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A QUI PROFITA LA REVOLUTION FRANCAISE ?

lundi 30 juillet 2012, par Robert Paris

A QUI PROFITA LA REVOLUTION FRANCAISE ?

Parmi les mythologies qui ont trait à la glorieuse Révolution française de 1789-1793, on doit souligner celle qui concerne l’Etat et son appareil qui s’est mis en place à cette époque. Les fanatiques de « liberté, égalité, fraternité » à la française prétendent que la force révolutionnaire qui a mis en place cette devise serait détenue par les assemblées et les administrations qui auraient alors fondé « l’Etat de droit » égal pour tous, sans distinction sociale ou de race, d’origine quelconque. Un mythe mensonger : les assemblées ont tout au long de la révolution été exclusivement bourgeoises, défendant bec et ongles les intérêts de cette classe exploiteuse, ne donnant de droit légaux et juridiques qu’aux propriétaires. Les lois, les décrets, les appareils administratifs, juridique, policier, politique ont dès le début été au service exclusif de cette classe. Tant qu’elle avait besoin de détruire l’édifice de l’ancien ordre féodal, de combattre les armées féodales du reste de l’Europe, cet appareil a composé avec la vraie force révolutionnaire : le peuple. Mais toujours en défendant ses propres intérêts. La révolution n’a pas été détournée ensuite seulement. Il a toujours eu, au sein même du camp de la révolution, une lutte de classe féroce entre possédants et opprimés, entre bourgeois et bras nus.

Tant que la révolution a été dynamique, les opprimés ont été organisés et armés, de manière indépendante de l’Etat bourgeois et il y avait un double pouvoir. Les permanences citoyennes des quartiers populaires, les comités de piques, les sections sans culotte et la Commune ont été des organes révolutionnaires des masses mais celles-ci n’étaient nullement représentées dans les assemblées. Les domestiques, les misérables n’étaient même pas représentées et ne faisaient pas partie des électeurs. Jamais la bourgeoisie révolutionnaire n’a envisagé de donner le droit de vote aux opprimés !

L’Etat issu de la révolution a pris naissance dès le renversement de l’Etat monarchique au service des nobles. Il a été d’emblée, et toujours depuis, un Etat bourgeois. Il n’a jamais existé un Etat au service de l’ensemble des citoyens, un « Etat de droit du peuple », mais un droit bourgeois, une justice bourgeoise, une police bourgeoise, etc…
L’Etat français d’après la révolution française a glorifié comme jamais l’alliance de toutes les classes, au travers de la nation, de la loi, de la justice et de la citoyenneté, mais, ce faisant, il a fait œuvre d’une hypocrisie sociale à un niveau jamais égalé car, en même temps qu’il inventait un discours citoyen, dans la réalité, il favorisait exclusivement une classe sociale, la bourgeoisie…

Extraits de « La lutte des classes sous la Première République » de Daniel Guérin :

L’achat des biens nationaux fut la grande affaire de la Révolution, la préoccupation constante et essentielle d’une fraction importante de la bourgeoisie. Si les Girondins furent facilement vaincus et évincés, si la révolte fédéraliste fit long feu et fut réprimée sans trop de difficultés, ce fut pour une bonne part parce que la Gironde eut contre elle les acquéreurs de biens nationaux ; c’est aussi, nous l’avons vu, parce que beaucoup de bourgeois, qui avaient été Girondins, devinrent Montagnards dès l’instant où ils participèrent à des achats de biens nationaux. La vente des biens nationaux confisqués au clergé et aux émigrés fut la clé de voûte de tout le système révolutionnaire. Elle permit de financer la Révolution et elle lia la bourgeoisie à la Révolution. Barère s’écria à la Convention : « Vous existerez, la République ne sera basée que sur les biens nationaux. »

Lorsque la Constituante décida la confiscation des biens nationaux, elle obéit à une double pensée : enrichir la bourgeoisie et combler le déficit budgétaire ; intentions contradictoires d’ailleurs, car, pour remplir les poches des bourgeois, il ne convenait pas que les biens nationaux fussent vendus trop cher ; et pour remplir les caisses du Trésor, il ne convenait pas qu’ils fussent vendus trop bon marché. On fit une cote mal taillée. La bourgeoisie paya un juste prix, fort avantageux pour elle, et obtint de très larges facilités de paiement. Mais on ne s’avisa pas de distribuer une partie de ces immenses étendues de terres aux petits paysans, ou de les leur céder à bas prix. D’abord, parce que la bourgeoisie, la paysannerie aisée exigeaient tout pour elles. Ensuite, parce que le Trésor voulait non faire la charité, mais faire de l’argent.

