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Texte sur le fascisme en Allemagne par l’Opposition trotskyste dans le goulag de de Verkhnéouralsk en avril 1933

dimanche 3 mars 2024, par Robert Paris

Texte écrit par des oppositionnels trotskystes prisonniers b-l dans l’isolateur de Verkhnéouralsk

Le tournant fasciste en Allemagne

1er avril 1933

Revue Bolchevik-Léniniste n° 2 (12), 1933

brochure

Les partisans de la revue Bolchevik-Léniniste, estimant nécessaire qu’un point de vue soit adopté de manière organisée sur les événements d’une portée historique mondiale se produisant en Allemagne, présentent des thèses. La rédaction du Bolchevik-Léniniste, qui publie ces thèses, invite tous les bolcheviks-léninistes qui sont dans l’isolateur à en discuter et à exprimer leur opinion.

La rédaction B-L

1. Le coup d’État contre-révolutionnaire allemand - la contre-révolution de mars - est un événement de la plus grande importance historique.
La guerre impérialiste mondiale n’a pas résolu les contradictions de la société capitaliste. Au contraire, elle les a aiguisées, approfondies et placées à un niveau supérieur.

La reprise économique de l’après-guerre (1920-1929) ne s’est pas faite sur la base du marché mondial élargi. Cette reprise reposait sur un retour, plus ou moins rapide, à une demande normale, à d’importants investissements dans des régions détruites par la guerre et à d’énormes investissements dans la technologie industrielle, en particulier aux États-Unis et en Allemagne.

La restriction des marchés mondiaux ainsi qu’une contraction significative du marché soviétique pour les pays capitalistes à la suite de la révolution d’Octobre, avec la croissance géante simultanée de l’appareil de production des États-Unis, de l’Allemagne et d’autres pays du capitalisme et de leurs colonies, ont déterminé la relativité et le caractère illusoire de la reprise économique après la guerre. La totalité de la production mondiale pour toutes les années de croissance économique après la guerre, si l’on part de la production par habitant plutôt que de la taille absolue de la production, n’a pas dépassé le niveau d’avant-guerre.

La croissance économique elle-même n’a pas été homogène dans tous les pays. En raison de la modification des relations sociales de l’après-guerre, la croissance économique des États-Unis était due au déplacement des produits et des capitaux européens, et la croissance économique de l’Allemagne, qui la plaçait en deuxième position après les États-Unis en termes de quantité de marchandises exportées, a eu lieu principalement au détriment de l’Angleterre.

Cette stagnation des forces productives de la société capitaliste a également conduit à la relativité de la stabilisation d’après-guerre, sa fragilité et sa courte durée. Le problème de la guerre pour la nouvelle redistribution des marchés, entre les impérialistes et contre l’URSS, ainsi que le problème de la révolution prolétarienne, se sont donc toujours posés non pas comme des problèmes de décennies lointaines, mais comme des problèmes à l’ordre du jour, du mois et de l’année.
Apaisée et stabilisée après la guerre avec l’aide des capitaux américains, l’Europe - avec une Allemagne soumise au traité de Versailles et au plan Young dans son centre - est en pratique tributaire des États-Unis. La part du lion de ce tribut a été payée jusqu’en 1932 par l’Allemagne, pas seulement pour elle-même, mais aussi pour toute l’Europe. Ce faisant, elle s’est transformée, à cause des énormes difficultés qui s’abattaient sur sa population active, en une immense poudrière qui devait exploser, tôt ou tard, sous la forme d’un mécontentement populaire massif ou d’une vague de nationalisme et de chauvinisme - c’est-à-dire révolutionnaire ou contre-révolutionnaire - et de guerre. C’est exactement ce que Trotski voulait dire lorsqu’il soulignait en 1926 que le travail de l’Amérique pour transformer l’Europe en un nouveau type de domination pourrait bientôt rencontrer une « résistance des peuples » - une révolution ou une guerre [1]. Une explosion de masse nationaliste ou révolutionnaire en Allemagne signifierait que, à un moment historique, le travail de l’Amérique pour transformer l’Europe - et principalement l’Allemagne, ce maillon le plus fragile et instable du capitalisme - en une sorte de dominion des États-Unis, se heurterait à la résistance des masses populaires. Une telle explosion signifierait l’effondrement de l’équilibre européen, l’effondrement du réformisme européen et de la social-démocratie, qui, en tant qu’ombre du capital américain, perdrait rapidement le reste de son influence et quitterait la scène. Dans ce cas, l’une des deux forces aux deux pôles de la société capitaliste occuperait la scène historique : le fascisme ou le communisme.

2. La crise économique mondiale a profondément ébranlé les fondements de la société capitaliste. Même un Léviathan impérialiste, comme les États-Unis, a tremblé sous ses coups.Avant la crise, le capitalisme allemand maintenait son équilibre en aspirant continuellement le capital étranger et en développant considérablement ses exportations industrielles, au prix de la surexploitation de toutes les forces du pays. Cela lui a permis dans les années de reprise économique de répondre aux besoins des masses et de calmer leurs sentiments politiques avec l’aide de la social-démocratie.

Jusqu’à la dernière crise mondiale, la bourgeoisie allemande a rationalisé, concentré et élargi son appareil de production.
Les entreprises des industries chimiques et métallurgiques se sont rassemblées au cours des quinze dernières années, soit en fusionnant, soit en mutualisant les bénéfices au nom des « intérêts communs » (par exemple, « l’union des intérêts des usines de peinture », « la société par actions des aciéries unies »). L’appareil productif et les capacités de production du capitalisme germanique ont atteint, malgré les entraves de Versailles, un niveau énorme par rapport à l’avant-guerre.

Toute cette gigantesque réorganisation technologique et structurelle s’est faite principalement par des emprunts à l’étranger. L’Autriche, bien sûr, a fait la même chose, à l’échelle de ce pays, à la différence près que le gouvernement autrichien, contrairement au gouvernement allemand, est en fait privé d’autonomie et de contrôle, étant sous la garde et le contrôle de la Société des Nations.

Une part importante du fonds de roulement de l’économie allemande se compose également de prêts étrangers, de plus des prêts à court terme. Sur les quelque 25 milliards de capital circulant (en 1931), 9 à 10 milliards étaient des capitaux américains, néerlandais, anglais et suisses. La crise économique prolongée a sapé les exportations allemandes, puis l’économie nationale dans son ensemble, déjà épuisée par des énormes paiements dans le cadre des plans de Dawes-Young. En plus de l’exportation habituelle des capitaux allemands à l’étranger (de 1925 à 1932, environ 9 milliards de marks), durant la crise les capitaux étrangers ont commencé à fuir l’Allemagne : environ 4 à 5 milliards de marks jusqu’à fin 1932. La fuite panique des capitaux allemands vers l’étranger a commencé à partir de 1931, à la fois en raison de l’instabilité de la situation politique interne, de la crise mondiale du crédit et de l’effondrement de l’étalon-or en Angleterre, lorsque, à la suite de chocs monétaires et des changements de politique douanière (tarifs préférentiels des dominions et droits discriminatoires des pays capitalistes concurrents et de l’URSS), de nombreuses entreprises industrielles allemandes ont commencé à être transférées.

Rétrécissement des marchés mondiaux et intérieurs, fuite des capitaux, resserrement du crédit, fermeture d’entreprises, chômage et appauvrissement des masses, dévastation de la petite-bourgeoisie et de la paysannerie urbaine - tout cela se conjugua et donna naissance aux décrets d’urgence successifs de Brüning dans le seul but de sauver l’Allemagne capitaliste de la catastrophe par une imposition fiscale des masses, tout en préservant les bases du régime politique de démocratie bourgeoise.

L’équilibre politique intérieur a commencé à se briser. Étant donné l’impuissance de l’Amérique à « aider » l’Allemagne dans le futur, les causes de la catastrophe en tant que conséquences de la guerre perdue et du traité de Versailles, sont devenues de plus en plus évidentes dans l’esprit des masses. Les jeunes générations, qui n’avaient pas vécu les horreurs de la guerre, commencèrent à orienter leurs pensées et leur volonté pour mettre fin au traité de Versailles et pour se libérer de la servitude vis-à-vis de la France (le rôle de l’Amérique n’est pas visible pour les masses, car elle reçoit le financement non pas directement, mais par l’intermédiaire de la France). La croissance de la vague nationaliste et chauvine de la petite-bourgeoisie, habilement dirigée vers son cours fasciste par le capital monopoliste de l’Allemagne, a commencé. Ce que la révolution prolétarienne, à cause de la dérive de la direction communiste en 1932, n’a pas réussi à réaliser jusqu’à présent - la libération nationale de l’Allemagne - la petite-bourgeoisie le tente par la contre-révolution.

3. Les impérialismes français, britannique, américain n’avaient qu’un seul moyen de préserver l’équilibre interne de Weimar et de Versailles en Allemagne et en Europe : annuler ou reporter la dette et accorder un nouveau prêt à l’Allemagne. La première partie de la tâche a été presque entièrement achevée - l’ajournement a été accordé et les réparations ont été annulées sous condition. Mais cela n’était pas suffisant et n’a pas eu d’effet sur les processus internes du pays. Le dernier recours consistait à accorder de nouveaux prêts à l’Allemagne pour relancer son industrie. Mais accorder des prêts signifie augmenter la production. Et comment résoudre la question de savoir où vendre les marchandises allemandes alors que la crise s’aggrave dans le monde entier ? De plus, avec cette conjoncture, les spécialistes anglais, français et américains peuvent moins que jamais souhaiter un renforcement de l’industrie allemande, donc accroître sa part du marché mondial. Et comment, en outre, confier à l’Allemagne de nouveaux capitaux, alors que la bourgeoisie allemande elle-même ne croit pas à la stabilité de la situation politique en Allemagne et exporte précipitamment ses capitaux à l’étranger ? De plus, dans cette situation, il est impossible de renforcer le capitalisme allemand sans renforcer simultanément ses aspirations à la rupture du traité de Versailles.

