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Quand Staline empuantissait la poésie

2 mars 2015, 06:36, par Robert

Jean Malaquais dans « Le patriote professionnel » :

Le prototype du patriote professionnel apatride, celui qui a atteint une espèce de grandeur dans le maniement du bénitier stalinien, est le nommé Louis Aragon poète par la grâce des dieux, clarinette par la grâce de saint Joseph ; Louis Aragon, ex-dadaïste, ex-surréaliste, ex-auteur du « Con d’Irène », du « Paysan de Paris », du « Traité du style », ex-lui-même ; Louis Aragon qui écrivait : « … qu’il me soit permis, ici, chez moi, dans ce livre, de dire à l"armée française que je la conchie », (je cite de mémoire) - qui écrivait comme ça quand il avait du génie ; Louis Aragon qui, tel le barde de service de l’Uzbékistan, s’époumonnait : « Hourra Oura !… » - qui s’époumonnait comme ça quand il n’avait plus guère de génie ; Louis Aragon qui, plus cocardier que feu Déroulède, s’égosille de la voix des coqs : « … Jamais éteint renaissant de sa braise perpétuel brûlot de la patrie » - qui s’égosille comme ça quand, en fait de génie, il lui reste des briques…

Aragon en rimaillant :

Vous pouvez condamner un poète au silence

Et faire d’un oiseau du ciel un galérien

Mais pour lui refuser le droit d’aimer la France

Il vous faudrait savoir que vous n’y pouvez rien

« Il y a une poésie de la bassesse », écrit en se regardant dans la glace, le nommé Louis Aragon, à propos des « Pages de journal » (1939-1942) d’André Gide ; et, dans le même texte, lequel en fait de bassesse est un chef-d’œuvre, il ajoute : « Je sais… qu’il ne manquera pas des gens pour dire que vraiment on voit un peu trop d’où me vient la dent que je lui conserve. » - Eh bien, Dieu merci non, il ne manquera pas. Trop de gens savent en effet qu’Aragon pâmait d’aise à toute virgule échappée de la plume de Gide quand Gide pensait de l’U.R.S.S. ce qu’Aragon estime obligatoire que l’on en pense, et qu’il ne se lasse pas d’exiger la peau de Gide depuis que Gide ose penser qu’en U.R.S.S. on la crève : trop de gens savent à quels nobles sentiments obéissent les véhémentes protestations d’Aragon contre le retour de Gide « parmi nous qui regardons encore des vides sanglants à nos côtés. » - Trop, trop de gens. Mais si quelque naïf ne le savait point, Aragon en personne se charge de l’apitoyer sur les plaies de son cœur : cette dent, petit naïf, je la lui garde à cause de ses deux livres sur son voyage au pays de ma flamme. Ce mortel péché - Aragon ne dormira pas tranquille, Jeanne d’Arc ne cessera de renifler ses larmes - tant que Gide ne l’expie dans son sang. Les « vides sanglants » que le patriote de métier contemple à ses côtés ne sauraient être comblés ; il y manque le corps du grand vieillard pour que la fosse soit garnie. Aussi, à ce manque à gagner, à ce cadavre manquant à son tableau, Aragon s’empresse d’obvier. Porté sur les ailes de son amour sacré de la patrie, il se laisse descendre en planant sur les « Pages de journal », et, horreur ! ce que tout d’abord et tout de suite il découvre, c’est que dès la fin de 1940 l’auteur de « l’Immortaliste » témoigne un grand intérêt pour la langue allemande, pour Goethe plus précisément, « comme si », note le nommé Louis Aragon, « comme si, devant le succès des armes allemandes, ce fût un véritable devoir de lire « Faust »…

« A mort ! » a toujours été le cri de prédilection de notre personnage. Même au plus fier de sa jeunesse il traînait dans son sillon un relent de nécrophilie. L’ombre du gibet se profile tout au long de sa tortueuse carrière, et c’est à cette ombre qu’il aime rêver. J’ai ouï dire qu’un sien parent par alliance - petit agent provocateur au service de G.P.U. qui a joué de malchance - ayant été exécuté en Russie, on le vit se frotter les mains et disant : c’est bien fait ! Personne mieux que lui n’a crié à mort lors des tragiques journées de mai 1937 à Barcelone : personne n’a mieux dénoncé à la police les militants espagnols anti-staliniens réfugiés en France. Aujourd’hui il lui faut la vie d’André Gide ! Mais qui ne connaît l’homme ? Qui n’éprouve la nausée à se pencher sur l’abîme dans lequel le nommé Louis Aragon n’a cessé de dégringoler cul par-dessus tête ? Qui ne l’a vu, hier anti-militariste, aujourd’hui bombant le ventre sous ses décorations ? Hier hystériquement internationaliste, aujourd’hui xénophobe à tous crins ? Existe-t-il une figure de jonglerie, un tour de saltimbanque qu’il n’ait exécutés ? On l’a vu danser le casatchok en s’accompagnant de la « Marseillaise », s’enivrer de vodka et crier vive le pinard, applaudir aux procès de Moscou et clamer justice, porter aux nues la « démocratie soviétique » et honnir le « fascisme de chez nous » ; on l’a vu se hérisser de piquants au seul nom de l’Eglise, et on l’a vu faisant des démarches chez le cardinal Verdier afin que celui-ci intervînt auprès de Franco - suspendez le bombardement de Madrid vu que c’est la Noël (1936) ; on l’a vu réclamer le poteau pour les pacifistes, et on l’a vu - lui seul d’entre les valets de plume - avoir l’estomac de proclamer dans sa feuille russe « Ce soir » (24 août 1939) que le pacte Staline-Hitler signifiait la paix sûre et certaine, la France - cette salope impérialiste - ne rêvant que plaies et bosses. (Pris de court et fautes d’instructions, Cachin et feu Péri ne surent que quelle fesse s’asseoir, et « l’Humanité » du même jour ne souffla mot de cette « paix-là ». Et le voici drapé de tricolore et à cheval sur l’Arc de triomphe et torturant de faux alexandrins et de fausses rimes, France et silence, le voici donc de nouveau réclamant la potence pour quiconque ne sautille point à sa corde, - à cette corde sur laquelle lui et son digne pendant, le nommé Ilya Ehrenbourg, font le funambule macabre.

Il a tout piétiné, y compris sa propre ombre ; tout « souillé » de ses premières amours, tout « pollué » de ses dernières « déjections ». Que le patriote bêlant dont l’oreille et le « foie » s’épanouissent au cocorico d’Aragon ne se gêne pas ; il le trouvera dans la poubelle au bas de mon escalier, et il peut l’y ramasser. Et maintenant je vais me laver les mains et me rincer la bouche.

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