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Qui était Koté Tsintsadzé, dirigeant bolchevik puis trotskiste, éliminé par Staline

samedi 3 février 2024, par Robert Paris

Vous ne le connaissez peut-être pas même si vous avez lu des ouvrages sur la révolution russe et le parti bolchevik.

Son nom a été complètement retiré des sources principales et accessibles de l’histoire soviétique des débuts du stalinisme jusqu’à la fin du régime soviétique.

Son nom est peu cité par les biographes des militants révolutionnaires.

Et pourtant, c’est l’un des plus remarquables des révolutionnaires russes…

Kote Tsintsadze avait travaillé comme président de la Commission spéciale qui a dirigé la Géorgie contre les armées géorgienne et blanche puis jusqu’à la fin de 1922.

Il a combattu le stalinisme dès ses débuts et publiquement. Il l’a fait auprès de Lénine dont il a obtenu le soutien.

Lire ici sur ce dernier point :

https://www.matierevolution.fr/spip.php?breve505

Et aussi là :

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article2018

Et encore :

https://www.marxists.org/francais/broue/works/1988/00/PB_tky_20.htm

Biographie

Il est né à Lanchkhuti en Géorgie. Il est diplômé du Séminaire théologique de Kutaisi de trois ans, d’où sa vie révolutionnaire a commencé. 1903-1904 Il mena des activités révolutionnaires au sein du Comité Kutaisi du RSDLP ; En 1904, il devient membre du RSDLP ; En novembre 1904, il part pour Chiatura comme propagandiste, où il travaille jusqu’en 1904 ; A partir de février 1906, il poursuit ses activités révolutionnaires à Tbilissi ; Il a été arrêté en septembre de la même année et libéré deux mois plus tard ; Il a participé à des actes terroristes avec divers bolcheviks-révolutionnaires, a procédé à des expropriations ; Alors qu’il préparait un tel acte, il fut de nouveau arrêté à Kutaisi en février 1907 ; Il a passé 5 mois en prison et a été déporté dans le comté de Viatka en juin ; Deux semaines plus tard, il est retourné à Tbilissi, et de là il est parti pour Kutaisi, où il a dû achever l’évasion des prisonniers de prison ; En février 1908, il partit pour Bakou, où il devait participer à un autre projet d’expropriation, mais la mise en œuvre de ce plan ne fut pas abandonnée par lui et ses camarades ; Fin janvier 1914, il est envoyé par étapes en Sibérie ; Il commença bientôt ses préparatifs pour fuir ; Quelques mois plus tard, le plan fut exécuté et il retourna à Tbilissi le 19 août ; En 1915, il devint membre du Bureau des organisations bolcheviques du Caucase ; Le 18 août 1916, il est de nouveau arrêté par la gendarmerie ; Il est libéré après la Révolution de février 1917 ; À partir de juillet 1918, il part travailler dans le Caucase du Nord, dans le district de Tergi ; En octobre, il fut nommé président de la Commission d’urgence du district de Tergi, où il travailla jusqu’en février 1919 ; Il est ensuite retourné en Géorgie, mais a été arrêté quelques jours plus tard avec d’autres bolcheviks éminents ; Fin 1919, il réussit à s’évader de prison avec quelques révolutionnaires bolcheviques et reprit son travail illégal ; Jusqu’en 1921, il était membre du Bureau du Caucase des bolcheviks, membre du Comité régional du Caucase, membre de l’état-major, K. Membre illégal du Conseil des députés des travailleurs de Bakou, membre du Comité du district de Tergi et du Comité exécutif ; Membre du Revcom après 1921, Membre du Comité central du PC (b) de Géorgie, Membre du Comité exécutif central (CEC) ; . Membre du Conseil des travailleurs et du Comité exécutif de Tbilissi ; Le 25 février 1921, le gouvernement soviétique de Géorgie fut établi ; Par ordre du Revcom de la RSS de Géorgie du 10 mars 1921, il est nommé président de la Commission spéciale d’enquête sur la contre-révolution, le sabotage, la spéculation et le mal des fonctionnaires ; Il occupa ce poste jusqu’au 3 novembre 1922 ; À partir de 1923, il est membre de l’opposition de gauche unifiée ; Du 5 février 1926 au 11 octobre de la même année, il a travaillé comme président de la Cour suprême de la RSS de Géorgie ; En 1928, il fut victime du régime stalinien ; Il a été exilé en Crimée pendant 3 ans ; Il est mort d’une tuberculose non soignée en prison le 8 décembre 1930 (certificat de décès tiré d’une source : les ministres de l’Intérieur et de la Sécurité de Géorgie au XXe siècle, selon une autre source, sont décédés en 1931). Source : Cour suprême de Géorgie : supremecourt.ge ; Ministres de l’Intérieur et de la Sécurité de la Géorgie du XXe siècle / Tushurashvili O., Jakhua I. - Tb., 2013. - pp.99-101