Néanmoins, une telle tentative a été faite. Car il était beaucoup moins coûteux de sauver et de préserver les colonies et les territoires européens pris à l’Allemagne avec l’aide d’un gouvernement accommodant de partis intermédiaires qu’au moyen d’une nouvelle guerre. Et en 1931, la France a essayé d’accorder à l’Allemagne, avec l’Angleterre et les États-Unis, un prêt à long terme de 500 millions de dollars, mais sous réserve de l’établissement d’un contrôle douanier sur l’Allemagne, du contrôle financier de ses emprunts et dépenses et de l’engagement de l’Allemagne de ne pas exiger de modifications des traités de paix en sa faveur pendant 10 ans. C’est-à-dire sous réserve de la transformation de l’Allemagne par les « grandes puissances » en une sorte de Chine ou d’Autriche.Il est clair que l’acceptation de ces conditions par le gouvernement Brüning aurait signifié une accélération extraordinaire du coup d’État fasciste. Cette proposition a été rejetée. Mais en l’absence d’une direction communiste adéquate, l’Allemagne a continué à avancer à toute vitesse vers le fascisme.

4. La croissance rapide du sentiment fasciste était donc due à l’impasse économique, dans laquelle l’Allemagne avait été conduite par l’état du capitalisme d’après-guerre, la crise économique profonde et le système de Versailles, avec en toile de fond la faiblesse de l’avant-garde prolétarienne. À son tour, la croissance rapide du fascisme a intensifié le chaos économique, rendant impossible aux bourses internationales d’aider son économie avec les capitaux. Un cercle vicieux a été créé, à partir duquel il n’y avait pas de sortie « normale ». Cela allait dégénérer par une explosion de l’équilibre de l’après-guerre et, surtout, de la coquille politique de Weimar, sous l’impact de grandes masses de « la nation » sous la direction du capital financier. La contre-révolution de mars constitue la rupture du premier maillon du système de Versailles. C’est pourquoi le coup d’État fasciste a été accueilli avec tant de haine par la bourgeoisie des pays victorieux et avec tant d’espoir et de joie par la bourgeoisie des pays vaincus dans la guerre impérialiste, et des pays insatisfaits de l’issue de la guerre. D’où les sympathies inattendues de la bourgeoisie des pays victorieux pour les ouvriers et même les communistes d’Allemagne, dont la lutte contre le fascisme visa à consolider les systèmes étroitement liés de Versailles et Weimar. Il est également compréhensible que les gouvernements fascistes de Hongrie et d’Allemagne veuillent aider la bourgeoisie autrichienne à fasciser son pays.

5. La contre-révolution de mars signifie, en fin de compte, l’élimination des vestiges de la révolution du 9 novembre [1918] et du système de Weimar. Mais cela signifie-t-il aussi le retour au pouvoir des forces sociales et politiques qui gouvernaient l’Allemagne avant la révolution de novembre, c’est-à-dire la restauration au sens direct et immédiat ?
Le régime fasciste en Allemagne, quelle que soit la forme de gouvernement - qu’il s’agisse d’une monarchie fasciste ou d’une république fasciste - est un régime de terreur fasciste plutôt qu’une réaction de Bismarck ravivée, et constitue la prédominance de la partie la plus puissante et agressive du puissant capitalisme monopoliste allemand, des sommets du capital industriel et bancaire, plus ou moins soutenu par le grand capital agraire, mais n’est pas une domination des junkers [nobles, propriétaires terriens en Prusse], plus ou moins soutenus par le capital industriel et bancaire, ce qui serait un retour à avant la révolution.

Que représentait le régime en Allemagne avant novembre [1918] ? En utilisant une formulation brève et concise de Trotski, on pourrait dire : Jusqu’au 9 novembre, l’Allemagne était un pays sans traditions révolutionnaires. La bourgeoisie arriva trop tard pour concurrencer sérieusement les forces de la vieille société. Après une modeste expérience en 1848, elle a garanti à Bismarck aidé par l’armée prussienne l’unification de la patrie. Les junkers, des purs féodaux, ont été appelés pour régler les tâches de développement capitaliste et ont pris en main toutes les ressources de la société bourgeoise. Après la guerre de 1864-1866-1870, les féodaux des régions à l’est de l’Elbe sont passés de la selle prussienne sur la selle impériale. La bourgeoisie libérale n’a pas franchi les frontières de l’opposition « responsable », permettant aux junkers de mettre de l’ordre dans la société capitaliste et de disposer de ses forces militaires. Enfin, lorsque la bourgeoisie allemande a été confrontée à de nouveaux défis de nature mondiale par le développement capitaliste, elle a quand même donné à ceux qui étaient unis autour de la monarchie la possibilité de diriger une nation armée.

L’organisation militaire allemande était en pleine conformité avec le système de l’État allemand avant la révolution. Ensemble, ils formèrent une tour féodale sur les fondations capitalistes.
La révolution de novembre a radicalement changé les rôles des groupes sociaux dominants : La « tour féodale » a été politiquement détruite, le pouvoir direct a été transféré à la bourgeoisie dans son ensemble, la bourgeoisie libérale est passée d’une opposition « responsable » à l’exercice direct du pouvoir en tant que propriétaire, et l’ensemble des junkers, économiquement préservés, sont devenus l’opposition « responsable ». En Allemagne, un régime d’ample démocratie bourgeoise a été mis en place, s’appuyant directement ou indirectement sur les réformistes.

Le coup d’État fasciste ne modifie pas le rôle des classes ni la nature sociale du système. Il signifie seulement une concentration de la plénitude du pouvoir direct entre les mains d’une étroite couche dirigeante de la bourgeoisie industrielle et financière. La démocratie bourgeoise de l’Allemagne, qui ne pouvait être comparée dans son ampleur qu’à celle de la Nouvelle-Zélande - ou de l’Australie, est impitoyablement brisée. Conformément aux objectifs nationaux et internationaux du fascisme, un régime de terreur blanche est en train d’être mis en place, par rapport auquel la politique réactionnaire de Bismarck - qui a imposé la loi sur les socialistes expulsant 900 personnes des zones en état de siège et emprisonnant 1.500 pour une peine totale d’environ 1.000 ans (8 mois par personne) - apparaît comme un détail.

6. La victoire du fascisme allemand marque la fin de l’ère du pacifisme démocratique d’après-guerre et est un coup dur, peut-être fatal, à la démocratie bourgeoise comme forme dominante du règne de la bourgeoise dans les pays décisifs du capitalisme. La réaction terroriste - le fascisme - apparaît sur le premier plan de la scène historique, peut-être pour de longues années.

À la lumière des plus grands événements qui se déroulent en Allemagne, les communistes révolutionnaires sont obligés de réfléchir et de comprendre ce que cette transformation abrupte de l’histoire introduit dans les problèmes mondiaux les plus importants. Quel sera à court terme le sort du capitalisme et du mouvement communiste mondial ? Quelles sont les perspectives et les conditions de la révolution prolétarienne en Europe ? Quelles seront les perspectives pour l’URSS et en conséquence ses problèmes ? Quelles sont les tâches directes de l’organisation internationale des bolcheviks-léninistes ? Il faut répondre immédiatement à toutes ces questions, ne serait-ce que de manière schématique et générale.

7. La contre-révolution de mars se fonde sur l’intersection et l’imbrication des facteurs objectifs suivants :

• Le désir croissant des cercles dirigeants du capitalisme monopoliste, qui résulte de la restriction de la libre concurrence par les monopoles capitalistes, de renforcer la réaction et d’éliminer progressivement la démocratie bourgeoise ;

• La volonté des classes dominantes de réagir en contrecarrant la montée révolutionnaire des masses produite par la crise historique de l’ensemble du système capitaliste et les soulèvements révolutionnaires qu’il a subis après la guerre ;

• La fin du pacifisme démocratique et des illusions des masses vis-à-vis de la démocratie bourgeoise. La crise finale du bastion du réformisme mondial - de la social-démocratie allemande - en conséquence de l’arrêt de l’afflux des capitaux américains en Allemagne ;

• L’énorme déception des masses allemandes vis-à-vis du régime du parlementarisme démocratique bourgeois qui, sous les coups de la crise économique mondiale, a ébranlé toute la vie économique nationale du pays et démontré l’impuissance du régime de Weimar à les sauver de la faim, de la pauvreté et de la destruction ;

• L’abandon des communistes par les ouvriers organisés et par la petite-bourgeoisie travailleuse à la suite des résultats du « socialisme » stalinien et de l’impuissance de la direction opportuniste du Parti communiste allemand à prendre le pouvoir ;

• La montée du chauvinisme de la petite-bourgeoisie, du lumpen-prolétariat et de certaines couches du prolétariat à cause des difficultés imposées par le traité de Versailles ;

• L’impossibilité pour la bourgeoisie allemande de continuer à tenir le pouvoir entre ses mains par des méthodes et dans le cadre du système pourri de Weimar tout en maintenant les bases du traité de Versailles.

Tout cela a été la base de la puissante croissance du fascisme allemand, une croissance qui s’est terminée après presque huit mois de crise politique par un coup d’État.

L’alternative formulée dès 1922 par Trotski - le communisme ou le fascisme - est maintenant réalisée en Allemagne par la solution fasciste.

8. Le fascisme allemand ne « pousse » pas dans la République de Weimar, ne se dissout pas en elle, ne s’adapte pas « au cadre et aux formes de la démocratie bourgeoise », mais il la démolit par un coup d’État, mené en alliance avec les junkers du parti « national » avec à sa tête le Président de la République.

