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Poésies sur la Première Guerre Mondiale

12 mars 2018, 14:33

Calligrammes d’Apollinaire :

CHANT DE L’HONNEUR
LE POETE

Je me souviens ce soir de ce drame indien

Le Chariot d’Enfant un voleur y survient

Qui pense avant de faire un trou dans la muraille

Quelle forme il convient de donner à l’entaille

Afin que la beauté ne perde pas ses droits

Même au moment d’un crime

Et nous aurions je crois

À l’instant de périr nous poètes nous hommes

Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes

*

Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté

N’est la plupart du temps que la simplicité

Et combien j’en ai vu qui morts dans la tranchée

Étaient restés debout et la tête penchée

S’appuyant simplement contre le parapet

*

J’en vis quatre une fois qu’un même obus frappait

Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes

Avec l’aspect penché de quatre tours pisanes

*

Depuis dix jours au fond d’un couloir trop étroit

Dans les éboulements et la boue et le froid

Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture

Anxieux nous gardons la route de Tahure
*

J’ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir

Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure

Ô mes soldats souffrants ô blessés à mourir

*

Cette nuit est si belle où la balle roucoule

Tout un fleuve d’obus sur nos têtes s’écoule

Parfois une fusée illumine la nuit

C’est une fleur qui s’ouvre et puis s’évanouit

La terre se lamente et comme une marée

Monte le flot chantant dans mon abri de craie

Séjour de l’insomnie incertaine maison

De l’Alerte la Mort et la Démangeaison

LA TRANCHEE

Ô jeunes gens je m’offre à vous comme une épouse

Mon amour est puissant j’aime jusqu’à la mort

Tapie au fond du sol je vous guette jalouse

Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord

LES BALLES

De nos ruches d’acier sortons à tire-d’aile

Abeilles le butin qui sanglant emmielle

Les doux rayons d’un jour qui toujours renouvelle

Provient de ce jardin exquis l’humanité

Aux fleurs d’intelligence à parfum de beauté

LE POETE

Le Christ n’est donc venu qu’en vain parmi les hommes

Si des fleuves de sang limitent les royaumes

Et même de l’Amour on sait la cruauté

C’est pourquoi faut au moins penser à la Beauté

Seule chose ici-bas qui jamais n’est mauvaise

Elle porte cent noms dans la langue française

Grâce Vertu Courage Honneur et ce n’est là

Que la même Beauté

LA FRANCE

Poète honore-la

Souci de la Beauté non souci de la Gloire

Mais la Perfection n’est-ce pas la Victoire

LE POETE

Ô poètes des temps à venir ô chanteurs

Je chante la beauté de toutes nos douleurs

J’en ai saisi des traits mais vous saurez bien mieux

Donner un sens sublime aux gestes glorieux

Et fixer la grandeur de ces trépas pieux
*

L’un qui détend son corps en jetant des grenades

L’ autre ardent à tirer nourrit les fusillades

L’autre les bras ballants porte des seaux de vin

Et le prêtre-soldat dit le secret divin

*

J’interprète pour tous la douceur des trois notes

Que lance un loriot canon quand tu sanglotes

*

Qui donc saura jamais que de fois j’ai pleuré

Ma génération sur ton trépas sacré
*

Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude

Chantez ce que je chante un chant pur le prélude

Des chants sacrés que la beauté de notre temps

Saura vous inspirer plus purs plus éclatants

Que ceux que je m’efforce à moduler ce soir

En l’honneur de l’Honneur la beauté du Devoir

17 décembre 1915

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