrangère, affermi leur alliance avec les grandes masses paysannes et obtenu des succès considérables dans le domaine de l’édification socialiste.
La liaison de l’industrie socialiste prolétarienne avec la petite économie rurale, liaison qui assure à la fois la croissance des forces productives de l’agriculture et le rôle dirigeant de l’industrie socialiste ; la soudure de cette industrie avec l’agriculture, au lieu de la production capitaliste pour la consommation improductive des classes parasitaires ; la production, non en vue du profit capitaliste, mais en vue de la satisfaction des besoins rapidement croissants des masses qui constituent en fin de compte un stimulant puissant à la production ; enfin l’extrême concentration des principaux leviers de commande économiques aux mains de l’État prolétarien, l’importance croissante de la direction selon un plan d’ensemble, l’économie qui en résulte ainsi que la répartition la plus rationnelle des moyens de production, sont autant de facteurs qui donnent au prolétariat la possibilité d’aller rapidement de l’avant dans la voie de l’édification socialiste.
Élevant les forces productives de toute l’économie du pays, poursuivant inflexiblement une politique d’industrialisation de l’URSS, industrialisation dont l’allure accélérée est dictée par toute la situation internationale et intérieure, le prolétariat de l’URSS, malgré les tentatives réitérées de boycottage financier et économique dont il est l’objet de la part des puissances capitalistes, augmente systématiquement l’importance du secteur socialisé (socialiste) de l’économie nationale, tant dans le domaine des moyens de production que dans ceux de la production globale et de la circulation des marchandises. L’industrie, les transports et le système bancaire de l’État socialiste entraînent ainsi sans cesse davantage à leur suite la petite économie rurale sur laquelle ils agissent au moyen des leviers du commerce d’État et de la coopération rapidement croissante, dans les conditions déterminées par la nationalisation du sol et l’essor de l’industrialisation.
Dans l’agriculture plus spécialement, l’essor des forces productives a lieu dans des conditions limitant la différenciation sociale des paysans (nationalisation du sol et, par conséquent, interdiction d’acheter et de vendre des terres, impôts fortement progressifs, crédit à la coopération des paysans pauvres et moyens et à leurs associations de production, législation réglant l’emploi de la main-d’œuvre salariée, suppression de certains droits politiques et sociaux aux paysans riches — koulaks – organisation de paysans pauvres, etc.). Mais les forces productives de l’industrie socialiste n’étant pas encore assez développées pour doter en grand l’agriculture d’une nouvelle technique et réunir rapidement dès à présent les exploitations paysannes en de grands domaines agricoles collectifs, les koulaks croissent dans une certaine mesure en nombre et établissent une liaison d’abord économique, puis politique, avec les éléments de la ’nouvelle bourgeoisie’.
Maître des positions stratégiques dominantes de la vie économique ; évinçant systématiquement dans les villes les vestiges du capital privé, dont l’importance a été sensiblement réduite au cours de la dernière période de la ’nouvelle politique économique’ ; limitant par tous les moyens l’action des exploiteurs de la population rurale, qui naissent du développement des rapports marchands et monétaires ; soutenant les domaines de l’État et encourageant leur création ; entraînant la masse essentielle des paysans simples producteurs de marchandises dans le système général de l’organisation économique soviétique et, par conséquent, dans l’œuvre d’édification socialiste au moyen de la coopération dont les progrès rapides, en régime de dictature prolétarienne et sous la direction économique de l’industrie socialiste, s’identifient avec l’essor du socialisme ; passant de la période de reconstruction à celle de la reproduction élargie de toute la base technique de la production du pays, le prolétariat de l’URSS se donne pour tâche — et en aborde d’ores et déjà la réalisation — une vaste édification fondamentale (production de moyens de production en général, industrie lourde et électrification en particulier) et, parallèlement au développement de la coopération de vente, d’achat et de crédit, l’organisation de plus en plus large des paysans en coopératives de production conçues sur une base collectiviste et nécessitant un puissant appui matériel de la part de l’État prolétarien.
Le socialisme qui est déjà le facteur économique décisif du développement de l’économie de l’URSS, fait ainsi de grands progrès et surmonte d’un effort systématique les difficultés suscitées par le caractère petit-bourgeois du pays et liées à une aggravation momentanée des antagonismes de classes.
La nécessité de renouveler l’outillage industriel et de créer de vastes entreprises nouvelles ne peut manquer de faire naître dans le développement du socialisme de sérieuses difficultés qui s’expliquent en fin de compte par l’état arriéré de la technique et de l’économie du pays et par les dévastations des années de guerre impérialiste et de guerre civile. La condition de la classe ouvrière et des grandes masses laborieuses ne cesse cependant de s’améliorer. Parallèlement à la rationalisation socialiste et à l’organisation scientifique de l’industrie, la journée de 7 heures est graduellement introduite. De nouvelles perspectives pour l’amélioration des conditions de travail et d’existence de la classe ouvrière sont ainsi créées.
La classe ouvrière unie sous la direction d’un Parti communiste trempé dans les luttes révolutionnaires, appuyée dans les campagnes sur les paysans pauvres, solidement alliée aux masses de paysans moyens et combattant inlassablement les koulaks, entraîne des masses sans cesse élargies de dizaines de millions de travailleurs dans l’œuvre d’édification du socialisme sur la base de la croissance économique de l’URSS et de l’importance grandissante du secteur socialiste de son économie. Ses principaux moyens pour atteindre ce but sont : le développement de grandes organisations de masses (le Parti, comme force dirigeante, les syndicats, assise du régime de la dictature du prolétariat, les Jeunesses communistes, la coopération sous toutes ses formes, les organisations des ouvrières et des paysannes, les associations diverses, les organisations de correspondants ouvriers et paysans de la presse, les organisations sportives, scientifiques, éducatives et culturelles), l’encouragement prodigué à l’initiative des masses, la désignation d’ouvriers et à des postes responsables dans tous les organes économiques et administratifs. La participation incessante et croissante des masses à l’édification du socialisme, le renouvellement constant de l’appareil de l’État, des organes économiques, des syndicats et du Parti par de nouveaux militants prolétariens, l’enseignement supérieur donné à des ouvriers et, plus particulièrement, à de jeunes ouvriers, afin de former de nouveaux cadres de techniciens socialistes dans toutes les branches de l’édification, telles sont les principales garanties contre la bureaucratisation et contre la dégénérescence sociale des cadres prolétariens dirigeants.
L’importance de l’URSS
Ses obligations révolutionnaires internationales L’impérialisme russe terrassé, les anciennes colonies et les nationalités opprimées de l’Empire des tsars émancipées, la dictature du prolétariat assure une base solide au développement culturel et politique des nationalités, au prix d’un effort persévérant, par l’industrialisation de leurs territoires. Consacrant dans la Constitution de l’Union le droit des régions et des Républiques fédérées, réalisant intégralement le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, la dictature du prolétariat assure l’égalité non seulement formelle mais aussi effective des diverses nationalités de l’union.
Pays de la dictature du prolétariat et de l’édification du socialisme, pays des immenses conquêtes de la classe ouvrière, de l’union des ouvriers et des paysans et d’une nouvelle culture en marche sous le drapeau du marxisme, l’URSS devient nécessairement la base du mouvement universel des classes opprimées, le foyer de la révolution internationale, le facteur le plus grand de l’histoire du monde.
Le prolétariat de tous les pays trouve pour la première fois dans l’URSS une véritable patrie, et les mouvements coloniaux un puissant centre d’attraction.
L’URSS est ainsi, au milieu de la crise générale du capitalisme, un facteur des plus importants, non seulement parce que, détachée du système capitaliste mondial, elle a posé les fondements d’un nouveau système économique socialiste, mais encore parce qu’elle joue un rôle révolutionnaire d’une importance exceptionnelle, énorme : moteur international de la révolution prolétarienne, incitant les prolétaires de tous les pays à la conquête du pouvoir, exemple vivant démontrant que la classe ouvrière, capable de détruire le capitalisme, sait aussi édifier le socialisme, prototype des relations fraternelles de toutes les nationalités au sein de l’Union des Républiques socialistes soviétiques de l’univers et de la réunion des travailleurs de tous les pays dans le système économique mondial unique du socialisme que le prolétariat international établira après la conquête du pouvoir.