La contre-révolution a programmé le coup décisif à la classe ouvrière au début de 1933, ce qui n’était pas accidentel. À la fin de l’année 1932, la vague de masse de la contre-révolution avait déjà atteint son paroxysme. Puis, les masses ont commencé à se détourner des fascistes avec la croissance continue de l’électorat communiste. Un nouveau retard dans la mise en œuvre de la situation contre-révolutionnaire menaçait de renforcer ce retrait des masses déçues par la lenteur du fascisme de la contre-révolution et de renforcer le processus de radicalisation qui avait commencé. Le régime allemand de Weimar ne pouvait pas opposer des obstacles décisifs à ce processus. Comme l’expérience de 1932 l’a montré, le seul obstacle sérieux auquel le prolétariat et la petite-bourgeoisie qui le suivait seraient confrontés dans leur propre tentative de renverser l’État de Weimar ne pouvait être que la stupidité (ou l’opportunisme) de la direction communiste. Le choix pour les sommets de l’impérialisme allemand était alors : soit un coup d’État contre-révolutionnaire, au moment le plus favorable pour eux au cours de ces 14 dernières années, soit le risque de laisser passer cette chance et d’être confronté dans un ou deux ans, sinon plus tôt, à une nouvelle année 1923. Telle était la question à la fin 1932.

Cette situation a unifié les cercles dirigeants du capitalisme monopoliste en Allemagne autour de la réalisation immédiate de sa tâche : le coup décisif porté à la classe ouvrière et à la « révolution inachevée » du 9 novembre 1918.

Seuls les aveugles ou ceux qui ne voulaient pas regarder pouvaient ne pas saisir cette situation, d’une clarté exceptionnelle. Une telle situation dictait impérativement aux communistes des préparatifs généraux énergiques et rapides pour empêcher le coup d’État et rattraper leur retard des années précédentes, c’est-à-dire immédiatement : créer un front unique ouvrier antifasciste, préparer tout de suite une grève générale, armer les ouvriers, déclarer largement leur disponibilité et leur détermination de repousser les premières tentatives de coup contre-révolutionnaire par tous les moyens et de toutes leurs forces.

9. Les forces motrices derrière la contre-révolution de mars sont les cercles les plus réactionnaires et chauvins du capitalisme monopoliste allemand, de l’impérialisme allemand qui, à travers son parti fasciste, a fait de la petite-bourgeoisie et des travailleurs déclassés son pilier social. Ce conglomérat social est uni par la haine de la République de Weimar et du communisme, par la haine des partis qui ont dirigé l’Allemagne de Weimar et fait la paix à Versailles, par le désir de briser les chaînes de Versailles et de ressusciter un « empire allemand » puissant.

Le Parti des nationalistes (parti des grands propriétaires terriens et seulement au second plan des grands industriels) et le Parti des nationaux-socialistes (parti des grands industriels principalement, sinon principalement, en termes de buts et objectifs, mais pas en termes de composition sociale) sont unis par un programme spécifique d’exploitation du prolétariat et d’agression extérieure, de création d’un empire puissant qui se débarrasserait des chaînes de Versailles ne serait-ce que " sur le dos de l’URSS. Ils se divisent surtout sur , la question de la forme du futur État. Les nationaux-socialistes cherchent à établir une dictature de leur parti selon le modèle italien, pour établir une domination politique du capital industriel ; les nationalistes cherchent à restaurer la monarchie ou à créer une république conservatrice et, dans les deux cas, rétablir le rôle politique d’avant-guerre des grands domaines.

Malgré toutes les divergences politiques entre les deux partis, et même lorsque ces divergences sont aiguës, il faut garder à l’esprit leurs affinités sociales et génétiques exceptionnelles. Le NSDAP (Parti ouvrier national-socialiste allemand) n’a pas scissionné, mais fut issu du seul parti national d’autrefois. Son programme a pour but de s’emparer de la petite-bourgeoisie et des ouvriers déclassés, d’orienter leur mécontentement dans un sens réactionnaire, pour faire d’eux un instrument des magnats du capital financier.

Ce programme « radical », pris au pied de la lettre, a même conduit certains opposants à une évaluation erronée du fascisme en tant que mouvement de gauche radical, ce qui a été à l’origine des pires erreurs théoriques et tactiques dans la situation allemande.

La petite-bourgeoisie et les ouvriers déclassés attendent du coup réalisé avec leurs mains des rivières de lait et de miel. Ils placent en lui leurs espoirs pour un avenir meilleur. Ils croient en lui. Comme à l’époque de la brume militaro-patriotique de 1914-1915, ils sont prêts à mourir pour cet avenir. Bien sûr, après le coup d’État, ils seront progressivement déçus par le fascisme. Mais lorsque le gouvernement fasciste sera renforcé, la petite-bourgeoisie évoluant vers la gauche sera freinée pendant un certain temps par un nouvel appareil d’État, qui dispose de moyens incomparablement plus puissants que celui de Weimar pour réprimer les masses. Il sera alors difficile à cette petite-bourgeoisie de nouer un lien actif avec le prolétariat révolutionnaire.

10. Déterminer avec précision l’équilibre actuel des forces de classe en Allemagne est difficile. Le coup d’État est toujours en cours et donc le rapport des forces change d’heure en heure. Une chose est certaine. Une classe ouvrière désorientée et divisée s’est opposé avant le coup, et continue à s’opposer, au front uni de la réaction enragée. Les groupes nationalistes ont été forcés - par le nombre et la conscience du prolétariat allemand - à se préparer à un coup d’État pendant 14 ans. La facilité avec laquelle ils ont réussi à infliger leurs premiers coups, habituellement décisifs dans de tels cas, est due en grande partie à la désorientation du prolétariat allemand ces dernières années, surtout au moment le plus crucial de la lutte. Écartelé entre trois secteurs - social- démocrate, communiste et « chrétien » - il n’était unifié par personne, personne n’a essayé de le rassembler pour lutter, même face au coup d’État fasciste. Aucun de ces détachements n’a tenté d’empêcher un coup d’État contre-révolutionnaire. En conséquence, la contre-révolution n’a pas encore rencontré une résistance unie ni même partielle des travailleurs.

Bien sûr, de la part des partis antifascistes (ou non fascistes) « de Weimar », purement bourgeois - le centre catholique et le Parti allemand d’État (ancien Parti démocrate) - on ne pouvait pas s’attendre à une résistance physique au fascisme. Après tout, même un coup d’État fasciste classique, purement hitlérien, n’est pas une atteinte à la propriété privée des magnats de l’industrie lourde, des catholiques ou de la bourgeoisie commerciale démocratique. La crainte des expériences capitalistes-étatistes du nouveau régime et la menace d’être longtemps effacé du contrôle direct du pays ne pouvaient et ne peuvent servir d’incitation à combattre le nouveau gouvernement sous une forme ou une méthode autre que le vote parlementaire et les articles d’opposition dans la presse, et surtout lorsque ces partis ne sont pas directement aux commandes du gouvernement.

Il faut utiliser l’opposition de ces partis et des travailleurs sous leur influence, c’est-à-dire des travailleurs orientés démocratiquement, comme ceux des syndicats chrétiens et des syndicats Hirsch-Duncker, pour les arracher à ces partis. Afin de s’opposer activement au fascisme, les communistes ne pouvaient agir qu’en avançant le mot d’ordre d’un front unique ouvrier antifasciste avec ces travailleurs. Mais ça n’a pas été fait. Plus que cela. Du fait de l’inaction et de la passivité totale des dirigeants communistes avant la nomination d’Hitler au poste de chancelier du Reich, au moment de sa nomination (30 janvier 1933) et après sa nomination, et même au moment du coup d’État lui-même, toute cette force importante de travailleurs à l’esprit démocratique n’a pas été mise en marche. Ils sont restés sous la pleine influence du Centre et du Parti allemand d’État, c’est-à-dire témoins passifs du coup.

Le Centre et le Parti allemand d’État, ce sont des partis de la bourgeoisie libérale. Ils sont antifascistes dans la mesure où la démocratie bourgeoise s’oppose à une autre forme d’État bourgeois - le fascisme. Mais le régime d’ample démocratie bourgeoise a été conquis par les mains des ouvriers, non par la bourgeoisie, et, par conséquent, sa liquidation fasciste pourrait être empêchée non par la bourgeoisie, même si elle est libérale, mais seulement par les ouvriers pour qui elle est un tremplin pour la lutte pour leurs besoins quotidiens et pour l’établissement de leur dictature.

Le centre ne vote pas pour le fascisme. Mais s’il s’avère que le résultat immédiat du coup d’État n’est pas le régime fasciste classique, mais un État semi-fasciste, quelque peu atténué pour ainsi dire, le centre le soutiendra sans aucun doute directement, comme il a soutenu autrefois la monarchie de Wilhelm.

Du côté du principal détachement contre- révolutionnaire, c’est-à-dire national-socialiste, on trouve : une partie de l’appareil d’État central (dont une partie voire toute la police), un réseau en expansion rapide d’appareils locaux et des Landtag, des autorités municipales et communales que les nationaux-socialistes saisissent par des coups de force locaux, des centaines de milliers de soldats, une masse de petits-bourgeois, de fonctionnaires, d’employés et d’ouvriers arriérés. Ils disposent de facteurs qui un très grand rôle dans le rapport des forces entre les classes : la détermination et la cruauté, l’enthousiasme et la volonté de passer à l’attaque.

Le détachement contre-révolutionnaire nationaliste peut compter pour sa part sur : la partie décisive de l’appareil d’État, les cent mille soldats de la Reichswehr, une partie de la police et de la gendarmerie, environ deux cent mille paramilitaires « Stahlhelm », l’essentiel des généraux et des officiers de l’empire, la noblesse et les grands propriétaires terriens.

