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Nat Turner, l’esclave noir qui, en 1831, a fait trembler les esclavagistes américains
lundi 30 juin 2025, par

Nat Turner, l’esclave noir qui, en 1831, a fait trembler les esclavagistes américains
On sait bien d’autres choses sur Nat Turner, ou du moins on croit savoir. Car il y a un problème : de l’aveu même des historiens, l’unique source consistante sur la vie de Nat Turner est un récit rédigé par un avocat du nom de Thomas Ruffin Gray, qui a pu rencontrer le révolté en prison, l’a longuement interrogé et a publié son histoire dès 1831 sous le titre Les confessions de Nat Turner : le leader de l’insurrection de Southampton, en Virginie.
Gray y décrit un Turner profondément mystique, voire même illuminé, convaincu d’avoir été désigné par Dieu lui-même pour libérer son peuple de la servitude. Dès son plus jeune âge, le garçon aurait ainsi entendu des voix et eu des visions. Très attentif aux phénomènes naturels et météorologiques, il avait tendance, assure Gray, à y lire des signes envoyés par le Très-Haut à son intention. Un « bruit dans les cieux » entendu alors qu’il travaillait aux champs aurait ainsi été interprété comme un message de l’ »Esprit », venu lui dire que « le Serpent avait été relâché et que le Christ imposait ce fardeau pour punir les péchés des hommes ».
En février 1831, écrit toujours Gray, c’est la vision d’un éclipse solaire dans le ciel de Virginie qui aurait convaincu Nat Turner que le temps était venu de se rebeller, car l’éclipse ne pouvait avoir qu’une signification : la main de l’homme noir était venue toucher le soleil…
Retranscription fidèle des propos tenus par un illuminé ? Élucubrations de l’avocat dans le but de décrédibiliser le rebelle noir ? On est d’autant moins enclin à croire sur parole le rédacteur des Confessions de Turner que celui-ci explique très clairement ses intentions dans son livre. Il souhaite, en racontant la vie de l’insurgé, donner « une leçon terrible mais, on l’espère, utile sur la façon dont fonctionne un esprit comme le sien lorsqu’il tente de saisir des choses qui sont hors de sa portée ». Mais également « montrer l’importance de nos lois restrictives à l’égard de cette partie de la population, et encourager toutes les personnes en charge de leur exécution, et tous nos citoyens en général, à s’assurer que ces lois sont appliquées de façon stricte et sévère ».
Bref, près de trente ans après la révolte des esclaves de Saint-Domingue et l’indépendance de Haïti et vingt-trois ans après l’interdiction de la traite transatlantique, alors que le mouvement abolitionniste prend de l’ampleur en Europe et dans certaines métropoles du nord des États-Unis, Gray espère par son livre prouver que dans les États du Sud, du moins, le système esclavagiste est là pour durer, et que les révoltes sont vouées à l’échec. De fait, l’insurrection du groupe de Turner n’eut pas de suite sur le territoire américain. La répression avait été sanglante. « Le but, expliquait Pap Ndiaye, en 2017, à l’occasion de la sortie en salle d’un film consacré à l’histoire de Nat Turner, The Birth of a nation, était de terroriser la population esclave, de lui montrer que toute révolte était vaine. »
Nat Turner
Le 21 août 1831, Nat Turner, un prédicateur noir en esclavage, déclenche en Virginie l’une des plus grandes révoltes serviles de l’histoire des Etats-Unis. Sa fin tragique en a fait un symbole de la résistance à l’esclavage, et une inspiration pour de nombreux activistes et artistes jusqu’à nos jours.
Nat Turner est né dans l’esclavage le 2 octobre 1800, dans le Comté de Southampton en Virginie. Comme de nombreuses personnes partageant sa condition, il passe de maître en maître au gré des ventes ou des successions. Mais sa force et sa différence est d’être parvenu à apprendre à lire et écrire…
1831 est pour lui l’année décisive : en février, il pense recevoir un appel de Dieu dans le ciel – une éclipse solaire. C’est pour lui le signe qu’il faut commencer à préparer la révolte. Grâce à son charisme il rassemble autour de lui un groupe d’esclaves décidés. Initialement planifié pour le 4 juillet, jour de fête nationale aux Etats-Unis, le soulèvement débute finalement dans la nuit du 21 août 1831. Pour impressionner le pays, Nat Turner est résolu à employer la violence. Avec ses disciples, il tue son maître et la famille de celui-ci, puis va de plantation en plantation, où ils assassinent en tout plus d’une cinquantaine de personnes, hommes, femmes, enfants, et libèrent les personnes qui y sont esclaves.