Une autre victime de Staline, le camarade Koté Tsintsadzé près de la mort, article de Trotsky en décembre 1930

Nous avons reçu la communication suivante :

« Depuis maintenant un mois, le camarade Koté Tsintsadzé est aux portes de la mort. Il a eu deux sérieuses hémoptysies, le sang coulait comme une fontaine et il a perdu environ cinq tasses de ce sang précieux. Les hémorragies sont accompagnées de crises cardiaques ; le malade étouffait. Les docteurs ont désespéré de le sauver. Selon eux, l’unique espoir serait le transférer à Soukhoum, car le climat de la Crimée est fatal dans son cas. Les camarades ont essayé d’obtenir un transfert. Ordjonikidzé a promis de régler ce transfert il y a deux mois, mais jusqu’à présent il n’y a rien eu... Le moment va venir où le camarade Koté Tsintsadzé va mourir. »

Koté Tsintsadzé est un vieux membre du parti bolchevique, qu’il a rejoint en 1903 et dans les rangs duquel il a combattu depuis. Aujourd’hui, comme partisans du stalinisme, règne ce type de vieux-bolcheviks qui de la défaite de la révolution de 1905 à celle de 1917 sont restés en dehors du mouvement révolutionnaire, qui ont combattu Octobre, qui ne l’ont rejoint qu’après la victoire. Ces "vieux-bolcheviks", Lenine, à son époque proposait de les envoyer "aux archives". Contrairement à ces messieurs, le camarade Koté est un authentique révolutionnaire bolchevique. Dans sa jeunesse, c’était un militant du parti qui opérait, quand les circonstances l’exigeaient, avec la même confiance et le même courage avec la bombe et le revolver que dans d’autres circonstances avec les tracts et les discours de propagande. Koté a connu prisons et exil sous le tsar. A l’époque de la révolution, il a combattu I’ennemi de classe dans sa Caucasie natale où, à l’époque héroïque, il était président de la Tcheka du Caucase.

Le camarade Koté a été dans l’Opposition, et l’un de ses dirigeants en Caucasie. En 1928, il a été exilé, cette fois dans l’exil stalinien. La santé du camarade Koté, minée par la prison, l’exil et le travail militant pour le parti, s’est encore détériorée. Le camarade Koté a une forme aiguë de tuberculose pulmonaire. Les conditions de l’exil stalinien ont beaucoup aggravé son état. Au printemps, son état était sérieux : hémoptysies continuelles, perte de poids de plus de sept kilos et il a été confiné au lit pendant de longs mois. Les amis et la famille du camarade Koté Tsintsadzé, pendant de longs mois, ont vainement soulevé la question de son transfert à Soukhoum. Finalement la communication ci-dessus parle de son état critique. Malgré cela, il n’a pas été autorisé à aller à Soukhoum.

La clique Staline-Ordjonikidzé cherche la mort du camarade Koté. Sous sa protection, des coquins et des carriéristes jouent avec la vie d’un vieux révolutionnaire irréprochable. Ils savent que le camarade Koté est un bolchevik dévoué, que le camarade Koté n’a pas cédé. Ils savent que, même gravement malade, dans son lit, il continue dans des lettres et par la parole à lutter pour les idées léninistes contre les staliniens et contre la capitulation. C’est pour cela qu’ils le haïssent, que Staline le condamne à une mort certaine.

Léon Trotsky


Devant la tombe fraîchement creusée de Kote Tsintsadze

Léon Trotsky

The Militant, 15 février 1931

Il a fallu des circonstances vraiment extraordinaires, telles que le tsarisme, la clandestinité, la prison et la déportation, de nombreuses années de lutte contre les mencheviks et, surtout, l’expérience de trois révolutions pour forger des combattants de la stature de Kote Tsintsadze. Sa vie est entièrement liée à l’histoire du mouvement révolutionnaire pendant plus d’un quart de siècle. Il a participé à toutes les étapes de l’insurrection prolétarienne, des premiers cercles de propagande aux barricades et à la conquête du pouvoir. Il s’acquitte de la lourde tâche de l’organisation clandestine, et chaque fois que les révolutionnaires tombent dans les réseaux de la police, il se consacre à les libérer. Il a ensuite dirigé la commission spéciale de la Tchéka dans le Caucase, le centre même du pouvoir pendant la période la plus héroïque de la dictature prolétarienne.

