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Les mensonges de la nationalisation-réquisition stalinienne de Berliet en 1944
mardi 10 juin 2025, par
Les mensonges de la nationalisation-réquisition stalinienne de Berliet en 1944
Les staliniens (PCF et CGT) ont prétendu que l’Etat ayant réquisitionné les usines Berliet pour faits de collaboration, il s’agissait d’une avancée ouvrière et socialiste. Balivernes !
Le 3 septembre 1944, Marius Berliet est arrêté sans mandat judiciaire. Les FTP réquisitionnent les usines Berliet. Le Commissaire de la République à Lyon Yves Farge, s’appuyant sur la loi du 10 septembre 1940, place l’entreprise sous séquestre le 5 septembre et fait arrêter les quatre fils — Jean, Henri, Maurice et Paul — le 13 septembre 1944.
Après deux années d’emprisonnement, Marius, Paul et Jean sont jugés en juin 1946 — Maurice et Henri n’étant passibles que de la chambre civique. Le 8 juin 1946, le prévenu Marius Berliet « dit coupable d’avoir sciemment accompli un ou plusieurs actes de nature à nuire à la défense nationale » est condamné à deux ans de prison, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens et à une interdiction de séjour dans l’agglomération parisienne, les départements du Rhône et limitrophes. En raison de son état de santé, sa peine est commuée en assignation à résidence surveillée, sous surveillance médicale judiciaire à Cannes. Malgré l’exil, le vieillard, diminué par la maladie, reste pugnace. Entre 1946 et 1949, il rédige des centaines de lettres, tracts et brochures « La Vérité sur l’affaire Berliet, Expérience soviétique chez Berliet », qu’il envoie à des personnalités de l’administration, de la politique, du monde économique. Il décède le 17 mai 1949.
Le commissaire de la République à Lyon nomme un de ses proches, Marcel Mosnier, militant actif au Parti communiste français, administrateur séquestre d’Automobiles M. Berliet. Ce dernier, en s’entourant de deux personnes, forme un Comité de gestion approuvé par le préfet du Rhône.
Le comité de gestion crée des organismes qui constituent un quadrillage syndical jusqu’au niveau des sections d’ateliers, le comité central d’entreprise, le comité social, les comités de bâtiments, les assemblées périodiques de compte-rendu. « L’union » est le mot d’ordre constamment répété de cette nouvelle organisation, expérience de « l’usine sans patron », la plus grande opération de gestion ouvrière de l’après-guerre.
Après quelques mois de motivation ouvrière, dès 1945, le groupe qui entraîne l’expérience et où les communistes sont en majorité se détache progressivement de la masse indifférente.
La production de deux modèles d’avant guerre, les types VDC et GDR, mais « gazobois », puis en 1946 du modèle GDM et les études des années précédentes reprennent, l’effectif étant de 3 200 personnes. En 1945/1946 débutent les avant-projets d’études du camion 5 tonnes GLR.
Après le procès de juin 1946, Marcel Mosnier est confirmé dans ses fonctions en qualité d’administrateur provisoire par le « communiste » Marcel Paul, ministre de la Production industrielle.
Dans le contexte dégradé de l’année 1947, marquée par la baisse de la productivité, la crise de la qualité, l’exaspération croissante des cadres face au processus du noyautage communiste, une grève des cadres et techniciens éclate en novembre et décembre 1947. Un nouvel administrateur provisoire, Henri Ansay, SFIO, ancien chef de cabinet de Vincent Auriol, est nommé en remplacement de Marcel Mosnier le 10 décembre 1947. Henri Ansay, ne souhaitant pas s’éloigner de Paris, désigne un directeur général, Antoine de Tavernost basé à Lyon. Ils s’emploieront à réformer la direction de l’entreprise en supprimant ou mettant en sommeil les structures établies en 1944 et à tenter de restaurer progressivement la discipline. En 1948, la production s’élève à 4 079 véhicules.
À la demande de Pierre Lefaucheux, président stalinien de la Régie Nationale des Usines Renault (RNUR), Henry Ansay va reprendre, sans succès, les pourparlers de rapprochement entre Berliet et la RNUR, pourparlers qui avaient échoué trois ans auparavant.
Les revendications salariales donnent lieu à des grèves fréquentes, notamment en janvier 1949. La situation financière est tendue à la fois par les besoins de financement liés au lancement du GLR et à la baisse du carnet de commandes, donc des acomptes.
Par arrêt du 22 juillet 1949, le Conseil d’État, saisi par la famille Berliet, annule l’arrêté du 1er août 1946 qui avait nommé Marcel Mosnier administrateur provisoire. Ipso facto, la nomination d’Henri Ansay devient caduque. Le 28 juillet 1949, celui-ci est maintenu dans ses fonctions par le gouvernement.
Il s’ensuit un bras de fer entre le Conseil d’État et le gouvernement qui se termine par l’arrêt du Conseil d’État du 28 décembre 1949 qui casse l’arrêté nommant Henri Ansay administrateur provisoire. Automobiles M. Berliet est restituée à ses propriétaires. Entre janvier 1947 et novembre 1949, le sort juridique de l’entreprise a fait l’objet d’une vingtaine de projets de nationalisation déposés au Parlement.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Berliet
L’expérience Berliet
Par un arrêt en date du 5 septembre 1944 du Commissaire de la République de la Région Rhône-Alpes, la firme automobile Berliet a été mise « en administration séquestre ». Monsieur Berliet et ses fils ont été arrêtés et transférés au Fort Montluc, ancienne prison de la Gestapo. En attendant, il se trouve à l’hôpital de l’Antiquaille. Le gouvernement a désigné Monsieur Mosnier comme administrateur, qui de son côté a désigné un « conseil consultatif » de trois membres, M. Boutiller, ingénieur des Mines, secrétaire du Préfet du Rhône, représentant les pouvoir publics et les usagers, c’est-à-dire la bourgeoisie et son État ; M. Pardin, ingénieur, secrétaire du syndicat des techniciens, nommé directeur technique ; M. Besson, secrétaire du syndicat des ouvriers métallurgistes ; M. Guérin, secrétaire du syndicat également ; et enfin M. Bidault, en remplacement de M. Guérin.
Les usines Berliet restent donc propriété privée de la société par actions Berliet ; Berliet lui-même, un des co-actionnaires, n’est même pas exproprié. Les autres actionnaires de la société anonyme continuent à empocher les bénéfices et les dividendes. Au contraire, l’effort accru des ouvriers, trompés par la nouvelle façade démocratique et réformiste, augmentera encore ces bénéfices.
L’usine Berliet reste propriété capitaliste
Tous les ouvriers de chez Berliet le sentent plus ou moins, mais la nouvelle direction essaie de les tromper à ce sujet. Pourtant, tant que les ouvriers n’auront pas élu leurs propres comités ouvriers dans toutes les usines du pays, tant que ces comités ne s’empareront pas de la direction des moyens de production et de toutes les affaires politiques et économiques, l’ouvrier restera exploité par la classe capitaliste, par l’Etat capitaliste qui se présente sous la couverture de la « nation », de l’ « intérêt général », de la « collectivité ».
Même si M. Berliet et ses fils étaient expropriés par l’Etat actuel, ce ne serait qu’une expropriation au profit des autres capitalistes et non pas au profit du prolétariat. Les nationalisations capitalistes ne changent rien à la condition prolétarienne. Des améliorations réformistes ou démocratiques sont possibles, des augmentations de salaires peuvent avoir lieu, mais l’ouvrier reste un exploité et souvent, par l’illusion d’être libéré du joug capitaliste, l’exploitation augmente encore.
Toute nationalisation n’est pas socialiste. Ainsi Engels condamne les étatisations de Bismarck, ainsi les marxistes d’aujourd’hui dénoncent le caractère réactionnaire des nationalisations opérées par Hitler, par De Gaulle, par Roosevelt, par les gouvernements capitalistes du Mexique et de Turquie, etc. Même les nationalisations révolutionnaires opérées par la dictature du prolétariat en octobre 1917 en Russie ont perdu leur valeur révolutionnaire depuis l’avènement d’une nouvelle classe exploiteuse en Russie, depuis la destruction des soviets qui étaient les seuls organes capables d’assurer la domination économique et politique du prolétariat.
Depuis la contre-révolution stalinienne en Russie, les capitalistes de tous les pays voient de plus en plus qu’ils pourront prolonger la durée de leur domination en « étatisant » certaines entreprises importantes et en racontant au prolétariat que ce serait un pas en avant vers le socialisme. Les étatisations en régime capitaliste, loin de libérer le prolétariat, renforcent au contraire son esclavage et la puissance concentrée de ses exploiteurs.
Les améliorations
apportées aux conditions de travail
Les ouvriers ont le droit de fumer dans les salles de travail où il ne se trouve pas de matières inflammables. Berliet, patron de combat, autoritaire et despotique, ne tolérait pas que les ouvriers fument pour « ne pas perdre de temps ». La nouvelle direction trouve d’autres moyens et, comme on peut le constater, des moyens plus efficaces pour « gagner du temps » et pour pousser à l’extrême l’effort des ouvriers. La cantine est bonne. Les gardes-chiourme ne sont plus derrière chaque ouvrier. C’est moins nécessaire, parce qu’une partie des ouvriers est encore assez « enthousiaste », c’est-à-dire assez illusionnée pour donner un maximum de force de travail.Les salaires ont été augmentés, 4 francs 40 par heure en moyenne. Cela ne fait même pas 40%, et pourtant la vie monte.
Les aggravations des conditions de travail
A la suite des bombardements, les ouvriers sont obligés de travailler dans l’eau jusqu’aux chevilles et dans les courants d’air. Tout est cassé, des murs, des vitres. Pour réparer cet état de choses, on demande des « volontaires » qui font des heures supplémentaires surtout le samedi. Ces heures sont payées sans majoration. Le travail au temps chronométré continue.
Rien ne pourrait mieux démontrer l’exploitation que le fait suivant : la production de voitures augmente sans cesse, mais les ouvriers manquent de moyens de transport pour aller à l’usine. L’ouvrier a le choix d’être bousculé dans le car ou de rester sur le pavé.