Ce n’est que deux jours plus tard que les autorités parviennent à faire cesser les attaques, qui a répandu l’effroi dans toute la région. L’attaque convoque en effet le souvenir de la révolution haïtienne, trois décennies plus tôt, et de son issue fatale pour les colons blancs. Arrêtés, les rebelles sont capturés, jugés et exécutés. Après une cavale de plusieurs semaines, Nat Turner sera lui-même arrêté en octobre et exécuté le 11 novembre 1831, dans la ville de Jerusalem en Virginie. Les meurtres d’esclaves se poursuivront encore pendant des mois, alors que le pouvoir blanc cherche à rétablir son emprise. En Virginie comme dans d’autres Etats esclavagistes, des lois sont votées pour criminaliser le fait d’apprendre à lire et écrire à une personne réduite en esclavage.
Mais le souvenir de la révolte de Nat Turner ne s’effacera pas. En 1832, un avocat blanc, Thomas Ruffin Gray, publie le témoignage qu’il aurait recueilli de sa bouche après son arrestation sous le titre « Les confessions de Nat Turner ». Même si ce texte est marqué par le biais esclavagiste de l’avocat, il reste une source exceptionnelle sur les événements de Southampton et la source principale sur le désormais célèbre prédicateur.
C’est sur cette base que, plus d’un siècle plus tard et sur le conseil de James Baldwin, le romancier William Styron écrira une fiction à la première personne également intitulée « Les confessions de Nat Turner ». Son roman sera récompensé du prix Pultizer 1968, mais fera polémique, notamment parce qu’il décrit Turner fantasmant sur le viol d’une femme blanche, ce que rien dans les sources historiques sur le prédicateur ne permet de supposer.
Avec le temps le nom de Nat Turner est devenu un synonyme de la résistance violente à l’esclavage, qu’on retrouve cité dans les textes de nombreux musiciens et rappeurs américains. En 2016, ce sera le réalisateur africain-américain Nat Parker qui se saisira lui aussi de l’histoire de Nat Turner, en adaptant sa biographie dans un film où il jouera lui-même le prédicateur et qu’il intitulera « The Birth of a Nation », en référence à la superproduction pro-KKK du même titre de DW Griffith (1915).
Mais ni les suppositions romanesques de William Styron, ni le portrait moins tourmenté que Nat Parker donne du révolté de Southampton ne sauraient épuiser l’énigme que constitue sa vie et son équipée de 1831. Mystique, meurtrier, révolté, le Nat Turner historique reste un personnage complexe et opaque, aux intentions largement indéchiffrables.
Sources d’informations
• La traduction française des « confessions de Nat Turner » a été publiée aux éditions Allia : https://www.editions-allia.com/…/…/confessions-de-nat-turner
• Un article de The Atlantic datant d’août 1861 sur la révolte de Nat Turner
https://www.theatlantic.com/…/nat-turners-insurrect…/308736/
• Un débat, arbitré par James Baldwin, entre William Styron et l’acteur africain-américain et militant des droits civiques Ossie Davis (1968)
https://www.youtube.com/watch?v=TCkpiRM0G4g
• A propos des débats autour du livre de William Styron et du film de Nat Parker
https://www.jeuneafrique.com/…/litterature-nat-turner-lecl…/
La révolte de Turner a semé un vent de panique dans tout le Sud esclavagiste
La révolte menée par Nat Turner a lieu à l’été 1831. Quel portrait peut-on faire du Sud des États-Unis à ce moment-là ?
