Accueil > 16- EDITORIAUX DE "LA VOIX DES TRAVAILLEURS" - > Le prolétariat a-t-il des raisons d’espérer en l’avenir ?
Le prolétariat a-t-il des raisons d’espérer en l’avenir ?
mercredi 21 février 2024, par ,
Le prolétariat a-t-il des raisons d’espérer en l’avenir ?
"Travailleuses, travailleurs, Le monde va mal. !" : tel est le cri de détresse poussé par N. Arthaud, enseignante et porte-parole de Lutte Ouvrière (LO), dans sa dernière brochure destinée à faire voter les ouvriers pour sa liste. Une seule chose va bien pour N. Arthaud, ce sont les élections :
»comme toutes les élections, celles du 9 juin seront une occasion de s’exprimer, de dénoncer la catastrophe vers laquelle le capitalisme entraîne la société et de défendre un autre avenir. »
C’est un programme bourgeois car électoraliste que propose N . Arthaud. Or c’est ce monde bourgeois qui va mal, et ce monde n’est pas le nôtre. Si on voit ce monde d’un point de vue révolutionnaire, prolétarien et réellement socialiste, c’est-à-dire donnant comme perspective la dictature du prolétariat se fondant sur des soviets, perspective qui estdéfendue en période pré-révolutionnaire par un parti de type bolchévique comme celui fondé par Lénine en 1903, ce même monde en contient en fait… deux antagonistes, l’un bourgeois, l’autre prolétarien, et donne plus que jamais des raisons d’être optimiste car son auto-destruction, la destruction du monde bourgeois par la révolution prolétarienne qu’il porte en lui depuis 1848, semble plus que jamais accessible.
Les sept traits généraux qui caractérisent cette période pré-révolutionnaire sont les suivants :
1°) Même dans les pays que l’on croyait écrasés par des dictatures féroces ont connu à partir des printemps de 2011 des vagues de révolutions dans lesquelles les masses populaires se sont révélées pleines de combativité, de capacités et d’espoirs dans la lutte et ont commencé de faire trembler la domination du système.
2°) Le prolétariat mondial est une classe qui existe désormais dans le monde entier et son poids social est au plus haut niveau. L’effondrement du capitalisme n’a pas affaibli fondamentalement le prolétariat. Les transformations du capitalisme n’ont rien changé à un point fondamental du prolétariat : celui-ci n’est toujours pas attaché au système et ne peut que chercher à le renverser même si ce n’est nullement le cas de l’essentiel de ses organisations ou plutôt des organisations qui se revendiquent mensongèrement de lui.
3°) De nombreuses luttes ouvrières dans le monde tentent de se mener de manière auto-organisée et la perspective prolétarienne, celle des soviets, reste d’actualité.
4°) Le capitalisme, lui, est à l’agonie. Il parvient à durer, mais plus il fait trainer sa mort, plus les causes de celle-ci s’aggravent et en particulier la chute relative des investissements productifs par rapport à la masse total des capitaux qui a atteint des sommets vertigineux.
5°) Ce qui est présenté comme « l’échec du communisme » est une fiction puisque le stalinisme n’était en rien une expérience socialiste ni ne découlait de la politique révolutionnaire de Lénine et Trotsky.
6°) L’absence dans le monde de partis révolutionnaires est certes un facteur défavorable pour le prolétariat mais nullement un obstacle majeur. Rappelons que des partis révolutionnaires sont souvent nés au cours des révolutions, notamment dans les révolutions bourgeoises.
7°) Les connaissances politiques dont les révolutionnaires peuvent s’emparer comme d’outils de combat sont à un niveau plus élevé que jamais.
Ces grandes tendances n’aboutiront que si nous y contribuons activement et radicalement. Que le monde aille mieux dépend maintenant bien plus que de prétendus "facteurs objectifs" qui sont déjà bien à l’oeuvre.
Le pessimisme des pseudo-révolutionnaires
Il est des groupuscules médiatisés qui en France parlent au nom de la classe ouvrière, de la révolution, de renversement du capitalisme. Les plus connus en France sont Lutte Ouvrière (LO) et le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). Quelles machines à démoraliser sont devenues ces organisations ! Caricaturant le marxisme, ces partis s’appuient sur "des faits" : échec des grèves, montée de l’extrême-droite etc pour diffuser leur "pessimisme" ... et justifier leur ralliement aux organisations réformistes.