L’escroquerie réformiste
L’expérience Berliet est nouvelle pour la France, mais elle ne l’est pas pour le mouvement ouvrier international. Il suffit de rappeler l’exemple des « socialisations » en Allemagne et en Autriche en 1918. A ces occasions, la bourgeoisie faisait des concessions encore plus importantes que celles que nous voyons dans le cas Berliet. Certains Berliet allemands ont réellement été expropriés par l’Etat « démocratique » de Weimar et les ouvriers avaient un contrôle encore beaucoup plus important que ceux de chez Berliet. En Espagne « républicaine », la bourgeoisie confiait même aux bonzes syndicaux la gestion de certaines usines et la démocratie était encore bien plus large que celle que nous voyons chez Berliet où la direction n’est pas élue mais désignée par le représentant du général de Gaulle, c’est-à-dire par le représentant de la bourgeoisie. Pourtant, même dans les exemples précités, la classe ouvrière restait toujours classe exploitée et la bourgeoisie ne lâchait jamais le gouvernail.
Cela n’empêche pas la nouvelle direction de chez Berliet, composée de différents valets conscients ou inconscients du régime capitaliste, de faire une propagande démagogique. Le reflet fidèle de cette propagande est le journal de l’usine Contact dont deux numéros sont déjà parus, 19 octobre et 9 novembre 1944.
Travailler pour la guerre impérialiste
Contact avoue dès le premier numéro qu’il paraît pour être « le trait d’union entre les différentes catégories sociales » de l’usine ; les marxistes savent que « les différentes catégories sociales » sont les CLASSES. Les démagogues ont peur de cette question. Le même éditorial prévoit « les malentendus et finalement la discorde ». « Au service de la nation française », c’est l’article de M. Mosnier qui déclare ouvertement que la production a été freinée par les méthodes malsaines de M. Berliet et qu’avec les nouvelles méthodes de gestion il s’agit de travailler « pour la poursuite victorieuse de la guerre et pour relever la France de ses ruines » ; pour arriver à ce surtravail dans l’intérêt de la « nation française » (lire bourgeoisie !) « il était nécessaire d’éliminer un patron de division dont la présence seule aurait interdit aux travailleurs de cette entreprise d’apporter une collaboration décidée, totale, dans le haut souci de l’intérêt général de la Nation ».
« Nous fabriquons pour satisfaire les besoins urgents du pays, nous mettrons à sa disposition tous nos moyens de production, toute notre énergie, toute notre force de travail ». « Dans ces établissements mis aujourd’hui au service de la collectivité, le comportement d’un travailleur doit être marqué constamment du souci de l’intérêt collectif. » Ce langage est assez clair. M. Berliet, le patron de combat et le collaborateur, aurait, par sa seule présence, suscité des résistances de la part des ouvriers. Il devait disparaître dans « l’intérêt général » de l’impérialisme français qui se trouve plus que jamais en guerre et qui a besoin d’un effort maximum de la classe ouvrière. Maintenant que Berliet est remplacé par une commission de bureaucrates et de techniciens désignés par le Commissaire du gouvernement, les ouvriers n’ont plus droit à la grève, ni même à la Résistance passive, sinon ils seront traités comme des membres de la Cinquième colonne, comme des contre-révolutionnaires et comme des saboteurs de la propriété « collective ». Comme on voit, la bourgeoisie française a appris quelque chose de l’expérience russe.
Le stakhanovisme est évidemment à l’ordre du jour. Nous savons que le stakhanovisme russe, instauré depuis 1936, n’est autre chose que le « système de la sueur » américain (Taylor) accentué et poussé jusqu’à l’extrême. Ce système a été aboli et condamné par la révolution d’octobre 1917. La bureaucratie stalinienne, pour diviser la classe ouvrière, l’a repris. Et le numéro 2 de Contact appelle les « Milices patriotiques », les « Brigades de choc », les stakhanovistes de la production pour le relèvement et la renaissance de la France. La direction se propose de susciter « les initiatives, l’ardeur au travail…. L’enthousiasme au relèvement des ruines de notre pays ». Relèvement des ruines du capitalisme français, au lieu d’exploiter sa situation difficile pour l’abattre une fois pour toutes ! Et surtout, les ouvriers de chez Berliet travaillent actuellement non pas encore pour « le relèvement des ruines » mais pour en faire d’autres, car la plupart de la production ne sert qu’à la guerre impérialiste qui continue en France et au-delà des frontières.
Les ouvriers commencent à comprendre
Le deuxième numéro de Contact reflète déjà le mécontentement grandissant des ouvriers. Certes, en première page, nous lisons le communiqué de la « bataille de novembre » : « Nous avons pris l’engagement d’honneur ( !), après avoir produit en octobre 40% de plus qu’avant la Libération, de doubler la production en novembre et de dépasser de 20% la production mensuelle moyenne de 1943, malgré les difficultés et les ateliers mutilés. » Certes nous trouvons aussi en première page l’article démagogique de Bardin qui commence par ces mots : « Enfin nous voilà débarrassés des oppresseurs. La Maison Berliet devient la Maison de la Liberté. »
Après certains aveux concernant « les traces du régime infect », Bardin exalte le surtravail que « ni le froid, ni la pluie ne décourage ». Ce n’est pas le langage camouflé d’un marxiste, qui choisit ses termes pour passer la censure, tout en exprimant toujours sa pensée marxiste, mais c’est le langage de l’ancien trotskyste qui n’a jamais cessé de considérer la Russie contre-révolutionnaire comme un « Etat ouvrier dégénéré ». Pour ces gens-là, ce ne sont pas les ouvriers qui dirigeront les usines pour construire le socialisme, mais ce seront toujours des cliques de bureaucrates et de techniciens qui remplaceront l’ancienne bourgeoisie pour maintenir dans le salariat et dans l’exploitation capitaliste le prolétaire… tout en parlant de « liberté »…
Pourtant même d’après Contact, les ouvriers de chez Berliet sont mécontents.
1) « nombreux sont les camarades qui critiquent les salaires appliqués ».
2) Ils considèrent l’usine Berliet toujours comme la « boîte Berliet ».
3) Ils sont mécontents du manque de moyens de transport.
4) Ils se préparent, d’une façon « généralisée », « avant l’heure de sortie ».
Dans ces quatre cas, l’organe du « personnel » prend position contre le personnel.
Promesses et menaces
Et rien ne peut mieux démasquer son caractère de classe. Dans la question des salaires, Besson et Bidault font de vaines promesses, tout en avouant « les salaires anormalement bas », inférieurs même aux autres salaires de la place de Lyon. « Nous disons donc que les critiques sont prématurées et qu’il ne tient qu’à nous, ouvriers et techniciens, d’améliorer notre situation en tenant nos engagements et en prenant nos responsabilités ».
Vous voulez des salaires plus élevés ? Travaillez davantage !
En ce qui concerne la « boîte Berliet » : « Cette appellation doit disparaître ». Comme si le changement d’appellation changerait quelque chose au fait. Tout en soulignant en première page la surproduction de voitures, on déclare en dernière page (Le Reniflard) : « Nous n’avons pas assez de cars, c’est entendu, mais… »
Et pour arriver au quatrième point de mécontentement « la section syndicale » fait appel : « Calculez un peu ce que cette perte de temps multipliée par le nombre d’ouvriers représente en perte dans la production totale » et exige que ces « habitudes inacceptables doivent disparaître ». Aux vagues promesses se joignent des menaces non camouflées.
Les ouvriers qui osent critiquer sérieusement ou même résister à l’exploitation sont assimilés à la « Cinquième Colonne ». Il faut souligner que la majorité des ouvriers ne s’engage pas comme « volontaires » pour les heures supplémentaires.
Les Milices patriotiques « doivent veiller à ce que les saboteurs ne viennent pas jeter la perturbation et faire échouer une expérience qui démontrera leur libération définitive. Elles feront la chasse aux semeurs de discorde, de désunion, aux fabricants de faux bruits malveillants, aux freineurs et aux saboteurs. Elles seront les brigades de choc, les stakhanovistes… »
La lutte de classe doit continuer
Les Communistes Révolutionnaires doivent dénoncer la manœuvre réformiste et soi-disant démocratique qui est faite dans l’intérêt du capitalisme. Ils doivent démasquer le vrai caractère de classe de l’expérience Berliet, de Renault, et de toutes les autres entreprises mises sous séquestre d’Etat ou nationalisées au profit de l’Etat capitaliste. Seules les nationalisations au profit d’un État prolétarien, opérées par les comités des ouvriers d’un pays tout entier, sont progressives.
Les ouvriers ont prouvé plus d’une fois qu’ils sont capables de faire fonctionner les usines eux-mêmes, sans patron, groupés en comités qui prennent en main toutes les entreprises. Ils l’ont prouvé en Russie de 1917-1923, en 1918/19 en Allemagne, Autriche, Italie, Hongrie, plus tard en Espagne, au Mexique, etc.
En tout cas ce ne sont pas les expériences Berliet ou Renault qui peuvent nous apporter de nouvelles preuves.
Dans le cas particulier de Berliet, il faut souligner que l’entreprise n’a même pas été nationalisée ni expropriée. Berliet et les autres actionnaires, anonymes d’ailleurs, restent propriétaires et continuent à empocher les dividendes et les bénéfices. Il est possible que ces bénéfices soient dans une certaine mesure réduits mais alors ce n’est pas au profit du prolétariat mais au profit de l’Etat français qui s’appelle mensongèrement « nation » ou « intérêt général » et qui fait, avec la sueur et le sang des ouvriers, la guerre impérialiste aux côtés des impérialismes anglais, américain et russe, aujourd’hui contre l’Allemagne, demain contre le Japon et pour reconquérir les colonies ou pour écraser la révolution prolétarienne dans tel ou tel pays.