Lorsque la réaction contre Octobre a entraîné des changements dans la composition et le caractère de l’appareil du parti et de sa politique, Kote Tsintsadze a été l’un des premiers à commencer à combattre ces nouvelles tendances hostiles à l’esprit du bolchevisme. Le premier conflit éclata lorsque Lénine était malade. Staline et Orjonikije, avec l’aide de Dzershinski, avaient effectué le coup d’État en Géorgie, où ils ont remplacé le noyau des bolcheviks de la vieille garde par des fonctionnaires carriéristes comme Eliava, Orajelashvili et d’autres du même acabit. Précisément avant cette question, Lénine s’est préparé à livrer la bataille implacable contre la fraction stalinienne et l’appareil au XIIe Congrès du parti. Le 6 mars 1923, Lénine écrivait au groupe géorgien de la Vieille Garde, dont l’un des fondateurs était Kote Tsintsadze : « Je suis votre cas de tout mon cœur. Je suis outré par la grossièreté d’Orjonikije et la complicité de Staline et Dzershinski. Je vous prépare quelques notes et un discours ».

Tout le monde connaît la suite des événements. La faction stalinienne a écrasé la faction léniniste dans le Caucase. Ce fut la première victoire de la réaction dans le parti et le début du deuxième chapitre de la révolution. Tsintsadze, malade de la tuberculose, avec plusieurs décennies de militantisme révolutionnaire sur les épaules, et persécuté à chaque pas par l’appareil, n’abandonna pas un seul instant son poste de combat. En 1928, il fut déporté à Bajchi-Sarai, où le vent et la poussière firent leur travail funeste avec ce qui restait de ses poumons. Transféré à Alushta, l’hiver glacial et pluvieux acheva la destruction.

Certains amis ont essayé de gérer son admission au Gulripsch Sanitarium de Soukhoumi, où sa vie avait été sauvée à plusieurs reprises, lors d’attaques très critiques de sa maladie. Orjonikije "promis", bien sûr ; Orjonikije « promet » beaucoup de choses à tout le monde. Mais son esprit lâche - la grossièreté n’enlève rien à la lâcheté - a toujours fait de lui un instrument aveugle entre les mains de Staline. Alors que Tsintsadze se battait littéralement à mort, Staline a déjoué toutes les tentatives pour sauver le vieux militant. L’envoyer à Gulripsch sur la côte de la mer Noire ? Et s’ils le sauvegardaient ? Il pourrait établir la communication entre Batum et Constantinople. Pas impossible !

A la mort de Tsintsadze, l’une des figures les plus séduisantes de l’ancien bolchevisme a disparu. Ce combattant, qui a plus d’une fois risqué sa vie et savait très bien punir l’ennemi, était un homme d’une douceur exceptionnelle dans son traitement personnel. Dans ce terroriste tempéré, le sarcasme bon enfant et le sens de l’humour aigu se combinaient avec une tendresse qu’on pourrait presque qualifier de féminine. La grave maladie qui ne l’a jamais quitté ne pouvait briser sa résistance morale, elle ne pouvait même pas lui faire perdre sa bonne humeur et son tendre amour pour l’humanité.

Kote n’était pas un théoricien. Mais sa lucidité, sa passion révolutionnaire et son expérience politique colossale - l’expérience vivante des trois révolutions - étaient une arme bien plus puissante, sérieuse et résistante que la doctrine formellement assimilée par ceux qui manquent de force et de persévérance. Comme le shakespearien Lear, il était un révolutionnaire de la tête aux pieds. Peut-être que son caractère s’est accentué au cours des huit dernières années, de lutte ininterrompue contre l’émergence et la consolidation d’une bureaucratie sans scrupules.

