Accueil > ... > Forum 36173

Acte d’accusation du roi Louis XIV

11 janvier 2020, 06:49

La fortune matérielle de Colbert ne fut pas moins prodigieuse que son avancement politique. L’abnégation n’était pas la vertu des fonctionnaires de l’ancienne monarchie, et l’intendant de Mazarin entendait trop bien le positif des affaires pour négliger ses intérêts personnels. A peine entré chez le cardinal, on le voit exploiter l’influence que lui donne ce puissant patronage. Vers 1650, un partisan nommé Jacques Charron, sieur de Ménars, qui, suivant la chronique, « de tonnelier et courtier de vins, était devenu trésorier de l’extraordinaire des guerres, » était menacé d’une taxe considérable à titre de restitution. Colbert, dit-on, le fit exempter, et, pour prix de ce service, obtint la main de sa fille, qui était nue des plus riches héritières de la capitale. Ce coup de fortune n’empêcha pas l’intendant de glisser de temps en temps dans sa correspondance une phrase pour demander quelque petite abbaye d’environ 4.000 liv. de rentes. Il ne perdit pas pour attendre, et reçut plus tard un bénéfice de 8,000 livres. Six ans de service chez le cardinal lui suffirent pour procurer à ses frères, oncles et cousins, des postes lucratifs ou de riches bénéfices. Lui-même reçut gratuitement la charge d’intendant du duc d’Anjou, dont il tira 40,000 livres, celle de secrétaire des commandemens de la reine à venir (le jeune roi n’était pas encore marié) ; fonction honorifique qu’un financier lui acheta 500,000 livres, plus 20,000 livres de pot-de-vin à Mme Colbert. On sait que Mazarin, dont la rapacité était scandaleuse, entreprenait à son compte la fourniture des vivres de l’armée. Quoique blâmant en principe ce genre de spéculation, Colbert en était l’agent nécessaire, et il y dut trouver personnellement des bénéfices considérables. Lorsqu’à son tour il tint dans sa main la fortune de la France, il n’abusa pas trop de sa position ; on le trouve modéré lorsqu’on le juge par comparaison avec ses devanciers. Il résulte du compte établi par M. Clément que ses traitemens avoués ne s’élevaient pas à plus de 70,000 livres ; mais ce qu’on a conservé du registre des ordonnances de comptant contient un e note ainsi conçue : « Au sieur Colbert, pour gratification, en considération de ses services, et pour lui donner moyen de me les continuer, 400,000 livres. » Il paraît démontré en outre que le ministre recevait des dons annuels de la part des états provinciaux. Bref, après avoir établi richement six fils et trois filles, Colbert laissa une fortune évaluée en capital à 10 millions de livres, environ 30 millions de notre temps. Je me hâte d’ajouter que jamais homme d’état ne légitima sa fortune par une plus grande application à ses devoirs. Pendant les vingt-deux ans de son ministère, il travailla régulièrement seize heures par jour !

Les attributions de Colbert empiéteraient actuellement sur tous les ministères. Le département des finances, dans ses diverses dépendances, formait le fond de sa charge. Intendant particulier du roi, il devait administrer la fortune de son maître, et pourvoir aux dépenses qui constituent aujourd’hui la liste civile. Contrôleur-général des finances de l’état, la répartition et le recouvrement des impôts, les emprunts, les baux et les marchés, les monnaies, le paiement des rentes, des pensions et des services actifs, étaient de son ressort. Le chancelier de France était alors le ministre en titre de la justice ; néanmoins Colbert, homme du roi et jaloux de tout rapporter au roi, dirigeait les grands travaux de législation. La forte organisation du clergé dispensait d’un ministre des cultes ; cependant la police extérieure de l’église, ce qu’on appelait alors les affaires générales du clergé, revenait à Colbert. Dans le ressort de l’instruction publique, le sacerdoce et l’université se disputaient, comme on sait, l’éducation de la jeunesse : le gouvernement surveillait la lutte sans intervenir ; mais la partie élevée de ce ministère, l’instruction supérieure, les académies, les bibliothèques, les encouragemens aux savans et aux littérateurs, étaient le beau côté des emplois de Colbert, et, pour ainsi dire, la récréation de ce grand homme. Il n’y avait pas alors de ministre spécial pour l’ensemble des relations extérieures : la diplomatie politique était confiée à des hommes d’une expérience consommée, d’une autorité généralement reconnue, comme Pomponne ou Lionne ; les traités de commerce et les consulats rentraient dans les fonctions de Colbert, qui correspondait directement avec les ambassadeurs. Les occupations les plus importantes du ministère de l’intérieur, c’est-à-dire la police générale du royaume, les postes, et les rapports avec les intendans et les magistrats civils des provinces, regardaient également l’homme infatigable. Il exerçait en outre, d’une manière directe, le gouvernement, c’est-à-dire l’intendance provinciale de Paris, de l’Ile-de-France et de l’Orléanais. Le ministère de la guerre proprement dit appartenait à Louvois, mais ce département avait alors moins d’étendue qu’aujourd’hui ; on en détachait presque toute la comptabilité : l’entretien des fortifications, la solde des troupes, les vivres, les étapes, l’entretien de l’artillerie, les poudres et salpêtres, en ce qui concerne la partie financière de ces services, revenaient de droit au contrôleur de la fortune nationale. Ce qui forme aujourd’hui le ministère des travaux publics rentrait alors dans la surintendance des bâtimens, l’une des charges de Colbert. La construction des palais royaux et des édifices publics, des routes, des ponts, des canaux, des arsenaux, des ports de mer, était dirigée par lui avec un zèle qui transformait parfois l’administrateur en artiste. L’agriculture, le commerce et l’industrie étaient la préoccupation capitale de Colbert, et sur ce terrain il était roi absolu. Toutefois le service qui lui demanda le plus de temps et d’application fut celui de la marine et des colonies, dont il surveillait jusqu’aux détails les plus minutieux. De compte fait, à l’exception de la diplomatie purement politique, de la direction militaire des armées, de la chancellerie et de l’université, toutes les affaires qui sont aujourd’hui réparties entre neuf portefeuilles revenaient à Colbert. On dira que l’administration au XVIIe siècle était moins compliquée, moins avancée qu’aujourd’hui. Sans doute elle était moins formaliste, moins paperassière : était-elle en réalité moins active ? Je n’ose prononcer. Quoi qu’il en soit, la tâche assumée par Colbert est effrayante à nos yeux. Pour y suffire, il fallut, non-seulement le zèle uni à l’ampleur de l’intelligence, non-seulement l’amour passionné du bien public : il fallut surtout une puissance de volonté, une solidité d’organisation vraiment phénoménales. Cette fureur de travail n’est pas toujours nécessaire pour faire un homme d’état. On peut heureusement devenir un bon ministre sans être un Hercule...

Un quatrain traduit assez fidèlement les sentimens populaires :

« Enfin Colbert est mort, et c’est vous faire entendre

Que la France est réduite au plus bas de son sort,

Car, s’il restait encor quelque chose à lui prendre,

Le voleur ne serait pas mort. »

source

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.