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Un slogan pseudo-marxiste de Lutte ouvrière : défendons le camp et les intérêts (économiques) des travailleurs (3)

mercredi 28 avril 2021, par Alex

On a vu dans les deux articles précédents, (1) et (2) que le slogan fétiche de LO : défense des intérêts (économiques) des travailleurs, n’est qu’un slogan syndical : c’est une paraphrase de l’article 1 des statuts de la CGT. Et c’est d’un certain type de syndicalisme dont il s’agit, non pas du syndicalisme révolutionnaire d’un Rosmer, mais le syndicalisme que la bourgeoisie française a proposé aux syndicats par la loi de 1884 : parlez d’économie, pas de politique, défendez les intérêts (économiques) des travailleurs, cela n’est pas dangereux pour nous.

Lénine contre « La Pensée Ouvrière »

C’est à ce type de perspective limitée que Lénine s’est opposé dès 1899 :

(...) éxagérer ainsi un aspect de l’activité au détriment des autres, et vouloir même jeter entièrement par-dessus bord ces autres aspects, menace le mouvement ouvrier russe de conséquences infiniment plus désastreuses encore. (...) Sous l’effet de la propagande de La Pensée Ouvrière, les ouvriers sans aucune culture peuvent se pénétrer de cette conviction bourgeoise et profondément réactionnaire que l’ouvrier ne peut ni ne doit s’intéresser à rien d’autre qu’à l’augmentation des salaires et au rétablissement des jours fériés (les « préoccupations du moment »), que le monde ouvrier peut et doit lutter pour la cause ouvrière par ses propres forces, par sa seule « initiative privée », sans s’efforcer de la faire fusionner avec le socialisme, sans essayer de faire de la cause ouvrière la cause d’avant garde, la cause essentielle de l’humanité tout entière. Les ouvriers les moins développés peuvent, répétons-le, se laisser convaincre par une telle conviction. Mais nous sommes certains que les ouvriers d’avant-garde, ceux qui dirigent les cercles ouvriers et toute l’activité social-démocrate, ceux qui remplissent aujourd’hui nos prisons et les lieux de déportation, depuis la province d’Arkhangelsk jusqu’à la Sibérie orientale, rejetteront cette théorie avec indignation. Réduire tout le mouvement aux préoccupations du moment, c’est spéculer sur l’état arriéré des ouvriers, c’est faire le jeu de leurs pires passions. C’est rompre artificiellement le lien entre le mouvement ouvrier et le socialisme, entre les aspirations politiques parfaitement définies des ouvriers d’avant-garde et les manifestations spontanées de la protestation des masses

(Un mouvement rétrograde dans la social-démocratie (1899). Lénine. Oeuvres complètes, T. 4).

Mais la ligne de LO est bien plus réactionnaire que celle du courant dit « Economiste » que dénonçait Lénine. Car outre être une propagande « Economiste », elle est avant tout une politique organisationnelle consciente qui permet à LO de se fondre dans une tendance de la CGT.

Une conséquence réactionnaire : la négation de l’auto-organisation

Ne mettre en avant que des revendications économiques (d’ailleurs très modérées, car piochées dans les revendications de la CGT), et pas d’objectifs politiques a une conséquence immédiate : étouffer la perspective l’auto-organisation des travailleurs. Comment osez vous dire cela ?! se demanderont certains lecteurs. Nathalie Arthaud politise toutes les questions qu’elles aborde, en faisant allusion en permanence à la lutte entre le camp de la bourgeoisie et celui du prolétariat, elle invite donc les travailleurs à s’organiser.

C’est une illusion. Un concept important est ce que Proudhon appela la capacité politique du prolétariat. Le prolétariat doit avoir sa propre politique. Commenter la politique du gouvernement et de tous les politiciens n’est que critiquer la politique de la bourgeoisie. Il est toujours bon de le faire, mais ce n’est pas proposer une politique au prolétariat. Or LO nie cette capacité politique du prolétariat, car pour LO, il n’y a jamais de programme politique à mettre en avant dans "le camp des travailleurs".

Il suffit de prendre le dernier éditorial de LO, alors que la "grande journée d’action" du 5 décembre se prépare. LO commence par un ultimatum :

la grève du jeudi 5 décembre doit être notre affaire à tous.

Pour quelle raison ? Nous ne le saurons pas. La phrase suivant est un chef d’oeuvre de phrase à double sens :

Quoi que l’on pense des confédérations syndicales et de leurs calculs divers et variés, il faut y aller.

Le militant ou sympathisant de LO est satisfait : quoi que l’on pense .... Le langage courant fait son effet : LO a l’air de dire clairement qu’on peut penser du mal des syndicat. Mais en fait, la citation précédente ne contient aucune critique d’aucune confédération syndicale ! Quels sont « leurs calculs divers et variés » ? Les travailleurs ne sont pas en « capacité » de comprendre. Il n’y a aucun problème à discuter dans le camp des travailleurs, pour LO.

Les directions syndicales sont toutes des représentants des intérêts de la bourgeoisie dans le camp des travailleurs. Un tel énoncé simple, qui n’est que le B.A. BA du trotskisme ne se lit plus sous la plume de Nathalie Arthaud.