Mais les "faits" n’existent pas en eux-mêmes, ils ne sont qu’une partie de la réalité que nous percevons au travers d’une certaine manière de voir. Il en est une qui est abandonnée par les pseudo-révolutionnaires convertis au "progressisme", c’est la dialectique matérialiste. Tout cela est bien abstrait ? Pourtant La Commune de Paris (1871) et la Révolution d’Octobre (1917) sont deux occasions qui ne furent pas manquées par le prolétariat, cette classe sociale prit le pouvoir avec succès. Or c’est en période de guerre, après des reculs brutaux, que ces succès exemplaires furent remportés ! Les marches vers les guerres de 1870 et 1914 furent des marches accélérées vers des révolutions. Beaucoup de pseudo-révolutionnaires célèbrent Lénine cette année, mais ils se gardent bien de rappeler sa façon de voir !
Les faux amis de Lénine enterrent ses idées
Il y a 100 ans en janvier 1924 mourrait Lénine, qui fut l’artisan de la victoire d’Octobre. La meilleure façon de comprendre comment être victorieux pour la prochaine révolution est donc de lire le premier discours que Lénine adressa après la victoire :
« Camarades, la révolution des ouvriers et des paysans, dont les bolchéviks n’ont cessé de montrer la nécessité, est réalisée. »
Cette seule phrase, aujourd’hui même en France, pourrait étonner bien des travailleurs, déchirer bien des voiles.
La révolution d’Octobre fut celle de deux classes sociales, les ouvriers et les paysans, et non d’une seule, la classe ouvrière. Cette réalité, illustrée par l’emblème du communisme qui comprend la faucille des paysans et le marteau des ouvriers, met déjà N. Arthaud hors-jeu, car jamais elle ne s’adresse aux paysans ! Oui N. Arthaud a raison de pense que "Le monde va mal", mais ce qui va mal, c’est quand sa brochure qui se prétend léniniste ne comporte même pas le mot "paysan" !
Ceci alors que nous sommes en plein mouvement paysan en France, en Europe ! Oui les paysans qui manifestent aujourd’hui, comme régulièrement depuis des décennies, comportent des bataillons de la future révolution prolétarienne ! "Ouvriers paysans nous sommes le grand parti des travailleurs" dit l’hymne des travailleurs l’Internationale. Des partis comme le NPA ou LO se réclament les héritiers de cette chanson, pourtant ils sont en désaccord complet, sans le dire, avec ce couplet de l’Internationale.
Le mouvement paysan actuel est donc une de ces réalités qui quotidiennement mettent différents aspects de la future révolution à l’ordre du jour. N. Arthaud, déprimée, répète que "Le monde va mal" car elle voit ce mouvement paysan comme un mouvement entièrement réactionnaire. Elle s’appuie pour cela sur "les faits" : un mouvement dirigé par la FNSEA ne peut pas être révolutionnaire, c’est très juste. C’est cette vision fataliste, anti-dialectique qui démoralise N. Arthaud.
Mais pour un militant révolutionnaire disciple de Lénine, ayant compris que l’affirmation de Lénine
« la révolution des ouvriers et des paysans, dont les bolchéviks n’ont cessé de montrer la nécessité, est réalisée »
indique que pendant des années, le parti bolchévik de Lénine répéta une révolution ouvrière et paysanne sera nécessaire !. La reprise de ce slogan-programme donnerait au mouvement paysan qui se déroule sous nos yeux une nouvelle perspective. Cette seule phrase, imprimée à des centaines de milliers d’exemplaires, distribuée en priorité aux paysans (la classe la plus combattive actuellement), puis aux ouvriers et à toute la population exploitée, est bien un programme en elle-même. Elle est révolutionnaire bien qu’elle ne contienne aucune revendication, car elle ouvre des perspectives bien nouvelles, et qu’aucune organisation politique ou syndicale ne la diffuse. Elle déclencherait des discussions interminables comme sur les ronds-points des Gilets jaunes
Voir la révolution comme un mouvement inter-classe, au moins ouvrier et paysan ne rend ni plus ni moins radical le mouvement paysan actuel, mais changerait toute la vision du monde des quelques milliers de militants révolutionnaires du mouvement ouvrier. Car alors que le "tout va mal" de N. Arthaud n’est qu’un programme de démoralisation, un militant ouvrier voit alors en France des raisons de se dire que "tout va mal", non pas parce que ce mouvement paysan serait réactionnaire, mais parce qu’il prendrait la mesure du retard que le mouvement ouvrier a pris en France sur cette question : qu’ont les militants révolutionnaires à dire aux paysans, quels textes sont-ils prêts à être distribués ? On n’en est plus à se lamenter sur une révolution qui ne vient pas, mais sur le retard du parti ouvrier face à la révolution qui viendra. Ce qui va mal n’est que le résultat de ce qui dépend entièrement de nous. Une tâche révolutionnaire immense se présente aux militants ouvriers, et ils sont bien en retard à cause des choix politiques antérieurs. Il y a tout à coup trop à faire pour une future révolution !