Tsintsadze luttait instinctivement contre tout ce qui équivalait à une trahison, une capitulation ou une déloyauté. Il a compris l’importance du bloc avec Zinoviev et Kamenev. Mais il n’a jamais apporté son soutien moral à ce groupe. Ses lettres montrent qu’il éprouvait un dégoût naturel - il n’y a pas d’autre expression - envers les révolutionnaires qui, pour garantir leur permanence formelle dans le parti, le trahissent en niant leurs idées. Au n° 2 des Biulleten ’Opozitsi se trouve une lettre de Tsintsadze à Okudshava2. C’est un document extraordinaire par la ténacité, la clarté de vision et la conviction qu’il révèle. Nous avons déjà dit que Tsintsadze n’était pas un théoricien et laissait volontairement d’autres formuler les tâches de la révolution, du parti et de l’opposition. Mais chaque fois que son oreille percevait une fausse note, il prenait la plume et il n’y avait aucune « autorité » capable de l’empêcher d’exprimer ses soupçons et de répondre. Ceci est mieux démontré dans sa lettre du 2 mai de l’année dernière, publiée dans Biulleten n°12-13. Cet homme d’action, cet organisateur, défendait la pureté de la doctrine bien mieux que certains théoriciens. Dans les lettres de Kote, nous tombons fréquemment sur des phrases telles que : « ces hésitations sont une mauvaise ’institution’ », « malheur à ceux qui ne savent pas attendre ! », ou « dans la solitude les faibles sont infectés de toutes sortes de choses ». Le courage inébranlable de Tsintsadze a encouragé ses forces en déclin. Même sa maladie était, pour lui, un duel révolutionnaire. Dans l’une des lettres qu’il a écrites quelques mois avant sa mort, il a déclaré que l’enjeu de son combat contre la mort était la question « qui triomphera ? » "Pour l’instant, j’ai l’avantage", a-t-il ajouté avec cet optimisme qui ne l’a jamais quitté. À l’été 1928, faisant référence à sa situation et à sa maladie, Kote m’écrivait de Bajchi-Sarai : « (...) beaucoup de nos camarades et amis ont été contraints de mettre fin à leurs jours en prison ou en prison, exilé ; Cependant, à terme, cela servira à enrichir l’histoire révolutionnaire : les nouvelles générations en tireront la leçon. La jeunesse bolchevique, tirant les leçons de la lutte de l’opposition bolchevique contre l’aile opportuniste du parti, comprendra où est la vérité (...) " Tsintsadze n’a pu écrire ces mots, si simples et pourtant magnifiques, que dans une lettre intime adressée à un ami. Maintenant qu’il n’est plus vivant, il peut et doit être publié. C’est la synthèse de la vie et de la morale d’un révolutionnaire du lycée. Il doit être publié car il faut enseigner à la jeunesse non seulement avec des formules théoriques mais aussi avec des exemples de ténacité révolutionnaire.

Les partis communistes d’Occident n’ont pas encore forgé des combattants de la stature de Tsintsadze. C’est sa grande faiblesse, et bien qu’elle soit déterminée par des raisons historiques, c’est néanmoins une faiblesse. L’opposition de gauche des pays occidentaux ne fait pas exception et doit en être pleinement consciente. L’exemple de Tsintsadze peut et doit servir d’enseignement, surtout pour la jeunesse de l’opposition. Tsintsadze était le déni vivant du carriérisme politique, c’est-à-dire de la tendance à sacrifier les principes, les idées et les objectifs de la cause à des fins personnelles. Cela ne va nullement à l’encontre d’une saine ambition révolutionnaire. Non, l’ambition politique joue un grand rôle dans la lutte. Mais un révolutionnaire est celui qui subordonne totalement son ambition personnelle au grand idéal, celui qui s’y soumet et s’y intègre. Tout au long de sa vie et au moment de sa mort, Tsintsadze a impitoyablement répudié le flirt avec les idées et l’attitude de dilettante à leur égard à des fins personnelles. Son ambition était une loyauté révolutionnaire inébranlable. Qu’elle serve de leçon à la jeunesse prolétarienne.

7 janvier 1931

Léon Trotsky


Lettre de Koté Tsintsadzé à Trotsky, le 17 mai 1928

Cher L.D.,

Voilà trois mois que nous nous trouvons à Bakhchi‑Sarzil. Bien que Pouchkine ait chanté cette petite ville orientale, nous n’y trouvons rien d’attrayant. Nous avons mis plus de douze jours pour venir de Tiflis ici. C’est que nos autorités n’ont pas voulu nous faire passer par le plus court chemin, Poti, ou Batoum, sur Sébastopol, etc. Le président du G.P.U. l’a reconnu devant moi. Au début, on voulait nous envoyer sur Poti... Mais la gare était pleine d’ouvriers. On les a dispersés. Il y a eu beaucoup d’arrestations près de 80. Tout le quartier environnant était transformé en un camp militaire. On ne laissait passer personne. La garde était placée à un kilomètre autour de la gare. On ne permettait pas aux tramways de s’arrêter devant la gare. A la gare, il n’y avait que les représentants des autorités. Malgré tout cela, on ne nous a pas faits venir à mais on a téléphoné que "le départ était différé". Au bout de trois heures environ, on nous a annoncé que nous allions passer par Bakou. Les ouvriers ont réagi politiquement comme il le fallait devant notre déportation. Même plus que nous ne nous y attendions. Il s’est produit la même chose lors du départ du premier groupe. On voulait les cacher aussi et les faire partir par une autre gare, mais nos camarades (ils étaient 81) sont allés à l’avance à la gare principale et les ouvriers ‑ entre 6 et 700 ‑ ont rompu les barrages et occupé le quai. On n’a pas laissé entrer les autres et ils sont restés sur la, place de la gare. Il y avait cette fois presque 2000 ouvriers (lors de notre départ, il y en avait beaucoup plus). La différence est que, la première fois, les ouvriers avaient pu venir à la gare, alors que la deuxième fois, dès le matin, on ne laissait approcher personne. Les autorités ont commencé à disperser les ouvriers quand ils ont entonné l’Internationale et sorti le portrait de Lénine : au cours de la bagarre, ce portrait a été déchiré par un agent du G.P.U.