En expliquant aux ouvriers le sens capitaliste du changement de direction chez Berliet ou dans d’autres entreprises, les Communistes Révolutionnaires doivent appeler les ouvriers à la continuation de la lutte des classes pour la réalisation de toutes les revendications immédiates, pour l’augmentation immédiate des salaires correspondant à la surproduction des ouvriers et surtout au coût de la vie qui monte rapidement, pour l’échelle mobile des salaires, pour l’amélioration des conditions de travail. Cette lutte doit être menée non pas par des pétitions ou des discussions avec la nouvelle direction mais par les moyens classiques de la lutte ouvrière : par la grève depuis la grève perlée jusqu’à la grève générale.
A travers cette lutte de classe les ouvriers doivent former leurs comités d’usine, des comités élus par les ouvriers, entièrement indépendants de la bourgeoisie et de son Etat, à l’opposé des prétendus « comités mixtes » ou autres dirigés par le patronat ou l’Etat bourgeois. Les comités d’usine doivent finalement prendre la direction de l’usine. C’est la seule voie pour arriver à l’expropriation réelle des exploiteurs.
Décembre 1944.
L’expérience Berliet et son sabotage par les politiciens (1948)
On n’a prêté en général que peu d’attention au conflit des Usines Berliet qui présentait cette originalité d’avoir été provoqué par la révolte des cadres et agents de maîtrise contre une administration « politisée » utilisant les ouvriers comme masse de manœuvre,
II nous a paru nécessaire de profiter de cette crise, qui a jailli aboutir à la fin de l’expérience, pour documenter nos camarades sur cet essai, de « gestion » entreprise avec la collaboration des salariés. La monographie que nous publions aujourd’hui est tirée d’une brochure encore inédite et des circulaires rédigées par le Comité de grève des Cadres de l’Entreprise. Elle pose les problèmes des conditions d’une gestion directe et du rôle des cadres qui appellent un examen sérieux. Elle pose aussi indirectement le problème de « l’étatisme », et directement celui des ravages causés dans tous les domaines, dans toute l’activité économique comme dans le mouvement ouvrier, par la politique d’un parti caporalisé. On peut faire des réserves pour certaines opinions exprimées par les « cadres » de Berliet. On peut même regretter certaines de leurs réactions Encore faut-il connaître opinions et réactions et rechercher les responsabilités initiales du conflit et du sabotage de l’expérience, même si on n’approuve pas celle-ci dans son principe.
Historique de l’entreprise Berliet
L’entreprise Berliet a été fondée par M. Marius Berliet en 1899. Elle comprenait un atelier de 90 mètres carrés occupant 5 ouvriers. Avec l’ensemble de l’économie française, la maison se développait rapidement et, après 7 années d’efforts, en 1906, l’usine couvrait à Lyon-Monplaisir 120.000 mètres carres.
Onze ans plus tard, à la fin de la première guerre mondiale, en 1917, un bond important était réalisé dans la voie de l’extension. Une société anonyme, au capital de 50 millions de francs, était créée, qui achetait à Vénissieux, dans la banlieue sud-est de Lyon, un domaine de plus de 400 hectares. Un groupe d’usines était édifié, dans une enceinte de 70 hectares. Autour de celles-ci, se situaient les cantines, le service des transports, la cité ouvrière et une ferme importante.
Les nouvelles usines comprennent les ateliers de fonderies, de forges, d’emboutissage, d’usinage, de montage et de carrosserie. Elles peuvent occuper de 12.000 à 15.000 travailleurs avec plus de .6.000 machines. La réalisation de ces vues grandioses, que les circonstances avaient favorisées, dotait le pays d’un nouveau centre industriel de première importance.
Après les difficultés financières, survenues au cours de 1920 et des années suivantes, la société anonyme était transformée en société en commandite par actions. En 1944, le gérant en est toujours Marius Berliet, le capital est de 156 millions, répartis en 62-400 actions de 2.500 francs.
La gestion du gérant est contrôlée par un conseil de surveillance de trois membres : un neveu et deux gendres.
L’un de ces derniers, M. Winckler, brasseur à Lyon, est président de ce comité. C’est lui qui apparaîtra, désormais, dans la défense des intérêts de la famille Berliet. Malgré les confiscations de l’État en 1946, celle-ci en effet possède encore 80 % des actions de la société. La raison en est dans les précautions financières que le potentat de Vénissieux avait prises, avant la guerre, sachant à quels égarements son caractère pouvait l’entraîner.
Peu à peu Marius Berliet s’entourait de ses fils dans la direction des usines. Si le grand patron-de combat, Marius Berliet, pouvait encore apparaître à certains comme un grand bonhomme, ayant du moins beaucoup travaillé, la présence de sa quadruple géniture aux postes essentiels amena bientôt un climat intolérable. Formés aux rudes disciplines d’un père autoritaire, les fils acceptèrent avec soumission ses idées obtuses sur l’évolution sociale. Leur jeunesse, leur incompétence et le souci de n’être pas au-dessous de la tâche qu’on attendait d’eux amplifièrent la malfaisance de leur comportement antisocial.
C’est ainsi que le mépris de la classe ouvrière devint le premier article de leur credo. Pour eux, le travail était une marchandise, comme les autres, que l’on rejetait quand elle n’était plus nécessaire. Indifférents à l’avilissement de la personne humaine, ils imposèrent la passivité, suscitèrent la délation et firent éclore çà et là cette fleur vénéneuse : la servilité.
Dans cette atmosphère de crainte, de terreur même, qui pesait sur l’usine entière, la défense des intérêts des différentes catégories de travailleurs était malaisée. Les syndiqués, considérés comme des conspirateurs, étaient pourchassés. Malgré cela, des réactions individuelles se firent jour, et les cadres particulièrement surent faire respecter la dignité de leurs fonctions.
Quelques mois avant les grands mouvements de 1936, les ouvriers avaient fait une grève éclatante, pour répondre à des tentatives de licenciements massifs, suivis en général de réengagements avec diminution de salaire. Un lock-out patronal avait été la contre-attaque à cette manifestation de mécontentement.
Néanmoins, ouvriers, techniciens et employés constituaient, dès juin 1936, de fortes sections syndicales, qui imposèrent l’application des conventions collectives. A la faveur de la « pause », les avantages consentis la veille étaient en partie repris, et les militants syndicalistes licenciés progressivement, notamment à la suite de l’échec de la grève générale du 30 novembre 1938.
En 1939-1940, l’autoritarisme vindicatif de Marius Berliet le mit en opposition avec le ministre de l’Armement de l’époque, M. Dautry. N’ayant pas compris que l’importance de ses usines en faisait une richesse nationale, qui justifiait les directives de l’État, son esprit absolutiste se dressa contre cette ingérence. L’obstruction qu’il fit au démarrage d’un programme de fabrication d’obus amena le ministre à le remplacer par M. Roy dans la direction de l’entreprise.
En 1940, après la débâcle, le patron et ses fils reprirent la direction de l’usine. Les tragique événements, qui meurtrissaient le cœur de tous les Français, les laissèrent indifférents. La tourmente passait sans rien leur apprendre. N’ayant eu aucune révélation du lien qui les unissait à leur personnel, ils s’engagèrent à nouveau dans cette conception moyenâgeuse qu’un grand patron peut se permettre toutes les exactions. S’opposant aux augmentations de salaires, même lorsqu’elles étaient accordées par le syndicat patronal, les Berliet s’installèrent dans la collaboration et recherchèrent les commandes allemandes. La poursuite du profit primait le devoir patriotique de résistance à l’occupant.
Ne s’arrêtant pas à moitié chemin, ils facilitèrent le départ des ouvriers et techniciens pour l’Allemagne hitlérienne. Deux des fils, Henri et Maurice, accompagnèrent même spectaculairement un convoi, revenant bien vite toutefois dans le giron paternel. A l’intérieur de l’usine, des résistants étaient traqués, les fils étant tout heureux de montrer une servilité autoprotectrice envers la Gestapo.
Par un accord secret avec nos alliés, l’usine eût pu être épargnée, si Marius Berliet avait accepté sa neutralisation. Ayant systématiquement refuge d’entrer dans cette voie, un bombardement très sévère fut réalisé le 2 mai 1944. La cité ouvrière fut en grande partie détruite ; les fonderies, les forges et l’emboutissage sérieusement endommagés ; d’autres bâtiments furent touchés plus légèrement.
Le résultat d’ensemble fut une mutilation de cette perle de l’industrie lyonnaise, qui, au delà du présent, atteignait la France, dans ses forces vives.
C’est dans ces conditions que M. Yves Farge, commissaire de la République’ à la libération de Lyon, faisait emprisonner Marius Berliet et ses quatre fils.
La trahison n’enrichissait plus !
Ce que fut l’expérience Berliet depuis la libération
Des directions, genre Berliet, étaient marquées du sceau de la collaboration. Quelques-unes même avaient des dénonciations à leur actif. Elles furent impitoyablement châtiées. Se substituant à elles, de véritables comités de gestion, composés d’une représentation des différents éléments du personnel, et assurant la direction effective des entreprises, surgiront un peu partout en France.
Ces comités, couronnés d’un administrateur-séquestre, contribuèrent grandement à la reprise de l’activité industrielle du pays par l’espérance de démocratie économique qu’ils apportaient.
Chez Berliet, le secrétaire de l’Union départementale des syndicats, Dedieu, fut chargé de proposer l’administrateur-séquestre. C’est ainsi que Bardin, ingénieur et secrétaire du syndicat des techniciens de la métallurgie, fut consulté, mais il se récusa. M. Yves Farge pressentit alors M. Mosnier, membre de son cabinet et secrétaire de l’Union des cadres et ingénieurs de la France combattante (U. C. I. F. C), qui devait devenir l’U. N. I. T. E. C. Mosnier accepta et demanda à Bardin d’assurer la direction technique.
Le 5 septembre 1944, par arrêté du commissaire de la République, Mosnier Marcel était nommé administrateur-séquestre des usines Berliet. L’arrêté précisait en outre qu’un comité consultatif de gestion serait désigné.
Par un arrêté du 28 septembre 1944, le préfet M. Longchambon fixait à quatre membres la composition du comité.