Cela veut-il dire que les paysans, ne serait-ce que les plus pauvres, viendront à nous grâce à un appel à eux ? Non, dans le même discours, Lénine explique ce qui s’est passé en Russie :
« A l’intérieur de la Russie, une énorme partie de la paysannerie a dit : c’est assez jouer avec les capitalistes, -nous marchons avec les ouvriers. »
Les mouvements paysans en France de façon récurrente, comme ce fut le cas en Russie avant 1917, "jouent avec les capitalistes".
C’est peut-être avec des fourches que seraient accueillis les révolutionnaires en 2024 par les cortèges paysans, comme ce fut le cas pour les jeunes populistes russes qui il y a 150 ans, en 1874, "allèrent au paysans", ou à coup de fusils comme les ouvriers partisans de Lénine qui se faisaient fusiller par les paysans-soldats du Tsar en 1905. La même paysannerie qui a suivi pendant des années la bourgeoisie russe, a décidé de suivre la classe ouvrière russe. Des mêmes causes peuvent produire des effets contradictoires. C’est cette vision révolutionnaire du monde qui a permis à Lénine de forger en 1917 l’alliance entre les ouvriers et les paysans, pas un idéalisme naïf.
D’abord Lénine avait un programme, qu’il rappelle dans cette même déclaration en 1917 :
« Nous gagnerons la confiance des paysans seulement par le décret qui abolira la propriété des propriétaires fonciers. Les paysans comprendront que le salut de la paysannerie ne se trouve que dans l’alliance avec les ouvriers. »
Le mouvement ouvrier ne s’est pas adressé aux paysans en France
Prétendre comme le fait N. Arthaud que la coupure entre les mouvements paysans et ouvriers en France est due à des "différences de classe" est une caricature du marxisme. Lorsque les occasions se sont présentées, ce sont les dirigeants du mouvement ouvriers qui ont fait des choix.
Concernant l’alliance révolutionnaire entre les ouvriers et les paysans en France, la liste des occasions manquées contient au moins les années 1907, 1936, 1945 et 1953. "Le monde va mal en France" en grande partie à cause de choix politiques qui auraient pu être différents.
Un historien académique et peu au fait des idées de Lénine décrit très bien le fossé de classe qui a toujours existé dans la paysannerie en France, fournissant un point d’appui au mouvement ouvrier.
Par exemple après la deuxième guerre mondiale :
« Les années du redressement agricole de l’après-guerre avaient en fait agrandi le fossé entre les régions d’exploitation modernisées et celles d’exploitations sous-développées, entre ce que l’on commençait à appeler “les deux agricultures de la France” (..) Les producteurs du "secteur libre" (viande, ait, fruits et légumes) se trouvaient exposés à tous les hasards d’un marché fluctuant, tandis que les producteurs de céréales et de betteraves sucrière se prélassaient à l’ombre protectrice des organismes gouvernementaux de régulation du marché. (...) La plus grande partie des céréales et des betteraves étaient produite par de grandes exploitations modernisées du Basin parisien et du Nords-Est — c’est-à-dire justement par ces producteurs qui avaient joué un rôle prépondérant à la FNSEA. Comme le fossé entre les "deux agricultures" ne faisait que se creuser, beaucoup de petits paysans commencèrent à croire qu’ils étaient en train de devenir les victimes non seulement de leurs ennemis citadins, mais aussi de leurs dirigeants syndicaux. Les dirigeants de la FNSEA niaient que le syndicat fût un outils au main des gros exploitants. »
La Révolution rurale en France Gordon Wright (1967)
Or la direction de la FNSEA dans la paysannerie n’est qu’à l’image de la direction de la bourgeoisie dans toute la société : embrigader une partie de la petite bourgeoisie et des prolétaires contre les autres :
« Les détracteurs de de la FNSEA répliquaient qu’une puissante minorité avait appris comment dominer l’organisation à ses propres fins. L’un des instruments de cette minorité était la Fédération du Nord et du Bassin parisien, organisation regroupant environ une douzaine de départements de grande exploitation dont le siège était à Paris et où les représentants de la FNSEA dans les départements affiliés se retrouvaient pour concerter leur stratégie avant l’ouverture des réunions du Conseil ou des congrès annuels de la FNSEA. Les gros producteurs disposaient de finances bien meilleures et avaient su mettre en place des dirigeants plus tenaces et plus adroits que la petite