En cas de conflit ou de crise avec les nationaux-socialistes en ce qui concerne le choix de la forme du gouvernement, la Reichswehr pourrait se diviser sérieusement, mais les nationalistes pourraient compter sur les sociaux-démocrates, qui préféreront la monarchie ou une république semi-fasciste en tant que « moindre mal », comparé au régime totalement fasciste. N’étant pas sous le feu direct de la critique communiste, les dirigeants sociaux-démocrates vont sans doute tenter d’échapper à la catastrophe en mettant sur la balance en faveur de Hindenburg toute la base de masse qui leur reste, dès que (et si) il s’avère que ce dernier se différencie d’Hitler.

Il n’est guère possible aujourd’hui de préciser avec une certitude catégorique les formes sous lesquelles le coup d’État se cristallisera à l’étape suivante, sera-t-il conservateur contre Weimar ou tout de suite fasciste achevé, car il n’est pas suffisamment clair à ce stade lequel des partenaires dispose dans ce bloc de l’hégémonie réelle.

Bien entendu, les deux variantes de développement possible à court terme sont tout aussi dangereuses pour la classe ouvrière, elles portent les mêmes calamités et le même régime de terreur.
Des frictions internes et une lutte accrues entre les alliés sont inévitables. Cette lutte peut même parfois prendre des formes très aiguës, car les contradictions au sein de la classe, entre le capital agraire et industriel, et les contradictions entre les aspirations de la petite-bourgeoisie et les tâches de l’oligarchie financière vont apparaître peut-être sous des formes très inattendues. Mais un éclatement du bloc avant le renforcement du nouveau régime, à la suite d’une explosion de ses contradictions internes, est peu probable, les buts et objectifs des deux partenaires sont trop étroitement alignés. Le prolétariat, donc le Parti communiste, devait et pouvait - et peut encore - utiliser les contradictions dans le camp de la bourgeoisie dans son ensemble entre sa partie fasciste et libérale-démocrate non fasciste. Mais au sein du Front de Harzburg les contradictions sont très minimes de ce point de vue. Bien entendu, cela ne signifie pas que le prolétariat ne doit pas suivre avec vigilance tous les hauts et les bas de cette lutte et qu’il ne doit pas l’utiliser à son avantage.
L’itinéraire concret de la contre-révolution n’exclut pas la possibilité que, déjà dans le processus du coup d’État, les nazis vont submerger les nationalistes, les repoussant finalement au second plan. Mais il est également possible que le transfert du plein pouvoir aux fascistes se fasse avec un coup d’État supplémentaire, relativement pacifique, ou - ce qui est le plus probable - la fusion des deux partis en un seul avec l’érosion du centre et des vestiges des autres partis bourgeois. Peu importe si cela passe ou non par une phase de coalition avec ces vestiges.

11. La fin de l’Allemagne de Weimar et l’effondrement de l’équilibre européen signifient la mort de la social- démocratie allemande et le début de la fin du réformisme.

La contre-révolution de mars a porté un coup décisif aux sociaux-démocrates allemands. Sa politique de coalition avec les partis bourgeois, sa théorie du passage pacifique et évolutif de la démocratie bourgeoise au socialisme, ont fait faillite avec une clarté absolue pour les masses dans le pays le plus classique de la démocratie bourgeoise. Sa politique et sa théorie n’ont pas donné naissance au socialisme, mais au fascisme.

L’effondrement de la social-démocratie allemande est désormais inévitable. Elle va s’effondrer de trois manières. La base ouvrière nourrira le communisme, c’est-à-dire le parti communiste d’Allemagne renaissant, alors que les couches moyennes et supérieures de l’appareil bureaucratique vont en partie s’intégrer au fascisme et en partie deviendront des philistins. Aucune tentative des sociaux-démocrates « orthodoxes » de sauver l’organisation par une adaptation semi- légale ou illégale à la situation ne pourra empêcher ces processus.

La social-démocratie a fait faillite en politique et en théorie. En mars, les masses ont reçu une leçon de démonstration concentrée d’envergure historique. Et aujourd’hui la réaction triomphe. L’effondrement de la social-démocratie est le début du triomphe décisif des idées du communisme et de la révolution prolétarienne parmi les larges couches du prolétariat allemand. En termes historiques, l’effondrement de la social- démocratie allemande ne profitera pas au fascisme, mais au communisme.

La social-démocratie n’a pas résisté au coup d’État fasciste. Mais la même tactique sociale-démocrate a été appliquée par les dirigeants du parti communiste allemand (KPD). Le résultat, c’est la plus grande victoire du fascisme, son « Octobre » sans effusion de sang.
La non-résistance des dirigeants du KPD et de l’Internationale communiste (IC) au coup d’État fasciste n’est que le maillon décisif et final de la chaîne de trahison de la révolution mondiale que le stalinisme inter­national a forgée au cours des années précédentes. La classe ouvrière allemande n’est pas encore brisée. Mais son activité a été paralysée par la trahison des dirigeants, qui se sont livrés au fascisme sans coup férir, sans la moindre tentative de se préparer à temps pour se défendre, sans chercher à organiser la résistance du prolétariat au moment du coup d’État.

Des milliers et des milliers de dirigeants, de cadres et de militants de la classe ouvrière remplissent les prisons et les camps de concentration en Allemagne en tant qu’otages. Le fascisme enragé répondra sans aucun doute à chaque grève, à chaque lutte radicale des ouvriers par des exécutions ou à la menace d’exécution immédiate de ces cadres, ce qui paralyse encore davantage l’activité du prolétariat dans la lutte contre la contre-révolution.

Devant la menace croissante d’un coup d’État fasciste, la direction révolutionnaire des communistes était obligée de :

• renforcer chaque jour le front unique antifasciste de la classe ouvrière ;

• préparer soigneusement une grève générale pour sa mise en œuvre immédiate en réponse à la tentative de coup d’État fasciste ;

• préparer soigneusement tout ce qui est possible pour armer les travailleurs au moment de la contre-révolution ;

• mobiliser les meilleures forces du mouvement communiste mondial pour aider le prolétariat allemand ;

• mobiliser l’Armée rouge soviétique pour soutenir activement les actions antifascistes de la classe ouvrière allemande ;

• déclarer ouvertement et courageusement à l’opinion publique prolétarienne allemande que dans sa lutte héroïque contre le fascisme, elle n’est pas seule, que le prolétariat de l’URSS l’aidera à écraser la contre-révolution avec toutes les ressources de son pays, y compris ses forces armées, qu’il attend cette heure historique en étant entièrement mobilisé, que le prolétariat russe accomplira avec détermination son devoir vis-à-vis de ses frères allemands, comme il l’a fait en 1918 en Russie.

Les dirigeants du KPD, de l’Internationale communiste et l’ensemble du stalinisme international n’ont jamais essayé de préparer et d’accomplir ces devoirs révolutionnaires internationaux fondamentaux, et ne les ont jamais remplis au moment le plus décisif et le plus critique de la situation, n’ont jamais essayé de les préparer et de les mettre en œuvre, et ne les ont pas mis en œuvre au moment le plus décisif et le plus critique de la situation, comme l’a indiqué en temps opportun l’opposition léniniste représentée par le camarade Trotski.
Ainsi le stalinisme international a préparé et provoqué une énorme défaite mondiale du prolétariat. Ainsi il a achevé sa trahison de la révolution mondiale. Il a ainsi rayé l’Internationale communiste de la liste des facteurs révolutionnaires, la transformant en un appendice, en une aile gauche de la social-démocratie.

Cette trahison décisive du stalinisme a porté un coup dur au mouvement communiste mondial.

Mais la bureaucratie thermidorienne-bonapartiste est incapable de porter au communisme un coup mortel. Et en Allemagne, le mouvement communiste, qui renaît sur de nouvelles bases, va bientôt se signaler, indiquant de nouvelles voies à la classe ouvrière. Les batailles qui se dérouleront contre le fascisme le montreront clairement dans un avenir proche.

L’Allemagne de Weimar est morte. Ses bannières ne flotteront plus au-dessus des mairies en Allemagne. Des changements droitiers à long terme dans le rapport des forces de classe, la croissance triennale du fascisme, la faillite et la capitulation de la social-démocratie et de la direction de l’Internationale communiste - tout cela a été victorieusement réalisé par la contre-révolution de mars.
Les bannières impériales et fascistes ne seront remplacées en Allemagne que par les drapeaux rouges de la révolution prolétarienne.

12. Au fil des ans, l’opposition léniniste a observé avec inquiétude les événements en Allemagne, expliquant constamment leur ampleur et leur très grande importance historique. Elle a constamment et sans relâche signalé le danger qui pèse sur l’ensemble du mouvement ouvrier mondial et qui devient mûr en Allemagne sous la forme du fascisme.

Aux fausses prédictions de l’Internationale communiste sur la montée révolutionnaire (1929) et la situation directement révolutionnaire en Allemagne (1929-1932), l’opposition léniniste opposait continuellement les indications d’une situation directement contre-révolutionnaire, le danger d’un manque de croissance des tendances défensives au sein du prolétariat, principalement en raison du fait que sa vigilance a été endormie par une direction faussement révolutionnaire.

Aux fausses affirmations de l’Internationale communiste selon lesquelles le fascisme est « une radicalisation de gauche des masses » et « un pas en avant vers le communisme », l’opposition léniniste répliquait en analysant le fascisme en tant que mouvement nationaliste chauvin le plus à droite, directement dirigé par le capitalisme monopoliste.

Contre les déclarations trompeuses de l’Internationale communiste selon lesquelles les fascistes ne pensent pas à un coup d’État et que le coup d’État fasciste a déjà eu lieu pendant la chancellerie de Brüning (1930-1932), que les fascistes se développent dans la république de Weimar, que la dictature du Parti national socialiste en Allemagne s’inscrit dans le cadre et sous la forme de démocratie bourgeoise, l’opposition léniniste indiquait les différences entre le fascisme et la démocratie bourgeoise, soulignait l’importance de ces distinctions pour le prolétariat, insistait sur le danger exceptionnel et croissant d’un coup d’État fasciste et sur le fait que le fascisme victorieux ne préserverait pas mais détruirait la démocratie bourgeoise de Weimar et ferait sauter ses formes et son cadre, indépendamment du fait s’il accède au pouvoir par des moyens parlementaires ou non parlementaires. À la tactique de l’Internationale communiste d’un front uni avec les fascistes, l’opposition léniniste opposait celle d’un front unique contre les fascistes.