L’état d’esprit des ouvriers a été excellent. Si nous étions restés à Tiflis une année entière, nous ne serions pas arrivés à faire autant que l’a fait ce départ pour affermir et assurer dans les masses la sympathie en notre faveur.

Nos cadres sont inébranlables malgré la faim, le froid, les persécutions et les brimades qui accablent chaque Oppositionnel. Je ne sais pas comment vont les choses en Russie. J’avoue que nous ne sommes pas contents de certains de nos "chefs". Même très mécontents. Ils sont très individualistes, tirent des conclusions hâtives dictées exclusivement par leur état d’âme personnel. Vous connaissez en particulier mon attitude à l’égard de Zinoviev. Je n’ai pas un sou de confiance en lui ou ses partisans. Des gens sans vertèbres.

On nous dit que vous êtes malade. Nous vous avons télégraphié de Bakou et avons reçu votre réponse. Nous sommes heureux de savoir que vous allez mieux.

Dans la question de la lutte, nous sommes inébranlables. Nous espérons que nous ne nous séparerons pas dans nos points de vue.

Un salut chaleureux de la part de Lado (Dumbadzé). Nous vous serrons fortement la main. Attendons la lettre promise. Salut amical.

Koté

P.S. Il faut souligner que, pendant le passage à tabac à la gare, au moment du départ de nos camarades, personne n’a été épargné. On a rossé de vieux camarades ouvriers comme Iassan Dnephbénadzé, membre du parti depuis 1908, tuberculeux. On a voulu arrêter Arakela que les ouvriers rassemblées portaient, mais les ouvriers ont empêché la police de les arrêter. On a battu des femmes, de vieilles révolutionnaires.


Lettre de Koté Tsintsadzé à Trotsky, le 27 juin 1928

Cher L.D.,

Nous avons reçu votre lettre. Il nous a été très agréable d’apprendre que vous allez mieux. La santé est nécessaire aux bolcheviks‑léninistes, surtout maintenant ! Nous vous prions amicalement de veiller sur la votre, qui ne vous est pas seulement nécessaire à vous !

Nous comprenons votre inquiétude pour la santé de votre fille. Mais en tant que tuberculeux ayant une expérience personnelle, je crois que son état n’est pas désespéré. Combien en ai‑je vu, de malades atteints de phtisie galopante qui, bien soignés, s’en sont tirés ? Nombreux sont nos camarades et amis qui sont condamnés à quitter la vie en prison ou en déportation, mais tout cela servira en fin de compte à enrichir l’histoire révolutionnaire qui éduquera de nouvelles générations. La jeunesse prolétarienne, éclairée par la lutte de l’Opposition bolchevique contre l’aile opportuniste du parti, comprendra de quel côté était la vérité.

On nous écrit de Tiflis qu’au lendemain du départ du camarade Okoudjava, on a procédé à des arrestations. Il y en a eu quinze. On leur a proposé de renoncer aux idées de l’Opposition et de déclarer juste le "cours a gauche". Sinon, on les menaçait d’une longue peine de prison. Les copains ont refusé tout net. On se demande à quoi sert un renoncement aux idées de l’Opposition, obtenu par une pression administrative aussi brutale. On cherche visiblement par ces méthodes fabriquer un semblant de victoire idéologique sur l’Opposition.

Jusqu’au XV° congrès, les chefs ont préparé ‑ et ils y sont arrivés ‑ notre destruction systématique. Mais en même temps ils préparaient ‑ et ils y sont arrivés aussi ‑ leur propre destruction idéologique. En ce sens, leur situation est bien pire que la nôtre. Une destruction en tant qu’organisation est une chose pénible, mais réparable quand on a une ligne et des idées justes, alors que la destruction idéologique est irréparable. Ils spéculaient sur les Oppositionnels "responsables" à la Piatakov, Krestinsky, Ovseenko, Zinoviev et compagnie. Mais ils se sont vite aperçus qu’il n’est venu qu’une personne et demi à la suite de Piatakov. C’est pourquoi ils doivent recourir à une manœuvre plus profonde. L’objectif du cours à gauche, en plus du reste (ce que vous indiquez dans vos lettres), c’est de liquider l’Opposition.

Les lettres du camarade Préobrajensky démontrent, qu’il nourrit de dangereuses illusions [1].