paysannerie, beaucoup plus disséminée. De plus (...) leurs dirigeants excellaient à diviser la petite paysannerie contre elle-même, en particulier en persuadant les délégués de l’Ouest, catholiques et conservateurs, de s’opposer aux délégués des départements du Centre et du Midi, beaucoup plus à gauche, au nom de la foi, de la propriété et de l’ordre social. Et en effet on eut l’occasion de voir ces délégués petits paysans de l’Ouest, proposer bel et bien le programme des gros exploitants, le soutenir et le voter. En fin de compte, la poignée de petits exploitants occupant de hautes fonctions syndicales n’étaient que des pions mis en place par les gros cultivateurs pour couper court aux critiques (...) les dirigeants de la FNSEA concentraient leurs principaux efforts de pression sur des objectifs destinés à profiter plus directement aux gros producteurs qu’aux petits paysans. »
C’est une crise typique du capitalisme, la surproduction de marchandises, qui aboutit peu après au "soulèvement paysan de 1953". Ce soulèvement se place dans la lignée de celui de 1907, et voit naitre un mode d’action plein d’avenir : le défilé des tracteurs :
»En 1953, les prix du vin avaient baissé de 50 % et les viticulteurs, au moment où la nouvelle récolte commençait à murir, avaient encore leur chais à moitié pleins de la production de la campagne précédente. Leur mécontentement les fit passer aux actes ; en juillet et en août, le Midi fut le théâtre des manifestations les plus violentes qu’il eût connues depuis Marcellin Albert. Les vieilles techniques — la démission en masse des maires ruraux — furent combinées avec une nouvelle, la pratique des barrages de route au moyen de tracteurs. Bientôt l’agitation gagna le Centre de la France. (...) Bien que le siège de la FNSEA eût assuré publiquement les manifestants de son soutien moral, ses dirigeants ne peuvent guère avoir réellement approuvé un soulèvement de telles proportions. Leurs succès aux élections de 1951 les avait placé devant un dilemme. (...) après les élections , ils étaient eux-mêmes les politiciens, avec leur propre tête de pont au Parlement et leurs amis politiques au ministère de l’agriculture. La manifestation était dirigée contre un gouvernement auquel la FNSEA participait effectivement. »
La Révolution rurale en France Gordon Wright(1967)
Or le Parti communiste avait à cette époque une large audience à travers son journal La Terre "qui continuait à être le journal agricole le plus lu en France" dit le même historien, qui décrit comment le PC s’opposa à un syndicalisme de classe dans la paysannerie :
« Quand le Comité Viel-Mamour entreprit de créer un syndicat de petits et moyens exploitants en 1953-1954, les dirigeants communistes s’attaquèrent à cette entreprise en la dénonçant comme une manoeuvre politique aux fins égoïstes. Nous en convenons, déclarait Waldeck-Rochet, l’on doit s’opposer à la domination de Blondelle, mais cette activité oppositionnelle devrait être menée à l’intérieur même de la FNSEA, et non de l’extérieur ; une division de la paysannerie entraînerait inévitablement un affaiblissement de l’action paysanne. »
Ainsi le PC soutint la ligne de la FNSEA dès ses débuts, malgré ses bons résultats électoraux qui lui auraient permis de défendre un programme ouvrier pour les paysans, comme le fit Lénine :
« tant en 1951 qu’en 1953, les résultats électoraux du parti dans les campagnes furent remarquablement satisfaisants en dépit de la torpeur de son organisation ».
Cette politique du PCF en 1953 est dans la continuité de celle de 1945, où le PCF sauva la bourgeoise française en participant au gouvernement de De Gaulle en 1945. Combattre la lutte des classes en prêchant l’union des classes dans les campagnes était le programme du PCF. Le 1er novembre 1944, le stalinien Jean Laurenti, principal organisateur des 2000 CDAP (Comités d’action paysanne créés et dirigés par le PC fin 1944), écrivait :
« Il ne faut plus parler de blancs ni de rouges , de catholiques, de protestants et d’athées. Il n’y a plus de place pour des termes tels que grand, moyen, petit ou prolétaire ; il ne peut plus y avoir que des paysans français, associés ensemble dans une union fructueuse ».
Le PCF fit cadeau de ses troupes à une organisation du PS, la CGA (destinée à être le pendant agricole de la CGT), dont la FNSEA n’était qu’une des sept fédérations, celle qui prit la tête du monde agricole ensuite.