L’existence simultanée de deux systèmes économiques, le système socialiste de l’URSS et le système capitaliste des autres pays, impose à l’État prolétarien le devoir de repousser les attaques du monde capitaliste (boycottage, blocus, etc.), de manoeuvrer dans le domaine économique et de mettre à profit les relations économiques avec les pays capitalistes (par le monopole du commerce extérieur constituant une des conditions essentielles d’une édification socialiste efficace, par les crédits, emprunts, concessions, etc.). Il s’agit d’abord et principalement de nouer des relations aussi larges que possible avec l’étranger, dans les limites où elles sont profitables à l’URSS pour consolider son industrie, jeter les bases d’une industrie lourde et de l’électrification et enfin de créer une industrie socialiste de construction mécanique. Ce n’est que dans la mesure où cette indépendance économique lui est assurée malgré l’encerclement capitaliste, que l’URSS se sent sérieusement prémunie contre la destruction éventuelle de l’œuvre d’édification socialiste et contre son inféodation au système capitaliste mondial.
Les États capitalistes, quels que soient leurs intérêts en URSS, hésitent, constamment sollicités en sens contraire par leur intérêts commerciaux et par la crainte du développement de l’URSS qui est aussi celui de la révolution mondiale. La tendance à l’encerclement de l’URSS et à la guerre contre-révolutionnaire en vue de restaurer un régime universel de terrorisme bourgeois, est la tendance essentielle et fondamentale de la politique des puissances capitalistes.
Les tentatives systématiques d’encerclement politique de l’URSS et le danger grandissant d’une agression n’empêcheront pas le PC de l’URSS, section de L’Internationale communiste, dirigeant la dictature du prolétariat en URSS, de remplir ses devoirs internationaux et de soutenir tous les opprimés : le mouvement ouvrier des pays capitalistes, le mouvement des peuples coloniaux contre l’impérialisme, la lutte contre toutes les formes d’oppression nationale.
Les obligations du prolétariat international à l’égard de l’URSS
Le prolétariat international, dont l’URSS est la seule patrie, le rempart de ses conquêtes, le facteur essentiel de son affranchissement international, a pour devoir de contribuer au succès de l’édification du socialisme dans l’URSS et de la défendre par tous les moyens contre les attaques des puissances capitalistes.
"La situation politique mondiale met maintenant à l’ordre du jour la dictature du prolétariat ; tous les événements de la politique mondiale se concentrent fatalement autour de ce seul point central ; la lutte de la bourgeoisie mondiale contre la République des Soviets en Russie, appelée à grouper inévitablement autour d’elle, d’une part, les mouvements soviétiques des ouvriers avancés de tous les pays et, de l’autre, tous les mouvements d’affranchissement national des colonies et des nationalités opprimées." (Lénine)
Le devoir du prolétariat international est de répondre à l’agression et à la guerre des États impérialistes contre l’URSS par les actions de masses les plus audacieuses et les plus résolues et par la lutte pour le renversement des gouvernements impérialistes sous les mots d’ordre de la dictature du prolétariat et de l’alliance avec l’URSS.
Il sera nécessaire dans les colonies et plus particulièrement dans celles du pays impérialiste assaillant l’URSS de mettre à profit ce déplacement des forces armées de l’impérialisme pour développer au plus haut degré la lutte anti-impérialiste et pour secouer par l’action révolutionnaire le joug de l’impérialisme et conquérir l’indépendance complète.
Le développement du socialisme dans l’URSS et la croissance de son influence internationale, s’ils mobilisent contre elle la haine des puissances capitalistes et de leur agence social-démocrate, suscitent d’autre part les plus vives sympathies des grandes masses des travailleurs du monde entier et font naître dans les classes opprimées de tous les pays la ferme volonté de se battre par tous les moyens, en cas d’agression impérialiste, pour le pays de la dictature du prolétariat.
Ainsi, le développement des contradictions de l’économie mondiale, le développement de la crise générale du capitalisme et l’agression impérialiste contre l’URSS aboutiront infailliblement à une formidable explosion révolutionnaire qui ensevelira le capitalisme dans les pays ’civilisés’, déchaînera la révolution victorieuse dans les colonies, élargira immensément la base de la dictature du prolétariat et constituera dès lors un grand pas vers la victoire définitive du socialisme dans le monde.
La stratégie et la tactique de l’Internationale communiste dans la lutte pour la dictature du prolétariat
Les idéologies hostiles au communisme au sein de la classe ouvrière
Le communisme révolutionnaire se heurte, dans sa lutte contre le capitalisme pour la dictature du prolétariat, à de nombreuses tendances au sein de la classe ouvrière, exprimant à un degré plus ou moins grand la subordination idéologique de celle-ci à la bourgeoisie impérialiste ou la pression idéologique sur le prolétariat, de la petite et moyenne bourgeoisie qui s’insurge de temps à autre contre le dur régime du capital financier, mais est incapable de suivre une stratégie et une tactique fermes, fondées sur une pensée scientifique et de mener la lutte avec l’organisation et la stricte discipline qui sont propres au prolétariat.
La formidable puissance sociale de l’État impérialiste et de toutes ses institutions auxiliaires — école, presse, théâtre, Église, — se traduit avant tout dans la classe ouvrière par l’existence de tendances confessionnelles et réformistes, obstacle principal à la révolution socialiste du prolétariat.
Les tendances confessionnelles, teintées de religion, de la classe ouvrière trouvent leur expression dans les syndicats confessionnels souvent liés aux organisations politiques correspondantes de la bourgeoisie et rattachés à telle ou telle organisation cléricale de la classe dominante (syndicats catholiques, Jeunesses chrétiennes, organisations sionistes et autres).
Toutes ces tendances qui manifestent avec éclat la captivité idéologique de certains milieux prolétariens, ont le plus souvent un aspect romantique féodal. Consacrant au nom de la religion toutes les infamies du régime capitaliste et terrorisant leurs fidèles par la menace des châtiments d’outre-tombe, les dirigeants de ces organisations forment au sein du prolétariat la cohorte des agents les plus réactionnaires de la classe ennemie.
Le réformisme ’socialiste’ contemporain constitue l’aspect commercial cynique, laïque et impérialiste de la soumission idéologique du prolétariat à l’influence de la bourgeoisie. Prenant ses commandements des tables de la loi impérialiste, le réformisme ’socialiste’ a, de nos jours, son modèle accompli, consciencieusement antisocialiste et franchement contre-révolutionnaire, dans la Fédération américaine du travail. La dictature ’idéologique’ de la bureaucratie syndicale américaine parfaitement domestiquée, exprimant elle-même la dictature ’idéologique’ du dollar, est devenue, par l’intermédiaire du réformisme anglais et des socialistes monarchiques du Labour Party, partie intégrante essentielle de la théorie et de la pratique de la social-démocratie internationale et des leaders de l’Internationale d’Amsterdam. Les chefs de la social-démocratie allemande et autrichienne se bornent à revêtir les mêmes théories d’une phraséologie marxiste servant à dissimuler leur trahison complète du marxisme.
Le réformisme ’socialiste’, ennemi principal du communisme révolutionnaire dans le mouvement ouvrier, possède une large base d’organisation dans les Partis social-démocrates et, par leur intermédiaire, dans les syndicats réformistes, il se manifeste dans toute sa politique et toute sa théorie comme une force dirigée contre la révolution prolétarienne.
En politique extérieure, les Partis social-démocrates ont participé à la guerre impérialiste sous le drapeau de la ’défense nationale’. L’expansion de l’État impérialiste et la ’politique coloniale’ ont leur appui de tous les instants ; l’orientation vers la ’sainte alliance’ contre-révolutionnaire des puissances impérialistes (Société des nations), la prédication du ’superimpérialisme’, la mobilisation des masses sous des mots d’ordre pseudo-pacifistes, l’appui actif aux menées et préparatifs de guerre de l’impérialisme contre l’URSS, tels sont les traits caractéristiques de la politique extérieure du réformisme.