Nous avons lu vos deux lettres "à un ami" et nous sommes tout à fait d’accord avec votre appréciation de notre po­sition et de notre tactique. Nous sommes aussi d’accord que le moment est venu où l’organisation doit dire son mot et le faire précisément au Vi° congrès, collectivement, au nom de l’Opposition bolchevique et notamment dans la forme que vous proposez, c’est‑à‑dire de façon que et les masses communistes ouvrières se rendent compte que c’est nous qui a­vons raison.

Nous sommes entièrement d’accord avec votre appréciation du télégramme du camarade Radek [2]. J’ai toujours eu une mauvaise opinion des zinoviévistes et de Zinoviev lui-même.

Je n’ai pas oublié ma promesse de vous faire passer pour cela en commission de contrôle !

Notre vie à Bakhchi‑Sarzil s’écoulé paisiblement. Les traits caractéristiques de Bakhchi‑Sarzil sont les vents et la poussière "permanente" ( pourvu que ce mot ne fasse peur à personne !). L’été il fera sans doute une chaleur insuppor­table. On manque de pain, il y a de longues queues, on en donne une livre. Nous vous saluons chaleureusement, notre cher camarade et ami L.D. Nous vous serrons fortement la main.

Votre Koté Tsintsadzé

Notes

[1] Préobrajensky se préparait à capituler.

[2] Radek avait alors officialisé sa capitulation.


Lettre de Koté Tsintsadzé à Trotsky le 19 août 1928

Salut chaleureux à notre cher Lev Davidovitch !

Avons reçu seulement aujourd’hui, votre lettre du 15 Juillet. Elle s’est promenée pendant plus d’un mois !

Nous sommes profondément affligée par la mort de votre fille. Nous partageons votre malheur.

Nous avons lu avec pleine satisfaction vos thèses et la lettre aux Oppositionnels que vous nous avez envoyées. Nous avons été profondément indignés d’apprendre que les camarades Radek et Smilga avaient envoyé au Congrès une déclaration à part.

Quelle plaie que ces hésitations ! Beaucoup de camarades désorientent les masses par leurs hésitations, surtout ceux qui sont plus ou moins responsables. En ce sens, le télégramme de Radek était une chose inadmissible. Malheur à ceux qui ne savent pas attendre !

On nous a écrit que le B.P. avait déclaré à l’"assemblée de la noblesse" du VI° congres qu’il n’y avait pas de dissensions en son sein et que c’était l’opposition qui faisait courir ce bruit… Mais personne ne le croit.

A Tiflis, après le départ en déportation du dernier groupe de nos camarades, notre vieux camarade Datiko Lordkipanidzé a été’ arrêté et jeté dans la cave du G.P.U. Chez les autres, tout est comme avant, c’est‑à‑dire que le moral est vaillant et inébranlable. Contrairement à ce qu vous craignez, nous ne décelons pas d’ultra‑gauchisme dans nos rangs. Bien que l’hérétique que je suis pense que mieux vaut l’ultra‑gauchisme que les idées droitières qui mènent à la capitulation.

Nous vous envoyons nos meilleurs vœux et vous embrassons de toutes nos forces. Salutations chaleureuses aux vôtres. Encore un salut chaleureux de la part de Lado (Dumbadzé) et de Vasso (Donadzé). Avec notre salut oppositionnel. Salut de Xeny (ma sœur).

Koté Tsintsadzé.


Lettre de Koté Tsintsadzé à Trotsky, le 21 novembre 1929

Cher Ami,

Enfin un camarade a "accouché" d’une lettre où il me communique votre adresse. On ne s’est pas écrit depuis longtemps. Comment allez-vous ?

Je pense que vous n’êtes pas bien là‑bas, ‑ mais ici, ce n’est pas mieux. Il faudra lutter encore longtemps sans dou­te sur le plan des idées pour ramener le prolétariat sur la voie du léninisme. On pensait que tout le monde chez nous le savait depuis longtemps, mais il se trouve que certains l’ignoraient. Tous ces "honnêtes gens" ‑ I.N. Smirnov - "nés en prison" ‑ Mratchkovsky, Beloborodov ‑ et autres se sont révélés des révolutionnaires, de rien. Ces gens là ont bu toute honte pour récupérer leur carte du parti. Mais ils en sont pour leurs frais : on les utilise pour boucher de petits trous dans l’appareil soviétique. Smirnov diffuse parmi les déportés son projet de déclaration. Dans laquelle (il en a déjà écrit six) expose‑t‑il ses idées authentiques ? On n’en sait rien. Il y a trop de choses à vous écrire et peu d’espoir que ces lettres vous parviennent. Celle-ci est un ’’ballon d’essai". Répondez‑mois à Alouchta. Je suis malade [1]. J’ai eu quatre hémoptisies cette année, et ça continue.