La gauche réformiste, PS et PCF n’a fait que soutenir, dans sa politique envers les paysans la même politique que les radicaux bourgeois avaient mise en place après l’écrasement de la Commune de Paris en 1871 : maintenir artificiellement par le soutien de l’Etat (prix garantis, tarifs douaniers protectionnistes) une petite paysannerie qui politiquement et économiquement soit embrigadée derrière les grands capitalistes de l’agriculture. La bourgeoisie a une politique envers les paysans petits et moyens, la gauche réformiste soutient la même. Quoi que fasse le prolétariat pour lui-même, il restera incapable de prendre le pouvoir s’il reste indifférent à cette alliance politique entre petits paysans et gros capitalistes de l’agriculture et de l’industrie.
Cette petite paysannerie que la grande bourgeoisie groupe derrière elle pour l’utiliser contre le prolétariat fut incarnée par le paysan Jean qui dans le roman de Zola La débâcle, est enrôlé dans l’armée versaillaise et tue son cousin le communard Maurice.
Cette propagande républicaine exaltant en paroles le petit paysan contre l’ouvrier ne s’adresse pas seulement aux paysans mais à toute la population à travers l’école :
« Cette mythologie doit beaucoup à l’école qui la propagea non seulement dans les campagnes mais aussi dans les villes. (...) [le] manuel de Bouillot Le Français par les textes, pour le cours moyen, édition de 1912, qui fut utilisé, pendant 30 ans, dans la quasi-totalité des écoles de France : sur 128 textes qu’il contient, 52 ont trait à l’agriculture et à la vie des paysans, 12 sont destinés à préparer les écoliers à une mort glorieuse sur le champ de bataille ».
L’idéologie "paysanniste", outre son rôle anti-prolétarien, était, et reste un outil patriotique et militariste. L’anti-patriotisme, l’antimilitarisme, le rôle d’embrigadement idéologique assigné à l’école par la bourgeoisie sont donc liés à la question paysanne. N. Arthaud, qui est enseignante, présente comme toute la gauche l’école comme un outil de "libération", et n’a aucun programme anti-patriotique et anti-militariste ! Oui, le monde va mal lorsque les révolutionnaires se rallient aux programmes bourgeois.
Avec la fin de la IIIème République en 1945, suite à la guerre, c’est cette protection de l’Etat au profit d’une petite et moyenne paysannerie qui s’effondrait. Un des représentants de ces couches, qui devint dirigeant de la FNSEA, explique comment ce syndicat a été l’outil trouvé par des paysans moyen pour ne pas disparaitre au profit des grandes exploitation :
« ce sont les agriculteurs les plus riches et les plus développés qui comprennent dès le lendemain de la guerre la nécessité d’accroître la taille de leurs exploitation. Ils se portent acquéreurs. Ils ont les moyens de payer et d’emprunter. Donc, ils accaparent. Et le phénomène se déroule dans toutes les régions françaises (...) au carrefour des années 50, emprunter pour les petits agriculteurs est presque impossible. (...) Il faut dire la vérité. Le conflit secoue les organisations agricoles elles-mêmes. La vielle idée (...) c’est-à-dire la lutte entre petits et grands agriculteurs, est à l’époque vraie. L’enjeu : la redistribution des terres libérées par l’exode. Iront-elles agrandir les fermes de 100 à 200 hectares ? Permettront-elles aux petites entreprises de devenir des exploitations modernes ? c’est tout le modèle américain qui se joue alors. Si la France bascule dans la première voie, l’exode rural s’accélèrera encore, le salariat agricole se développera. »
Michel Debatisse Le Projet paysan (1983)
Ainsi, la FNSEA, contrairement aux apparences, ne s’est pas mise au service exclusif de la grande agriculture capitaliste, mais garde un discours "anti-capitaliste" porté par une paysannerie petite et moyenne qui lutte en permanence contre sa prolétarisation.
La direction de la FNSEA est certes une organisation syndicale au service de la grande bourgeoisie, mais c’est également le cas de celle de la CGT qui a pourtant une base ouvrière.
C’était déjà cette peur des "blés américains", c’est-à-dire de la grande agriculture capitaliste, qui avait déclenché la mise en place de la politique agricole de la République bourgeoise à ses débuts :
« des quantités accrues de blés américains, produits à bas prix sur les terres vierges de la Prairie, se présentaient sur les marchés européens. Une grande partie du monde paysan fut brusquement terrorisée à l’idée que, dans un avenir proche, ce blé viendrait ruiner la production nationale si on le laissait entrer librement.