En politique intérieure, la social-démocratie se donne pour tâche de soutenir le régime capitaliste et de collaborer avec lui. Appui sans réserves à la rationalisation et à la stabilité du capitalisme, paix des classes, ’paix industrielle’, politique d’intégration des organisations ouvrières aux organisations patronales et à l’État impérialiste spoliateur, application de la ’démocratie économique’ qui n’est en réalité que la subordination complète au capital trusté, culte de l’État impérialiste et particulièrement de ses enseignes pseudo-démocratiques, participation à la formation des organes de cet État (police, armée, gendarmerie, justice de classe), défense de cet État contre toute attaque du prolétariat communiste révolutionnaire, rôle de bourreau de la social-démocratie dans les crises révolutionnaires, telle est la politique intérieure du réformisme. Simulant la lutte syndicale, le réformisme se donne pour tâche, dans ce domaine également, d’éviter tout ébranlement à la classe capitaliste et d’assurer en tout cas l’inviolabilité complète de la propriété capitaliste.
Dans le domaine de la théorie, la social-démocratie, passant du révisionnisme à un réformisme libéral-bourgeois achevé et au social-impérialisme avéré, a complètement renié le marxisme : à la doctrine marxiste de contradictions du capitalisme, elle a substitué la doctrine bourgeoise du développement harmonieux du régime ; elle a relégué aux archives la doctrine des crises et de la paupérisation du prolétariat ; elle a transformé la théorie ardente et menaçante de la lutte de classes en prédication banale de la paix des classes ; elle a transformé la doctrine de l’aggravation des antagonismes de classes en la fable petite-bourgeoise de la ’démocratisation’ du Capital ; à la théorie de l’inévitabilité des guerres en régime capitaliste ; elle a substitué la duperie bourgeoise du pacifisme et la prédication mensongère du superimpérialisme ; elle a échangé la théorie de la chute révolutionnaire du capitalisme contre la fausse monnaie du capitalisme ’sain’ se transformant paisiblement en socialisme, à la révolution elle substitue l’évolution ; à la destruction de l’État bourgeois ; la participation active à son édification ; à la doctrine de la dictature du prolétariat ; la théorie de la coalition avec la bourgeoisie ; à la doctrine de la solidarité prolétarienne internationale ; celle de la défense nationale impérialiste, au matérialisme dialectique de Marx, une philosophie idéaliste en coquetterie avec les déchets religieux de la bourgeoisie.
On distingue au sein de ce réformisme social-démocrate plusieurs courants qui font particulièrement ressortir la dégénérescence bourgeoise de la sociale démocratie.
Le ’socialisme constructif’ (Mac Donald et Cie), portant jusque dans son appellation l’idée de lutte contre la révolution prolétarienne et l’approbation du régime capitaliste, continue les traditions bourgeoises, libérales, philanthropiques et antirévolutionnaires du Fabianisme (les Webb, Bernard Shaw, lord Ollivier et autres). Répudiant en principe la dictature du prolétariat et le recours à la violence contre la bourgeoisie, le ’socialisme constructif’ concourt aux violences exercées contre le prolétariat et contre les peuples coloniaux. Apologiste de l’État capitaliste, préconisant le capitalisme d’État sous le masque du socialisme, proclamant - en même temps que les plus vulgaires idéologues de l’impérialisme des deux hémisphères - ’préscientifique’ la théorie de la lutte des classes, le ’socialisme constructif’ préconise en paroles un programme modéré de nationalisation avec indemnité, d’impôts sur la rente foncière, d’impôts sur les successions et les surprofits comme le moyen de détruire le capitalisme. Adversaire décidé de la dictature du prolétariat dans l’URSS, le ’socialisme constructif’, étroitement allié à la bourgeoisie, est l’ennemi actif du mouvement communiste du prolétariat et des révolutions coloniales.
Le coopératisme ou socialisme coopérateur (Charles Gide, Totomiantz et Cie) repousse avec autant d’énergie la lutte de classes et préconise la coopération de consommation comme le moyen de vaincre pacifiquement le capitalisme, tout en contribuant en réalité par tous les moyens à son affermissement. Il est une variété du ’socialisme constructif’. Le ’coopératisme’ qui dispose du vaste appareil de propagande des organisations de masses de la coopération de consommation exerce dans la vie quotidienne une influence systématique sur les grandes masses, combat avec acharnement le mouvement ouvrier révolutionnaire et entrave la réalisation de ses buts ; il représente actuellement un des facteurs les plus actifs de la contre-révolution réformiste.
Le ’Guild Socialism’ (Penty, Orage, Hobson, etc.) s’efforce avec éclectisme de réunir le syndicalisme ’révolutionnaire’ et le Fabianisme libéral bourgeois, la décentralisation anarchiste (guildes industrielles nationales) et la centralisation du capitalisme d’État, le corporatisme artisanal, borné, médiéval et le capitalisme moderne. Procédant de la revendication verbale de ’l’abolition du salariat’ considéré comme ’immoral’ et qui devrait être remplacé par le contrôle ouvrier de l’industrie, le ’Guild Socialism’ élude complètement la question essentielle : celle du pouvoir.
S’appliquant à réunir les ouvriers, les intellectuels et les techniciens dans une fédération nationale industrielle de ’guildes’ et à transformer pacifiquement celles-ci en organes d’administration de l’industrie dans les cadres de l’État bourgeois (’contrôle intérieur’) le ’Guild Socialism’ défend en réalité cet État, dissimule son caractère de classe, impérialiste, antiprolétarien, lui assigne un rôle ’au-dessus des classes’ de représentant des intérêts communs des ’consommateurs’ en contrepoids aux ’producteurs’ organisés dans les guildes. Par sa propagande de ’démocratie fonctionnelle’, c’est-à-dire d’une représentation des classes de la société capitaliste sous la forme des professions et de leurs fonctions sociales dans la production, le ’Guild Socialism’ fraie la voie à ’l’État corporatif’ du fascisme.
Répudiant le parlementarisme et ’l’action directe’, la plupart des adeptes de ce mouvement vouent la classe ouvrière à une inaction complète et à la soumission passive à la bourgeoisie. Ce socialisme est une variété utopiste et trade-unioniste de l’opportunisme et ne peut, par conséquent, manquer de jouer un rôle contre-révolutionnaire.
L’austro-marxisme est une autre forme particulière du réformisme social-démocrate. Partie intégrante de la ’gauche’ social-démocrate, il représente la façon la plus subtile de duper les masses ouvrières. Prostituant la terminologie marxiste et rompant à la fois avec les principes fondamentaux du marxisme révolutionnaire (des austro-marxistes se déclarent, en philosophie, adeptes de Kant, de Mach, etc.), flirtant avec la religion, empruntant aux réformistes anglais la théorie de la ’démocratie fonctionnelle’, se plaçant sur le terrain de l’édification de la République, c’est-à-dire de la construction de l’État bourgeois, l’austro-marxisme recommande la coopération des classes dans les périodes dites ’d’équilibre des forces sociales’, c’est-à-dire précisément lorsque mûrit la crise révolutionnaire. Cette théorie n’est rien d’autre que la justification de la coalition avec la bourgeoisie pour le renversement de la révolution prolétarienne sous le masque de la défense de la ’démocratie’ contre les attaques de la réaction. La violence admise par l’austro-marxisme en cas d’attaques de la réaction se transforme objectivement dans la pratique en violence de la réaction contre la révolution prolétarienne. Le ’rôle fonctionnel’ de l’austro-marxisme consiste à tromper les ouvriers qui vont au communisme ; aussi l’austro-marxisme est-il un ennemi particulièrement redoutable du prolétariat, plus redoutable même que les partisans déclarés du social-impérialisme de forbans.
Si toutes les tendances, parties intégrantes du réformisme ’socialiste’, constituent une sorte d’agence de la bourgeoisie impérialiste au sein de la classe ouvrière, le communisme se heurte, d’autre part, à divers courants petits-bourgeois reflétant et exprimant les fluctuations des couches sociales instables (petite bourgeoisie urbaine, moyenne bourgeoisie en voie de dissolution, prolétariat en guenilles (lumpen-prolétariat), bohème intellectuelle déclassée, artisans tombés dans la misère, certains groupes de paysans et maints autres éléments). Ces courants, qui se distinguent par une extrême instabilité politique, dissimulent souvent sous une phraséologie de gauche une politique de droite ou tombent dans l’aventurisme, substituent à la connaissance objective des forces en présence une bruyante gesticulation politique, passent fréquemment de la ’surenchère’ révolutionnaire la plus insolente au plus profond pessimisme et à de véritables capitulations devant l’ennemi. Ces courants peuvent, dans certaines conditions, surtout au moment de changements brusques dans la situation politique et dans la nécessité de reculs momentanés, jouer dans les rangs du prolétariat un rôle désorganisateur des plus dangereux et entraver ainsi le mouvement ouvrier révolutionnaire.