Salut à vous.

Votre K.

Notes

[1] Tuberculeux, soumis au traitement que l’on imagine, l’auteur n’avait plus que quelques mois à vivre.


Lettre de K. Tsintsadzé à Trotsky, le 2 mai 1930

Bulletin de l’Opposition n°12-13, juin-juillet 1930

Avec mes vœux de premier mai, cher ami.

J’ai reçu hier d’un de nos camarades des ex­traits de votre lettre du 21 mars 1930. Je considère comme tout à fait justes et acceptables vos considérations sur la situation. Néanmoins il existe pour moi comme pour d’autres camarades quelques malentendu, au sujet du rythme. On peut interpréter certains passages de votre lettre comme si vous étiez pour la diminution du rythme en général. Il est tout à fait évident qu’il faut battre en retraite en bon ordre des positions aventuristes pour se re replier sur une position léniniste. Cela signifie‑t‑il la liquidation du rythme de l’industrialisation et de la collectivisation en général, c’est‑à‑dire reculer par rapport au rythme que l’Opposition, proposait dans sa plate-forme ? Par accentuation du rythme, je n’entends pas le rythme qui abouti momentanément à des résultats par une politique aventuriste et sectaire, mais le rythme conséquent que nous proposions dans notre plate-forme et qui pouvait être logiquement développé à des mesures et des limites maximums. Car le rythme indiqué dans notre plate-forme ne pouvait être considéré comme établi pour toujours. Dans des conditions favorables, ce rythme pouvait être développé, renforcé, élevé. Cela aurait été exécuté par une authentique dictature prolétarienne, sans aucune aventure, cela va de soi. Les rythmes avaient que nous proposions avaient tendance à aller de l’avant. L’accélération du rythme par des bonds aventuristes de mesures ultra-gauchistes, sectaires et d’attaques subites n’est au fond nullement un accroissement du rythme, mais bien au contraire un abaissement sans espoir pour ainsi dire une politique droitière à rebours. L’aventurisme aboutit dans le meilleur des cas à un abais­sement, dans le pire, à la faillite de tous les espoirs. Cela signifie donc que le rythme impulsé par la direction n’a aucune commune mesure avec le rythme véritable. C’est pourquoi l’abandon des positions de l’aventurisme ne signi­fie pas, comme vous I’écrivez dans votre lettre, "retenir la collectivisation". Bien au contraire. L’abandon de l’a­venturisme doit signifier à l’avenir la poursuite de la collectivisation par une juste conception et de bonne méthodes. Cela doit signifier le retour à un accroissement véritable du rythme de la collectivisation sans aucun aven­turisme, mais par les voies normales. En d’autres termes, nous ne devons pas reculer sur les positions du rythme qui eut cours jusqu’en 1928, le "rythme au pas de la tortue". Nous devons faire en sorte que l’accroissement du rythme ait le moins possible de caractère aventuriste et plus une ordonnance juste. La retraite de la direction a. tendance à se fourvoyer dans une ordonnance droitière des choses. Si nous lançons le mot d’ordre de "retenir la collectivisation", nous fortifions par là même ces tendances et hâterons la.victoire de la droite. Il est clair que la continuation par la suite de la collectivisation par des méthodes marxistes donnera lieu en même temps à une "sélection" des kolkhozes viables et prometteurs et, par ailleurs, à une liquidation des kolkhozes qui ont été créés par le régime administratif forcé et de tous les faux kolkhozes. Tout le problème réside dans le fait que la direction (au nom de son prestige) a voulu dépasser l’accroissement du rythme que nous avions indiqué et qu’elle s’y est brisée. Nous devons actuellement briser le superrythme mais continuer l’organisation des kolkhozes sur la base d’une adhésion réelle et pas administrative (il faut noter que nous serons à bref délai de nou­veau en présence de nouvelles "déformations" de la ligne du C.C. à propos du retour aux kolkhozes de ceux qui en. sont sortis, car la bureaucratie du parti tentera alors de les pousser de force à revenir ou empêchera, de nouveau administrativement les départs.