(...) Le radicalisme était définitivement coupé, depuis le sang de la Commune, d’une grande partie de la population urbaine, d’ailleurs suspectée de n’avoir pas renoncé aux idéaux socialistes. (...) Il était donc essentiel pour lui de conserver une solide base électorale dans la paysannerie. Une nouvelle politique allait se dessiner.Le premier acte fut, en 1881, la création par Gambetta d’un ministère de l’Agriculture, distinct de celui de l’Industrie et du Commerce.
(...) le ministre de l’agriculture de Jules Ferry s’appelait Méline (...) il se fit le défenseur des thèses protectionnistes (...) fit voter les premières lois protectionnistes (1884, 1892). »Une France sans Paysans (1965)
Cette politique de protections des petits paysans ne fit pas l’unanimité, Jules Ferry lui-même n’y était pas favorable : Je ne dis pas qu’il n’y ait pas, dans un juste remaniement des tarifs, un adoucissement à apporter aux maux de l’agriculture ... Mais je répète que ce serait une souveraine imprudence, et qu’on répandrait dans l’esprit public et dans la pensée de nos paysans une erreur funeste, en les persuadant qu’il suffirait d’un décret relevant les droits de quelques francs pour rendre la prospérité à l’agriculture. Or si Ferry laissa faire son ministre Méline, ce n’est pas un hasard s’il fut également le promoteur des colonies, sur le territoire desquelles c’est l’agriculture capitaliste à grande échelle qui put s’épanouir (caoutchouc d’Indochine, vins et blés d’Algérie).
Oui "le monde va mal", mais une partie de ses maux vient du fait que les organisations pseudo-révolutionnaires ne font pas le lien entre la situation des petits paysans ici et celle des ouvriers agricoles de pays dominés par l’impérialisme. La situation de la classe ouvrière relativement aux autres est loin d’être le seul résultat du "développement des forces productives", mais est due au réformisme et au stalinisme.
La gauche de la gauche ne fait donc que reprendre le programme du syndicalisme bourgeois en accord avec la République bourgeoise qu’incarne la FNSEA, car ce syndicalisme a son aile "anticapitaliste", protectionniste, portée par des petits paysans. Ainsi le NPA a une politique agricole faussement radicale :
« Cela exige de changer radicalement les politiques publiques agricoles : fixer des prix plancher (les agriculteurs/trices souffrent de prix d’achat non rémunérateurs imposés par les grands groupes de la distribution) ; imposer aux banques un moratoire sur les dettes ; favoriser les modèles bio paysans ; développer et soutenir la filière bio. La mise en place de la sécurité sociale alimentaire assurerait une alimentation de qualité pour tous•tes, faciliterait de nouvelles installations, et permettrait une juste rémunération des paysanNEs.
Rompre avec l’agriculture intensive, productiviste, industrielle, dopée à la chimie, pour qu’une autre agriculture soit possible ! »
(NPA) Le mardi 30 janvier 2024
Le NPA sous des airs radicaux ne fait que reprendre la politique de la IIIème république , "l’autre agriculture" étant celle des petits et moyens paysans. Le programme du NPA, ce n’est pas du Lénine, c’est du Méline ! ... qui s’appuierait sur l’aide du Crédit Agricole !
Engels avait déjà poussé les socialistes de France à ne pas reprendre le programme de Méline comme programme ouvrier pour l’agriculture : " Du paysan qui nous demande de maintenir la propriété parcellaire, nous ne pourrons jamais faire un camarade, pas plus que du petit patron qui veut rester éternellement patron"
Cela n’empêcha pas Lénine en 1917, après la prise du pouvoir du prolétariat, de gagner l’appui des paysans petits et moyens, non pas, contre le point de vue d’Engels, en les transformant en petits propriétaires comme la Révolution française, mais en donnant la terre aux paysans, tout en en supprimant la propriété :
« Décret sur la terre
La propriété des propriétaires fonciers sur la terre est abolie immédiatement sans aucune indemnité.
(...) La confiscation du cheptel ne frappe pas les petits paysans.
A tous les citoyens (sans distinction de sexe) de l’Etat russe qui désirent exploiter la terre par leur travail, avec l’aide de leur famille ou en société, est accordée la jouissance de la terre, seulement, tant qu’ils sont capables de l’exploiter. Le travail salarié est interdit. »
Ce décret n’est-il pas d’actualité en France, où la plupart des exploitants agricoles sont des fermiers, pas des propriétaires ? C’est en discutant avec les petits paysans que les militants du mouvement ouvrier s’en rendront compte.