L’anarchisme dont les représentants les plus en vue (Kropotkine, Jean Grave et autres) trahirent et passèrent, pendant la guerre de 1914 à 1918, à la bourgeoisie impérialiste, nie la nécessité de grandes organisations centralisées et disciplinées du prolétariat et laisse ainsi ce dernier impuissant en présence des organisations puissantes du Capital. Sa propagande du terrorisme individuel détourne le prolétariat des méthodes d’organisation et de lutte de masses. Répudiant la dictature du prolétariat au nom d’une ’liberté’ abstraite, l’anarchisme prive le prolétariat de son arme la plus importante et la plus efficace contre la bourgeoisie, contre ses armées et ses organes de répression. Éloigné de tout mouvement de masses dans les centres les plus importants de la lutte prolétarienne, l’anarchisme se réduit de plus en plus à une secte qui, par toute sa tactique, par toutes ses manifestations et notamment par ses manifestations contre la dictature de la classe ouvrière dans l’URSS s’intègre objectivement au front des forces anti-révolutionnaires.
Tout comme l’anarchisme, le syndicalisme ’révolutionnaire’, dont de nombreux idéologues passèrent aux heures les plus critiques de la guerre à la contre-révolution ’antiparlementaire’ du type fasciste ou devinrent de paisibles réformistes du type social-démocrate, par sa négation de la lutte politique... (et particulièrement du parlementarisme révolutionnaire) et de la dictature révolutionnaire du prolétariat, par sa propagande d’une décentralisation corporative du mouvement ouvrier en général et du mouvement syndical en particulier, par sa négation de la nécessité du parti du prolétariat, par sa négation de la nécessité de l’insurrection et enfin par sa surestimation de la grève générale (’tactique des bras croisés’), entrave partout où il exerce quelque influence la radicalisation des masses ouvrières. Ses attaques contre l’URSS connexes à la négation de la dictature du prolétariat le mettent, sous ce rapport, sur le même plan que la social-démocratie.
Toutes ces tendances, toutes ces nuances rejoignent la social-démocratie, ce principal ennemi de la révolution prolétarienne dans la question politique fondamentale de la dictature du prolétariat. C’est pourquoi elles font toutes, avec plus ou moins de décision, front unique avec la social-démocratie contre l’URSS. La social-démocratie, ayant complètement renié le marxisme, s’appuie d’autre part, de plus en plus, sur l’idéologie des ’fabiens’, du socialisme constructif et du ’Guild Socialism’. Ainsi se forme une idéologie libérale-réformiste officielle du ’socialisme’ bourgeois de la II° Internationale. Dans les pays coloniaux et parmi les peuples et les races opprimés, le communisme se heurte, au sein du mouvement ouvrier, à l’influence de tendances particulières qui jouèrent, à une époque déterminée, un certain rôle positif, mais qui deviennent, dans une nouvelle étape, des forces réactionnaires.
Le sun-yat-sénisme fut, en Chine, l’idéologie d’un ’socialisme’ petit-bourgeois et populaire. La notion du peuple voilait et dissimulait dans la doctrine des ’trois principes’ (nationalisme, démocratisme, socialisme) la notion des classes sociales ; le socialisme n’était plus un mode spécifique de production, réalisé par une classe déterminée, le prolétariat, mais il devenait un état indéterminé d’aisance générale ; la lutte contre l’impérialisme ne se rattachait pas au développement de la lutte de classes dans le pays. C’est pourquoi le sun-yat-sénisme, qui a joué, dans la première phase de la révolution chinoise, un très grand rôle positif, est devenu, par suite de la différenciation sociale ultérieure et de la marche de la révolution chinoise, un obstacle à cette révolution. Les épigones du sun-yat-sénisme, en exagérant précisément les caractères de cette doctrine devenus objectivement réactionnaires, en ont fait l’idéologie officielle du Kuomintang devenu ouvertement contre-révolutionnaire. La formation idéologique des masses du prolétariat et des paysans travailleurs de Chine doit, par conséquent, s’accompagner d’une lutte énergique contre le leurre du Kuomintang et surmonter les vestiges du sun-yat-sénisme. Les tendances telles que le gandhisme hindou, profondément pénétrées d’idées religieuses, idéalisant les formes les plus réactionnaires et les plus arriérées de l’économie sociale, ne voyant d’issue que dans le retour à ces formes arriérées et non dans le socialisme prolétarien, prêchant la passivité et la négation de la lutte des classes, deviennent, au cours du développement de la révolution, des forces franchement réactionnaires. Le gandhisme est de plus en plus une idéologie opposée à la révolution des masses populaires. Le communisme doit le combattre avec énergie.
Le garvéisme, qui fut l’idéologie des petits propriétaires et des ouvriers nègres d’Amérique et qui a gardé une certaine influence sur les masses nègres, est devenu de même un obstacle à l’entrée de ces masses dans la voie révolutionnaire. Après avoir revendiqué pour les nègres une complète égalité sociale, il s’est transformé en une sorte de ’sionisme’ nègre qui, au lieu de préconiser la lutte contre l’impérialisme américain, lance le mot d’ordre ’du retour en Afrique’. Cette idéologie dangereuse, qui n’a rien d’authentiquement démocratique et se plaît à agiter les attributs aristocratiques d’un ’royaume nègre’ inexistant, doit se heurter à une résistance énergique, car, loin de contribuer à la lutte émancipatrice des masses nègres contre l’impérialisme américain, elle lui fait obstacle.
A toutes ces tendances s’oppose le communisme prolétarien. Grande idéologie de la classe ouvrière révolutionnaire internationale, il se distingue de toutes et en premier lieu de la social-démocratie par la lutte révolutionnaire, théorique et pratique qu’il mène en plein accord avec la doctrine de Marx et d’Engels pour la dictature prolétarienne en utilisant toutes les formes de l’action de masse du prolétariat.
Les tâches essentielles de la stratégie et de la tactique communistes
La lutte victorieuse de L’Internationale communiste pour la dictature du prolétariat suppose dans tous les pays l’existence d’un Parti communiste trempé dans les combats, discipliné, centralisé, étroitement attaché aux masses.
Le Parti est l’avant-garde de la classe ouvrière, avant-garde formée des membres les meilleurs, les plus conscients, les plus actifs et les plus courageux de cette classe. Il incarne l’expérience de toute la lutte prolétarienne. Étayé par la théorie révolutionnaire marxiste, représentant les intérêts généraux et permanents de l’ensemble de la classe, le Parti incarne l’unité des principes, de la volonté et de l’action révolutionnaires du prolétariat. Il constitue une organisation révolutionnaire cimentée par une discipline de fer et par l’ordre révolutionnaire le plus strict du centralisme démocratique ; ces résultats sont obtenus par la conscience de l’avant-garde prolétarienne, par son dévouement à la révolution, par son contact permanent avec les masses prolétariennes, par la justesse de sa direction politique que l’expérience des masses même éclaire et contrôle.
Le Parti communiste doit, pour accomplir sa tâche historique, conquérir la dictature prolétarienne — poursuivre et atteindre d’abord les fins stratégiques suivantes.
Gagner à son influence la majorité de sa propre classe, y compris les ouvrières et la jeunesse ouvrière. Il est, à cet effet, nécessaire d’assurer l’influence décisive du Parti communiste sur les vastes organisations de masses du prolétariat (Soviets, syndicats, comités d’entreprises, coopératives, organisations sportives, culturelles, etc.). Il importe surtout, pour gagner la majorité du prolétariat, de conquérir les syndicats, véritables organisations de masses de la classe ouvrière, liées à sa lutte quotidienne. Le travail dans les syndicats réactionnaires, qu’il faut savoir gagner habilement, l’acquisition de la confiance des larges masses de syndiqués, le remplacement des dirigeants réformistes de ces syndicats, constituent l’une des tâches les plus importantes de la période préparatoire.