À ce moment-là, l’esclavage atteint une sorte d’apogée. En effet, dans les années 1810-1820, il s’est étendu dans les États du Sud-Ouest des États-Unis, notamment en Alabama, au Mississippi et au Texas. Dans le même temps, l’esclavage connaît aussi des restrictions. Depuis 1808, la traite transatlantique est illégale. Les esclavagistes mettent donc en place une traite intérieure, depuis les vieux états esclavagistes (notamment la Virginie, où se trouvait Nat Turner), vers les nouvelles régions.
Le mouvement abolitionniste est-il déjà influent ?
C’est en effet une époque d’essor pour le mouvement abolitionniste, dans le nord des États-Unis, notamment à Boston et Philadelphie. Cet essor se fait en lien avec celui du mouvement britannique, qui est très actif à l’époque et qui réussira à imposer l’abolition de l’esclavage en 1833.
Aux États-Unis, l’abolitionnisme prend deux formes principales. D’un côté, les publications militantes se multiplient, et notamment des récits d’esclaves réfugiés au Nord. Ces récits visent à sensibiliser l’opinion, en dépeignant l’esclavage dans toute sa cruauté. D’un autre côté, les militants abolitionnistes s’organisent pour faciliter la fuite des esclaves du Sud vers le Nord. Le chemin de fer clandestin, un réseau de routes, de maisons amies et de militants abolitionnistes, aident les fugitifs à atteindre leur destination. On estime que, dans les années 1830-1840, environ un millier d’esclaves réussissaient à s’enfuir chaque année. D’ailleurs ce phénomène inquiète beaucoup les esclavagistes, qui font voter en 1850 le Fugitive Slave Act. Cette loi autorise les chasseurs d’esclaves à se rendre dans les États du nord pour kidnapper des évadés.
L’insurrection menée par Nat Turner n’était pas la première du genre, mais elle est aujourd’hui la plus connue. Pourquoi ?
Il y a deux raisons principales à cela. Premièrement, l’extrême violence de la révolte menée par Nat Turner : environ 60 personnes sont tuées en seulement deux jours, y compris des femmes et des enfants. Deuxièmement, on en connaît plus sur la révolte de Turner (et sur Turner lui-même) que sur les autres révoltes, grâce aux "Confessions" de Nat Turner, récit plus ou moins fidèle d’un entretien entre Turner et Thomas Ruffin Gray [un avocat, ndlr] quelques jours avant l’exécution de Turner.
Et pourquoi ces révoltes d’esclaves ont-elles toutes échoué ? On aurait pu penser que la force du nombre jouerait en faveur des esclaves.
C’est vrai, les esclaves sont très nombreux à ce moment-là dans le Sud, parfois majoritaires. C’est le cas dans le comté de Southampton, où vivait Nat Turner. Mais cet avantage est annihilé car les esclaves sont dispersés dans des petites plantations, où ils vivent à proximité de leurs maîtres. Il est donc très compliqué de se rassembler, et les plans de révolte sont souvent éventés. Ce n’est pas comme à Saint Domingue ou en Jamaïque, où les plantations rassemblent des milliers d’esclaves, et où les maîtres, qui habitent en France ou au Royaume-Uni, ne sont que très peu présents. On peut aussi expliquer ces échecs par la mobilisation systématique et très rapide des forces de répression, en particulier des milices.
Comment expliquer la violence de la rébellion menée par Nat Turner ?
C’est un mélange de différentes choses. Il y a d’abord chez Turner et chez ses compagnons le sentiment d’une vengeance divine à accomplir – une forme d’exaltation religieuse. Ensuite, dans chaque maison où ils pénètrent, les insurgés trouvent de l’alcool. Ils boivent donc beaucoup. Enfin, on peut aussi parler d’une excitation de groupe, une colère immense qui trouve ici son exutoire.
Quelles ont été les conséquences directes de cette rébellion ?