Pour écarter les indésirables, il fut donc décidé que les ventes se feraient aux enchères. « C’est ce que les paysans, écrit Georges Lefebvre, redoutaient le plus ; si bon marché qu’aient été vendus ces biens, les enchères les ont toujours mis à trop haut prix pour l’immense majorité d’entre eux ». Il fut décidé également que les ventes auraient lieu au chef-lieu de district ; ainsi on écartait le pauvre qui ne pouvait se rendre en ville sans perdre une journée de travail. Enfin, les biens mis en vente furent divisés, à dessein, par les administrateurs de districts, en lots trop importants pour qu’il fût possible aux petits paysans de les acquérir.

Les paysans essayèrent e tourner les obstacles qu’on leur opposait. Ils s’associèrent pour acquérir un bien et se le partager ensuite. En certains endroits, ils recoururent même à la violence pour écarter la bourgeoisie urbaine des enchères. (…) La Convention, poursuivant l’œuvre de la Constituante, mit fin à ces pratiques. Elle interdit, par décret du 24 avril 1793, « les associations de tous ou de partie considérable des habitants d’une commune pour acheter les biens mis en vente et en faire ensuite la répartition ou division entre les dits habitants. » La décision avait effet rétroactif, et les associations qui avaient acheté des terres pour se les partager furent menacées des sanctions prévues par la loi si elles n’annulaient pas leurs opérations. (…)

Ainsi les bourgeois firent main basse sur la terre, en s’appliquant à écarter les masses paysannes des enchères. La vente à l’encan, le morcellement insuffisant des lots rendirent les acquisitions trop onéreuses pour Jacques Bonhomme. Mais, en même temps, les bourgeois entendaient acheter à bon compte. Non seulement, ils se firent, avec la complicité des autorités locales, adjuger les biens à des prix très inférieurs à leur valeur réelle, mais ils se firent consentir de confortables facilités de paiement. Le décret du 12 mai 1790, sous couleur de favoriser les bourses modestes, décida qu’un premier paiement de 12 à 30%, suivant la nature des biens, serait effectué et que le surplus serait acquitté en douze ans, en douze versements égaux, avec intérêt de 5%.

La mesure ne profita pas aux petits paysans qui, de toute façon, se trouvaient écartés des enchères ; par contre, elle fut très avantageuse pour les acquéreurs bourgeois. Au fur et à mesure que la monnaie se déprécia, ils réglèrent leurs annuités en assignats de plus en plus avilis. (…) Les dernières annuités venant à échéance à une époque où l’assignat avait perdu à peu près toute valeur, les heureux propriétaires soldèrent, en fin de compte, leurs achats pour une bouchée de pain.

Cependant, au printemps 1793, la bourgeoisie fut obligée de s’assurer, contre l’ennemi intérieur et extérieur, le concours des bras nus. Il lui fallut bien esquisser un geste en faveur des paysans pauvres. La Convention décida, le 4 juin, de réserver à ces derniers une modeste portion des biens nationaux qui leur seraient distribués directement et sans enchères. Tout chef de famille qui n’était pas propriétaire d’un arpent recevrait un arpent payable en rentes annuelles. La concession était extrêmement réduite : le village ne devait pas posséder de biens communaux ; le décret ne s’appliquait qu’aux biens des émigrés ; l’administration du district restait libre de lotir à sa guise et de ne céder aux pauvres que les lots les plus mauvais. Dans une des rares régions où le décret fut appliqué, en Seine-et-Oise, il ne fut pas réparti plus de 1 552 arpents et si mal choisis que nombre de leurs bénéficiaires ne purent rien en tirer.