La conquête de la dictature du prolétariat suppose également l’hégémonie du prolétariat sur de grandes couches des masses laborieuses. Le Parti communiste doit, dans ce but, gagner à son influence les masses de la population pauvre des villes et des campagnes, les couches inférieures des intellectuels, les ’petites gens’ en un mot, c’est-à-dire la population petite-bourgeoise en général. L’action tendant à assurer l’influence du Parti sur les paysans a une importance particulière. Le Parti communiste doit s’assurer l’appui complet des éléments les plus proches du prolétariat dans les campagnes : ouvriers agricoles et paysans pauvres. La nécessité s’impose donc d’organiser comme tels les ouvriers agricoles, de les appuyer par tous les moyens dans leur lutte contre la bourgeoisie rurale et de poursuivre une action énergique parmi les petits paysans et les paysans parcellaires. La politique du Parti communiste doit s’efforcer de neutraliser les paysans moyens (dans les pays capitalistes développés).
L’accomplissement de ces diverses tâches par le prolétariat, devenu le représentant des intérêts du peuple entier et le guide des grandes masses populaires dans leur lutte contre l’oppression du capital financier, est la condition préalable nécessaire d’une révolution communiste victorieuse.
La lutte révolutionnaire dans les colonies, les semi-colonies et les pays dépendants constitue, du point de vue de la lutte mondiale du prolétariat, une des plus importantes tâches stratégiques de L’Internationale communiste. Cette lutte suppose la conquête, sous les drapeaux de la révolution, des plus grandes masses de la classe ouvrière et des paysans des colonies, conquête impossible sans une étroite collaboration entre le prolétariat, des nations oppressives et les masses laborieuses des nations opprimées.
Tout en organisant la révolution contre l’impérialisme, sous le drapeau de la dictature du prolétariat, dans les puissances dites ’civilisées’, l’Internationale communiste soutient toute résistance à la violence impérialiste dans les colonies, dans les semi-colonies et dans les pays dépendants (exemple : l’Amérique latine) ; elle combat par la propagande toutes les variétés du chauvinisme, tous les procédés impérialistes employés à l’égard des races et des peuples subjugués, grands et petits (attitude à l’égard des nègres, ’de la main-d’œuvre jaune’, antisémitisme, etc.) ; elle soutient la lutte de ces races et de ces peuples contre la bourgeoisie des nations oppressives. L’Internationale communiste combat surtout avec énergie le chauvinisme des grandes puissances, prêché tant par la bourgeoisie impérialiste que par son agence social-démocrate, la II° Internationale ; elle oppose sans cesse à la pratique de la bourgeoisie impérialiste celle de l’Union soviétique qui a su établir des relations fraternelles entre des peuples égaux en droits.
Les Partis communistes doivent, dans les pays de l’impérialisme, venir systématiquement en aide aux mouvements révolutionnaires émancipateurs des colonies et de façon générale aux mouvements des nationalités opprimées. Le devoir de prêter à ces mouvements le concours le plus actif incombe en premier lieu aux ouvriers du pays dont la nation opprimée dépend politiquement, économiquement ou financièrement. Les Partis communistes doivent reconnaître hautement le droit de séparation des colonies et préconiser cette séparation, c’est-à-dire l’indépendance des colonies envers l’État impérialiste. Ils doivent reconnaître le droit de défense armée des colonies contre l’impérialisme (droit à l’insurrection et à la guerre révolutionnaire), et préconiser et appuyer énergiquement cette lutte par tous les moyens. Les Partis communistes ont le même devoir à l’égard de toutes les nations opprimées.
Dans les colonies et semi-colonies, les Partis communistes doivent combattre opiniâtrement l’impérialisme étranger, tout en préconisant obligatoirement le rapprochement et l’alliance avec le prolétariat des pays impérialistes ; lancer, répandre et appliquer ouvertement le mot d’ordre de la révolution agraire en soulevant les grandes masses de paysans pour le renversement du joug des propriétaires fonciers et en combattant l’influence réactionnaire et médiévale du clergé, des missions et d’autres éléments analogues.
La tâche fondamentale est ici de former des organisations indépendantes d’ouvriers et de paysans (Parti communiste comme parti de classe du prolétariat, syndicats, ligues et comités de paysans, Soviets dans les situations révolutionnaires, etc.) et de les soustraire à l’influence de la bourgeoisie nationale, avec laquelle des accords temporaires ne sont admissibles que dans la mesure où elle n’entrave pas l’organisation révolutionnaire des ouvriers et des paysans et où elle combat effectivement l’impérialisme.
Tout Parti communiste doit tenir compte, dans la détermination de sa tactique, de la situation concrète intérieure et extérieure, du rapport des forces sociales, du degré de stabilité et de vigueur de la bourgeoisie, du degré de préparation du prolétariat, de l’attitude des couches intermédiaires, etc. C’est en s’inspirant de ces conditions générales et de la nécessité de mobiliser, d’organiser les masses les plus étendues au moment le plus aigu de la lutte que le Parti formule ses mots d’ordre et précise ses méthodes de combat. Lançant des mots d’ordre transitoires au début d’une situation révolutionnaire et formulant des revendications partielles déterminées par la situation concrète, le Parti doit subordonner ces revendications et ces mots d’ordre à son but révolutionnaire qui est la prise du pouvoir et le renversement de la société capitaliste-bourgeoise. Il serait également inadmissible que le Parti négligeât les besoins et la lutte quotidienne de la classe ouvrière ou se confinât au contraire dans les limites de ces besoins et de cette lutte. Sa mission est de prendre ces besoins quotidiens comme point de départ et de conduire la classe ouvrière à la bataille révolutionnaire pour le pouvoir.
Lorsqu’une poussée révolutionnaire a lieu, lorsque les classes dirigeantes sont désorganisées, les masses en état d’effervescence révolutionnaire, les couches sociales intermédiaires disposées dans leurs hésitations à se joindre au prolétariat, lorsque les masses sont prêtes au combat et aux sacrifices, le Parti du prolétariat a pour but de les mener directement à l’assaut de l’État bourgeois. Il le fait par la propagande de mots d’ordre transitoires de plus en plus accentués (Soviets, contrôle ouvrier de la production, comités paysans pour l’expropriation de la grande propriété foncière, désarmement de la bourgeoisie, armement du prolétariat, etc.) et par l’organisation d’actions des masses, auxquelles doivent être subordonnées toutes les formes de l’agitation et de la propagande du Parti, y compris l’agitation parlementaire. A ces actions de masses se rapportent : les grèves et les manifestations combinées, les grèves combinées avec les manifestations armées, enfin la grève générale liée à l’insurrection armée contre le pouvoir d’État de la bourgeoisie. Cette dernière forme supérieure de la lutte est soumise aux règles de l’art militaire ; elle suppose un plan stratégique des opérations offensives, l’abnégation et l’héroïsme du prolétariat. Les actions de cette sorte sont obligatoirement conditionnées par l’organisation des grandes masses en formation de combat, dont la forme même entraîne et met en branle le plus grand nombre possible de travailleurs (Soviets des députés ouvriers et paysans, Soviets de soldats, etc.) et par un renforcement du travail révolutionnaire dans l’armée et dans la flotte.
Il est nécessaire de s’inspirer, en passant à des mots d’ordre nouveaux plus accentués, de la règle fondamentale de tactique politique du léninisme.
Cette règle veut que l’on sache amener les masses à des positions révolutionnaires, en leur permettant de se convaincre par leurs propres expériences de la justesse de la politique du Parti. L’inobservation de cette règle mène inévitablement à la rupture avec les masses, au ’putschisme’, à la dégénérescence idéologique du communisme qui aboutit à un sectarisme de ’gauche’ et à un aventurisme ’révolutionnaire’ petit-bourgeois. Mais il n’est pas moins dangereux de ne pas mettre à profit l’apogée d’une situation révolutionnaire lorsqu’il est du devoir du Parti d’attaquer l’ennemi avec audace et décision. Manquer cette occasion, ne pas déclencher l’insurrection, c’est laisser l’initiative à l’adversaire et vouer la révolution à une défaite.