La révolte de Turner a semé un vent de panique dans tout le Sud. Les propriétaires d’esclaves ont peur qu’une grande rébellion ne se produise. L’exemple de Saint Domingue, où une révolte réussie a abouti à l’indépendance d’Haïti en 1802, est présent dans toutes les têtes, celles des esclaves comme celles des maîtres. La réponse des esclavagistes en est d’autant plus violente. Non seulement les insurgés sont tous condamnés à mort, mais environ 200 esclaves innocents sont exécutés, et leurs têtes fichées sur des piques. Le but est de terroriser la population esclave, de lui montrer que toute révolte est vaine. D’ailleurs, après Turner, il n’y a plus eu d’événement comparable, les esclaves savaient que ce genre de rébellion était voué à l’échec. Par ailleurs, les relations entre les maîtres et les esclaves changent. Les maîtres, méfiants, serrent la vis dans leurs plantations. Pour ne citer qu’un exemple, les laissez-passer qui permettaient aux esclaves de circuler d’une plantation à l’autre pour aller voir leurs familles ne sont plus accordés.
Et est-ce qu’on connaît l’impact, à plus long-terme, de ce soulèvement sur le mouvement abolitionniste et sur la Guerre de Sécession ?
Disons que cette révolte a tendu les choses. La réaction très dure des esclavagistes a renforcé la détermination du camp abolitionniste. La révolte de Turner a donc, en un sens, préparé la création d’un parti politique abolitionniste, le parti républicain de Lincoln.
À travers les personnages de Benjamin et de Samuel Turner, les maîtres de Nat Turner, The Birth of a Nation nous présente de « bons » maîtres, qui offrent à leurs esclaves des conditions de vie décentes (sans pour autant leur rendre l’essentiel, à savoir leur liberté). Ces maîtres-là ont-ils vraiment existé ?
Oui, chez beaucoup de propriétaires d’esclaves du Sud il y avait, à l’époque, une forme de paternalisme. Ces maîtres étaient persuadés que l’esclavage était bon pour les esclaves, qu’il permettait de les amener à la civilisation. Ils se considéraient de plus comme de bons chrétiens. D’ailleurs, les esclavagistes encourageaient les fermiers à faire preuve de bienveillance, pour lutter contre les abolitionnistes qui dépeignaient, eux, les propriétaires d’esclaves comme des fous sanguinaires.
Dans le film, la religion joue un rôle très important, autant pour les maîtres que pour les esclaves. Historiquement, quel a été l’impact de la religion chrétienne sur le système esclavagiste ?
Esclaves et maîtres avaient en effet la même religion : ils étaient majoritairement chrétiens. Mais leurs pratiques religieuses étaient très différentes. Le dimanche par exemple, il n’était pas rare que les esclaves assistent à deux messes : celle du jour, sous l’autorité de leur maître, et celle de la nuit, entre eux. Les esclaves privilégiaient d’ailleurs une forme de syncrétisme : les chants et les danses venus d’Afrique étaient un aspect important de leur pratique religieuse. Le rapport à la religion était lui aussi différent. Les esclaves lisaient surtout l’Ancien Testament, qui est structuré autour de la sortie d’Égypte, c’est-à-dire autour du récit d’esclaves se libérant de leur joug. De plus, pour les esclaves, Dieu était considéré comme un ami, pas comme un maître. À l’inverse, les propriétaires d’esclaves insistaient sur la notion d’autorité divine, pour promouvoir l’ordre.
À travers le personnage de Nat Turner, le film met en relief le rôle des hommes dans la lutte contre l’esclavage. Quel rôle les femmes esclaves ont-elles joué dans cette lutte ?
Peu de femmes ont participé à des rébellions comme celle qu’a menée Nat Turner. Plutôt que ce genre d’opérations suicides, elles privilégiaient des actions discrètes : sabotage d’outils, perte de la récolte… Cette forme de résistance quotidienne constituait de fait l’essentiel de la lutte contre l’esclavage. Mais les femmes ont aussi eu leurs figures héroïques. Pour n’en citer qu’une, on pourrait parler d’Harriet Tubman, qui a participé à l’organisation du chemin de fer clandestin. Aujourd’hui encore, elle est célébrée comme une héroïne du mouvement abolitionniste, à tel point que son visage figurera bientôt sur les billets de 20 dollars.
Quelle est l’image de Nat Turner aux États-Unis ?