Par contraste avec le slogan de l’Internationale communiste « faire d’abord feu contre la social-démocratie », l’opposition léniniste avançait le mot d’ordre « ouvrons le feu d’abord sur les nationaux-socialistes, les fascistes ».

Face au terme « social-fascistes » (de juillet 1928 à février 1933) de l’Internationale communiste, qui désoriente les travailleurs dans leur lutte contre les fascistes, l’opposition léniniste présentait la thèse que la social-démocratie et le fascisme « sont deux pôles du front bourgeois » qui ne pourraient s’unir qu’au moment où la société bourgeoise serait directement menacée par la révolution prolétarienne.
Contre le slogan de l’Internationale communiste « front unique par en bas » - c’est-à-dire, dans la pratique, le rejet de tout front unique avec les travailleurs sociaux-démocrates - l’opposition léniniste opposait le front unique tel que formulé par le IVe Congrès de l’IC, et par le bas et par le haut, surtout dans la lutte contre le fascisme.

Pendant un certain nombre d’années, l’opposition léniniste a demandé la préparation et« la mise en œuvre dans la lutte contre le fascisme allemand de la tactique élaborée par Lénine au cours de la lutte contre Kornilov. En réponse à cela, tout le mouvement stalinien international accusa l’opposition et Trotski de s’efforcer de mettre en place un « front unique avec Brüning », « un front unique de Thälmann à Brüning », « un front unique avec des prêtres catholiques », avec le « pape romain », prétendant que nous serions favorables à la théorie social-démocrate du « moindre mal ».

Les bolcheviks-léninistes ont défendu la nécessité d’appliquer la tactique du front unique selon les principes fondamentaux du IVe Congrès : et par le haut et par le bas. En réponse, le stalinisme calomniait en disant que nous sommes pour un front uni uniquement par en haut, c’est-à-dire seulement avec les dirigeants sociaux-démocrates, mais pas avec les masses.

Depuis 1930, les bolcheviks-léninistes exigent que toutes les mesures soient prises pour préparer un front unique en vue d’une grève générale et de l’armement des travailleurs sociaux-démocrates et communistes. En rejetant ces mots d’ordre, le stalinisme disait que nous semions l’illusion que Brüning allait armer les ouvriers.
À la veille de la dernière élection présidentielle, les bolcheviks-léninistes ont souligné que Hindenburg pouvait facilement passer dans le camp fasciste et que, par conséquent, la tâche était de faire en sorte qu’un ouvrier antifasciste soit candidat du front unique à la présidence, imposé par le Parti communiste à la social-démocratie.
Cependant, les dirigeants, avec toute leur tactique, ont sapé cette tâche, assurant ainsi la victoire de Hindenburg, y compris par le vote de millions d’électeurs communistes.[2]

Depuis l’automne 1932, les bolcheviks- léninistes ont inlassablement signalé que le danger d’un coup d’État fasciste par l’ensemble des forces de la réaction devenait non seulement pratiquement actuel, mais que c’était une question de semaines ou au plus de quelques mois, c’est-à-dire qu’un coup d’État fasciste extraparlementaire ou parlementaire pouvait et devait être attendu maintenant, chaque jour et chaque heure. Même ici, à plusieurs milliers de kilomètres de l’Allemagne, le passage rapide de la crise politique à un coup d’État contre-révolutionnaire pouvait être perçu avec une clarté qui ne laissait aucun doute. Mais c’est à ce moment précis que le stalinisme international criait plus fort que jamais que la crise révolutionnaire en Allemagne... mûrissait. Cette clique et l’éditorial de la Pravda du 30 janvier 1933 se sont eux-mêmes couverts de honte impérissable. À ce moment précis, lorsque le chancelier du Reich de la contre-révolution a finalement pris le pouvoir, ce journal de la stupide bureaucratie marmonnait encore : « La dictature fasciste en Allemagne est au point mort. Elle piétine, n’étant pas capable de renforcer sa position. »
Trotski a averti que si Hitler arrivait au pouvoir, cela allait le renforcer plusieurs fois, qu’au lendemain de sa victoire le char fasciste passerait sur les crânes et les dos des prolétaires allemands, que cela obligera l’URSS à déplacer l’Armée rouge pour aider ceux qui se soulèvent (et la confiance dans cette assistance augmenterait immédiatement spontanément !) afin de lutter avec la classe ouvrière allemande contre le fascisme qui a pris le pouvoir. En réponse à cela, le XIIe plénum du comité exécutif de l’Internationale communiste, par la bouche de Thälmann et de Manouilski, a déclaré : « Trotski provoque une guerre entre l’URSS et l’Allemagne ».

C’est ainsi qu’a été préparée, par la cécité et l’opportunisme, la trahison et la calomnie, la plus grande trahison de la révolution mondiale.

13. Demain, la bureaucratie de l’IC expliquera certainement la facilité avec laquelle le coup d’État a été mené par la contre-révolution, par la « passivité » du prolétariat qui « ne voulait pas accepter » le combat, et non par le fait que ni l’IC ni la direction du KPD (sans parler de la IIe Internationale ou du SPD) ne l’ont préparé à une résistance, n’ont pas résisté et n’ont pas appelé la classe ouvrière à résister. Ceci explique maintenant les raisons de la résistance persistante de l’Internationale communiste à la tactique léniniste du front unique. Pourquoi engager la social-démocratie dans la lutte quand (tout comme la social-démocratie) on ne se bat pas et on ne se prépare pas à la lutte ?
Depuis des années, plusieurs millions de travailleurs allemands se sont sans aucun doute dit : si le Parti communiste appelle constamment à des grèves générales et à des barricades, alors qu’il n’y a pas de situation révolutionnaire et que les Müller et les Brüning sont à la tête du gouvernement, alors sa résistance sera certainement beaucoup plus importante lorsque les Hitler, les Göring et les Trick seront au pouvoir.

Le bavardage révolutionnaire de l’IC a caché son vrai visage aux ouvriers au point qu’il était peu probable que beaucoup de communistes osent exprimer à haute voix leur crainte que, exactement au moment du coup d’État fasciste, la masse des six millions de communistes restera un témoin passif de ce coup. Mais c’est ce qui est arrivé. Les dirigeants de l’Internationale communiste ont capitulé devant le fascisme, paralysant ainsi toute résistance de la classe ouvrière.

Les idées du communisme et la foi dans les communistes ont été durement touchées par cette trahison du stalinisme international. Cette trahison de la révolution internationale a éclipsé le purcellisme, le kuomintangisme, et l’année 1933 restera dans l’histoire à côté de la date du 4 août 1914.

14. Même nous, bolcheviks-léninistes de Russie, avons sous-estimé toute la profondeur de la dégénérescence des dirigeants de l’Internationale communiste et des partis communistes des principaux pays capitalistes. L’extirpation du caractère révolutionnaire dans les partis communistes a été une conséquence, premièrement de leur soumission aux besoins intérieurs de la bureaucratie russe renaissante, deuxièmement de leur adaptation au régime et au cadre de la légalité démocratique bourgeoise dans la période de stabilisation du capitalisme, et troisièmement des pressions exercées par leurs propres appareils imprégnés d’inertie et des milliers de postes et fonctions bien payés et respectables : membres du Reichstag, des Landtag, des municipalités et des communautés, éditeurs, propagandistes, secrétaires, etc.

Toutes ces causes d’ossification, de bureaucratisation et de dégénérescence, que l’opposition léniniste a constamment signalées, ont agi lentement et imperceptiblement pour les masses. Seuls les événements de 1933 en Allemagne, en provoquant une catastrophe, les ont soudainement dévoilées, marquant une transformation qualitativement nouvelle.

15. La bureaucratie stalinienne a flirté avec Hitler pendant trois ans, le considérant comme le futur maître de l’Allemagne. Elle l’a aidé à accéder au pouvoir avec tous ses agissements propres et ceux de l’Internationale communiste. Elle a mis le pied d’Hitler à l’étrier, comme elle l’avait fait avant pour Tchang Kaï-chek.

De 1929 à 1932, avant l’arrivée au gouvernement des radicaux en France, l’aile gauche du « bloc national », ce véritable centre dirigeant de la bourgeoisie française et organe politique du « Comité des forges », était au pouvoir. La relation entre la France et l’URSS a alors atteint une tension élevée. Le point culminant de cette tension a été le procès du « parti industriel » et du « bureau syndical du Parti ouvrier social-démocrate de Russie ». C’est à cette époque que le fascisme allemand, devenu facteur politique principal, commença à menacer la France d’une manière particulièrement féroce, flirtant simultanément avec l’URSS. Hitler a répété, en l’élargissant, la manœuvre de Tchang Kaï-chek.

Cette position profondément trompeuse d’Hitler a été prise au sérieux par la bureaucratie stalinienne. Par conséquent, l’importance de son accession au pouvoir était complètement étouffée avant et après le 30 janvier. C’est seulement après que ses véritables cartes de politique étrangère eurent commencé à se révéler « de manière inattendue » - elles coïncident parfaitement avec les projets sensationnels de Gustave Hervé (conversation de Göring avec François Ponce, rencontres de Hessenberg, discours d’Hitler) - que la direction paniquée a fait un tournant, marqué par deux actes honteux : l’URSS assume les fonctions de garant du traité de Versailles et le Comité exécutif de l’Internationale communiste publie le 5 mars 1933 un manifeste annonçant sa décision de capituler sans condition devant la IIe Internationale.