Oui, le mouvement ouvrier va mal, car on voit qu’un petit mouvement paysan pose la question de la politique du prolétariat envers les classes intermédiaires, la question de l’Ecole, du militarisme, du patriotisme, du colonialisme, et que nous sommes en retard sur ces questions.
C’est parce que les organisations réformistes se sont ralliées au programme agricole de la bourgeoisie que les ouvriers n’ont rien pu faire aux grandes occasions qui se sont présentées.
Les réformistes enferment les ouvriers dans la question du partage des richesses, en demandant un salaire "digne et équitable" tout comme les petits paysans demandent un revenu "digne et équitable". Or c’est la question du pouvoir politique que doivent se poser les travailleurs pour améliorer leur sort, leur alliance avec des exploités d’autres classes sociales. La classe ouvrière est potentiellement une classe dirigeante, c’est ce qui fait sa force, bien plus que la grève.
En ne défendant que leur salaire, les travailleurs sont une classe parmi d’autres, qui se battent comme des petits bourgeois pour une plus grosse part, face à des classes qui lui seront nécessairement toutes hostiles, car le capitalisme, c’est la lutte de toute contre tous pour se répartir les profits.
En se donnant comme objectif l’abolition du salariat qui mettra fin au capitalisme, le prolétariat peut par contre transformer en alliés la partie exploitée des autres classes sociales.
Le même monde, vu de ces deux points de vue différents, paraitra très différent.
"Le monde va mal !" de N. Arthaud est la conclusion logique du point de vue bourgeois qu’elle adopte : augmenter les salaires. Les prolétaires n’ont à perdre que leurs chaînes, un monde à gagner ! est la conclusion à laquelle arrive au contraire tout militant du mouvement ouvrier capable de voir dans chaque mouvement, pas seulement une grève pour les augmentations de salaires, mais un germe de la "révolution ouvrière et paysanne" qu’accomplit Lénine !
Messages
1. Le prolétariat a-t-il des raisons d’espérer en l’avenir ?, 21 février, 04:24, par Robert
.
Les crises, les guerres, les fascismes, les massacres nous démoralisent sur notre avenir. Mais il ne faut pas oublier qu’il n’a jamais existé, dans la société bourgeoise, de grande guerre, de guerre mondiale, de grand massacre, de génocide, de fascisme ou de dictature violente qui ne soit motivée par la crainte des classes dirigeantes et cette crainte est bel et bien l’éloge du vice à la vertu, la reconnaissance par les bourgeois des risques que représentent les exploités….
Bien sûr, dans leurs déclarations, ces mêmes classes possédantes affirment que le prolétariat communiste n’existe plus, que le capitalisme est un horizon indépassable et se déclarent confiantes dans l’avenir du monde bourgeois. Mais, bien plus convaincants que les déclarations des bourgeoisies, il y a leurs actes : ils se désinvestissent massivement de la production, ils scient eux-mêmes ainsi la branche capitaliste sur laquelle ils sont assis, obligeant Etats et banques centrales à suppléer à leur disparition des investissements privés productifs, ils lancent de plus en plus de guerres et de guerres civiles aux quatre coins du monde, de plus en plus de pays étant ravagés ou menacés. Ils démontrent ainsi que les premiers à croire aux risques révolutionnaires d’un renversement de la domination politique de la classe capitaliste sont bel et bien les membres de cette classe.
Bien sûr, culturellement, socialement, politiquement, nous sommes très marqués par les sociétés de classe et même très marqués par la seule société capitaliste ! Nous raisonnons en son sein, selon ses critères, que nous soyons prolétaires, petits ou grands bourgeois… Même les mendiants raisonnent en son sein et selon ses critères.
Personne n’est à l’abri des marques intellectuelles et sociales que produisent la société bourgeoise et ses institutions, son idéologie, son fonctionnement.
Les prolétaires n’évoluent pas dans un monde à part ; ils sont comme les autres marqués par le capitalisme et ses règles. Chaque salarié affirme que l’activité qu’il effectue est rentable, que la société a besoin de cette activité, que celle-ci consiste à contrôler des tickets de transport ou à fabriquer des avions de combat, à faire des voitures ou des centrales nucléaires !
Bien sûr, la conscience internationale du prolétariat n’est nullement quelque chose qui tombe sous le sens. On l’a dit : les prolétaires sont en général soumis à la même opinion dominante capitaliste que les autres couches sociales des milieux populaires ou petits bourgeois. Et sur le terrain du nationalisme pas moins que sur les autres et même plus !
Même la grande campagne menée par la bourgeoisie mondiale lors de la « chute du mur de Berlin » montre à quel point la bourgeoisie mondiale ressentait clairement la nécessité de démontrer au monde que le prolétariat n’avait plus d’espoir de diriger un jour la société.