On peut dire qu’il est un héros de la radicalité noire : il a été célébré comme un héros par certains mouvements noirs, comme les Black Panthers. Son image est différente dans la culture populaire. Beaucoup d’Américains connaissent Nat Turner via le roman de William Styron, Les Confessions de Nat Turner [paru en 1967, ndlr], qui a eu un très grand succès mais a fait polémique. Le livre, librement inspiré des confessions de Nat Turner à Thomas Gray, dépeint Turner comme un illuminé meurtrier. C’est donc l’image qu’en ont tous ceux qui ont lu le livre de Styron.
On a vu, ces dernières années, beaucoup de films qui parlaient de l’esclavage aux États-Unis. Pourquoi ce regain d’intérêt pour le sujet ?
Je pense même qu’on peut parler d’un regain d’intérêt encore plus vaste, qui concerne l’ensemble de l’histoire noire-américaine. Depuis quelques années, de nombreux films se penchent en effet sur cette question : 12 Years a Slave, Django Unchained, Selma, Le Majordome, Loving, etc. Je pense qu’il y a un lien à faire avec la présidence Obama. Le fait qu’un Noir accède à la Maison Blanche est, en soi, un événement historique. Le cinéma, tout comme la société, s’est donc posé la question de savoir comment le pays en est arrivé jusqu’à cette présidence historique. D’où le vif intérêt pour l’histoire des Noirs aux États-Unis. Le renouveau de l’activisme noir, en particulier avec le mouvement Black Lives Matter, a aussi influé sur les thématiques prisées par le cinéma.
Pourtant, la représentativité du cinéma américain semble encore faible. On se souvient notamment de la polémique « Oscars so white » en 2015.
Il y a encore beaucoup de chemin à faire, mais la majorité des long-métrages que je viens de citer sont réalisés par des cinéastes noirs. Et si on compare avec la France, l’écart est flagrant : y a-t-il en France des films grand public sur l’esclavage ? Sur le monde antillais ? C’est très révélateur du conservatisme du cinéma français par rapport au cinéma américain.
Est-ce que ce mouvement dont vous parlez ne risque pas d’être mis à mal par la présidence de Donald Trump ?
En tant qu’historien, je me dois de rester prudent sur le futur ! Mais on peut formuler deux hypothèses. Le cinéma, et plus largement le monde culturel, peuvent décider d’entrer en résistance contre Trump, et donc de réaliser des films militants, des films qui parlent de choses que Trump méprise ou néglige. C’est l’hypothèse optimiste. À l’inverse, ce courant si vivace peut aussi être éteint par l’élection. Le fait qu’Obama quitte la Maison Blanche peut en effet mener à un manque d’inspiration politique des artistes et des producteurs. On est là dans un scénario plus pessimiste.
Nat Turner, l’homme qui fit trembler la Virginie
Considéré comme une icône de la radicalité noire aux États-Unis, célébré par Hollywood, Nat Turner fut le chef de la révolte d’esclaves la plus importante et la plus meurtrière organisée sur le sol américain.
Il était tard et il faisait nuit noire, ce soir du 21 août 1831, lorsque l’esclave Nat Turner rejoignit ses compagnons dans une forêt du comté de Southampton, en Virginie. On estime qu’il y avait là 70 personnes environ. Des esclaves pour la plupart, venus des très nombreuses plantations disséminées dans les environs, mais aussi quelques Noirs libres.
Nat Turner connaissait certains d’entre eux, notamment les quatre amis proches auxquels il avait confié ses projets et avec qui il avait planifié l’insurrection. D’autres étaient des inconnus ou des visages parfois entraperçus dans les plantations ou à l’église, où Nat prêchait depuis son plus jeune âge avec une éloquence, un charisme et une flamme qui n’avaient échappé à personne. Ceux qui étaient là parce que le discours religieux du chef les avait électrisés l’avaient surnommé le « Prophète ». D’autres, simplement désireux de conquérir leur liberté et de ne plus baisser la tête, préféraient l’appeler « Captain Nat », ou même « General Nat ». Il est vrai qu’avec son épée ornée d’un pommeau à tête d’aigle et sa large carrure, Nat Turner avait de quoi en imposer.