Depuis le 5 septembre 1944, la justice s’est prononcée. Le Comité de confiscations des profits illicites du Rhône a décidé, le 23 mai 1945, une confiscation de 106.753.000 francs auxquels s’ajoute une somme de 37.000.000 de francs, soit un total de 143-753.000 francs, frappant la société des automobiles Berliet. Il a toutefois été demandé que ce prélèvement ne vienne pas paralyser les efforts de la nouvelle gestion. Cette affaire sera vraisemblablement réglée par la décision de l’Assemblée nationale concernant le statut définitif de l’entreprise.
D’autre part, la cour de justice a condamné en 1946 Marius Berliet et ses deux fils, Paul et Jean, à la confiscation de leurs biens et à des peines de prison : deux ans pour le premier, 5 ans pour les deux autres. Les fils, Henry et Maurice, ont eu des condamnations légères à la chambre civique. Ces confiscations n’ont cependant amené, dans les mains de l’Etat, que 12 % environ des actions.
Reconstruction et production
La nouvelle gestion a dû assurer, en même temps que le démarrage d’un programme de fabrication, la reconstruction des bâtiments endommagés ou détruits.
Après l’agitation consécutive à la libération et à l’épuration, un climat favorable était créé et chacun cherchait à travailler mieux et plus vite.
La reconstruction des ateliers, des succursales : Paris, Nantes, Dijon, Rouen était entreprise, et parallèlement des démarches étaient effectuées pour obtenir les accords nécessaires des services du ministre compétent.
La reconstruction est sur le point d’être achevée pour les usines ; elle ne l’est pas encore pour les succursales, et déjà 175 millions ont été dépensés à ce titre. Pour donner une idée de l’importance des travaux, effectués uniquement avec les moyens et les services de l’entreprise, voici quelques chiffres : la couverture et la fermeture des ateliers nécessitaient 75.000 m2 de verre, 3.500 tonnes de tuiles, 1.000 tonnes de bardeaux. La réfection des murs et des installations a englouti plus de 1-300 tonnes de ciment, chaux et plâtre, et plusieurs centaines de tonnes de fers profilés.
Les maisons de la cité, entièrement détruite, ne sont pas toutes reconstruites, un projet d’urbanisation ne l’ayant pas encore permis.
Au fur et à mesure que les ateliers se remontaient, la remise en route de la production s’effectuait rapidement. Le 7 septembre 1944, l’usine était ouverte avec un effectif de 3.200 personnes. L’effort se portait sur le type de camion qui s’imposait à l’époque, le 6 tonnes 5 do charge utile. Le 20 septembre, le premier véhicule sortait : il était dénommé symboliquement « Grégoire », nom de M. Yves Farge dans la résistance.
La production de 20 camions, en septembre, passe à 70 en octobre. Rapidement, le point d’équilibre de la gestion était atteint, puis dépassé. Les difficultés furent grandes. Il faut rappeler l’insuffisance des approvisionnements en matières premières et produits divers, le rude passage de l’hiver 1944-45, les journées pluvieuses, pendant lesquelles les ouvriers ont fait preuve d’une volonté, d’un courage admirables, travaillant même sous la pluie et la neige. Par ailleurs, il a fallu orienter les fabrications, en fonction des programmes et des cadences fixés par la direction des industries mécaniques.
La production s’est stabilisée quelques mois en 1945 à 8 véhicules par jour, en 5 et 7 tonnes de charge utile. Dans le deuxième semestre 19,45, le démarrage de la fabrication des moteurs Diesel était assuré. En octobre 1947, la production était de 16 véhicules par jour, en camions de 5, 7 et 10 tonnes de charge utile et en autobus urbains et interurbains. Il faut ajouter à cette cadence, la fabrication de trolleybus, qui sortaient à raison de 8 par mois. La production des pièces détachées a plus que doublé par rapport à 1938, pour atteindre 350 tonnes par mois.
L’effectif du personnel est passé à près de 7.500 personnes. Les services techniques ont eu à étudier, en même temps que la reconstruction des installations, leur modernisation. Il a fallu aussi adapter les ateliers aux programmes de fabrication, ceux-ci ne comportant plus de voitures légères ou de véhicules utilitaires de petit tonnage. Les ateliers d’outillage ont été organisés pour construire et réparer les machines en service, pour préparer l’outillage indispensable aux nouvelles fabrications.
Un effort important a été fait dans l’achat de machines et d’installations nouvelles, qui porte sur plus de 500 millions de francs, pour les années 1946-1947.
Les résultats de la gestion sont tels que les investissements ont été couverts sans apport de capitaux extérieurs, c’est-à-dire par autofinancement de l’entreprise, et que les bilans des années 1945 et 1946 ont été clos avec des résultats positifs.
Fonctionnement de la démocratie
En septembre 1944, l’ancien comité social fut dissous, tandis qu’un comité d’épuration était constitué par les délégués du personnel et présidé par une personnalité n’appartenant pas à l’usine. Ce comité a fonctionné avec objectivité dans l’ensemble, se gardant de donner suite à des frictions antérieures personnelles. Il a décidé des séparations rendues indispensables par des comportements individuels inacceptables au cours de la période 1940-1944. La direction générale a sanctionné ces décisions en les respectant.
Le comité a cessé de fonctionner, après quelques mois, estimant sa tâche terminée. Il est donc parfaitement incompréhensible que des éléments, animés par des préoccupations s’opposant souvent à la bonne marche de l’entreprise et les absorbant au point de se superposer totalement à l’activité professionnelle normale, cherchent à diviser les ouvriers d’avec les agents de maîtrise et les cadres. Sur une base de calomnies, ils font appel à cette très ancienne réaction des ouvriers, qui voient chez ceux qui les commandent une émanation du patron.
Après la libération, les délégués élus par le personnel, conformément aux dispositions des conventions collectives, étaient remis en fonction.
Parallèlement à cette institution, et après une période de tâtonnements, des « comités de bâtiment » étaient créés qui permirent d’associer plus étroitement tous les travailleurs à la marche de chaque grand service. Quatorze comités de bâtiments fonctionnent : Fonderies, Forges, Emboutissage, Usinage, Carrosserie, Entretien général, Service électrique, Service bois, Grands Bureaux, Usine de Monplaisir, Service des pièces détachées, etc.
Chaque comité de bâtiment est présidé par un cadre supérieur, chef du service considéré. Les délégués ouvriers, techniciens et employés sont élus au vote secret. Le comité1 est informé par son président de la gestion du service, du programme de travail, des prix de revient, des difficultés diverses. Les membres du comité formulent les suggestions, critiques ou réclamations du personnel.
Dans le domaine de la production, un élan enthousiaste a pu être obtenu, en cristallisant dans ces organismes les aspirations légitimes des travailleurs.
Le comité central d’entreprise doit coordonner et impulser l’action des comités de bâtiment. Il comprend les 14 représentants de ces derniers, plus deux représentants des cadres. La proportion des ouvriers et mensuels a fait l’objet d’accords entre les délégués de ces catégories. La législation a subi, chez Berliet, une adaptation qui, jusqu’ici, a recueilli l’approbation des diverses organisations syndicales.
Le premier mercredi de chaque mois, le comité central est informé par l’administrateur provisoire, entouré du comité consultatif de gestion, de la situation financière, de la marche de l’entreprise et des projets.
Dix commissions de travail ont été créées, qui sont présidées par un membre du comité central. Leur rôle est de faire bénéficier tout le personnel d’avantages matériels, intellectuels et moraux qu’un groupement collectif uni peut seul procurer. Ces commissions sont contrôlées financièrement par un petit comité de quatre membres. La trésorerie du comité central d’entreprise est assurée par un versement non obligatoire, de tous les salariés de l’usine, égal à 0,5 % du salaire. La trésorerie de l’usine donne une somme égale à la somme des versements individuels.
Ces dix commissions sont les suivantes :
Ravitaillement, Cantines, Sports et Loisirs, Jardins ouvriers, Formation professionnelle, Hygiène et Sécurité, Entraide, Gestion de la ferme, Cité ouvrière, Action sociale et professionnelle. Elles comportent chacune 6 à 10 membres pris parmi les délégués. Elles peuvent, en outre, faire appel à des conseillers techniques extérieurs.
Un journal mensuel « Contact » aurait dû refléter toute cette vie intérieure. En fait, il n’a pas atteint son but et n’en a été que le pâle reflet.
Les cantines en gestion directe ont progressivement offert un repas d’autant plus acceptable que la gestion de la ferme devenait plus judicieuse.
D’autre part, le comité d’entreprise a acquis en 1946 un château et ses dépendances situé à 40 km. de Lyon, à Létrat, dans le Beaujolais. Un centre de repos pour les convalescents et une colonie de vacances de 300 à 400 enfants ont été aménagés. Cette belle réalisation a pu se faire grâce aux versements du personnel et à des prélèvements effectués sur les bénéfices.
D’autre part, un club sportif a été organisé : le Stade-Auto Lyonnais (S. A. L.), qui compte plus de 800 membres et qui dispose d’un stade dont l’inauguration a eu lieu’ au début d’octobre 1947. Un groupe artistique a donné des fêtes très appréciées et organise chaque année un arbre do Noël pour les enfants. Les jouets sont fournis en grande partie par le travail bénévole des menuisiers et de leurs chefs. Dans ces commissions et groupes, les cadres ont su prendre une large place. Ils y font œuvre d’un grand dévouement.
La gestion, avec un administrateur-séquestre, devenu administrateur provisoire par un arrêté du ministre de la Production industrielle, en juin 1947, a fait des bénéfices. Ceux-ci ont été répartis partiellement en 1945 et 1946 en fonction de 4 coefficients : personnel, assiduité, ancienneté, fonction. A partir de fin 1946, le système de répartition a été modifié. Il a été remplacé par un pourcentage, établi mensuellement, en fonction de la production et de la gestion de l’avant-dernier mois et s’exprimant par la formule suivante :
X % = 1/3 x 100/42 x 100 (A/A + B (V/R — 1) + B/A + B (V’/R’ — 1)
La formule paraît compliquée. En fait, elle ne l’est pas. 100/42 est le rapport des dépenses totales à la somme de tous les salaires et appointements ; A & B sont les poids de la production châssis et pièces détachées ; V et V sont les prix de, vente Usine châssis et pièces détachées ; R & R’ sont les prix de revient châssis et pièces détachées. Il est distribué 1/3 de la marge bénéficiaire, ainsi calculée. Cette formule a fait l’objet de plusieurs mises au point, avant de se présenter ainsi. Le X % a varié avec les modifications de prix et de salaires entre 9 et 16 %.