Pourtant la Convention ne tarda pas à regretter la mesquine concession qu’elle avait faite et, le 13 septembre, elle l’annula. Le paysan pauvre recevait désormais, au lieu d’un arpent, un bon de 500 livres, valable pour l’acquittement de biens d’émigrés et payable en vingt annuités, sans intérêt. (…) Pour bénéficier du bon, il fallait ne posséder aucun lopin de terre. Enfin, le bon ne pouvait servir qu’à payer une terre acquise aux enchères. C’est dire que le pauvre ne pouvait l’utiliser. (…)
Mais il fallait, pour obtenir le concours des bras nus, leur jeter un os à ronger : la bourgeoisie leur offrit, à défaut des biens communaux. La restitution et le partage des biens communaux. C’était une gracieuseté qui ne lui coûtait pas cher, mais qui ne faisait guère l’affaire du paysan pauvre. (…)
Cambon déclara, le 27 août 1792, à la Législative : « Pour repousser plus sûrement encore les défenseurs du despotisme, il faut nous occuper du sort des pauvres, il faut attacher à la Révolution cette multitude d’individus qui n’a rien ; il faut rendre le peuple propriétaire. Propriétaire de quoi ? Des biens nationaux ? Vous n’y pensez pas. Je demande donc que les biens communaux soient incessamment partagés. »
La mesure fut définitivement adoptée par la Convention le 10 juin 1793. Mais elle allait à l’encontre des intérêts des paysans pauvres. La jouissance des terres communales représentait pur ces derniers l’unique garantie de leur existence. Ils tenaient à conserver en entier leurs anciens droits collectifs (droit de pacage, etc.) sur les terres non cultivées. Le partage ne pouvait profiter qu’aux paysans aisés qui s’adjugeraient, avec la complicité des municipalités, les meilleures terres et rachèteraient ensuite aux paysans pauvres le lopin que ceux-ci ne pourraient conserver. (….)

Après les acquéreurs de biens nationaux, les fournisseurs de guerre, les industriels travaillant pour l’armement furent les principaux profiteurs du régime montagnard. (…) A l’armée de métier, relativement petite, de l’ancien régime, la République avait substitué l’armée nationale, la conscription. L’industrie eut à habiller, équiper, armer des masses de soldats inconnues jusqu’alors : 1 400 000 hommes au printemps de 1794. D’industrie de luxe qu’elle avait été surtout jusqu’alors, elle se transforme en industrie moderne produisant par grandes quantités. (…)

Le Comité de Salut public ne se résolut à renoncer au concours des fournisseurs privés que dans quelques services où les nécessités impérieuses de la défense nationale exigeaient l’intervention de l’Etat, tels que celui des fournitures de viande aux armées et celui des transports militaires. (…) Les pouvoirs publics restèrent sourds aux revendications des sans-culottes, qui demandaient la reprise par l’Etat des fournitures militaires. Le 23 février 1794, les 48 sections de Paris réclamèrent vainement une loi pour anéantir et supprimer tous les soumissionnaires de la République qui, par des manœuvres astucieuses, se sont introduits dans les fournitures de l’équipement des troupes. (…) Le régime montagnard ou de salut public ne s’appuya pas seulement sur les acquéreurs de biens nationaux et sur les fournisseurs de guerre. Il s’appuya aussi sur les banquiers. (…) Une poignée de banquiers exerça une influence considérable. Et son rôle mérite d’être étudié en détail, car il souligne à la fois la dépendance du régime vis-à-vis des puissances d’argent et ses complaisances à l’égard de la contre-révolution : malgré les oppositions de classes entre aristocratie et bourgeoisie, malgré la rivalité commerciale entre la France et l’Angleterre, le lien de l’intérêt capitaliste forma comme un trait d’union entre le régime montagnard et la contre-révolution intérieure ou extérieure. (…)

