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Koba, de Robert Littell, c’est un roman saisissant...
lundi 25 novembre 2024, par
Koba, de Robert Littell
Koba, c’est un roman sur l’enfance, sur la naïveté, sur la tendresse, mais c’est aussi un écrit sur le stalinisme. Ce petit garçon (très franc et très éveillé) rencontre par hasard un haut dirigeant moscovite qui dit s’appeler Koba, mais il ne sait pas qui il est vraiment.
Le petit parle au vieux de manière franche et crue : « Même si je savais qui tu es (...), je n’aurais pas peur de toi, parce que tu n’as rien d’effrayant. Tu n’es qu’un vieux bonhomme amer qui a les dents gâtées et une mauvaise haleine, qui pète beaucoup et qui sort la première ânerie qui lui passe par la tête. »
Le vieil homme semble amusé par ce garçon qui n’a pas froid aux yeux et semble ignorer sincèrement à qui il parle. Alors, il accueille volontiers ce visiteur, fort candide, c’est vrai, mais également intelligent et plein de bon sens... De son côté, Léon écoute et, à son retour chez lui, note sur un carnet l’essentiel de ces conversations avec le vieil homme.
Un homme qu’il trouve donc bien laid, plutôt sale et pas très malin. Même si, et ce n’est pas anodin, car c’est ce qui impressionne le plus l’enfant, il semble très bien connaître le camarade Staline. Il semble même connaître les pensées et les actes du Petit Père des Peuples. Mais il se moque peut-être de lui, qui sait ?
Le garçon fait partie d’une bande d’enfants qui survivent clandestinement, alors que leurs parents ont été enlevés, enfermés ou éliminés par le régime stalinien. Curieusement, une relation s’établit entre le vieux et l’enfant. Le vieux a, pour la première fois, quelqu’un qui n’a pas peur en face de lui, quelqu’un qui lui dit ce qu’il pense. L’enfant est flatté des explications et des aides financières que lui apporte ce personnage étrange, même s’il réalise que ce vieux est très haut placé et sans doute dangereux. Une complicité inattendue entre Staline (eh oui, le jeune garçon l’ignore mais il parle à Staline en personne) et une jeune victime du stalinisme (sa mère a été emmenée dans les camps après le procès des blouses blanches)… Et cette relation inattendue permet à Staline de parler, de se raconter, à la fin de sa vie, avec quelqu’un dont il ne se méfie pas, de lui faire ses derniers aveux, de tout rapporter, ses fiertés et ses échecs, ses buts et ses haines.
Koba, c’est en fait l’ancien nom de guerre du vieux dirigeant stalinien, non pas un nom de la guerre de classes, non pas un nom pendant l’une des révolutions prolétariennes qu’ont connu la Russie, mais un nom datant de sa seule époque glorieuse, pseudonyme qui servait à cacher un bandit-terroriste clandestin qui pratiquait des réquisitions forcées pour financer le parti social-démocrate russe. Et Staline avoue à ce petit garçon que, bien plus que les phases de montées révolutionnaires, que les victoires prolétariennes ou que la lutte politique des socialistes russes, ces attaques armées, qui sont plus du domaine du banditisme, sont son heure de gloire. Il est fier d’avoir participé ou appuyé des éliminations de personnages en vue, à la manière des terroristes. Il faut dire qu’aucun des grands dirigeants bolcheviques n’a jamais fait cela, ni les réquisitions, ni les éliminations. Et il faut dire aussi que ce qu’ils ont fait, eux, lui n’a jamais été capable de le faire : intervenir dans le mouvement ouvrier international, participer publiquement à la lutte d’idées révolutionnaires, au sein du parti bolchevique ou dans la lutte publique. Et sur cela, il en veut non seulement à Trotsky (ça c’est connu) mais à tous les dirigeants bolcheviques, Lénine compris. Il faut dire qu’il en veut même à Marx. En fait il méprise les intellectuels et surtout les plus brillants comme Trotsky et Marx… La terreur n’a-t-elle pas montré que ces gens-là peuvent être battus ou brisés et même retournés ? Plus Staline est contraint de diffuser le mensonge officiel selon lequel il se considère comme l’humble successeur de Marx et Lénine, plus il rage de leur suprématie. Mais il se dit modeste, comme le peuple, pour dénoncer leur imodestie d’intellectuels prétentieux. Lui ne croit qu’à la force de la violence d’Etat, pas à la force révolutionnaire des exploités.