Aux révolutionnaires de ne pas l’oublier, quelles que soient les difficultés des circonstances, les reculs que les bourgeois nous imposent : le prolétariat est la classe d’avenir de l’humanité. Elle seule peut bâtir un monde nouveau débarrassé de l’exploitation. La marche qui nous reste à franchir est très petite devant celles que celle-ci a déjà franchies. Il nous reste à mettre au service de l’homme les grands moyens techniques développés par le capitalisme et, pour cela, à enlever le pouvoir politique aux capitalistes. Dans cette tâche qui va être celle de la période historique qui vient, le rôle de la conscience va être considérable. Il ne faut pas que les militants révolutionnaires vendent cette conscience pour un plat de lentilles, sous prétexte d’obtenir du poids dans les appareils syndicaux attachés par mille liens au monde capitaliste.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3334
2. Le prolétariat a-t-il des raisons d’espérer en l’avenir ?, 22 février, 05:34, par Alex
.
La brochure "Travailleuses, travailleurs ! Le monde va mal." de N. Arthaud (où les mots "paysan" et "syndicat") n’apparaissent pas !)
https://www.lutte-ouvriere.org/sites/default/files/documents/caravane-2024.pdf
3. Le prolétariat a-t-il des raisons d’espérer en l’avenir ?, 23 février, 08:08, par Ni patrie ni frontières
.
C’est contre le prolétariat qu’ils font la guerre ! C’est une preuve de la force des exploités...
Quand les affaires vont mal, la guerre est la nature même du capital. Après 2 ans de pandémie mondiale qui ont approfondi la crise rampante du capitalisme, c’est la guerre en Europe. On sait très bien qu’en fonction du niveau d’antagonisme et de concurrence entre eux, les bourgeois de tous les États passent de la coopération, aux sanctions ou au conflit armé. Alors Cannes peut bien s’offrir Zelensky comme le symbole du camp de la paix, sur le front c’est l’enfer. La bourgeoisie des deux côtés envoie mourir une partie du prolétariat et la guerre ce n’est jamais propre : c’est la torture, le viol, la mort. L’arrière
suffoque, écrasé par l’effort de guerre et l’exploitation qui n’attend pas d’armistice.
Le prolétariat français n’a pas été envoyé au front, mais la guerre a des répercussions par delà les frontières ukrainiennes. Car une guerre, ça coûte cher ! Partout les prix explosent, les salaires stagnent. Les Etats dépensent et s’organisent pour les conflits à venir, le gouvernement allemand s’offre une reconstruction de son armée pour 100 milliards d’euros. Macron s’est mis en scène en grand négociateur du conflit face à l’agression de Poutine. A quelques jours du second tour des législatives il s’affiche en déplacement à Kiev où ses ministres trouvent le climat « magnifique, il fait très beau ». Les photos sur le champs de bataille n’auront pas eu l’effet escompté, quelques jours après c’est la douche froide, pas de majorité pour Manu Macron. On entend déjà certain parler d’union nationale, mais l’abstention parle d’elle même, on a tous capté la douille et c’est pas l’alliance en carton de la Nupes qui aura mené les prolos à l’isoloir.
C’est une guerre contre le prolétariat ! Partout le prolétariat c’est la classe qui meurt le fusil à la main, c’est la classe qui produit des tas de camelotes qu’elle est forcée de payer pour “vivre”. Le capitalisme mondial est en pleine transformation, la guerre et la crise en sont des symptômes. Cette situation qui entraîne remouds, révoltes, et soulèvements. Sous la surface, le magma gronde encore
invisible mais incandescent, prêt à exploser et à réduire en cendre le vieux monde.
Nous n’avons ni patrie ni nation !
La seule guerre à laquelle nous voulons participer c’est la guerre de classe. Nous c’est quelques prolo contre la guerre, le travail, l’Etat et tant d’autres choses. Ce journal se veut une participation à la lutte des classes en cherchant à saisir ce monde si complexe et en diffusant des positions communistes et révolutionnaires. Nous devons rompre notre isolement, pour détruire la société de classe, camarades à travers le monde rencontrons nous, organisons nous, à l’attaque !
https://asaprevolution.net/index.php/2023/01/13/journal-n3-revolution-now-juillet-2022/
4. Le prolétariat a-t-il des raisons d’espérer en l’avenir ?, 24 février, 05:51, par Florent
.
La haine du prolétariat par les classes dominantes, vue par José Chatroussat
https://journals.openedition.org/variations/97