L’on peut dire la même chose de la dékoulakisation. Vous parlez de l’arrêt de la dékoulakisation. La liquidation du koulak en tant que classe par voie administrative est évidemment absurde. Mais le problème de la dékoulakisation se présente sous la forme de deux variantes :

Lorsque les groupes de koulaks mènent campagne ouvertement contre la collectivisation et utilisent pour leur part la violence, sous quelque forme que ce soit, dans ce cas, notre pouvoir ne peut se contenter de demi‑mesures. Il doit, en des circonstances particulières, réaliser la dékoulakisation selon les règles de l’art révolutionnaire, c’est‑à‑dire, arrêter, déporter et infliger aux plus nuisibles des châtiments de défense (je classe.
Dans les cas où le koulak n’intervient pas activement, se contente de ne pas "nous aimer", nous devons l’atteindre économiquement ; ce qui, dans les deux cas, n’interrompt pas la dékoulakisation. Dans ces cas, la dékoulakisation s’effectuera par des mesures appropriées contre les koulaks : une contre‑attaque vigoureuse, en les privant des meilleures terres, d’une partie de leurs biens, de leur bétail, ou bien la concurrence de la part du kolkhoze. etc. Ainsi, se réalisera le nivellement économique du koulak au niveau de paysan pauvre ou moyen. Une limitation aussi sévère du koulak signifie la dékoulakisation graduelle, son interruption. L’interruption totale de la dékoulakisation serait l’affaiblissement de la lutte contre le koulak, et la possibilité qui lui serait redonnée de déployer ses ailes à nouveau et de frapper la dictature avec une force renouvelée. Vous écrivez que la panique semée chez les koulaks est valable deux ans. Ce n’est pas tout à fait exact. Il est si irrité qu’il se panique moins facilement qu’avant et sa colère le rend courageux !

Enfin, à propos de la diminution des dépenses, vous proposez de ne pas s’arrêter même devant l’arrêt des en­treprises déjà entamées, pour sauver Techervonetz. On ne peut proposer de telles mesures que dans une situation financière catastrophique (je sais bien que je ne puis me vanter de mon savoir, ou plutôt de mes connaissances financières). On peut diminuer les dépenses dans d’autres branches. Nous avions et nous avons plus encore aujourd’hui toute une masse de dépenses improductives dont la diminution permettrait de continuer la construction des entreprises. L’arrêt de ces entre­prises, serait un recul non par rapport aux "sauts de prix" de l’industrie ou à l’aventurisme, mais aussi par rapport au rythme nécessaire die industrialisation.

Il se peut qu’avec une direction prolétarienne marxiste authentique les doutes issus des points ci‑dessus n’eussent pas vu le jour, mais je vise la direction actuelle et son origine : car si la direction actuelle tente et tentera sans aucun doute de suggestionner la classe ouvrière et le parti en leur disant que l’Opposition, qui est aujourd’hui pour eux l’unique planche de salut pour la dictature prolétarienne est pour une diminution du rythme, alors, une telle situation facilitera sans contredit le passage sans transition du centrisme à l’extrême‑droite (même plus à droite que Boukharine et compagnie) ce qui signifierait au fond la liquidation totale du cours à gauche et l’approche de Thermidor.

Je déduis des précédentes considérations la nécessité qu’il y a, pour moi, d’une explication plus détaillée des points concernant le rythme ou plus exactement sa diminution.

Je vous serre chaleureusement la main et vous embrasse :

Votre K.

P.S. Dans un article de Garine, dans la Pravda du I° mai, on peut lire entre les lignes qu’il y a chez vous des points "suspects", détaillés dans le même esprit que celui développé dans ma lettre. Le Bulletin nous manque. Nous n’avons que les extraits incomplets de votre lettre du 21 mars 1930.


Lettre de l’Opposition de gauche de Moscou à Trotsky, le 23 janvier 1931

Publiée dans le Bulletin de l’Opposition n°19.

(...) Il y a eu des arrestations en masse en décembre. Les représailles ont été aggravées après la vague de protestations soulevées par la mort de Koté Tsintsadzé. Pour communications avec l’extérieur (réception ou envoi de nouvelles brèves d’amis ou à eux), il y a eu des arrestations et des inculpations pour « communications avec la contre-révolution à l’étranger ». En outre, les conditions matérielles des déportés ne cessent de s’aggraver et ils sont complètement privés de travail. Les camps de déportation sont plus isolés que jamais. Non seulement ils ne reçoivent pas de lettres d’autres déportés, mais la poste ne leur distribue pas les lettres de leur famille. Depuis plusieurs mois, il n’y a aucune nouvelle de Rakovsky.

En décembre, il y a eu toute une série d’arrestation de colonie de déportés. Selon les éléments d’information reçus d’Asie Centrale, les camarades suivants ont été arrêtés : Akirtava, Bogrotov, Japp, M. Joffé, Kiknadzé, Okoudjava, Pekler, Prolitansky, Zizivadzé et autres.

A ces nouvelles représailles staliniennes, les déportés et emprisonnés bolchéviks-léninistes ont unanimement riposté : « Aucune représaille ne peut nous détruire. Nous restons fermes et courageux. »

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