Ce que Koba révèle ainsi à un petit enfant intelligent et fiable résonne comme les vrais buts de Staline, sa raison de vivre, ses objectifs sociaux et politiques aussi. Koba affirme que lui, et seulement lui, avait eu confiance dans la pérennité du pouvoir russe face à tous les impérialismes, à sa capacité de survie face à tous les impérialismes sans compter sur la révolution internationale. D’ailleurs, pour lui, la révolution est nationale et seulement nationale. Là il est conscient d’avoir rompu de manière essentielle avec Lénine derrière lequel il se cachait jusque là. Et bien sur rompu aussi avec Marx ! Le « socialisme national » de Staline se rapproche par contre du national-socialisme d’un Hitler…
Les peuples de Russie, il les a aussi en haine. Il n’y a que les Russes blancs qu’il admire, il l’avoue à l’enfant, ce sont tous des barbares et les a déportés et frappés. Même ceux de sa Géorgie d’origine sont des arriérés.
En fait, ce sont tous les travailleurs, les pauvres, les exploités qu’il poursuit de sa haine féroce, et aussi tous ceux qui sont militants révolutionnaires et même dirigeants révolutionnaires, jusqu’au Bureau politique lui-même, dit-il à l’enfant.
Quel est son rôle personnel lui demande le petit ? Justement à se méfier de tous, les dénoncer tous pour assurer la sécurité de l’Etat. Quel est son plus grand plaisir ? Assister aux défilés militaires des forces armées, des tanks, des chars et autre engins de mort. Et aussi faire de listes de personnages à éliminer, à écarter, à interner. Y compris ceux qui l’ont aidé dans son ascension. Ce sont les plus dangereux. Ne se souvient-il pas d’un certain Kirov qu’il avait choisi comme son plus proche et qu’il a dû éliminer parce qu’il lui faisait de l’ombre ?
Il affirme à l’enfant que c’est lui qui a sauvé la vie du régime socialiste russe (non pas celle des soviets mais de l’Etat), en ne comptant nullement ni sur les militants révolutionnaires ni sur les vagues révolutionnaires mondiales mais seulement sur sa propre méfiance lourde et violente.
C’est seulement quand la vague révolutionnaire en Europe a échoué que son étoile a commencé de monter. C’est seulement quand les exploités ont été démoralisés, quand les révolutionnaires eux-mêmes ont commencé à vasciller que sa propre force a grimpé, s’appuyant sur tous les rouages d’appareil de l’Etat et du parti. Il a grimpé seulement avec la bureaucratie dont il a épousé les buts et les méthodes.
Et Koba rapporte aussi au petit qu’il a même dû s’opposer à Lénine lui-même avant que celui-ci de soit mis à l’écart, qu’il s’est heurté violemment à la femme de Lénine, exactement comme il devait se heurter violemment à tous les dirigeants révolutionnaires par la suite.
L’auteur souligne bien sûr la paranoia de Staline et son antisémitisme foncier, traits qui le rapprochent d’un Hitler.
L’auteur n’est ni un maarxiste, ni un trotskiste, ni un révolutionnaire, ni même un socialiste et il ne le prétend bien sûr pas et nous ne lui attribuons pas de telles tendances mais il a réussi à retracer ce qui fait un Staline et à comprendre que ce n’est nullement la marque de fabrique des Marx, des Lénine et des Trotsky et ce n’est déjà pas si fréquent. Il fait même dire à son Staline que ses vrais ennemis affirmeront que l’échec du stalinisme n’est pas l’échec du communisme. On ne peut pas dire mieux.