Chaque membre du personnel est intéressé à percevoir un X% le plus élevé possible. Les facteurs sur lesquels il peut agir sont : l’augmentation de la production, l’amélioration de la qualité, la recherche de l’abaissement du prix de revient, par les économies qu’il peut réaliser ou faire réaliser.
Pour que la démocratie soit réelle, il faut que l’ac-cessibilité à un poste plus élevé soit possible à n’importe quel salarié suivant ses qualités. L’existence d’une école d’apprentissage, d’ateliers de perfectionnement, d’ateliers de promotion ouvrière, de cours spéciaux adaptés aux élèves, rendent de grands services. Ces institutions sont à compléter.
Réflexions
Les avis sont bien différents sur la valeur de l’ex-périence Berliet. Le but étant clair pour chacun, un rapprochement de toutes les catégories du personnel aurait pu se faire aisément. II n’est cependant pas facile d’unir dans un but commun ouvriers, employés, techniciens, agents de maîtrise, cadres et ingénieurs. Les fonctions différentes dans la production ne sont pas bien comprises par tous. Le développement du sens des responsabilités, à travers une gestion qui se voulait plus démocratique, n’a pas toujours permis les relations souhaitables, qui auraient pu naître, entre les différentes catégories de salariés.
Bien des difficultés s’opposent à cette compréhension réciproque. Tout d’abord, les conditions générales n’ont pas aidé à clarifier l’atmosphère ; le personnel a été constamment agité par les problèmes du ravitaillement et des salaires. En janvier 1946 et septembre 1947, de courtes grèves éclatent, motivées par les restrictions sur le pain. De très nombreuses grèves partielles, en général de quelques heures, ont lieu à partir de fin 1945, dans le but d’obtenir dos augmentations de salaires. Des systèmes de prime au rendement sont appliqués cependant partout où cela est possible. Le service du chronométrage rencontre des difficultés très grandes à imposer des temps corrects. Peu à peu le chronométrage se fait sur des moyennes horaires, exprimées en nombre de minutes, de plus en plus élevées.
Le déséquilibre constant, entre les salaires et les prix, n’a pas encore permis d’arriver à cette phase essentielle, qui démontrerait l’intérêt de l’expérience Berliet : Un taux des salaires supérieur à ceux des travailleurs des autres entreprises.
Politisation progressive
On a vu, dans les pages précédentes, le climat de méfiance et de crainte qui régnait dans les usines au temps de Marius Berliet. A la libération, une détente enthousiaste des esprits se manifeste. Chacun c’en est fini, désormais, de travailler dans une atmosphère pesante et artificielle, où le travailleur ne livre de lui-même que l’indispensable et jugule l’essentiel. La liberté d’expression renaissait.
Sans contrainte, on allait enfin pouvoir s’exprimer et les initiatives allaient pouvoir être libérées. La prise de responsabilités devenait un devoir agréable, que chacun allait s’honorer de rechercher. En fait, il en fut ainsi dans une période d’euphorie, qui dura près de deux années.
Un tandem uni, Mosnier-Bardin. menait le peloton. Le personnel, tout entier, heureux de cette impulsion, accordait une confiance enthousiaste à la direction nouvelle. Il était ainsi à même de fournir l’effort exceptionnel qui lui fut demandé pour la reconstruction d’une usine dévastée.
Mais les jours passèrent, et la politique, ce virus filtrant, pénétra les esprits.
C’est ainsi que d’une œuvre commune, on a tenté de faire une œuvre communiste.
Au surplus, il est à noter que la politisation d’une entreprise, aussi importante que la nôtre, n’aurait pu s’effectuer, avec la persévérante continuité qui frappe l’observateur objectif, si une coordination des activités d’investissement n’avait été réalisée.
Ce fut là, le rôle essentiel de l’administrateur provisoire. Examinons maintenant, avec objectivité, les faits patents et tout d’abord accordons une mention particulière au service, de surveillance.
Service de surveillance
Ce service doit assurer normalement le contrôle des entrées et des sorties du personnel et des véhicules. Il doit faire appliquer les consignes concernant la discipline générale. Il doit, enfin, dépister les voleurs de matériel. Le chef de ce service est Minet.
Il a succédé à Barrier qui fut éliminé, soi-disant pour manque d’énergie, mais, en réalité, afin de réserver cet emploi à un homme de confiance du parti communiste.
Ce poste, donnant autorité sur un groupe de gardes armés, disposant pratiquement de. tout leur temps, constitue, en effet, une position stratégique de première importance. Il permet de jumeler facilement cette activité apparente de surveillance et une activité politique cachée. Eventuellement, d’appuyer cette action politique par une force organisée et armée.
Cette action a pris, jusqu’ici, les formes suivantes :
a) Utilisation du local de ce service (pièce du fond,à droite en entrant) pour le stockage des journaux du parti communiste, et de tous documents imprimés à distribuer ou à afficher. Sert également de salle intime de réunion pour les militants communistes du sommet, les réunions de cellule se faisant dans l’ancienne conciergerie de la porte C.
b) Utilisation des voitures et du personnel de l’usine, pour le transport des journaux.
c) Distribution des documents (tracts, circulaires, journaux), du parti communiste pendant les heures de travail, par certains gardes du service, dont on maquille la silhouette traditionnelle en les coiffant d’un béret basque, au lieu de la casquette réglementaire. Ces mômes gardes assurent, en outre, le transport des messages politiques- à l’intérieur de l’usine.
d) Racolage d’ouvriers « qualifiés politiquement » le 21-5-47 par le sieur Thévenet du service de surveillance, afin de participer à une manifestation « spontanée » contre le préfet que l’on obligera à démissionner. Débauchage de cette main-d’œuvre à l’usine, sans le consentement d’aucun chef qualifié.
Transport de cette équipe de choc par les cars de l’usine.
e) Menaces et violences de langage du sieur Minet sur les ouvriers qui résistent à la pression communiste. Voies de fait le 2 septembre 1947 sur un ouvrier rétif, lors de la grève pour la ration de pain.
f) Calomnies et menaces larvées contre les cadres, du même sieur Minet dans le » Mécano », journal communiste de l’entreprise.
g) Action coercitive d’une équipe de militants communistes contre nos trois camarades Bardin, Benoit et Planté, renvoyés abusivement, sans aucune garantie légale, par l’administrateur provisoire communiste.
Action communiste au sein des syndicats
Le désir d’avoir en main les leviers de commande syndicaux, afin d’abriter leur activité politique derrière une apparence de démocratie, a conduit les militants du parti communiste a l’action suivante :
I. — L’organisme supérieur, vraiment représentatif de l’autorité syndicale dans l’usine, doit être constitué d’éléments syndicaux appartenant aux différentes catégories du personnel et même aux différentes obédiences.
En fait, étant donné la fusion syndicale techniciens-ouvriers, il suffisait, pour réaliser un comité intersyndical, d’avoir le concours de représentants ingénieurs et cadres dont le syndicat jouit d’une certaine autonomie au sein de la Fédération des Métaux. Ce comité fut bien constitué, mais on ne le réunit jamais.
Le syndicat ouvrier neutralisant d’une part, en son sein, les éléments techniciens, ignora systématiquement, d’autre part, le Syndicat ingénieurs et cadres que l’on savait rebelle aux directives communistes. Il devenait ainsi le seul maître des décisions à intervenir, ce dont il ne se priva pas, malgré les protestations véhémentes des ingénieurs et cadres.
II. — En 1946, le congrès Berliet, c’est-à-dire en fait la même minorité agissante (les cadres étant absents), décida que la fonction de membre ouvrier du comité de gestion était incompatible avec celle de secrétaire de section syndicale. Un excellent élément, Besson, d’esprit objectif, mais d’appartenance non communiste, tenait ce double poste, depuis la libération, à la satisfaction de tous.
Les augures, ayant décidé de l’éliminer, l’opération se fit en deux temps. En application du principe précédent, on le laissa à la gestion et on nomma Pontal, communiste, secrétaire syndical. Quelque temps après, ce dernier devenait permanent, appointé par l’entreprise.
Au congrès de 1947 (où les cadres furent violemment attaqués) malgré l’approbation du rapport moral présenté par Besson,, on élimina celui-ci de la commission exécutive : Besson, militant intègre et de noble conscience, se retira de la gestion, persuadé qu’un vote ultérieur de ses camarades de base montrerait l’inanité de cette mise en minorité. On ne le lui permit pas et un communiste fut désigné (et non élu) par la section syndicale pour le remplacer.
Comme en musique, ou une blanche égale deux noires, cette équivalence, flatteuse pour Besson, amenait deux communistes aux postes les plus responsables.
Désormais le représentant des cadres et ingénieurs était pratiquement isolé au comité de gestion.
La tête de Besson étant tombée, on pouvait œuvrer maintenant pour obtenir celle de Bardin. On verra plus loin que celle-ci était plus solidement attachée.
Permanents syndicaux
Un noyautage systématique a été effectué, au sein de l’entreprise, par la désignation de permanents connus et surtout déguisés, ceux-ci n’ayant qu’en apparence un emploi effectif, mais se livrant en fait à une intense propagande communiste. Leur audace s’accroît, par la sécurité que l’administrateur provisoire leur procure. L’un d’eux, permanent syndical et communiste, eut même le front de convoquer des chefs de service cour se faire rendre compte directement de l’état de la production. Fort heureusement, des refus cinglants arrêtèrent cette tentative de direction occulte.