Quand la poussée révolutionnaire fait défaut, les Partis communistes s’inspirant des besoins quotidiens des travailleurs doivent formuler des mots d’ordre et des revendications partielles en les rattachant aux objectifs fondamentaux de L’Internationale communiste. Ils se garderont cependant de donner des mots d’ordre transitoires spécialement appropriés à une situation révolutionnaire et qui, en l’absence de celle-ci, se transforment en des mots d’ordre d’intégration au système des organisations capitalistes (exemple : le contrôle ouvrier, etc.). Les mots d’ordre et les revendications partielles conditionnent absolument, de façon générale, une bonne tactique ; les mots d’ordre transitoires sont inséparables d’une situation révolutionnaire. Il est, d’autre part, incompatible avec les principes tactiques du communisme de renoncer ’en principe’ aux revendications partielles et aux mots d’ordre transitoires, ce serait condamner en réalité le Parti à la passivité et l’isoler des masses. La tactique du front unique, moyen le plus efficace de lutte contre le Capital et de mobilisation des masses dans un esprit de classe, moyen de démasquer et d’isoler les chefs réformistes, est un des éléments de la tactique des Partis communistes pendant toute la période prérévolutionnaire.
La juste application de la tactique du front unique, et plus généralement la solution du problème de la conquête des masses, suppose à son tour une action systématique et persévérante dans les syndicats et dans les autres organisations de masses du prolétariat. L’affiliation au syndicat, fût-il le plus réactionnaire pourvu qu’il soit une organisation de masses, est le devoir immédiat de tout communiste.
Ce n’est que par une action constante et suivie dans les syndicats et dans les entreprises pour la défense énergique et ferme des intérêts des ouvriers — la bureaucratie réformiste étant parallèlement combattue sans merci — que l’on peut se mettre à la tête de la lutte ouvrière et rallier au Parti la masse des syndiqués.
A l’encontre de la politique scissionniste des réformistes, les communistes défendent l’unité syndicale sur la base de la lutte de classes, dans chaque pays, et à l’échelle internationale en soutenant et en affermissant de toutes leurs forces l’action de l’Internationale syndicale rouge.
Prenant partout la défense des intérêts immédiats, quotidiens de la masse ouvrière et des travailleurs en général, exploitant à des fins d’agitation et de propagande révolutionnaire la tribune parlementaire bourgeoise, subordonnant tous les objectifs partiels à la lutte pour la dictature du prolétariat, les Partis de L’Internationale communiste formulent des revendications partielles et donnent des mots d’ordre dans les principaux domaines suivants :
Question ouvrière — au sens étroit du mot : questions se rapportant à lutte économique (lutte contre l’offensive du capital trusté, salaires, journées de travail, arbitrage obligatoire, chômage) qui deviennent des questions de lutte politique générale (grands conflits industriels, droits de coalition et de grève, etc.) ; questions nettement politiques (impôts, cherté de la vie, fascisme, répression contre les partis révolutionnaires, terreur blanche, politique générale du gouvernement) ; questions de politique mondiale (attitude envers l’URSS et les révolutions coloniales, lutte pour l’unité du mouvement syndical international, lutte contre l’impérialisme et les menaces de guerre, préparation systématique à la lutte contre la guerre impérialiste).
Dans la question paysanne, le problème des impôts, des hypothèques, de la lutte contre le capital usurier, de la pénurie des terres dont souffrent les paysans pauvres, du fermage et des redevances, etc., suscitent des revendications partielles du même ordre. Le Parti communiste partant de là, doit accentuer et généraliser ses mots d’ordre jusqu’à réclamer la confiscation des domaines des grands propriétaires fonciers et le gouvernement ouvrier et paysan (synonyme de dictature du prolétariat dans les pays capitalistes développés et synonyme de dictature démocratique du prolétariat et des paysans dans les pays arriérés et diverses colonies).
Il est également nécessaire de poursuivre une action systématique au sein de la jeunesse ouvrière et paysanne (principalement au moyen de l’ICJ et de ses sections) ainsi que parmi les femmes ouvrières et paysannes, en s’inspirant de leurs conditions d’existence, de leurs luttes, et en rattachant leurs revendications aux revendications générales et aux mots d’ordre de combat du prolétariat.
Dans la lutte contre l’oppression des peuples coloniaux, les Partis communistes formulent dans les colonies mêmes des revendications partielles dictées par la situation particulière de chaque pays : égalité complète des nationalités et des races ; abolition des privilèges des étrangers ; liberté d’association pour les ouvriers et les paysans ; diminution de la journée de travail ; interdiction du travail des enfants ; abolition des contrats spoliateurs et usuriers ; réduction et suppression du fermage ; diminution des impôts ; refus de payer les impôts, etc., etc. Tous ces mots d’ordre partiels doivent être subordonnés aux revendications essentielles des Partis communistes : indépendance complète du pays, expulsion des impérialistes, gouvernement ouvrier et paysan, la terre au peuple, journée de huit heures, etc. Dans les pays de l’impérialisme, les Partis communistes ont le devoir de soutenir cette lutte des colonies, de réclamer avec ténacité le rappel des troupes impérialistes, de défendre par la propagande dans l’armée et la flotte les pays opprimés luttant pour leur émancipation, de mobiliser les masses pour le boycottage du transport des troupes et des armes, d’organiser, en relation avec ces actions, des grèves et d’autres formes de protestations de masses, etc.
L’Internationale communiste doit porter une attention particulière à la préparation systématique de la lutte contre les dangers de guerre impérialiste. Démasquer impitoyablement le social-chauvinisme, le social-impérialisme, les phrases pacifistes qui dissimulent les dessins impérialistes de la bourgeoisie ; répandre les mots d’ordre essentiels de L’Internationale communiste ; poursuivre chaque jour un travail d’organisation dans ce sens et en combiner obligatoirement les formes légales et illégales ; poursuivre un travail organisé dans l’armée et la flotte, telle doit être l’activité des Partis communistes. Les morts d’ordre fondamentaux de L’Internationale communiste doivent être les suivants : transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, défaite de ’son propre’ gouvernement impérialiste, défense par tous les moyens de l’URSS et des colonies en cas de guerre impérialiste contre elles. La propagande de ces mots d’ordre, la dénonciation des sophismes ’socialistes’ et du camouflage ’socialiste’ de la Société des nations, le rappel constant de l’expérience de la guerre de 1914-1918, sont des devoirs impératifs qui incombent à toutes les sections et à tous les membres de L’Internationale communiste.
La coordination du travail et des actions révolutionnaires et leur bonne direction imposent au prolétariat international une discipline internationale de classe, dont la discipline internationale la plus rigoureuse dans les rangs des Partis communistes est la condition essentielle. Cette discipline communiste internationale doit se traduire par la subordination des intérêts partiels et locaux du mouvement à ses intérêts généraux et permanents, et par la stricte application de toutes les décisions des organes dirigeants de L’Internationale communiste par tous les communistes.
A l’inverse de la II° Internationale social-démocrate où chaque parti se soumet à la discipline de ’sa propre’ bourgeoisie nationale et de sa ’patrie’, les sections de L’Internationale communiste ne connaissent qu’une discipline, celle du prolétariat international qui assure la lutte victorieuse des ouvriers de tous les pays pour la dictature mondiale du prolétariat. A l’inverse de la II° Internationale, qui divise les syndicats, combat les peuples coloniaux et s’unit à la bourgeoisie, L’Internationale communiste est l’organisation qui défend l’unité des prolétaires de tous les pays, des travailleurs de toutes les races et de tous les peuples en lutte contre le joug impérialiste.
Quelle que soit la terreur sanglante de la bourgeoisie, les communistes mènent ce combat avec abnégation et courage, sur tous les secteurs du front international de la lutte de classes, fermement convaincus de l’inévitabilité et de l’inéluctabilité de la victoire du prolétariat.
"Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social traditionnel."
"Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste. Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner."
"Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"
1928 - Léon Trotsky - Critique du programme de l’Internationale stalinsée
Léon Trotsky
CRITIQUE DU PROGRAMME DE L’INTERNATIONALE COMMUNISTE
Le projet de programme, c’est-à-dire le document capital destiné à orienter le travail de l’Internationale communiste pour toute une série d’années, fut publié quelques semaines avant la convocation du Congrès qui eut lieu quatre ans après le Ve Congrès [1] .
Cela ne peut se justifier par le fait que ce projet avait déjà été présenté avant le Congrès précédent, précisément parce qu’il s’est écoulé plusieurs années depuis : le nouveau projet diffère du premier par sa structure et tente de dresser un bilan du développement au cours de la dernière période. Il serait, au plus haut point, imprudent et irréfléchi que le VIe Congrès adoptât ce projet – qui porte les traces évidentes de la hâte et de la négligence – sans qu’au préalable, une critique sérieuse en ait paru dans la presse et sans qu’une large discussion ait eu lieu dans tous les partis de l’Internationale communiste.