En appeler aux sentiments nationaux d’Hitler ne sert à rien. Pas plus que se référer au fait que même le quotidien conservateur anglais, Morning Post, comprend que l’IC et ses sections ont été transformées par la bureaucratie en un facteur de stabilisation capitaliste (rédaction d’Izvestia 4 mars 1933). Comme le fascisme est inexorablement hostile à l’URSS, la bureaucratie se précipite maintenant ouvertement dans les bras de l’impérialisme français et de la IIe Internationale.

Après avoir refusé durant trois ans d’organiser un front unique pour combattre le fascisme, dans son manifeste la direction a transformée la tactique de front unique en une capitulation inconditionnelle devant la social-démocratie. Par cet acte, la bureaucratie se cache derrière le dos des traîtres pour y chercher le salut devant le danger d’agression.
La « non-agression » mutuelle est une amnistie mutuelle. L’Internationale communiste ne dénonce pas la trahison de la social-démocratie, pour pouvoir rester silencieuse sur la même trahison des dirigeants communistes.

Voici le sens du manifeste du Comité exécutif du 5 mars.

16. La victoire du fascisme donne-t-elle un répit supplémentaire au capitalisme ?

Malgré le fait que notre époque est et reste l’époque des révolutions prolétariennes, que la victoire du fascisme est la plus haute exacerbation des contradictions de classe et des contradictions interétatiques, néanmoins la victoire d’Hitler renforce temporairement la domination politique de la bourgeoisie, repoussant pour quelque temps les dates de la révolution prolétarienne. C’est le sens principal de la défaite du prolétariat allemand.

Bien sûr, on ne peut pas parler de décennies. Les idéologues fascistes peuvent en rêver. Si, comme l’écrivait Lénine, la victoire des Gardes blancs en Russie aurait signifié 30 à 40 ans de terreur blanche effrénée, on ne peut en dire autant de l’Allemagne.

La Russie est un pays paysan. Les ouvriers constituent une infime minorité de la population. Un grand nombre d’entre eux n’ont pas encore rompu leurs liens avec le village. Ce n’est pas le cas en Allemagne. La classe ouvrière allemande représente la moitié du pays. Comme nous vivons dans une époque de guerres et de révolutions, l’expérience politique des masses se développe rapidement, tous les processus de la vie sociale se déroulent à pas de géant, les classes ne peuvent plus être dans un état de confusion et de passivité, aussi cruelles soient les défaites subies. Il n’y a pas de place pour les rêves capitalistes de décennies de répit capitaliste pour l’Allemagne.
Bien sûr, la plus grande preuve de la désorientation c’est de penser que dans un ou deux mois les vainqueurs vont changer, ouvrant la voie aux communistes. Qu’on soit ou non dans une époque révolutionnaire et indépendamment du fait que le fascisme fait croître toutes les contradictions, il faut comprendre qu’il sera beaucoup plus difficile au prolétariat de le renverser que de renverser le régime de Weimar (toutes proportions gardées). Même si l’Allemagne préservait ses chaînes de Versailles, son capitalisme gagnera une pause, un répit, grâce à la répression sans merci de la classe ouvrière.

Les contradictions internes et externes pousseront les gouvernements de l’Allemagne fasciste sur la voie de l’agression externe et, en termes historiques, contre l’URSS, car il n’y a pas d’autre moyen de consolider durablement la contre-révolution, que pour la guerre et par la guerre.
Mais la guerre nourrit des explosions révolutionnaires énormes !
Bien entendu, la perspective d’une guerre de l’Allemagne contre l’Union soviétique ne doit pas être comprise comme une perspective pour les mois à venir, mais très probablement comme une perspective pour les années à venir. En même temps le coup d’État fasciste rapproche à pas de géant une guerre Entre le Japon et l’Union soviétique.

La terreur contre les travailleurs et la tentative de restructuration fasciste de toutes les organisations prolétariennes, vont évidemment précéder la guerre.

Le slogan des chômeurs italiens - « du pain et la guerre » - est un indicateur alarmant de la situation, pas seulement en Italie.
En étranglant les organisations ouvrières, la contre-révolution allemande peut soulever la question non seulement d’un répit pour le capitalisme, mais aussi d’un changement dans la voie la plus probable de la révolution mondiale avant le coup d’État : le prolétariat allemand peut céder sa première place au français ou à l’anglais.

17. Quel sera le plus probablement le réalignement des forces hors d’Allemagne résultant du coup d’État fasciste ?

Tout d’abord, le fort renforcement du fascisme italien et l’affaiblissement de toutes les forces de classe qui le combattent.
L’Autriche, habitée par 7 à 8 millions d’Allemands, est aussi une partie de l’Allemagne économiquement inséparable. Malgré sa plus grande dépendance à l’égard de la France et de la Société des Nations, on peut dire que le coup d’État en Allemagne prédétermine la fascisation de l’Autriche. En France, dans le camp bourgeois, le regroupement de la droite et l’arrivée au pouvoir du bloc national ne devraient pas prendre longtemps. Il est vrai que les groupes radicaux pacifistes au pouvoir ont considérablement accru leur crédibilité avec le succès de leur politique étrangère, en faisant de l’URSS un garant du traité de Versailles. Ils ont également été renforcés par l’introduction ouverte du Parti communiste français dans le courant du pacifisme bourgeois. Néanmoins, les maîtres de la France ne sont pas ces petits groupes bourgeois, mais les forces réactionnaires qui sont encore dans l’ombre, voyant leur tâche historique (ou stratégique) dans l’écrasement de l’URSS par les forces du bloc franco-allemand.

La France n’a rien à gagner de la nouvelle guerre franco-allemande. La préservation du traité de Versailles lui fait maintenant courir le risque d’une attaque venant de l’Est. La crise bouleverse son économie. La question des nouveaux marchés et des zones d’influence devient de plus en plus importante. Donc, naturellement, les pensées et les regards des réactions françaises et allemandes sont dirigés vers l’est, vers l’URSS. Tant que la base de la dictature prolétarienne créée par la Révolution d’Octobre ne sera pas vaincue, c’est-à-dire que les relations de propriété bourgeoise ne seront pas restaurées, l’URSS résistera au capitalisme mondial comme une force sociale hostile.

Jusqu’à maintenant, la bourgeoisie n’arrivait toujours pas à décider de la guerre de peur de déclencher une révolution mondiale. Mais la situation politique au sein de l’URSS et de l’Allemagne alimente ses espoirs de l’issue d’une telle guerre heureuse pour le capitalisme.
Bien sûr, le prolétariat pourrait bientôt décevoir les espoirs de la bourgeoisie. Et dans les conditions connues, la guerre peut même donner lieu à une renaissance de la dictature du prolétariat en URSS. Dans ce cas, la guerre des impérialistes contre l’URSS serait le prologue de la plus grande tempête révolutionnaire mondiale et de la chute du capitalisme européen.

Le coup d’État en Allemagne risque d’exacerber les relations franco-allemandes seulement durant une courte période. Les relations germano-soviétiques, cependant, le seront sérieusement et pendant longtemps, probablement jusqu’à l’explosion des contradictions entre l’ensemble du monde capitaliste et le seul pays qui ne fait pas partie, directement et en premier lieu, du système capitaliste et qui lui reste hostile du fait des vestiges de l’héritage de la révolution d’Octobre.
Le coup d’État fasciste, ce n’est pas seulement la perspective à plus long terme d’un bloc franco-allemand contre l’URSS, mais aussi la perspective immédiate d’un bloc allemand avec l’Italie, l’Autriche, la Hongrie et la Bulgarie. La Turquie peut facilement s’y joindre. Elle sera arrachée à l’URSS par la proximité de la guerre et par la promesse de lui céder Batumi et une partie de la mer Noire soviétique.
Les États-Unis financeront la guerre contre l’URSS - il s’agit de l’ennemi le plus puissant, irréconciliable par principe - avec la participation de la Grande-Bretagne et de la France.

La durée historique du bloc de l’URSS avec la France contre l’Allemagne est donc peu probable. Mais lui aussi comporte de grands dangers pour le développement interne de l’URSS.

Les premiers pas vers sa création ont déjà été faits par la bureaucratie. Une déclaration de Litvinov sur l’accord de l’URSS pour garantir la sécurité du traité de Versailles (depuis Brest-Litovsk, ce n’est pas la France mais l’Allemagne qui préserve la Russie) constitue un pas important pour faire de l’URSS un vassal armé de la France, ce gendarme européen, selon les termes d’un super patriote français, Gustave Hervé. Désormais) l’URSS sauvegarde les frontières orientales de^la France impérialiste et les frontières occidentales de la Pologne semi- fasciste !

L’étreinte de fer de l’amical impérialisme français étranglera les derniers vestiges de la Révolution d’Octobre. La bureaucratie, qui considère sa propre défense comme étant celle de la révolution, sacrifiera maintenant encore plus rapidement cette dernière au nom de la première, abandonnant en partie son monopole du commerce extérieur en échange de l’inviolabilité des frontières occidentales de l’URSS garantie par la France. Bien sûr, l’inclusion finale de l’URSS dans le système capitaliste présuppose comme condition préalable l’élimination des vestiges du système d’Octobre, ce qui est impossible sans chocs internes et sans une défaite finale du prolétariat de l’URSS. Mais tout cela est grandement facilité par le renforcement généralisé de la réaction mondiale à la suite de la victoire du fascisme allemand.
Le coup d’État fasciste ravivera les espoirs et l’activité de tous les éléments contre-révolutionnaires de l’URSS. Les éléments bonapartistes-thermidoriens de l’appareil d’État, l’appareil du parti dans l’Armée rouge, l’intelligentsia technique et toute autre, les koulaks et les nepmen, les larges couches de la paysannerie jetées dans le camp de la contre-révolution par la politique aventureuse du stalinisme - tous ces éléments seront politiquement activés par la victoire de la contre-révolution en Allemagne. Dans ces circonstances, le risque d’un coup d’État bonapartiste est particulièrement menaçant.