Réunions syndicales
La fréquence des réunions de délégués, de membres des commissions ou spécifiquement syndicales, augmente exagérément, créant une perturbation sérieuse à l’activité essentielle de l’entreprise. La tenue des réunions syndicales devrait se faire après les heures de travail, la tolérance consentie de les tenir pendant le travail ayant conduit à des, abus non réprimés.
Ces réunions ne sont pas toujours représentatives du personnel intéressé. Des militants communistes, sans fonction, y assistent et y sont tolérés, parce favorables aux idées que l’on veut y voir prévaloir.
A la forge, deux membres du parti communiste se sont même arrogés le droit de participer aux travaux de la commission exécutive, sans y avoir été élus.
Sans vouloir d’aucune façon limiter le contrôle indispensable des vrais responsables, il est à signaler que la passion partisane nuit à leur travail effectif.
Meetings d’usine
La tenue de meetings à l’intérieur de l’usine revêt un caractère communiste marqué, les orateurs étant, à de rares exceptions près, tous de la même obédience (MM. Mosnier, Cagne, Pontal, Viala, etc.). Leur coût est de 600.000 francs l’heure et ils durent souvent deux heures.
Il est impossible au personnel de quitter l’usine l’obligeant ainsi à absorber le flot de l’éloquence communiste.
Des protestataires ayant voulu marquer leur désapprobation, en tentant de quitter l’usine par la porte A, les gardes s’y sont opposés jusqu’à l’heure légale de départ.
C’est là une contrainte intolérable, contraire à la liberté des gens.
Réunion publique extra-muros
. Elles ont ordinairement lieu à 12 h. 45 à la hauteur de la porte d’entrée dite porte B. Elles se prolongent parfois jusqu’à 13 h.. 15 alors que la rentrée légale est à 13 h. 5.
Là encore, les portes fermées obligent le personnel à une écoute sans doute distraite, mais obligatoire.
A noter que les parois extérieures du mur de clôture servent à accrocher les haut-parleurs et que le courant d’alimentation est fourni par l’usine. Ces mêmes parois sont, en outre, couvertes d’affiches du parti communiste.
Mouvement anormal des cars
Dans le cas de réunions intra-muros, les cars n’assurent le retour du personnel qu’en fin de réunion, même si celle-ci dépasse l’heure réglementaire de départ. Dans le cas de réunions à la Bourse du Travail, les cars amènent le personnel directement à ce lieu, sans souci de l’opinion des voyageurs.
Il y a là une incontestable pression qui n’est au reste pas profitable au recrutement syndical.
Utilisation abusive des locaux d’usine
Citons :
1) La salle de cantine qui servit de lieu de réunion au parti communiste lors des élections municipales ;
2) la Maison du Peuple Berliet où les convocations aux réunions de cellule sont en bonne place et où l’on vend des journaux du parti ;
3) La salle de réunions de l’Unitec de Monplaisir où l’on projette des films communistes ;
4) L’installation sonore, à la cantine. Celle-ci ne sert pas seulement à la diffusion des nouvelles sociales et syndicales, mais à une propagande politique non voilée. Au moment des élections municipales, on a pu y entendre des appels en faveur du parti communiste.
Divers faits d’ingérence communiste
1) Le bulletin de l’entreprise « Contact » publie des articles tendancieux. La vérité qu’il propage ne souffre aucune contradiction. C’est ainsi que des militants de la C. F. T. C. ne purent jamais faire insérer certaines rectifications nécessaires ;
2) Certains militants communistes, sûrs de l’impunité, vendent à guichets ouverts, pendant les heures de travail, des périodiques communistes, comme France-U. R. S. S., France nouvelle ou la Vie ouvrière ;
3) Un cadre supérieur, ayant besoin d’un chef de secteur demanda à un collègue de lui muter un élément qu’il avait remarqué dans son service. Cet employé, Pouzols, n’étant pas « persona grata » auprès de la cellule communiste, l’organisation syndicale mit son veto, entériné par la direction générale ;
4) La fête de notre colonie de vacances de Létrat était prévue pour le 3 août. C’était également la date de fermeture de l’usine pour les congés payés. Il se trouva qu’une grande fête communiste fut décidée pour ce même jour. Afin d’en assurer le succès, par l’apport massif d’éléments Berliet, la direction communiste reporta au 10 août ses propres engagements ;
5) Quête, au profit du parti communiste, organisée par Minet, dans les maisons de la Cité ouvrière, en vue des élections d’octobre 1947.
Utilisation abusive de l’expérience Berliet
Lors d’une fête communiste, au parc de la Tête d’Or, des panneaux publicitaires et photographiques, prêtés par la direction de l’usine, démontraient la belle évolution de notre entreprise. Malheureusement, on y précisait, abusivement, que cette réussite n’avait été possible que grâce aux communistes.
Au congrès de la Fédération du Rhône du parti communiste, qui eut lieu ultérieurement, les mêmes faits se renouvelèrent. On voit que l’esprit partisan se marie difficilement* à la modestie.
Conditions de travail
Les conditions de travail se sont modifiées, surtout dans la dernière année. Chez les ouvriers et techniciens, la démocratie n’est plus qu’un leurre. Les élections des délégués se font sur des listes préparées par le sommet et la base n’a plus la latitude de désigner ses responsables. C’est ainsi qu’aux Grands Bureaux, des employés adhérents à la G. G. T. ont été amenés à voter pour les candidats de la C. F. T. C. parce qu’ils ne voulaient pas des communistes présentés par leur section syndicale, contre le sentiment de la majorité.
Dans cet investissement général, le club sportif résiste, malgré le président actif qui est lui aussi communiste. Le président d’honneur Bardin s’attire là encore des rancunes qui éclateront plus tard. D’ailleurs dans les usines, les militants communistes mènent une lutte sourde, tendant à mettre sous la responsabilité du directeur technique, Bardin, toutes les décisions impopulaires, notamment celles qui concernent les primes et les salaires, la discipline générale, tandis que l’administrateur Mosnier est couvert de louanges. Bien entendu, ce dernier laisse faire.
Dans les services, les chefs ne savent plus quels sont les délégués. Il en naît constamment et tout contrôle est devenu impossible. La direction générale ne décide d’aucune mesure pratique ; seule, une affiche invitant à la discipline a été apposée dans les ateliers.
Justice communiste
1) Un délégué ouvrier, membre du comité central d’entreprise, se faisait payer de,s bons pour des travaux qu’il n’effectuait pas. Son chef d’atelier, responsable, est renvoyé, mais l’intéressé, étant communiste, n’est pas inquiété ;
2) Un employé du service comptabilité est renvoyé brutalement de l’usine, pour déclarations injurieuses envers l’administrateur provisoire. Ce renvoi justifié est à rapprocher du maintien de Minet, communiste, auteur de calomnies sur nos camarades Bardin, Benoit et Planté.
Statut Berliet
II est, d’autre part, bien certain que l’attente d’un statut a favorisé les menées communistes. Au cours de son long séjour au ministère de la Production industrielle, il est inconcevable que Marcel Paul n’ait fait aucune tentative pour doter l’entreprise d’un statut démocratique. Connaissant les conditions dans lesquelles il pouvait être adopté à l’Assemblée nationale, il a sans doute préféré conserver à son parti le rôle plus facile de critiquer.
Contrairement à ce que pense la grande majorité du personnel, il n’est pas simple de mettre fin au provisoire. Les intérêts sont contradictoires, entre les salariés et les actionnaires qui, eux, veulent reprendre le pouvoir pour garantir leurs capitaux et leur rémunération. Aussi, les projets se sont-ils succédé à la commission de la Production industrielle de l’Assemblée nationale. Un projet moyen a été retenu qui sera soumis prochainement au vote des députés.
*
Par les faits sus-indiqués, l’influence croissante du parti communiste au sein de l’entreprise ne saurait être contestée. La faveur dont jouissent leurs militants auprès de la direction générale est un secret de polichinelle dans l’usine. Les chefs de service ne sont soutenus que dans la mesure où ils ne s’opposent pas à la direction occulte qui semble superviser la direction apparente.
Les conditions de travail ainsi créées causent un malaise général qui nuit à la production. Le découragement gagne les esprits des ingénieurs, chefs de service et techniciens responsables.
Ceux-ci ont fourni un effort énorme dans la reconstruction et la remise en route de l’entreprise. Si leurs tâches actuelles tendent à redevenir normales après trois ans de surmenage, ils mettent en garde les inconscients contre l’illusion qu’elles sont terminées.
Hostiles à la politisation et connaissant la stérilité des menées partisanes, les ingénieurs, cadres et techniciens veulent travailler en paix, dans un climat nouveau de liberté et de tolérance mutuelles.
Le conflit
Le mouvement des cadres et techniciens a été déclenché par la parution, dans le journal de la section communiste Berliet d’octobre 1947, Le Mécano, distribué le samedi 18 octobre, de deux papiers calomnieux — dont un « pavé » menaçant les « fascistes… anciens larbins de Berliet » et un article attaquant grossièrement, sans le nommer, Planté, chef du service du chronométrage, secrétaire de la section syndicale C.G.T., délégué des cadres au Comité central d’entreprise ; Benoit, chef de la comptabilité, membre du bureau de la sec¬tion syndicale C.G.T. ; Bardin, directeur technique, secrétaire départemental du S.N.C.I.M. (syndicat national des cadres), délégué des cadres au comité de gestion.
Le 21 octobre, Bardin demande à l’administrateur provisoire et aux délégués ouvriers au comité de gestion de dénoncer ces calomnies. Ceux-ci refusent. Bardin se retire provisoirement du comité, et le soir même une assemblée des cadres se solidarise avec lui. Le mouvement provoquera la grève des cadres auxquels se joindront les techniciens et par réaction une grève des ouvriers.