Depuis la réception du projet jusqu’à l’expédition de la présente lettre, nous n’avons eu que peu de jours : nous n’avons donc pu nous arrêter qu’à certaines des questions fondamentales traitées dans le programme.
En raison du manque de temps, nous avons dû laisser de côté plusieurs thèses importantes du projet sur des problèmes d’une actualité moins brûlante mais qui peuvent prendre demain une extrême acuité (il n’est donc pas moins nécessaire de les examiner que les parties du projet auxquelles notre travail est consacré).
Il faut ajouter que nous avons dû travailler sur ce nouveau projet dans des conditions qui ne nous ont pas laissé la possibilité d’avoir les informations les plus indispensables. Qu’il nous suffise de dire que nous n’avons pu nous procurer le premier projet et que nous avons dû, ainsi que sur deux ou trois autres questions, nous fier à notre mémoire. Il va de soi que toutes les citations sont faites d’après les textes originaux et ont été soigneusement vérifiées.
I. PROGRAMME DE LA RÉVOLUTION INTERNATIONALE OU PROGRAMME DU SOCIALISME DANS UN SEUL PAYS ?
La question la plus importante à l’ordre du jour du VIe Congrès est l’adoption du programme. Son caractère peut, pour longtemps, définir et fixer la physionomie de l’Internationale.
L’importance de ce programme ne vient pas tant de ce qu’il formule des propositions théoriques générales (elles se réduisent en fin de compte à une " codification ", c’est-à-dire à un exposé serré de vérités générales définitivement acquises), mais plutôt de ce qu’il dresse le bilan de l’expérience politique et économique mondiale de la dernière période ; il s’agit ici de la lutte révolutionnaire durant cinq ans riches en événements et en erreurs. C’est de la façon dont le programme comprendra et appréciera les faits, fautes et divergences, que dépend littéralement le sort de l’Internationale communiste, dans les années qui viennent.
1. STRUCTURE GÉNÉRALE DU PROGRAMME
A notre époque, qui est l’époque de l’impérialisme, c’est-à-dire de l’économie mondiale et de la politique mondiale dirigées par le capitalisme, pas un seul Parti communiste ne peut élaborer son programme en tenant essentiellement compte, à un plus ou moins haut degré, des conditions et tendances de son développement national. Cette constatation est aussi pleinement valable pour le parti exerçant le pouvoir dans les limites de l’U.R.S.S.
C’est en partant de ces considérations que nous écrivions en janvier de cette année :
" Il faut s’atteler à la rédaction du programme de l’Internationale communiste (celui de Boukharine n’est qu’un mauvais programme de section nationale de l’Internationale communiste, et non celui d’un Parti communiste mondial) " (Pravda, 15 janvier 1928).
Nous n’avons cessé d’insister sur ces considérations depuis 1923-1924, quand la croissance des Etats-Unis d’Amérique a posé un problème mondial, et au sens le plus direct de ce mot, un problème européen.
Tout en recommandant le nouveau projet, la Pravda écrivait :
" le programme communiste diffère radicalement du programme de la social-démocratie internationale, non seulement sur le fond, Dans ses thèses principales, mais aussi par l’internationalisme qui caractérise sa structure " (Pravda, 29 mai 1928).
Cette formule quelque peu vague exprime, c’est évident, la même idée que la nôtre (idée qu’on a repoussée avec obstination autrefois). On peut seulement approuver la rupture avec le premier projet présenté par Boukharine, projet qui en raison même de son inconsistance n’a pas donné lieu à un sérieux échange de vues. Si le premier projet ne présentait qu’une description schématique, aride, de l’évolution d’un pays abstrait du reste du monde, en revanche le nouveau projet essaie (malheureusement, sans esprit de suite et sans succès, comme nous le verrons) de partir de l’économie mondiale dans son ensemble pour déterminer le sort de ses différentes parties.
En reliant entre eux des pays et des continents qui se trouvent à des étapes différentes de développement par un système de dépendance et d’oppositions, en rapprochant ces divers niveaux de développement, en dressant impitoyablement les pays les uns contre les autres, l’économie est devenue une puissante réalité qui domine les réalités diverses des pays et des continents. A lui seul, ce fait fondamental confère un caractère très réaliste à l’idée même d’un Parti communiste mondial.
Comme le déclare justement le projet dans son introduction, en amenant globalement l’économie mondiale au point suprême de développement qui puisse être atteint sur la base de la propriété privée, l’impérialisme
" avive à l’extrême la contradiction entre la croissance des forces productives de l’économie mondiale et les cloisonnements qui séparent nations et Etats".
Si l’on ne comprend pas ce fait, dont la dernière guerre impérialiste a manifesté clairement la réalité devant l’humanité, on ne peut pas avancer dans la solution des grands problèmes de la politique mondiale et de la lutte révolutionnaire.
Le changement radical dans l’orientation même du nouveau projet ne pourrait être qu’approuvé, mais, en voulant concilier cette orientation juste avec des tendances diamétralement opposées, on a introduit dans ce projet des contradictions fâcheuses qui enlèvent toute importance de principe à la façon nouvelle de poser la question dans son fond.
2. LES ÉTATS-UNIS ET L’EUROPE
Pour caractériser le premier projet – heureusement abandonné – il suffit de dire que – pour autant que nous nous en souvenions – il ne faisait même pas mention des États-Unis d’Amérique du Nord. Les problèmes essentiels de l’époque impérialiste – en raison même du caractère de cette époque – ne peuvent pas être considérés seulement sous l’angle de l’abstraction théorique ; ils doivent l’être dans leurs réalités matérielles et historiques ; or, dans le premier projet, ils se perdaient dans le schéma sans contours d’un pays capitaliste " en général ". Le nouveau projet – et il y a là, certainement, un sérieux pas en avant – parle déjà du déplacement du centre économique du monde vers les États-Unis d’Amérique et de la transformation de la République du dollar en exploiteur mondial, du fait que les États-Unis ont déjà conquis l’hégémonie mondiale. Enfin il est dit que la rivalité (dans le projet on dit malencontreusement " le conflit ") entre les États-Unis et le capitalisme européen, en premier lieu le capitalisme britannique, devient l’axe des conflits mondiaux. Il est devenu maintenant tout à fait évident qu’un programme qui ne définit pas clairement et avec précision ces faits et facteurs fondamentaux de la situation mondiale ne saurait rien avoir de commun avec le programme du parti de la révolution internationale.
Malheureusement, les faits essentiels, les tendances principales du développement dans la situation mondiale actuelle sont simplement mentionnés dans le texte du projet ; ils ne sont reliés ni à des considérations théoriques ni à la structure du programme, ils n’entraînent aucune conclusion quant aux perspectives et à la stratégie.
Ce texte ne porte aucun jugement sur le nouveau rôle joué par l’Amérique en Europe depuis la capitulation du Parti communiste allemand et la défaite du prolétariat allemand en 1923. Il n’explique absolument pas qu’il y a un rapport étroit, sur les plans matériel et intellectuel, entre la " stabilisation ", la " normalisation ", la " pacification " de l’Europe, la " renaissance " de la social-démocratie, et d’autre part, les premiers pas de l’intervention américaine dans les affaires européennes [2].
De plus, il ne montre pas que le développement ultérieur inévitable de l’expansion américaine (avec le rétrécissement des marchés du capital européens y compris en Europe même) est porteur de troubles militaires, économiques et révolutionnaires sans commune mesure avec tout ce qu’on a vu jusqu’ici.
Il n’explique pas que les Etats-Unis, en poursuivant inéluctablement leur pression sur l’Europe, réduiront de plus en plus sa part dans l’économie mondiale ; il en résulte que non seulement les rapports entre les Etats européens ne s’amélioreront pas, mais qu’au contraire ils se tendront à l’extrême et aboutiront à des guerres ; en effet, les gouvernements, comme les classes, luttent avec plus de furie quand la ration est maigre que lorsqu’ils sont pourvus en abondance.