18. Le prolétariat mondial, dont le soutien a préservé les vestiges du système d’Octobre, a été affaibli et désorganisé par les trahisons staliniennes en chaîne. Depuis plusieurs années, le stalinisme prétend renforcer l’État soviétique, mais en réalité il ne s’occupe que de sa propre préservation et de sa domination sur le prolétariat, au prix de l’abandon du cours de la révolution internationale, de l’étranglement de l’Internationale communiste, de la paralysie de la propagande et de l’activité révolutionnaire des partis communistes des pays capitalistes dominants et des colonies, de la lutte sans merci contre l’opposition léniniste et le camarade Trotski. D’où le silence de l’Internationale communiste sur les événements de 1930 en Inde, les grèves dans la flotte anglaise ainsi que l’interdiction faite aux travailleurs russes de réagir à ces événements et même à la terreur fasciste en Allemagne. (Et combien de meetings ont été organisés par les fonctionnaires corrompus pour s’en prendre furieusement au camarade Trotski !).
Plus la vague de réaction mondiale monte, plus la bureaucratie rampe et dégénère. Elle ne combat pas la réaction, mais la renforce en achetant l’existence non conflictuelle de l’URSS dans l’environnement capitaliste, en jetant par-dessus bord les conquêtes et traditions d’Octobre.

La bureaucratie voit le salut de l’URSS non pas dans la révolution mondiale, mais dans son rejet sous prétexte de construire une société socialiste dans un seul et unique pays et avec les seules forces de ce pays.

Mais en trahissant les intérêts du prolétariat mondial au nom du prétendu intérêt propre de l’URSS, la bureaucratie n’obtient en échange que des bouts de papier portant l’inscription « pacte de non-agression ».

Au lieu d’un renforcement de l’État soviétique, elle ne fait que faciliter sa défaite, car elle détruit les fondements sociaux internationaux sur lesquels la construction de la dictature du prolétariat en URSS peut se fonder.

En rejetant la révolution permanente internationale, elle nourrit la contre-révolution.

La bureaucratie de l’URSS a continuellement dégagé les voies de la réaction mondiale en vue de la défaite du mouvement communiste.
L’URSS s’isole du prolétariat mondial, car ce dernier est isolé du prolétariat de l’URSS.

La contre-révolution allemande inonde l’Europe d’une vague de réaction noire. Le fascisme et le semi-fascisme mondial organisent des aides d’État aux fascistes autrichiens et allemands. Seul le prolétariat de ces pays se voit attribuer son propre destin. L’Internationale communiste n’a pas essayé de l’unir et d’appeler à un contrecoup face à la réaction, ni de mobiliser les ressources du mouvement communiste mondial et les ressources étatiques du prolétariat de l’URSS pour l’aider, à l’image de l’isolement entre ce dernier et le prolétariat allemand par le blocus de Wilhelm jusqu’à la révolution du 9 novembre 1918.

Appeler les « partis communistes fraternels » à casser des vitres à Barcelone et dans d’autres ambassades allemandes (mais pas à Moscou, bien entendu) n’est qu’un déguisement « révolutionnaire » de la trahison. Cela s’accompagne d’un silence total du stalinisme sur la signification historique mondiale du coup d’État. En URSS, pas un seul meeting, pas une seule résolution des travailleurs sur le coup d’État fasciste en Allemagne !

Le coup d’État contre-révolutionnaire en Allemagne est un coup dur pour le prolétariat de l’URSS, car il renforce son isolement par rapport au prolétariat d’autres pays.

La révolution en Allemagne aurait donné un puissant élan au mouvement révolutionnaire en URSS, mais le danger de la contre- révolution en Allemagne est si fort que, en ravivant les éléments de la contre-révolution dans notre pays, en renforçant le regroupement des forces de classe à droite, il peut grandement compliquer le rétablissement de la dictature du prolétariat et de son parti et rapproche le danger que le coup d’État bonapartiste soit achevé.
La victoire du fascisme allemand signifie que le prolétariat du monde entier devra surmonter une nouvelle grande vague de réaction mondiale sur la voie de sa révolution victorieuse.

19. La victoire du fascisme allemand non seulement ne signifie pas que le capitalisme s’est stabilisé, mais au contraire elle fait monter à un nouveau niveau supérieur toutes ses contradictions. Seule une défaite de l’Union soviétique lui donnerait une nouvelle base pour un équilibre pendant de nombreuses années. Le répit que le capitalisme allemand s’achète en établissant un régime fasciste n’est que le prolongement de son agonie. De nouvelles guerres en Europe et en Asie, de nouveaux bouleversements sociaux gigantesques sont à l’ordre du jour.L’Allemagne de Weimar est tombée, ne trouvant pas dans son camp un seul défenseur prêt à se sacrifier pour elle. Mais avec la République de Weimar, sont ensevelies non seulement les illusions réformistes des masses, mais également les réels acquis de nombreuses générations de la classe ouvrière.

La contre-révolution renforce rapidement sa position, nettoyant les Landtag, les municipalités, les communautés, les usines, les organisations culturelles et éducatives du pays des cadavres politiques de la démocratie bourgeoise pourrie et affaiblie et aussi des membres du Parti communiste.

Les sommets politiques décisifs ont été saisis par la contre-révolution sans combat en raison de la reddition des dirigeants de la classe ouvrière. Mais la résistance spontanée des masses est devant nous. Les batailles futures entre le prolétariat et le fascisme vont commencer lorsque ce dernier commencera une vaste attaque frontale contre les acquis sociaux et économiques de la classe ouvrière. C’est précisément à ces batailles que les bolcheviks-léninistes allemands doivent maintenant préparer au mieux le prolétariat. Une forte résistance au fascisme sur ce terrain peut, dans des conditions favorables, devenir le point de départ de batailles offensives du prolétariat contre le fascisme dans son ensemble, puis contre tout le régime capitaliste allemand.
Il est ridicule et criminel d’appeler aujourd’hui les travailleurs allemands à une grève générale immédiate. Ce serait la pire preuve de l’ultra-gauchisme. Proclamée aujourd’hui, elle serait condamnée à une défaite totale et inconditionnelle. La grève pouvait et devait avoir lieu le 30 janvier, le jour de l’arrivée au pouvoir du chancelier noir du Reich. Le prolétariat avait alors des bonnes chances de gagner. Si le prolétariat avait répondu ce jour-là par une lutte, Hitler n’aurait pas recueilli 17 millions de voix le 5 mars, au contraire, beaucoup d’hésitants de son camp l’auraient quitté. Immédiatement transformée en guerre civile, cette lutte aurait ouvert des perspectives révolutionnaires colossales. Mais le stalinisme et les sociaux-démocrates n’ont pas préparé le prolétariat à cette lutte. L’Internationale communiste n’a même pas suggéré que les sociaux-démocrates réagissent immédiatement à la nomination d’Hitler par une grève générale. C’est alors que l’on a manqué le moment où il a été possible de mener une grève victorieuse contre les fascistes. Et c’est cela qui a prédéterminé un gigantesque renforcement de la contre-révolution (17 millions de voix pour les nationaux-socialistes le 5 mars) et la réalisation du coup d’État.

20. L’erreur du Comité central du Parti communiste bulgare en 1923 - sa « neutralité » pendant le coup d’État de Tsankov - a été rapidement considérée par l’Internationale communiste comme une erreur de nature sociale-démocrate. La même évaluation a été faite par le camarade Trotski à l’égard du Comité central du Parti communiste polonais lors du coup d’État de Pilsudski (à l’initiative de Warski, le Comité central du Parti communiste de Pologne a presque soutenu le coup). La tactique employée par le Comité central du KPD en 1933 a été pleinement et inconditionnellement mise en œuvre conformément aux directives de l’Internationale communiste, et non de façon contraire aux directives, comme ce fut le cas en 1923 en Bulgarie. Elle coïncidait avec la tactique de la social- démocratie allemande. Pas de manière accidentelle.

Le coup d’État fasciste a finalement retiré le masque ultragauche de la direction. Il va maintenant devenir clair pour tout le monde que tout ce vacarme ultragauche - qui a commencé à la fin de 1927 (Canton) et s’est poursuivi au travers des barricades, des manifestations et des combats de rue des « journées rouges » à répétition en Allemagne - avait seulement pour but d’empêcher les masses de voir la dégénérescence sociale-démocrate de la direction, de les détourner de l’opposition, d’affaiblir et de paralyser le travail de l’opposition léniniste et du camarade Trotski qui démasquaient cette direction et créaient la fraction internationale de véritables communistes léninistes. Avec ces aventures ultra- gauches, qui ne menaçaient nullement la bourgeoisie, la direction masquait les limites et les adaptations de l’activité des partis communistes, et par conséquent des masses qui les suivaient encore, au cadre et aux formes des régimes des plus grands pays capitalistes. Ayant ainsi transformé les partis communistes en paratonnerres, pour soustraire le capitalisme des charges électriques du mécontentement généralisé et orienter ce mécontentement sur des lignes ultragauches, prétendument révolutionnaires, mais qui ne menacent pas les fondements du capitalisme, les dirigeants ont ainsi détourné les masses des voies de l’opposition léniniste.

Cette politique renforce les relations amicales de la bureaucratie avec les puissances impérialistes, à qui un tel paratonnerre social, remplaçant la social-démocratie, compromise, et compensant l’impact de la révolution d’Octobre, est extrêmement utile.

Telle est la brutale vérité, prouvée au monde entier par les derniers événements en Allemagne.