Le comité de grève des cadres a exposé dans une circulaire les faits les plus importants du conflit :
Voyons les faits, et dés l’abord, distinguons les causes immédiates et apparentes, des causes lointaines et cachées. L’immédiat est la parution, dans le journal communiste de l’entreprise, « Le Mécano », d’entrefilets calomnieux signés du chef des gardes, et visant à discréditer deux chefs d’importants services, MM. Benoit et Planté, ainsi que le directeur technique M, Bardin. A noter que ces trois cadres supérieurs sont d’indiscutables militants syndicalistes C. G. T., le dernier nommé, particulièrement chevronné, étant secrétaire départemental des ingénieurs et cadres de la Métallurgie pour la Région lyonnaise. Ils n’ont qu’une tare rédhibitoire : ils ne sont pas aux ordres. L’émotion causée par ce papier diffamatoire pouvait cependant être aisément apaisée. Il eût suffit que monsieur l’Administrateur provisoire, d’obédience communiste, — ce qui est son droit, — chassât un instant le partisan qui habite en lui et désavouât l’auteur de l’article. Celui-ci écrivit-il par ordre ? Il est permis de le supposer. Peut-être le saura-t-on un jour, mais, quoi qu’il en soit monsieur l’administrateur provisoire ne voyant pas là un motif de désordre dans l’usine, observa de Conrart le silence prudent, prétextant,, après réflexion, l’incompétence de sa juridiction ! Dès lors les choses devaient aller leur train, comme un film à épisodes dont le dernier ne sera pas le moins réussi.
1° Assemblée protestataire des ingénieurs et cadres qui se solidarisent unanimement avec leurs trois collègues calomniés, devant monsieur l’Administrateur provisoire qui, au titre de syndiqué cadre, est présent dans la salle ! Ce dernier peut constater le bloc compact que forment les ingénieurs et cadres adhérents aux trois centrales syndicales (C. G. T., C. F. T. C.- C. G. C.) avec les indépendants, lors¬qu’il s’agit de défendre les conditions morales, nécessaires à leur activité dans l’usine.
2° Réaction, deux jours après, de monsieur l’Administrateur provisoire, vexé de cette prise de position, qu’il n’avait pas prévue et qui le déroute. Accumulant dès lors les erreurs psychologiques, celui-ci va s’enfoncer dans une action qui attriste profondément tous ceux qu’une estime sincère liait à lui. Par affiches apposées à t’usine, il va crier à la division, souffler sur le feu qu’il eût pu éteindre facilement et, dans une harangue de foire, vitupérer ses meilleurs collaborateurs d’hier, donnant ainsi au personnel étonné le triste spectacle d’un partisan déchaîné ! Son humeur atrabilaire trouvera enfin un exutoire dans une dernière affiche sur laquelle on lira que deux cadres seront invités à démissionner :
3° Les démissions n’arrivant pas, et pour cause, une grève partielle spontanément organisée, sera déclenchée pour exiger le départ des trois indésirables qui ont eu le front de s’exprimer librement dans une réunion syndicale. Obéissance passive de monsieur l’Administrateur provisoire qui, oublieux de la légalité républicaine, violera sans vergogne les droits imprescriptibles que la Constitution accorde à chaque citoyen.
4°. Arrivée de l’équipe de choc dans les différents bureaux des cadres qui, sans voies de fait, mais sous contrainte, seront ‘ obligés de quitter l’usine. Coupables d’avoir enfreint les règles du savoir-vivre communiste, ils obtempéreront, suivis bientôt de l’en-semble des cadres et ingénieurs, qui reformeront immédiatement le bloc sans faille, nécessaire à la sauvegarde des droits de leurs collègues.
La grève était déclenchée.
Le ministre de la Production industrielle a été saisi du conflit le lendemain même de son déclenchement. Nos délégués l’ont informé objectivement et lui ont remis un dossier complet sur la situation. Après, avoir reçu M. l’Administrateur provisoire et une délégation ouvrière que l’on jette sans vergogne dans cette affaire, le ministre a envoyé un délégué à Lyon, M. Le Quellec, avec la difficile mission de ‘ trouver un terrain de conciliation. Aux dernières nouvelles, cette mission n’a pu aboutir. Les ingénieurs et cadres ont fixé leurs conditions de reprise du travail en six points dont il est à souligner, qu’aucun n’apporte d’avantages matériels à leur situation.
Les voici :
1° Réintégration de chaque ingénieur, cadre, technicien et employé à son poste et annulation de. toute nomination ou engagement survenus depuis le 4 novembre ;
2° Les jours de grève ne donneront pas lieu à retenue ;
3° Désaveu par voie d’affiches apposées dans l’usine et signées de M. Mosnier de toutes les contre-vérités émanant de lui. Le texte sera soumis préalablement au comité de grève. Insertion dans « Contact » du dernier communiqué du comité de grève ;
4° Déplacement de Minet [1] avec rétrogradation ;
5° Contrôle de l’activité de l’usine et des résultats depuis le mardi A novembre sous l’autorité d’un représentant des pouvoirs publics ;
6° Constitution d’un jury d’honneur devant lequel les accusateurs, autres que M. Mosnier, viendront justifier leurs affirmations. Les sanctions ne pourront être que des blâmes publics.
Parallèlement au mouvement cadres et, au bout de quelques jours, un mouvement de grève s’est déclenché chez les employés, techniciens et agents de maîtrise. Décidé souverainement et en toute liberté par les intéressés eux-mêmes, ce magnifique mouvement de solidarité n’en acquiert qu’une signification plus grande, et les ingénieurs et cadres remercient leurs camarades qui ont senti combien leur cause était juste. Les techniciens et les cadres décidèrent immédiatement d’avoir un comité de grève commun et de constituer des délégations .communes qui assureront l’homogénéité de pensée et d’action.
La solution du conflit
Une délégation des grévistes s’est rendue à Paris, au ministère de la Production industrielle, et y est demeurée du 21 au 30 novembre. Elle a obtenu l’assurance que le statut sera discuté par l’Assemblée nationale en janvier 1948.
On envisage au ministère de charger Bardin et ses deux collègues de missions extérieures, afin d’apaiser les ouvriers — ce qui provoque la réaction indignée des cadres.
Cependant la tentative de grève généralisée et ta crise ministérielle retardent la solution du conflit. Les cadres, en approuvant les revendications générales des salariés, se sont élevés unanimement contre le caractère politique de l’opération menée par les staliniens.
Le 10 décembre, le ministre décide de remplacer M. Mosnier par M. Ansay, en qualité d’administrateur provisoire de l’entreprise. Il réintègre Bardin, Benoit et Planté et affirme la nécessité de respecter la liberté d’association et d’expression. Mais il écarte provisoirement M. Mosnier et Bardin de la direction de l’entreprise.
Bardin adjure l’assemblée des cadres de s’incliner, malgré l’injustice dont il est personnellement victime. Et la reprise du travail est décidée.
Mais l’agitation ouvrière ne cesse pas. M. Ansay, le nouvel administrateur, ne peut prendre possession de ses fonctions. La presse communiste se déchaîne contre la réintégration des trois agents victimes de la calomnie.
Le 20 décembre, le ministre, Robert Lacoste, reçoit une délégation ouvrière et appelle* le -21 décembre une délégation des cadres. Il annonce à celle-ci qu’il maintient sa décision, que Bardin exercera les fonctions d’ingénieur-conseil et que Benoit et Planté attendront pour rentrer à l’usine que l’agitation soit calmée.
Cette victoire incomplète montre que le droit est toujours impuissant devant la force.
Le conflit a donc été réglé, selon les conclusions suivantes :
1°) Bardin est réintégré. Il est suspendu de ses fonctions de direction.
Il peut être affecté, à des fonctions à l’extérieur, comme d’ailleurs M. Mosnier.
2°) Planté et Benoit sont réintégrés.
Leur rentrée effective à l’usine est différée jusqu’au vote du statut.
Benoit pourra exercer ses fonctions de l’extérieur.
Planté, ne pouvant exercer ses fonctions de l’extérieur, sera provisoirement pourvu des fonctions d’ingénieur-conseil, avec le même traitement.
La résolution est votée à l’unanimité par l’assemblée des cadres :
L’assemblée générale des Cadres, et Ingénieurs du 23 décembre 1947 enregistre la proposition de règlement, du conflit Berliet émanant du préfet et ayant obtenu l’accord de l’administrateur et de la délégation ouvrière au cours de l’entrevue du 22 décembre 1947.
L’assemblée déclare que les cadres et techniciens ne sont plus en grève depuis le 10 décembre 1947 et restent décidés à exécuter les ordres de l’administrateur.
Elle considère que la sanction concernant leurs trois camarades délégués ou responsables syndicaux constitue une profonde injustice.
A la suite de cette résolution le travail reprend sans incident le mercredi 24 décembre. L’arrêt du travail aura duré du 4 novembre au 23 décembre et la question du paiement des jours de grève n’est pas réglée malgré que sa durée soit imputable aux représentants du gouvernement impuissants à faire respecter la Constitution.
Attitude de sa presse
Dès qu’il fut connu, le conflit Berliet suscita un très gros intérêt, non seulement en France, mais dans d’autres pays tels l’Angleterre, les États-Unis. Aussi, quotidiens de toutes tendances et hebdomadaires publièrent-ils de nombreux articles. Bien entendu, le comité de grève n’est responsable que de ses propres communiqués. La plupart des journaux eurent le souci d’informations exactes. Il faut cependant excepter, la presse d’extrême droite et la presse communiste.
L’Humanité et son succédané lyonnais la Voix du Peuple se sont particulièrement distingués.
Il n’est pas possible de tout citer. Voici quelques extraits de la Voix du Peuple :
Le 5-11-47. — « Aux ordres du traître Berliet, pour défendre les agents de Winckler, les cadres de l’usine provoquent une grève de sabotage. »
Le 6-11-47, à propos d’un buste de Marius Berliet qui portait l’inscription : « A Marius Berliet, ses chefs de service », on lit : « Ceux qui eurent cette idée lumineuse d’offrir un buste en reconnaissance au plus représentatif des patrons de combat lyonnais ne sont-ils pas. les mêmes aujourd’hui qui suivent le directeur technique Bardin ? » Le rédacteur ne dit pas que ce buste a été inauguré en 1920 au lendemain de la guerre au cours de laquelle les camions C. B. A. avaient rendu de grands services à l’armée française. Les chefs de service de cette époque ont 27 ans de plus et ils ont tous fini de travailler.
Ce serait trop long de tout citer.