Le projet n’explique pas que le chaos intérieur dû aux antagonismes entre Etats européens enlève à l’Europe tout espoir de résister avec quelque peu de sérieux et d’efficacité à la République nord-américaine, qui est, elle, de plus en plus centralisée, et que pour surmonter ce chaos européen, on doit aller dans la voie des Etats-Unis soviétiques d’Europe : c’est là une des premières tâches de la révolution prolétarienne qui est plus proche en Europe qu’en Amérique (en raison précisément de la division en Etats), révolution qui aura très probablement à se défendre contre la bourgeoisie nord-américaine.
De plus, il ne signale pas (ce qui est un aspect non moins important du problème mondial), que la puissance des Etats-Unis dans le monde et l’expansionnisme qui en découle les obligent à introduire dans les fondations de leur édifice les explosifs de l’univers entier : tous les antagonismes de l’Occident et de l’Orient, les luttes de classes de la vieille Europe, les insurrections des masses colonisées, toutes les guerres et toutes les révolutions. Aussi dans cette nouvelle époque, le capitalisme de l’Amérique du Nord constituera-t-il la force contre-révolutionnaire principale qui se montrera de plus en plus attachée au maintien de " l’ordre " dans chaque coin du globe terrestre ; mais d’un autre côté, se prépare la gigantesque explosion révolutionnaire de la puissante force impérialiste qui domine déjà le monde et ne cesse de grandir. La logique des relations mondiales veut que cette déflagration ne tarde guère, après le déclenchement de la révolution prolétarienne en Europe.
Parce que nous avons expliqué la dialectique des rapports mutuels liant l’Europe et l’Amérique, on a lancé contre nous, dans les dernières années, les accusations les plus diverses : on nous a traité de pacifistes niant les contradictions européennes, on a dit que nous acceptions la théorie du super-impérialisme de Kautsky, etc. Il n’y a pas à s’y arrêter ; ces " accusations", dans le meilleur des cas, témoignent d’une totale ignorance des processus réels et de notre opinion sur eux. Mais on ne peut pas ne pas faire remarquer qu’il serait difficile de dépenser plus d’efforts pour embrouiller cette question essentielle de la politique mondiale, que ne le firent tout particulièrement les auteurs du projet de programme dans leur lutte mesquine contre notre façon de l’envisager. Pourtant, le déroulement des événements a entièrement confirmé notre position.
Dans ces derniers temps, les organes principaux de la presse communiste s’efforcèrent de diminuer – sur le papier – l’importance de l’hégémonie américaine, en évoquant l’approche aux Etats-Unis d’une crise commerciale et industrielle. Nous ne pouvons pas, ici, nous arrêter à l’examen du problème de la durée de la crise américaine et de son éventuelle profondeur. Ce n’est pas une question de programme, mais de conjoncture. Nous ne doutons pas, bien sûr, du caractère inévitable de la crise ; nous pensons même que celle qui va se produire peut être déjà très aiguë et très profonde, à cause de la puissance mondiale que possède aujourd’hui le capitalisme américain. Mais tenter d’en déduire que l’hégémonie nord-américaine s’affaiblit ne correspond à rien et ne peut que mener à de grossières erreurs d’ordre stratégique. C’est justement le contraire qui est vrai. En période de crise, l’hégémonie des Etats-Unis se fera sentir plus complètement, plus ouvertement, plus impitoyablement que durant la période de croissance. Les Etats-Unis liquideront et surmonteront leurs difficultés et leurs troubles, avant tout au détriment de l’Europe ; peu importe où cela se passera, en Asie, au Canada, en Amérique du Sud, en Australie ou en Europe même ; peu importe que ce soit par la voie " pacifique " ou par des moyens militaires.
Il faut clairement comprendre que si dans un premier temps l’intervention américaine a apporté à l’Europe une stabilisation et une consolidation qui en partie durent encore et peuvent même épisodiquement s’affermir (surtout en cas de nouvelles défaites du prolétariat), en revanche la ligne générale de la politique des Etats-Unis – surtout si leur économie connaît des difficultés et des crises – provoquera en Europe, comme dans le monde entier, de très grandes secousses.
De ces faits se dégage la conclusion, non négligeable, que les situations révolutionnaires ne manqueront pas au cours de la décennie à venir, pas plus qu’elles n’ont manqué au cours de la décennie qui s’est écoulée. Il importe de comprendre correctement les rouages fondamentaux du développement afin de ne pas être surpris par les événements. Si au cours de la dernière décennie les situations révolutionnaires étaient les conséquences immédiates de la guerre impérialiste, en revanche, dans la prochaine décennie les secousses révolutionnaires viendront surtout des rapports existant entre l’Europe et l’Amérique. Une grande crise aux États-Unis ferait à nouveau retentir le tocsin des guerres et des révolutions. Nous le répétons : les situations révolutionnaires ne manqueront pas. Leur issue dépend du parti international du prolétariat, de la maturité et de la capacité de lutte de l’Internationale communiste, de la justesse de sa stratégie et de ses méthodes tactiques.
Ces idées ne sont pas exprimées du tout dans le projet de programme de l’Internationale communiste. Un fait aussi important, semble-t-il, que le " déplacement du centre économique du monde vers les Etats-Unis " n’est signalé que par une simple remarque journalistique, sans plus. Il n’est pas possible de prendre pour prétexte le manque de place : est-ce que ce ne sont pas, précisément, les questions fondamentales qui doivent avoir leur place dans un programme ? A ce propos, il faut remarquer que le projet s’étend beaucoup trop longuement sur des questions de second ou de troisième ordre, qu’il est écrit dans un style relâché et qu’il comporte de nombreuses répétitions : on pourrait réduire le texte d’un tiers au moins.
NOTES
[1] Au IVe Congrès (novembre 1922) furent présentés un premier projet par Boukharine, un projet par Thalheimer au nom du Parti communiste allemand ; un projet par Kabaktchieff au nom du Parti communiste bulgare ; un programme d’action par le Parti communiste italien. Le Congrès adopta la résolution suivante : "
1. Tous les projets de programme seront transmis au Comité exécutif de l’Internationale communiste ou à une Commission désignée à cet effet, pour être étudiés et élaborés en détail. L’Exécutif est tenu de publier dans le plus bref délai tous les projets de programme qui lui parviennent ;
2. Le Congrès confirme que les sections nationales de l’Internationale communiste qui n’ont pas encore de programme national sont tenues de commencer immédiatement à en élaborer un pour pouvoir le soumettre au Comité exécutif, trois mois au plus tard avant le Ve Congrès, pour ratification ;
3. Dans le programme des sections nationales, la nécessité de la lutte pour les revendications transitoires doit être motivée avec précision et netteté ; les réserves sur les rapports de ces revendications avec les conditions concrètes de temps et de lieu doivent être mentionnées ;
4. Les fondements théoriques de toutes les revendications transitoires et partielles doivent absolument être formulées dans le programme général. Le IVe Congrès se prononce tout aussi résolument contre la tentative de présenter l’introduction de revendications transitoires dans le programme comme de l’opportunisme, que contre toute tentative tendant à atténuer ou à remplacer les objectifs révolutionnaires fondamentaux par des revendications partielles ;
Dans le programme général doivent être nettement énoncés les types historiques fondamentaux entre lesquels se divisent les revendications transitoires des sections nationales, conformément aux différences essentielles de structure économique et politique des divers pays, par exemple, l’Angleterre d’une part, l’Inde de l’autre, etc. "
Au Ve Congrès (juin 1924) fut adoptée la résolution suivante : "
1. Le Congrès accepte le projet de programme élaboré par la Commission comme base de discussion dans les sections ;
2. Une Commission de rédaction est chargée d’assurer la rédaction définitive du projet conformément aux résolutions de la Commission ;
3. Le Congrès propose l’institution par l’Exécutif d’une Commission permanente du programme, qui publiera le plus vite possible le projet avec les matériaux explicatifs nécessaires, afin d’orienter la discussion internationale et de la rendre féconde ;
4. La décision définitive sur le programme est réservée au prochain Congrès. "
Du Ve au VIe Congrès, la discussion resta en sommeil. Au VIe Congrès (juillet-septembre 1928), les anciens projets avaient disparu et les délégués se trouvèrent en présence d’un seul projet rédigé principalement par Boukharine et présenté au nom de celui-ci et de Staline. Le Congrès vota ce projet en y insérant quelques amendements mineurs.
[2] cf. le livre de Trotsky, Europe et Amérique, 1926.