21. Le réformisme s’est épanoui sur la base de la démocratie bourgeoise. La crise de cette dernière fut une crise de la social-démocratie. C’était particulièrement évident en Allemagne, où les sociaux-démocrates perdaient leurs partisans année après année. L’effondrement de la démocratie bourgeoise c’est la fin du réformisme. Fascisme ou communisme ? Telle est la question posée par l’histoire. Le fascisme allemand ne sera bientôt confronté à la classe ouvrière que sous la forme du communisme.

L’Internationale communiste de Lénine, liquidé par le stalinisme et transformé par lui en un appendice opportuniste du Commissariat du peuple aux Affaires étrangères va maintenant connaître des divisions et des scissions au sein de ses sections les plus fortes. Pour s’opposer au fascisme, ce n’est pas cette Internationale communiste qu’il faudra, mais une Internationale communiste ressuscitée sur des bases plus élevées, par les meilleurs éléments des partis officiels actuels et des ouvriers révolutionnaires sans parti ainsi que par des travailleurs syndicalistes et sociaux-démocrates gagnés par eux dans la lutte sous le mot d’ordre de front unique ouvrier, se regroupant autour de la gauche communiste internationale et de Trotski.

L’effondrement des partis communistes officiels est désormais inévitable, non pas à cause de la terreur hitlérienne, mais à cause de la trahison décisive du stalinisme. Hitler a fait sortir du mouvement communiste les éléments égoïstes et parasitaires. La trahison du stalinisme poussera tous ceux qui sont déterminés et dévoués au communisme dans les rangs de la gauche mondiale. Désormais, il ne fait aucun doute que le mouvement international de gauche se développera et se renforcera en tant qu’axe de cristallisation non seulement du communisme, mais de la classe ouvrière dans son ensemble.

Le 4 août, l’Internationale communiste est née. 1933 sera un puissant prologue pour sa renaissance. Les bolcheviks-léninistes en Allemagne doivent prendre la tête d’une lutte directe de la classe ouvrière sous toutes ses formes. Utilisant les restes de la légalité et les profondeurs de la clandestinité, ils devraient la mobiliser sous les mots d’ordre de front unique pour lutter contre le fascisme, de sorte que la lutte partielle du prolétariat se transforme rapidement en une grève générale et une guerre civile.

22. Le fascisme se renforce au pouvoir et devient plus fort d’heure en heure. La terreur des nouveaux gardes-blancs a déjà commencé. La peine de mort a été introduite, officiellement. La reddition des dirigeants ne sauvera pas le prolétariat de la terreur, mais ne rendra que plus facile la tâche du fascisme.

Mais l’opportunité de mettre fin au fascisme allemand n’est pas encore totalement perdue, tant que le fascisme ne l’a pas emporté en Autriche, tant que la réaction n’a pas pris le pouvoir en France, tant que le fascisme en Allemagne n’est pas encore totalement consolidé, tant que les processus en URSS ne sont pas encore achevés, tant que le prolétariat allemand n’est pas encore écrasé. Mais il n’y a qu’une voie qui reste pour faire cela : celle du courage et de la détermination révolutionnaire désintéressée, la voie de l’aide au soulèvement renaissant du prolétariat allemand avec les baïonnettes de l’Armée rouge et la mobilisation de toutes les forces du communisme international.

Mais ce n’est pas la voie choisie par la bureaucratie, pour laquelle l’armée et les partis communistes internationaux ne sont qu’un moyen de garantir le pouvoir prolétarien usurpé, mais la voie que choisira la classe ouvrière elle-même.

Seule une renaissance de la dictature du prolétariat et une renaissance du parti peuvent rendre réaliste cette voie.

23. Le fascisme est un tournant historique, un contretemps dans la croissance générale de la lutte de classe et de la révolution prolétarienne mondiale. Mais notre tâche n’est pas de calmer les masses, ni de semer des illusions optimistes. Ne pas s’endormir, mais signaler le danger, sonner l’alarme, mobiliser pour la lutte - c’est notre tâche, c’est ainsi que Lénine et Trotski ont agi dans les moments les plus tragiques de notre révolution.

Plus le danger est grand, plus nous devons tirer la sonnette d’alarme.
Des milliers de communistes allemands remplissent les prisons fascistes. Des milliers d’ouvriers révolutionnaires ont déjà été tués et remplacés par des fascistes. La main fasciste assassine est levée au-dessus de la tête des milliers de communistes.

Ces circonstances tragiques ne doivent en aucun cas nous amener à garder le silence sur la vérité concernant les événements et le rôle des sociaux-démocrates et des dirigeants communistes dans ces événements.

Ces communistes, qui même en prison, réfléchissent aux raisons qui ont conduit les membres du Parti communiste à être emprisonnés et fusillés, et non à la prise du pouvoir par le prolétariat sous la direction du Parti communiste - ces communistes-là, alors qu’ils sont encore en prison, rejoindront nos idées et nos mots d’ordre.

La révolution mondiale est à l’une de ses étapes les plus dramatiques. Expliquer cela aux travailleurs du monde entier, mobiliser les travailleurs, faire comprendre à la classe ouvrière les raisons qui ont conduit à cette étape, lui faire comprendre que sous le régime stalinien il ne peut y avoir de victoire du prolétariat pas seulement dans notre pays, qu’elle est aussi difficile en Europe, que l’une des barrières décisives que la classe ouvrière doit surmonter pour dépasser le mur géant de la réaction mondiale c’est le stalinisme international. Tel est notre premier devoir.

Et nous sommes obligés de le faire de toutes les manières possibles, sous toutes les formes à notre disposition.

Isolateur de Verkhnéouralsk, le 1er avril 1933

Les signataires [3] des thèses « Coup d’État fasciste en Allemagne » : Dingelstedt F., Karyakin M., Papirmeïster P., Shinberg B., Novikov P, Abramsky A., Portnoi M., Bodrov M., Papirmeister A., Feldman, Nevelson Man, Kessel, Borzenko, Bloch, Kugelev, Kozhevnikov N., Zaraïkin, Papirmeïster S., Eltsin V.B.

Soutiennent les auteurs : Danilovich L., Khugaev K., Brontman, Vashakidze, Gogelashvili, Topuria, Efremov, Shpitalnik, Sassorov, Kholomenkin, Shvyrkhov.

Notes

[1] L. D. Trotsky, Europe et Amérique est une brochure publiée à Moscou en 1926 analysant le rôle des États-Unis dans la capitalisme mondial, contenant deux rapports, de juillet 1924 et de février 1926. Voir en particulier le chapitre « L’impérialisme américain et la social-démocratie européenne »

(Note du traducteur)

[2] La position défendue ici par le groupe de Verkhnéouralsk va à l’encontre de celle défendue par Trotsky qui avait écrit en janvier 1932 : « L’idée de présenter aux élections présidentielles un candidat du front unique ouvrier est une idée fondamentalement erronée. » (cf. le chapitre 9 de la brochure « La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne », note 2 et son appel de note). Note de la MIA.

[3] En 1933, selon Victor Serge et Ante Ciliga, la majorité des prisonniers trotskistes à Verkhnéouralsk étaient des « jeunes » militants, qui ont rejoint l’opposition déjà clandestine au cours des années 1930-1933. Nous ne connaissons pas leurs itinéraires politiques, leurs noms et prénoms... Les « vieux », ceux qui ont rejoint l’opposition entre 1923 et 1928, sont mieux connus. Parmi les signataires, il s’agit de :

• A. Abramsky, jeune militant, correspondant de Trotski à Kharkov avant son arrestation, selon Ciliga il « donnait le ton » dans la cellule 11.

• Mikhail Bodrov, ouvrier métallo de Moscou, fils de paysans né en 1902, dans l’armée rouge de 1919 à 1923, adhère au parti bolchevik en 1920, exclu en 1927 pour appartenance à l’opposition trotskiste, père de deux enfants Tamara et Anatoly, courrier de l’Opposition de gauche à Alma-Ata, emprisonné en 1929, dirigeant de la grève de la faim de 204 trotskistes à Magadan, condamné à mort par décret de la troïka du NKVD à Dalstroï le 14 septembre 1937 et immédiatement exécuté.

• Fedor N. Dingelstedt rejoint le parti bolchevik en 1910, organisateur des marins de Kronsdadt en 1917. Après la révolution, élève à l’Institut des professeurs rouges puis directeur de l’Institut des forêts de Leningrad et responsable de l’Opposition de Gauche. À Verkhnéouralsk, il dirige une grève de la faim puis est déporté, il dirige une grève de la faim à Solovki. On perd sa trace en 1935, après son transfert à Alma-Ata.

• Shaliko Gogelashvili, selon Ciliga « membre du Komsomol et fils d’un ancien mineur sans parti était un jeune homme vif et sérieux qui se consacrait avec zèle et habileté à l’étude des problèmes du travail ».
• Man Nevelson, mari de la fille de Trotski, Nina, était lycéen en 1917 quand il a organisé les JC puis les Gardes rouges. Commissaire politique de l’Armée rouge, il était en 1920 chef du département politique de la 5e Armée, et s’est reconverti comme économiste.

• Aaron Papirmeïster avait dirigé, avec ses deux frères, Pavel et Samuel, eux aussi signataires de ces thèses, les partisans rouges en Sibérie au cours de la guerre civile. Il était un des dirigeants du « centre trotskiste » à Verkhnéouralsk en 1930, lors de la discussion sur le plan quinquennal, aux côtés de Dingelstedt et Nevelson, selon Ante Ciliga, qui se considérait comme étant à leur gauche.

• Sassorov a d’abord été déporté en Sibérie et n’est arrivé à Verkhnéouralsk qu’en 1930 (cf. « Lettre à Trotsky du 11 novembre 1930 sur l’isolateur de Verkhnéouralsk », Cahiers Léon Trotsky n° 7-8).
(Note du traducteur)

https://www.marxists.org/francais/4int/urss/1933/04/bolchevikn2.htm

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