Il y a deux pôles qui seront présents le 5 décembre : celui, habituel, des confédérations syndicales ; mais aussi celui planté depuis des mois par les gilets jaunes, les collectif des hospitaliers, certains syndicalistes. L’existence de ces deux pôles dans le camp des travailleurs, elle n’est pas mentionnées dans l’Edito de LO, c’est en cela qu’il est apolitique, car il ne discute pas des problèmes politiques dans le camp des travailleurs. Oh, si ! il y a un problème : les travailleurs qui n’iront pas à la manifestation sont déjà montrés du doigt comme les "complices" de Macron. Ordonner d’aller marcher au pas derrière les confédérations syndicales, tel est le sens de l’édito de LO.

Dans la rubrique "Qui sommes nous" du site de LO, cette organisation rassure la bureaucratie de la CGT : à aucun moment il n’est fait référence à des comités de grèves qui contesteront la direction de toute lutte aux bureaucraties syndicales :

Nos camarades militent tous, aux côtés des autres militants ouvriers, dans les syndicats. Ils sont souvent délégués du personnel ou exercent d’autres responsabilités. À travers la lutte syndicale, les travailleurs peuvent apprendre à s’organiser et à opposer leur solidarité à l’exploitation patronale. Pour constituer une force, les travailleurs doivent s’unir et il est essentiel de combattre le corporatisme, le racisme et les idées et préjugés susceptibles d’opposer les travailleurs les uns aux autres.

Mais la lutte syndicale, en elle-même, ne permettra pas de mettre fin à l’exploitation. Pour cela, les travailleurs doivent s’organiser sur le terrain politique pour contester aux capitalistes et à la bourgeoisie son contrôle sur l’économie et son pouvoir sur la société.

Lutte Ouvrière : Qui sommes nous ?

Que veut dire « s’organiser sur le terrain politique » ? Qu’est-ce qu’un bureaucrate syndical, un comité de grève, un soviet ? Ces concepts n’apparaissent plus dans la prose de LO. La question vitale de l’auto-organisation lors de la grève du 5 décembre n’est pas abordée. Un retour à la citation de l’édito ci-dessus :

Quoi que l’on pense des confédérations syndicales ...

La formulation

Quoi que l’on pense des bureaucrates syndicaux ...

serait déjà plus claire. Mais Jean-Pierre Mercier, Nathalie Arthaud ont de bonnes manières. Ils forment une nouvelle variété des « talas » évoqués par Jules Romains , car, sans déranger, polis envers les staliniens, ils von-tala-manifestation.

Pour Marx, il y avait différentes politiques proposées dans le camp des travailleurs, avec de faux amis et de vrais ennemis de ces travailleurs, tous porte-parole conscients ou pas, peu importe, de la bourgeoisie dans le "camp des travailleurs". Ces courants vont de l’extrême droite aux gauchistes. Oui, il y a eu compris des sympathisants du fascisme dans le camp des travailleurs ! Marx et Engels énumèrent par exemple dans le Manifeste :

 1. Le socialisme réactionnaire

a) Le socialisme féodal b) Le socialisme petit-bourgeois (Sismondi ... c) Le socialisme allemand ou socialisme "vrai"

 2. Le socialisme conservateur ou bourgeois (Proudhon etc)

 3. Le socialisme et le communisme critico-utopiques (Babeuf, Saint-Simon, Fourier, Owenetc)

Pour Lénine, il y a des adversaires à combattre dans « le camp des travailleurs » :

  • Les « Amis du peuple »
  • les « Economistes »
  • les menchéviques
  • les socialistes-révolutionnaires
  • les anarchistes
  • les social-patriotes

Trotsky, rien que dans le Programmes de transition, nomme et qualifie, pour permettre aux ouvriers lecteurs de s’orienter, les partis :

  • social-démocrate,
  • stalinien,
  • anarchiste
  • POUM,

les organisations dirigeantes,

  • socialistes,
  • staliniennes,
  • syndicalistes,

Dans ce texte Trotsky donne un exemple de la prose révolutionnaire, il ne mentionne pas vaguement "tout ce que l’on peut penser de X, Y" mais écrit explicitement, par exemple :

Le passage définitif de l’Internationale communiste du côté de l’ordre bourgeois, son rôle cyniquement contre-révolutionnaire dans le monde entier, particulièrement en Espagne, en France, aux États-Unis et dans les autres pays "démocratiques"

C’est en cela que consiste une discussion d’une politique dans « le camp des travailleurs », où les officines bourgeoises sont majoritaires, car « l’idéologie dominante est celle de la classe dominante » (Karl Marx), dans le camp des travailleurs autant qu’ailleurs.

L’article de Lénine cité plus haut a pour titre « Un courant rétrograde dans la Social-Démocratie ». Cela revenait à dénoncer
« Un courant rétrograde dans le camp des travailleurs ». Nier l’existence de tels courants LO le fait, en en parlant plus dans ses éditos (la revue LdC lue par les militants peut le faire, il faut consoler les militants, les persuader qu’ils restent révolutionnaires). La conclusion est donc toute trouvée : quelle est la nature d’une organisation qui martèle un seul slogan : défendre les intérêts (économiques) des travailleurs, cela ne peut devenir rien d’autre qu’ « Un courant rétrograde dans ’le camp des travailleurs’ » ! comme « La Pensée Ouvrière » tendance du « camp des travailleurs » combattue par Lénine.

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