Il est cependant utile de dire que Cagne, secrétaire général de l’Union des Métaux, au cours d’une réunion tenue à l’extérieur de l’usine de Vénissieux le 2’4 décembre 1947, a affirmé que Bardin, Benoit, Planté, avaient écrit aux fournisseurs de Berliet pour arrêter les livraisons. Pour mieux faire absorber son mensonge, il brandissait une feuille que personne n’a vue, bien entendu : « Non, les travailleurs des usines Berliet ne sont pas prêts d’oublier non plus l’infâme lettre du 19 novembre écrite par Bardin et ses acolytes aux fournisseurs, leur demandant d’interrompre leurs envois. » Dans le même article autre contre-vérité dirigée contre M. Ansay, le nouvel administrateur, qui a arrêté l’usine pendant deux jours pour faire un inventaire, journées qui seront d’ailleurs récupérées : « Ajoutons que cet inventaire est le premier qu’aient connu les Établissements Berliet, et que celte mesure ne fut pas jugée utile, même lors de leur mise sous séquestre. ». En fait, à la prise de gestion Mosnier, il y eut évidemment un inventaire, contradictoirement avec un représentant de la famille Berliet. Chaque année, le 31 décembre, il y a un Inventaire pour permettre d’arrêter le bilan et personne ne l’ignore, sauf le rédacteur de la Voix du Peuple.
Cette revue de presse est écœurante, mais il était indispensable de la faire rapidement pour montrer comment on trompe le lecteur, comment on a tenté de créer une agitation dans la population pour essayer de faire pression sur les cadres. Ceux-ci ont fait appel, avec de faibles, moyens, aux travailleurs honnêtes pour les appeler à les aider dans’ leur lutte pour que soit respecté le droit syndical.
Les syndicats devant notre mouvement
La grève des ingénieurs et cadres Berliet ayant été une réaction de défense contre des exactions déterminées par la politisation de l’entreprise, il était à prévoir que certaines organisations syndicales, elles-mêmes politisées, glisseraient sans appuyer sur un conflit qui les gênait.
Si, dans la région lyonnaise, les sections départementales C.G.T., C.F.T.C, C.G.C, ont, avec vigueur, appuyé moralement et financièrement notre action, le comité de grève a déploré l’attitude passive au bureau national du S. N. C. I. M.
N’osant toutefois désavouer un mouvement dont les raisons morales entraînaient irrésistiblement la sympathie de tous, il l’ignora ou presque, se contentant de voter une motion que nous reproduisons ci-après :
« Le bureau du S. N. C. I. M., en attente d’éléments d’information précis qui nous permettront de prendre ultérieurement position sur les incidents Berliet, s’élève unanimement contre le fait que des cadres supérieurs puissent être licenciés à la suite d’une consultation par vote secret du personnel placé sous leurs ordres. Question de principe sur laquelle il ne saurait transiger. »
Les « éléments d’information » n’étaient sans doute pas encore rassemblés, puisque aucune prise de position n’a eu lieu sur les points essentiels, à savoir : renvoi de trois cadres, délégués syndicaux, à la suite de comptes rendus de mandat ; renvoi arbitraire avec le motif, illégal et scandaleux, par la forme qu’il a revêtue : des partisans ayant appliqué, par la force, une décision obtenue d’un administrateur docile au mépris des garanties des délégués.
Venu à Lyon, le 8 novembre, Stremez, secrétaire général du S. N. C. I. M., n’apporta à l’assemblée des grévistes qu’une solidarité réticente, celle-ci s’appuyant uniquement sur les termes de la motion précitée qui feint d’ignorer les divers aspects d’une illégalité manifeste.
Le comité de grève Berliet regrette sincèrement, pour l’avenir du S. N. C. I. M., que son bureau national n’ait pas eu le sursaut d’indignation qui, par delà les appartenances politiques, est le fait d’hommes libres, soucieux du respect de la dignité humaine.
Le bureau de la section technique lyonnaise de l’Union syndicale des Métaux (C. G. T.) a eu lui, malgré les circonstances défavorables, cette prise de conscience, qui honorera longtemps ceux qui ont eu le courage de s’y associer !
L’Union syndicale des Métaux n’avait pourtant pas négligé de faire connaître sa position. Ignorant sans doute que le S. N. C. I. M. appartient, comme elle, à la Fédération des Métaux (C. G. T.) et qu’un différend, au surplus artificiellement créé, entre les cadres et les ouvriers devait être résolu en son sein, elle inonda les entreprises de tracts infâmes et couvrit les murs de la ville d’affiches du même ordre.
Peut-être est-ce là, ce que l’on comprend en disant que du « manœuvre à l’ingénieur » l’unité de pensée et d’action existe au sein de la C. G. T.
Le comité de grève des ingénieurs et cadres Berliet laisse à ceux qui l’ont déclenchée la responsabilité d’une pareille action.
Le silence qu’il a observé, sur ces attaques, lui permet de demander aujourd’hui, avec force : « Où sont les diviseurs ? »
Avec le temps, qui ne désagrégeait pas le bloc des ingénieurs et cadres, l’inquiétude augmentait à l’Union syndicale des Métaux. Beaumont, ténorino de la Fédération, fut dépêché à Lyon. Il ne se haussera pas à la compréhension objective du problème. Peut-être, au fait, ne le pouvait-il pas. Il isolera simplement le cas des trois cadres, les considérant comme des indésirables que les ouvriers rejettent ; opinion qu’il demandera d’entériner. II. négligera la solidarité, que l’unanimité ; des cadres leur manifeste ; il négligera le fait essentiel du renvoi abusif de trois, délégués syndicaux qui, s’il s’était produit chez les ouvriers, aurait déterminé, avec raison, une action d’envergure.
Ambroise Croizat vint lui-même à Lyon, non pour arbitrer le conflit entre des éléments appartenant tous à la Fédération syndicale, qu’il dirige, mais pour exciter la passion partisane, de ses amis. A son tour — et avec quel éclat — il dénonce la « manœuvre politique » (! ?) de Bardin, Planté et Benoit dont le « but évident est le retour des Berliet » (! ?) et dont l’attitude relève du « plan des adversaires de la xlasse ouvrière qui projetèrent l’éclatement de la C. G. T., en comptant sur la division des travailleurs ouvriers, techniciens et cadres » (sic !)
Croizat dirigera une délégation ouvrière au ministère de la Production industrielle, réclamant — lui, secrétaire général de la Fédération des Métaux — le renvoi de trois responsables syndicaux de sa Fédération.
Nous donnons ci-après le texte de la résolution votée par la commission executive de la section départementale du Rhône du Syndicat national des cadres et ingénieurs de la Métallurgie (C. G. T.) :
Après avoir entendu les explications des délégués C. G. T. du comité de grève des ingénieurs et cadres Berliet, la commission executive de la section départementale du Rhône S. N. I. C. M. s’élève contre le renvoi abusif de responsables syndicaux et décide de demander à toutes les sections syndicales d’entreprise de soutenir les camarades en grève.
Proteste contre le fait que l’Union syndicale des Travailleurs de la métallurgie lyonnaise prend position au nom des ouvriers pour le renvoi de trois cadres du S. N. C. I. M. et les procédés de force qui furent employés à leur égard, accréditant dans un tract public les calomnies visant à diviser les ouvriers et les cadres.
S’étonne que notre Fédération des Métaux ne se soit pas élevée contre cette atteinte à la liberté syndicale.
Demande au bureau du S. N. C, I. M. d’intervenir d’urgence auprès de toutes les sections départementales pour déclencher une action de solidarité jusqu’à satisfaction de leurs justes revendications.
Enregistre la résolution votée par le bureau du S. N. C. I. M. à sa réunion du 7 novembre et demande que cette résolution soit communiquée au plus tôt aux dirigeants de la Fédération des Métaux à seule fin qu’il en soit tenu compte.
Demande que le cas de M. Mosnier syndiqué « cadres » ayant assisté volontairement à une assemblée d’information « cadres Berliet » soit examiné par une commission de discipline.
En effet, ce cadre supérieur n’a voulu aucunement reviser sa position après le vote massif de 104 voix contre 2 abstentions (dont la sienne), mais a cru devoir porter le différend devant une assemblée d’ouvriers qui n’étaient nullement informés pour discuter de la question.
Conclusion
Les violentes oppositions qui se sont manifestées entre organismes syndicaux, appartenant à la même Fédération, posent de graves problèmes de structure. La preuve est administrée que le mouvement syndical ingénieurs et cadres est traité en mineur au sein de la C. G. T.
Le flattant s’il couronne une action ouvrière, on déchire ses militants à belles dents si ceux-ci cessent d’être des béni-oui-oui.
Comment les cadres et ingénieurs trouveront-ils le point d’équilibre ne les séparant pas de la masse ouvrière, et leur permettant une action propre, qui soit en même temps efficace ?
Comment, parallèlement, créeront-ils cette puissance de qualité qui les libérera de la loi du nombre, lorsque celle-ci s’égarera dans l’injustice et l’arbitraire, comme notre conflit en est l’illustration ?
Les cadres devront-ils d’abord trouver le chemin de leur unité syndicale pour constituer la force capable de résoudre le problème essentiel de la liaison avec les autres travailleurs ?
Il est urgent aussi que l’élite qu’ils constituent puisse faire entendre loin et fort la voix sérieuse de leurs esprits libres et créateurs.
L’écrasement de la hiérarchie est-il autre chose qu’un piétinement des valeurs ? Ne paralyse-t-il pas les efforts, et les économies apparentes ne masquent-elles pas d’énormes pertes cachées ?
Devant l’incompréhension qu’on leur manifeste, les ingénieurs et cadres ne pourront forcer la place qu’on leur conteste s’ils n’ont pas un mouvement syndical uni et homogène.
C’est pourquoi les problèmes de structure et d’or-ganisation doivent être à la pointe de leurs préoccupations actuelles. Il faut toutefois que soit brisé le joug politique qui çà et là, les enserre et que seuls les soucis professionnels dans le cadre de l’intérêt général servent de guides à leur action.
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