En même temps qu’il était banquier des émigrés et des agents de l’étranger, Perregaux jouait, avec non moins d’aisance, la carte révolutionnaire. Administrateur de la Caisse d’escompte, il fut chargé par le gouvernement français, dès les premières émissions d’assignats, de dépister les fabricants de faux billets de banque, tant en France qu’à l’étranger. (…) Le banquier fit tant et si bien qu’il devint un personnage officiel. En effet, les besoins en devises du gouvernement révolutionnaire se faisaient de plus en plus pressants. (…) Afin d’assurer l’exécution des paiements à faire à l’étranger pour le compte du gouvernement français, Perregaux envoya des représentants en Italie, 0 Hambourg, en Hollande et se rendit lui-même en Suisse. (…) Le gouvernement révolutionnaire était très exactement renseigné sur l’activité contre-révolutionnaire de la finance internationale. Mais ses besoins financiers étaient si pressants qu’il se mit dans sa dépendance. Ne voulant, et ne pouvant sortir du cadre de la propriété et du droit bourgeois, il ne lui restait pas d’autre alternative que de capituler devant le mur d’argent. Pour quelques devises, il dut fermer les yeux sur les agissements des pires ennemis de la révolution et même, parfois, prendre parti pour eux contre les sans-culottes.

Marat, d’ordinaire si prompt à dénoncer des complots, fit preuve à l’égard de Perregaux d’une indulgence singulière. (…) Marat et Perregaux avaient, vingt-cinq ans auparavant, usé leurs fonds de culotte sur les bancs du même collège. Ce simple détail en dit long sur l’origine bourgeoise, sur les attaches bourgeoises des chefs jacobins. (…) Les sans-culottes des sections n’étaient pas du même avis que les chefs jacobins. En plusieurs circonstances, ils n’hésitèrent pas à s’attaquer à Perregaux. Mias, à chaque fois, le Comité de Salut public s’interposa, leur fit comprendre que le banquier était tabou. (…)

Les professeurs démocrates se sont efforcés d’effacer de la Révolution toute trace de la lutte des classes. Ils ont marié l’eau avec le feu, réconcilié a posteriori sans-culottes et grands spécialistes (Cambon, Carnot, Prieur, Lindet, Jeanbon Saint André,…), les présentant comme associés dans la grande entreprise de défense nationale. Mais les plébéiens et les sans-culottes comprirent bien, beaucoup mieux que ces historiens, qui détenait la réalité du pouvoir politique. Ils ne se firent aucune illusion, sur les agissements des grands spécialistes et ils leur témoignèrent, en toute occasion, la plus vive méfiance, la plus franche hostilité. (…) Pendant la période où la bourgeoisie révolutionnaire jugea indispensable de s’appuyer sur la sans-culotterie, d’acheter son concours par un certain nombre de concessions, il était nécessaire que d’autres hommes fussent associés au gouvernement. Ces hommes cautionnèrent les grands spécialistes vis-à-vis de l’avant-garde populaire ; ils jouèrent le rôle de médiateurs entre bourgeois et bras nus. (…) Tel fut le rôle de Robespierre et de son équipe.

Robespierre appartenait à une catégorie intermédiaire entre les grands spécialistes et les plébéiens. Il tenait plutôt à la petite qu’à la grande bourgeoisie. Robespierre correspondait assez bien à la définition que Marx donne du petit bourgeois : « Le petit bourgeois sa vante, dans le for intérieur de sa conscience, d’être impartial, d’avoir trouvé le juste équilibre. Un tel petit bourgeois divinise la contradiction, car la contradiction est le fond de son être. Il n’est que la contradiction sociale mise en action. » (…) Robespierre jouissait de la confiance de la bourgeoisie révolutionnaire qui avait reconnu en lui un homme de sa classe. Et il jouissait d’un immense prestige auprès des plébéiens et des sans-culottes. Il était l’entremetteur né, le conciliateur par excellence. Donnant des gages tantôt vers la gauche, tantôt vers la droite, penchant tantôt vers la gauche tantôt vers la droite, déconcertant ses propres partisans par les sautes imprévues de son opportunisme, mais suivant, à travers ces détours, une ligne relativement rectiligne, toujours sur la corde raide, il incarna une nécessité historique, il fut le lien vivant entre la bourgeoisie et la plèbe. Cet homme unique, irremplaçable, sur éviter la scission latente au sein du tiers état. Il fut l’écran qui dissimula aux masses populaires le visage de classe du Comité de Salut public. (…)

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