Dans un premier temps, le soulèvement avait été prévu pour le 4 juillet, jour de fête nationale pour la toute jeune république des États-Unis d’Amérique. Mais, ce jour-là, Nat était malade, et la météo n’était guère favorable. Le 21 août au soir, en revanche, toutes les conditions étaient réunies.
On dormit peu, cette nuit-là, dans les bois où les insurgés avaient installé leur camp de base. On parla beaucoup, on pria sans doute aussi. Et on ingurgita une certaine quantité d’alcool.
Au petit matin, quand la troupe se mit en marche, le plan était on ne peut plus limpide et se résumait à une formule lancée par le chef : « Tuer tous les Blancs ». Chacun s’était armé comme il le pouvait. On s’était procuré quelques rares fusils et carabines, mais, pour l’essentiel, l’équipement se résumait à des couteaux et des haches. Quelques volontaires avaient réussi à dénicher des chevaux.
Situé presque à équidistance des grands agglomérations de Richmond et de Chesapeake, le comté de Southampton était une région rurale – il l’est encore aujourd’hui – parsemée de petites bourgades et de propriétés de planteurs. Le groupe de Turner se rendit d’une ferme à l’autre, d’une maison à l’autre, libérant les esclaves noirs et tuant les Blancs – hommes, femmes et enfants – à l’exception de ceux qui vivaient dans un tel dénuement que mêmes les captifs noirs n’avaient rien à leur envier.
Et comme pour signifier qu’il n’y aurait pas de retour en arrière, la première cible fut la famille de Joseph Travis, le propriétaire qui avait acheté Turner en 1830. Travis ? « Un maître bienveillant qui me faisait pleinement confiance », précisera plus tard le meneur des insurgés, ajoutant qu’il n’avait « aucune raison de [se] plaindre de sa façon de [le] traiter ». Nat frappa son maître d’un coup d’épée, et son ami Will l’acheva, dit-on, à la hache. Puis le groupe écuma la région, dérobant les armes des esclavagistes attaqués et vidant leurs bouteilles. Deux jours et deux nuits de violence terrible, le groupe se grossissant d’une partie des esclaves libérés. Les insurgés eurent le temps de parcourir une vingtaine de miles et de tuer environ 60 personnes.
D’abord sonnés par la sauvagerie de l’attaque, les propriétaires des plantations et les autorités de l’État eurent tôt fait de réunir plus d’une centaine de miliciens, épaulés par trois compagnies d’artillerie. Le groupe mené par Nat Turner venait d’attaquer la ferme de Rebecca Vaughan, à la sortie de la petite ville de Jerusalem (rebaptisée Courtland en 1888), et de tuer tous ses habitants lorsqu’il fut rejoint par les soldats. La bataille n’en fut pas une, le déséquilibre des forces étant trop criant. La plupart des hommes de Turner furent massacrés sur place, les rares survivants étant exécutés dans les jours qui suivirent après des procès sommaires, tandis que des miliciens accourus toujours plus nombreux – plusieurs milliers, assurent certains historiens – cherchaient à se venger en assassinant tous les Noirs qui avaient le malheur de croiser leur chemin. 100 à 200 personnes supplémentaires furent ainsi massacrées durant les jours qui suivirent, alors qu’elles n’avaient aucun lien avec le groupe de Turner. Quand au « Prophète », il demeurait introuvable. « Captain Nat » avait réussi à échapper à ses ennemis…
Retrouvé après deux mois de fuite, le leader des rebelles connut d’ailleurs un sort particulièrement épouvantable. Immédiatement jugé, il fut reconnu coupable de conspiration et de tentative d’insurrection et condamné à mort. Lorsqu’on lui demanda s’il regrettait ses actes, Nat Turner répondit, selon la légende : « Le Christ n’a-t-il pas été crucifié ? » Il fut pendu dans la ville de Jerusalem, en Virginie, puis son cadavre fut décapité, écorché et écartelé, certaines parties du corps étant ensuite vendues comme souvenirs…
https://www.jeuneafrique.com/1494394/culture/nat-turner-lhomme-qui-fit-trembler-la-virginie/
Lire encore :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Nat_Turner
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volte_de_Nat_Turner
https://madelen.ina.fr/content/le-dossier-nat-turner-80933